Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 13 MARS 2012
(no 82, 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/21190
Décision déférée à la Cour :
jugement du 6 octobre 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 09/00014
APPELANT
ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D'APPEL DE NIMES représenté par son Bâtonnier
Maison de l'Avocat
16 rue Régale
30013 NIMES
représenté par la SCP AUTIER (Me Jean-philippe AUTIER) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0053)
assisté de M. le Bâtonnier Gérard CHRISTOL, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMÉ
AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR
Bâtiment Concorcet Teledoc 353
6 rue Louise Weiss
75703 PARIS CEDEX 13
représenté par Me Frédéric BURET (avocat au barreau de PARIS, toque : D1998)
assisté de Me Martin SALÉ-MONIAUX (avocat au barreau de PARIS, toque : P 490, SELAS BCW et Associés)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 25 janvier 2012, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN
MINISTERE PUBLIC
Madame ARRIGHI de CASANOVA, avocat général, a fait connaître ses conclusions écrites
ARRET :
- contradictoire
- rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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L'ordre des avocats au Barreau de Nîmes a mis en cause la responsabilité de l'Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice au motif que, faute par le tribunal de grande instance de Nîmes d'assurer la reprographie des décisions pénales rendues, il a mis à sa disposition l'un de ses employés, servant également d'huissier-audiencier, à compter du 9 septembre 2002, pour assister dans cette tâche l'agent du tribunal employé à mi-temps, et lui réclame, en réparation, le montant des salaires et indemnités qu'il a versés à son employé jusqu'à son licenciement effectif le 5 novembre 2007.
Saisi de cette action, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a, par ordonnance du 17 juin 2009, rejeté l'exception d'incompétence soulevée par l'agent judiciaire du Trésor au profit des juridictions administratives, au motif que la demande concerne le fonctionnement de la juridiction et non son organisation.
Puis, par jugement du 6 octobre 2010, le tribunal a "dit que chaque partie doit garder la charge de ses propres dépens ; déboute pour le surplus, plus ample ou contraire".
CECI ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,
Vu l'appel de ce jugement par l'ordre des avocats au Barreau de Nîmes en date du 28 octobre 2010,
Vu ses dernières conclusions déposées le 4 janvier 2012 selon lesquelles, poursuivant l'infirmation du jugement, il demande la condamnation de l'agent judiciaire du Trésor à lui payer la somme de 37 677,45 € augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation et leur capitalisation dans les conditions des articles 1153-1 et 1154 du code civil ainsi que celle de 3 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions déposées le 22 juillet 2011 par lesquelles l'agent judiciaire du Trésor demande, à titre liminaire, qu'il soit constaté la prescription de la demande à hauteur de 11 271,31 € et donc l'irrecevabilité de l'ordre des avocats au Barreau de Nîmes dans cette mesure et, en toute hypothèse, aux motifs de l'absence de faute lourde, de l'absence de qualité de collaborateur occasionnel du service public de la justice de l'appelant et de préjudice anormal subi en cette qualité, son débouté, et donc la confirmation du jugement, et sa condamnation à lui verser la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'avis signifié aux parties le 24 novembre 2011 aux termes duquel le ministère public, partie jointe, conclut à l'infirmation du jugement et à l'incompétence des juridictions judiciaires au profit de l'ordre administratif,
SUR CE,
Considérant que l'ordre des avocats au Barreau de Nîmes soutient la compétence des juridictions judiciaires du fait que la délivrance de copies pénales relève de l'exercice de la fonction juridictionnelle et non pas de l'organisation du service public de la justice car elle touche aux droits de la défense pénale et est donc inhérente au fonctionnement juridictionnel, la non gratuité des copies pénales manifestant le manque de moyens de l'institution qui lui a fait supporter une charge indue, soulignant que son employé a exercé ses fonctions au sein même du tribunal ;
Qu'au fond la délivrance de copies pénales, touchant à l'exercice des droits de la défense, relève d'une mission de service public de la justice qui a été inapte à la remplir, ce qui traduit la faute lourde ; que l'ordre des avocats au Barreau de Nîmes n'a pas la qualité de collaborateur occasionnel du service de la justice, ses membres étant les conseils des parties et des auxiliaires de justice ; qu'il explicite son préjudice ;
Considérant que, s'appuyant sur une décision du tribunal des conflits du 27 novembre 1952, le procureur général rappelle que les dysfonctionnements tenant aux structures du service, au statut des magistrats ou à la gestion des personnels relèvent de la compétence du juge administratif à la différence des actes relatifs à la fonction juridictionnelle et soutient que le manque de personnel au sein d'une juridiction, quand bien même il aurait pour tâche d'effectuer des copies pénales, relève de l'organisation des tribunaux et, comme telle, ressortit à la compétence administrative ;
Considérant que l'agent judiciaire du Trésor, constatant que les salaires inclus dans le préjudice dont la réparation est sollicitée couvrent notamment les années 2002 et 2003, fait valoir qu'ils sont prescrits au 30 décembre 2008, date de l'assignation ; qu'au fond il indique que la preuve n'est pas rapportée que le recrutement a été rendu nécessaire par la défaillance de la juridiction, les éléments produits reliant celle-ci à des problèmes budgétaires de l'Etat et ne démontrant pas que le recrutement a été fait pour pallier cette défaillance et serait une charge indue de l'ordre des avocats ; qu'il n'a d'ailleurs pas le statut d'usager du service public de la justice, n'étant pas ici le conseil d'une partie mais une personne morale ayant aidé la juridiction, refusant la qualité de collaborateur occasionnel ; que le lien de causalité entre le recrutement et le dysfonctionnement allégué n'est pas plus établi ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que le tribunal de grande instance de Nîmes a connu, de 2001 à 2006, d'importantes difficultés de fonctionnement liées au manque de personnel existant au sein de cette juridiction tenant, pour partie, à un déficit d'effectifs budgétaires et, pour partie, à une distorsion entre les effectifs budgétaires et les effectifs réels ; qu'il est tout aussi constant que, durant cette période, la délivrance des copies de dossiers pénaux, devenue gratuite en application de la loi du 15 juin 2000, a souffert de retards considérables et que, pour les pallier, l'ordre des avocats au Barreau de Nîmes a mis partiellement à la disposition du tribunal l'un de ses employés qui occupait par ailleurs la fonction d'huissier-audiencier ;
Considérant qu'est en débat le point de savoir si cette carence du service de la justice à remplir sa mission relève de la faute lourde prévue par l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire ouvrant droit à réparation au profit de l'ordre des avocats au Barreau de Nîmes sous la forme du remboursement des salaires qu'il a versés à son employé et des charges qui en étaient l'accessoire ;
Qu'est rappelé à cet égard que constitue une faute lourde, au sens de cet article, tout fait ou série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir sa mission et que ce texte ne concerne que les usagers de la justice ;
Considérant qu'est aussi en discussion le point de savoir si la carence invoquée ouvre droit à réparation au profit de l'ordre des avocats au Barreau de Nîmes, sans qu'il y ait aucune faute, du fait qu'il est un collaborateur occasionnel du service ;
Considérant cependant que l'action engagée par l'ordre des avocats au Barreau de Nîmes tend à obtenir la condamnation de l'Etat au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui a causé la quasi interruption d'un service du tribunal auprès duquel il exerce son ministère ; que ce fait, s'agissant du mauvais fonctionnement du service de la reprographie tenant au déficit de personnel réel mis à la disposition de la juridiction nîmoise par le Gouvernement, est relatif non à l'exercice de la fonction juridictionnelle mais à l'organisation même du service public de la justice ; que la réclamation de l'ordre des avocats au Barreau de Nîmes met en jeu la responsabilité du service public indépendamment de toute appréciation à porter sur la marche même des services judiciaires ;
Que dans ces conditions il appartient à la juridiction administrative d'en connaître, comme le fait justement valoir le procureur général, la cour ne pouvant que se déclarer incompétente en application de l'article 92 du code de procédure civile ;
Considérant que l'équité ne commande pas, en l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement et statuant à nouveau,
Déclare les juridictions judiciaires incompétentes au profit des juridictions administratives,
Condamne l'ordre des avocats au Barreau de Nîmes aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT