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07/03/2012 | FRANCE | N°10/01412

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 07 mars 2012, 10/01412


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1



ARRET DU 07 MARS 2012



(n° , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 10/01412



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Janvier 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 06/04540





APPELANTE



Société Civile DE PERCEPTION ET DE DISTRIBUTION DES DROITS DES ARTISTES INTERPRETES DE LA MUSIQUE ET DE L

A DANSE (SPEDIDAM) agissant poursuites et diligences de son représentant légal

dont le siège social est [Adresse 3]

[Localité 10]



représentée par la SCP FISSELIER-CHILOUX-B...

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRET DU 07 MARS 2012

(n° , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/01412

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Janvier 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 06/04540

APPELANTE

Société Civile DE PERCEPTION ET DE DISTRIBUTION DES DROITS DES ARTISTES INTERPRETES DE LA MUSIQUE ET DE LA DANSE (SPEDIDAM) agissant poursuites et diligences de son représentant légal

dont le siège social est [Adresse 3]

[Localité 10]

représentée par la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, avocats postulants au barreau de PARIS (L0044)

assistée de Maître Isabelle WEKSTEIN, avocat plaidant pour la SCP WAN, avocats associés au barreau de Paris (P 58)

INTIMEES

Société NOKIA FRANCE représentée par son Président du Conseil d'Administration et venant aux droits de la Sté ON DEMAND DISTRIBUTION SAS dont le siège social est [Adresse 7]

[Localité 14]

Société NOKIA UK LIMITED prise en la personne de son représentant légal venant aux droits de la Société ON DEMAND DISTRIBUTION LIMITED

dont le siège social est [Adresse 16],

[Localité 15] (ROYAUME UNI)

représentées par Maître Luc COUTURIER de la SELARL HANDS Société d'Avocats postulants au barreau de PARIS (L0061)

assistées de Maître Véronique DAHAN, avocat au barreau de Paris (P 438) plaidant pour la SCP AUGUST ET DEBOUZY, avocats associés

Société UNIVERSAL MUSIC FRANCE agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux

dont le siège social est [Adresse 4]

[Localité 9]

représentée par Maître Luc COUTURIER de la SELARL HANDS Société d'Avocats postulants au barreau de PARIS (L0061)

assistée de Maître Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de Paris (E 329)

INTERVENANTS VOLONTAIRES

SYNDICAT NATIONAL DE L'EDITION PHONOGRAPHIQUE prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est [Adresse 2]

[Localité 8]

représenté par Maître Luc COUTURIER de la SELARL HANDS Société d'Avocats postulants au barreau de PARIS (L0061)

assisté de Maître Eric LAUVAUX, avocat au barreau de Paris (L 237) plaidant pour la SELARL NOMOS, avocats associés

Société EMI MUSIC FRANCE SAS agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux

dont le siège social est [Adresse 1]

[Localité 13]

Société SONY MUSIC ENTERTAINMENT FRANCE SAS agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux

dont le siège social est [Adresse 6]

[Localité 11]

Société WARNER MUSIC FRANCE SAS agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux

dont le siège social est [Adresse 5]

[Localité 12]

représentées par Maître Luc COUTURIER de la SELARL HANDS avocats associés postulants au barreau de Paris (L0061)

assistées de Maître Héléna DELABARRE, avocat au barreau de Paris (L 237) plaidant pour la SCP NOMOS, avocats associés

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Janvier 2012, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Didier PIMOULLE, Président, chargé d'instruire l'affaire et de Madame Anne-Marie GABER, Conseillère

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Didier PIMOULLE, Président

Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère

Madame Anne-Marie GABER, Conseillère

Greffier, lors des débats : Monsieur Gilles DUPONT

ARRET :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président et par Monsieur Gilles DUPONT, greffier

* * *

LA COUR,

Vu l'appel relevé par la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes (ci-après : Spedidam) du jugement du tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 2ème section, n° de RG : 06/04540), rendu le 15 janvier 2010 ;

Vu les dernières conclusions de l'appelante (27 décembre 2011) ;

Vu les dernières conclusions (3 décembre 2010) de la s.a. Nokia France et de la société de droit anglais Nokia UK, intimées ;

Vu les dernières conclusions (23 novembre 2011) du Syndicat national de l'édition phonographique (ci-après : SNEP) intimé, incidemment appelant et intervenant volontaire ;

Vu les dernières conclusions (21 décembre 2011) de la société Universal Music France, intimée et incidemment appelante ;

Vu les dernières conclusions (17 janvier 2012) de la s.a.s. EMI Music France, de la s.a.s. Sony Music Entertainment France et de la s.a.s. Warner Music France, intervenantes volontaires ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 17 janvier 2012 ;

* *

SUR QUOI,

Considérant, selon les énonciations du jugement dont appel, que la Spedidam, ayant constaté que la société On demand distribution proposait à ses clients, sur son site internet, le téléchargement de phonogrammes du commerce, spécialement ceux dont la liste figure aux pages 3 à 8 du jugement, estimant que la mise à disposition du public de phonogrammes du commerce par leur mise en ligne en vue de leur téléchargement payant est soumise à l'autorisation préalable des artistes-interprètes dont la prestation est fixée sur le phonogramme, ce en vertu de l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle, et faisant en l'espèce valoir que les 195 phonogrammes visés ont été proposés à la vente par téléchargement sans qu'aucune autorisation des artistes-interprètes concernés n'ait été sollicitée, a assigné cette société aux fins d'obtenir, outre la communication sous astreinte des chiffres de ventes des téléchargements par titre des phonogrammes litigieux et celle des autorisations délivrées par l'ensemble des artistes-interprètes dont les enregistrements sont mis à disposition du public sur son site, la réparation tant du préjudice personnel subi par les artistes-interprètes concernés et celle du préjudice résultant de l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession ;

Que, en cours d'instance, sont intervenues volontairement la société de droit anglais On demand distribution et les sociétés EMI Music France (ci-après : EMI), Sony BMG Music Entertainment France (ci-après : Sony), Warner Music France (ci-après : Warner) et Universal Music France (ci-après : Universal) ; que la société Nokia France et la société Nokia UK sont venues aux droits, respectivement, de la s.a. On demand distribution, défenderesse, et de la société de droit anglais On demand distribution ;

Que le tribunal, ayant écarté les fins de non recevoir opposées par les sociétés défenderesses tirées de l'irrecevabilité de la Spedidam à agir au nom d'artistes-interprètes n'ayant pas adhéré à ses statuts ou ne lui ayant pas donné un mandat spécial ou décédés, a débouté la société demanderesse de toutes ses prétentions en retenant, en synthèse, que la qualification juridique de phonogramme du commerce est indépendante d'un support et que la mise à la disposition du public, en quantité suffisante, de supports dématérialisés n'implique pas de changement de destination du phonogramme initialement fixé ;

Considérant que la Spedidam persiste à soutenir, en concluant à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée sur le fond de ses prétentions, que la publication de phonogrammes à des fins de commerce renvoie uniquement à la réalisation de phonogrammes sous forme de supports physiques et que le téléchargement de phonogrammes mis à la disposition du public à la demande constitue un changement de destination et requiert une nouvelle autorisation de l'artiste interprète ;

Considérant que les sociétés intimées concluent, en synthèse, à l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré la Spedidam recevable à agir pour des artistes-interprètes non adhérents à ses statuts ou ne lui ayant pas donné mandat spécial d'agir en leur nom ou décédés et à la confirmation de celui-ci en ce qu'il a débouté la Spedidam sur le fond de ses prétentions ;

Sur la procédure :

Considérant que les sociétés EMI Music France, la s.a.s. Sony Music Entertainment France et la s.a.s. Warner Music France ont déposé le 24 janvier 2012, avant l'audience, des conclusions de révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le 17 janvier 2012 en faisant valoir que, quoique parvenues au greffe et déposées au dossier de la procédure à la fin de l'audience à laquelle l'ordonnance de clôture a été prononcée, leurs dernières conclusions du 17 janvier 2012 avaient été antérieurement notifiées aux parties ;

Considérant, que, à l'ouverture des débats, l'ensemble des parties ont admis avoir eu connaissance en temps utiles des dernières écritures des sociétés EMI Music France, de la s.a.s. Sony Music Entertainment France et de la s.a.s. Warner Music France, de sorte qu'aucune atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense n'ayant été constatée, il n'y a pas lieu à révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le 17 janvier 2012 ;

Sur la recevabilité à agir de la Spedidam :

1° ) pour la défense des intérêts collectifs des artistes-interprètes :

Considérant que l'article L.321-1 du code de la propriété intellectuelle dispose :

« Les sociétés de perception et de répartition des droits [...] des artistes-interprètes [...] sont constitués sous forme de sociétés civiles.

Les associés doivent être des [...] artistes-interprètes [...] ou leurs ayants droit. Ces sociétés civiles régulièrement constituées ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge. » ;

Considérant que la spedidam est une société civile de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes qui a pour objet, en application de l'article 3-5° de ses statuts :

« L'exercice et l'administration dans tous pays, de tous les droits reconnus aux artistes-interprètes par le code de la propriété intellectuelle et par toute disposition nationale, communautaire ou internationale et notamment :

[...]

5 - Et plus généralement, la défense des intérêts matériels et moraux des ayants droit en vue et dans les limites de l'objet social de la Société, ainsi que la détermination de règles de morale professionnelle en rapport avec l'activité de ses membres.

A cette fin, la Société a qualité pour ester en justice tant dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes que dans l'intérêt collectif de la profession pour faire respecter les droits reconnus aux artistes-interprètes par le code de la propriété intellectuelle ainsi que par toute disposition nationale, communautaire ou internationale. » ;

Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions légales et statutaires ci-dessus reproduites et qu'il n'est au demeurant pas contesté par les autres parties en cause que la spedidam est recevable à agir pour la défense des intérêts collectifs des artistes-interprètes ;

2°) Pour la défense des droits individuels des artistes-interprètes qui n'ont pas adhéré à ses statuts :

Considérant, en revanche, que les intimées contestent, en premier lieu, la recevabilité à agir de la spedidam pour la défense des droits individuels des artistes-interprètes qui n'ont pas adhéré à ses statuts et dénient son affirmation selon laquelle elle disposerait d'une habilitation légale lui conférant non seulement le droit exclusif d'exercer, au lieu et place de tous les artistes-interprètes, adhérents ou non, les prérogatives reconnues à ces derniers par l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle, mais encore, et par voie de conséquence, le droit d'agir en justice pour faire valoir ces droits ;

Considérant que l'article L.321-1 du code de la propriété intellectuelle ne donne pas aux sociétés qu'il vise la qualité pour agir en justice au nom de tous ceux, pris individuellement, qui exercent les activités concernées ; que ce texte se réfère seulement à la défense des droits dont ces sociétés ont statutairement la charge ;

Que l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle soumet à l'autorisation écrite des artistes-interprètes la fixation, la reproduction et la communication au public de leurs prestations et la rémunération afférente ;

Considérant, au contraire de ce qu'elle soutient opiniâtrement, que la Spedidam ne tient pas de la loi, telle qu'elle résulte de la combinaison des dispositions ci-dessus rappelées, le pouvoir exorbitant de donner, au lieu et place de tous les artistes-interprètes, l'autorisation écrite préalable à la fixation, à la reproduction et la communication au public de leurs prestations ; que l'article L.321-1 ne peut en effet donner à la Spedidam les prérogatives que l'article L.212-3 confère aux artistes-interprètes, ce que l'appelante n'hésite pourtant pas à revendiquer en affirmant que les statuts qu'elle s'est donnée lui confèrent le pouvoir exclusif d'exercer ce droit au lieu et place des artistes-interprètes quand même ces derniers, non seulement n'auraient pas adhéré à ces statuts, mais ne lui auraient pas même confié le mandat exprès de les représenter ;

Considérant, en réalité, que les statuts de la spedidam ne peuvent interdire à un artiste-interprète de se prévaloir personnellement des droits qu'il tient de l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle ; qu'il appartient à chaque artiste-interprète, et à lui seul, d'apprécier les conditions d'exercice de ses droits, de saisir éventuellement la juridiction compétente, de transiger, de se désister, d'exécuter ou non un jugement rendu

en sa faveur ou d'exercer une voie de recours ; que, si rien n'interdit à un artiste-interprète de s'en remettre à la Spedidam pour agir en son nom en cette matière, soit en devenant l'un de ses membres, soit en lui donnant un mandat spécial, rien, en revanche, n'autorise la spedidam à s'arroger de manière universelle le droit de réclamer, à la place de tout artiste-interprète victime supposée d'une atteinte à ses droits, la condamnation à son profit d'un tiers à lui payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de cette atteinte, non par elle-même, mais par l'artiste-interprète intéressé ;

Considérant que c'est donc à tort que le tribunal a retenu que la Spedidam a qualité à agir pour la défense des droits individuels des artistes-interprètes, qu'ils soient ou non adhérents à ses statuts, et a rejeté en conséquence la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité à agir dans l'intérêt d'artistes-interprètes qui ne lui ont pas fait apport de leurs droits ;

Considérant que la spedidam verse à la procédure les actes d'adhésion de 217 artistes-interprètes sur les 262 artistes-interprètes ayant participé aux enregistrements des phonogrammes litigieux et mis à la disposition du public par la société Nokia France par téléchargement ; qu'elle prétend pallier l'absence de preuve de l'adhésion à ses statuts des autres 45 artistes-interprètes au nom desquels elle prétend agir par la production des feuilles de présence des intéressés aux enregistrements concernés ; qu'elle soutient en effet que « la signature de la feuille de présence [...] matérialise le mandat spécial que l'artiste-interprète entend donner à la spedidam pour la défense et la gestion de ses droits dans le cadre d'une utilisation secondaire de son interprétation » ;

Considérant que ces documents consistent en formulaires préimprimés destinés à être renseignés par les artistes-interprètes au moment de la séance d'enregistrement pour indiquer notamment la date et la durée de la séance et la nature de la prestation (instrument, titre de l'oeuvre ...) et formaliser la cession au producteur par l'artiste-interprète de ses droits sur la première destination de sa prestation, soit la réalisation et l'exploitation d'un « phonogramme du commerce » ou d'un « phonogramme publié à des fins de commerce »; qu'ils comportent en principe à cette fin la signature du producteur auquel l'artiste-interprète cède ses droits ; que ces documents manifestent par ailleurs la volonté de l'artiste-interprète de confier à la Spedidam le soin de donner en son nom les autorisations nécessaires pour les destinations secondaires ou les autres formes d'exploitation ;

Considérant, à supposer que ces feuilles de présence ou d'enregistrement puissent être regardées comme contenant un mandat d'agir en justice en paiement de dommages-intérêts à l'occasion d'une exploitation non autorisée, que les documents versés au débat ne peuvent en toute hypothèse être retenus comme moyens de preuve de la qualité revendiquée par la Spedidam ;

Considérant en effet que ces documents ont été établis, non pas au moment de l'enregistrement de la prestation de l'artiste-interprète, mais plusieurs années plus tard, qu'ils ne comportent jamais la signature du producteur et sont dépourvus de tout caractère contradctoire, qu'ils ont en réalité été établis a posteriori à la demande de la Spedidam pour appuyer ses prétentions ;

Considérant, quelle que soit la bonne foi des artistes-interprètes qui ont renseigné et signé les formulaires produits, que les indications portées sur ces documents longtemps après l'événement n'offrent aucune garantie d'exactitude quant à l'oeuvre interprétée ;

Considérant qu'aucune foi ne peut -être en conséquence accordée à ces pièces, ne serait-ce qu'au regard du principe en vertu duquel nul ne peut être admins à se constituer ses propres moyens de preuve ;

Considérant que la Spedidam doit en conséquence être déclarée irrecevable à agir au nom des 45 artistes-interprètes dont elle ne rapporte pas la preuve qu'ils lui ont fait apport de leurs droits ;

3°) Pour la défense des droits des artistes-interprètes décédés :

Considérant, par ailleurs, qu'il est constant qu'au moins trois artistes-interprètes au nom desquels prétend agir la Spedidam étaient décédés avant l'introduction de l'instance ; que le SNEP, la société Universal et les sociétés EMI, Sony et Warner concuent à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a admis la recevabilité à agir de la Spedidam au nom de ces artistes-interprètes ; que la Spedidam maintient qu'elle est recevable à agir au nom des artistes-interprètes décédés et invoque à cette fin les dispositions de ses statuts selon lesquelles « en cas de décès d'un associé, les rémunérations continueront à être versées à ses ayants droit » (article 14) et celles de son règlement général qui prévoient que « en cas de décès d'un ayant droit, les droits lui revenant seront versés par la SPEDIDAM à ses héritiers identifiés » ;

Mais considérant que la référence à ces différentes dispositions, qui ont pour objet de prévoir que la Spedidam doit payer aux héritiers de ses adhérents décédés les sommes qu'elle continue de percevoir pour leur compte est sans pertinence en l'espèce où il est question, non des conditions de répartition des rémunérations perçues ou dues à des artistes-interprètes, mais d'action en justice en réparation d'un préjudice ;

Considérant en effet que la Spedidam ne poursuit pas dans la présente instance le paiement des rémunérations dues à chacun des membres au nom desquelles elle prétend agir, mais le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice personnel causé à chacun d'eux par la faute de la société Nokia France pour ne pas s'être assuré de leur autorisation avant de mettre leurs prestations à la disposition du public par voie de téléchargement ;

Considérant que nul n'est admis à agir dans l'intérêt d'autrui s'il n'est légalement qualifié à cette fin ; qu'une telle attribution de qualité ne peut résulter que de la loi et revêt un caractère exceptionnel ; que la Spedidam ne prétend pas qu'elle serait investie par une disposition de la loi de la qualité pour agir en toutes circonstance en réparation d'un préjudice prétendument subi par tel de ses adhérents décédé pour le compte des héritiers de celui-ci, au demeurant non identifiés en l'espèce et donc, par hypothèse, non avertis de cette action, alors que le droit d'agir en justice est une liberté fondamentale, qui appartient à chacun dans son propre intérêt et n'appartient, en principe, à personne d'autre ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a admis la recevabilité de la Spedidam à agir au nom des héritiers non identifiés de ses adhérents dont le décès est établi par les pièces versées au débat ;

4°) Pour la défense des intérêts des artistes-interprètes dont la participation à la fixation des phonogrammes en cause n'est pas prouvée :

Considérant que le SNEP et les sociétés EMI, Sony et Warner demandent à la cour de dire que la Spedidam est irrecevable à agir dans l'intérêt des artistes-interprètes dont elle ne rapporte pas la preuve de la participation aux enregistrements litigieux ;

Que, s'ils admettent que cette preuve est rapportée s'agissant des artistes-interprètes dont les noms figurent sur les pochettes des albums correspondant aux phonogrammes en cause, ils observent en revanche qu'il est sérieusement permis de douter de la participation des musiciens dont les noms ne figurent pas sur ces pochettes et pour lesquels la Spedidam se contente de verser aux débats des feuilles de séance qui n'ont aucune valeur probante, soit parce qu'elles sont incomplètes ou qu'elle n'ont pas été contresignées par le producteur de l'enregistrement, soit parce qu'elles ont été établie plusieurs années après les enregistrements qu'elles visent ;

Mais considérant, outre ce qui a été dit plus haut relativement à la force probante qui s'attache à ces feuilles de séance, ou feuilles de présence, ou encore d'enregistrement, que la participation effective de tel artiste-interprète à tel enregistrement est une question de fait dont dépend, non la qualité à agir, partant la recevabilité de la Spedidam, mais le succès au fond de sa prétention ; que la fin de non recevoir opposée de ce chef n'est donc pas pertinente ;

Considérant qu'il résulte des motifs qui précèdent que la Spedidam est recevable à agir pour la défense des intérêts collectifs des artistes-interprètes ainsi que pour la défense des intérêts individuels des artistes-interprètes qui ont adhéré à ses statuts ou qui lui ont donné un mandat spécial à cette fin, qui ne sont pas décédés ; qu'elle doit en revanche, par voie d'infirmation du jugement entrepris, être déclarée irrecevable à agir pour la défense des intérêts individuels des artistes-interprètes qui ne répondent pas à ces conditions ;

Considérant, ces principes étant posés, et compte tenu des motifs qui suivent relativement au fond du droit et du sens de l'arrêt, qu'il est vain de rechercher, pour chacun des 262 artistes-interprètes concernés, s'ils ont, ou non, pris part à l'enregistrement d'un ou plusieurs des 195 phonogrammes litigieux ;

Sur la violation des droits des artistes-interprètes :

Considérant, aux termes de l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle, que « Sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public » ;

Qu'il est constant que les 262 artistes-interprètes dans l'intérêt desquels la Spedidam prétend agir dans la présente instance ont donné l'autorisation prévue par les dispositions ci-dessus rappelées pour la totalité des phonogrammes visés ;

Considérant cependant que la Spedidam maintient devant la cour la thèse soutenue par elle devant le tribunal selon laquelle l'autorisation donnée par les artistes-interprètes dans les termes de l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle précédemment rappelés ne vaut que pour la communication au public de phonogrammes publiés à des fins de commerce, concept dont elle prétend qu'il n'inclut pas la mise à disposition du public par voie de téléchargement payant ;

Considérant qu'il y a lieu d'observer que la Spedidam fonde le premier niveau de son argumentaire devant la cour, comme elle l'avait fait devant le tribunal :

- sur les expressions contenues dans les feuilles de présence pour désigner, après les notions de fixation et de reproduction, celles de la destination de la séquence sonore fixée, soit la réalisation de « phonogrammes publiés à des fins de commerce » ou, sous une forme abrégée tenue pour équivalente, « phonogrammes du commerce »,

- sur la Convention de Rome du 26 octobre 1961 au sens de laquelle un « phonogramme » s'entend comme « toute fixation exclusivement sonore des sons provenant d'une exécution ou d'autre sons » (article 3-b) et la « publication » est définie comme la mise à disposition du public d'exemplaires d'u phonogrammes en quantité suffisantes » (article 3-d),

- sur l'article 2 e du Traité OMPI de 1996, d'après lequel la « publication » consiste en « La mise à disposition du public de copies de l'interprétation ou exécution fixée ou d'exemplaires du phonogrammes avec le consentement du titulaire des droits, et à condition que les copies ou exemplaires fixés soient mis à la disposition du public en quantité suffisante » ;

Que l'appelante, en soulignant les termes de « copies » et « d'exemplaires » contenus dans ces différents textes, réitère son affirmation selon laquelle la « publication à des fins de commerce » ne concerne que « l'exploitation commerciale de supports matériels » ;

Qu'elle explique que les artistes-interprètes, lorsqu'ils ont autorisé l'enregistrement de leur prestation, n'ont permis que la réalisation de supports physiques, dont l'évolution technologique, permettant le passage du disque en cire 78 tours au disque vinyle ou microsillon 45 et 33 tours, puis à la cassette audio, et au CD, n'a pas changé la nature « d'objets tangibles » destinés à être mis à la disposition du public dans des magasins, mais n'ont pu autoriser la transmission dématérialisée de celle-ci au public ;

Mais considérant que le tribunal, par des motifs exacts, suffisants et pertinents que la cour fait siens, a jugé que la qualification juridique de phonogramme du commerce est indépendante de l'existence ou non d'un support physique ; qu'il en résulte que le phonogramme, séquence de sons fixée quel qu'en soit le mode de fixation, ne se confond pas avec « l'objet tangible » mis à la disposition du public dans les bacs des disquaires ;

Considérant que la Spedidam, qui ne disconvient pas de cette constatation d'évidence, développe au soutien de son appel un deuxième niveau d'arguments, se référant non plus à la notion de « phonogramme », mais à celle de « publication à des fins de commerce », qui serait d'une nature autre que la « mise à disposition du public à la demande », laquelle, précisément parce qu'elle se passe de la remise au consommateur d'un objet tangible ou support matériel incorporant le phonogramme, impliquerait une destination différente de l'enregistrement ;

Que l'appelante invoque à cette fin les directives n° 2001/29 du 22 mai 2001 et n°2006/115 du 12 décembre 2006 qui, selon elle, opèrent une distinction entre le droit de distribution, consistant en la mise à la disposition du public de copies fixées sur un « objet tangible », et le droit de mise à disposition du public à la demande ;

Mais considérant, dès lors qu'il doit être admis que le phonogramme ne consiste en rien d'autre qu'une séquence de sons fixée, quel que soit le mode de fixation, sur un support, quel qu'il soit, qu'il peut donc consister en un fichier numérique sauvegardé sur une mémoire informatique tel qu'un disque dur ou autre ;

Que la circonstance qu'un phonogramme ainsi défini puisse être transmis sous forme dématérialisée n'en change ni la nature, ni la destination ; qu'il demeure en effet identique à lui même s'il est incorporé dans un support matériel tel qu'un disque vinyle microsillon ou chargé sur un disque dur d'ordinateur, une clé USB, ou un téléphone mobile, et comporte la même destination, qui est d'être écouté par celui qui en a fait l'acquisition ;

Considérant enfin, à moins de cultiver délibérément le sophisme, qu'il ne peut être sérieusement soutenu qu'une société commerciale qui tire son profit de la mise à disposition du public, à la demande de celui-ci, de phonogrammes par le moyen du téléchargement, exercerait une activité qui ne constituerait pas une mise à disposition du public à fins de commerce, étant observé incidemment que l'exigence de mise à disposition d'un nombre d'exemplaires suffisants est évidemment satisfaite dans ce mode de mise à disposition ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le jugement entrepris doit être confirmé en toutes ses dispositions, sauf sur les questions de recevabilité ; que la Spedidam sera en conséquence déboutée de toutes ses prétentions ;

Sur les demandes des sociétés Nokia France et Nokia UK :

Considérant que les sociétés Nokia France et Nokia UK font valoir que la Spedidam n'a introduit la présente procédure que dans un but polémique et politique, pour discréditer la légitimité des services fournis par les plate-forme de téléchargement légal et servir sa prise de position en faveur d'un système de licence globale ; qu'elle demande en conséquence à la cour de condamner l'appelante à leur payer 50.000 € en réparation du préjudice ainsi subi ;

Mais considérant que les sociétés Nokia France et Nokia UK ne démontrent, ni que la Spedidam aurait abusé en l'espèce de la faculté d'agir en justice pour faire valoir ce qu'elle estime, même à tort, être son bon droit, ni qu'elles auraient subi, du fait de la procédure, un préjudice distinct de la nécessité d'exposer des frais pour leur défense, ce qui donnera lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile dans le mesure précisée au dispositif ; que leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera en conséquence rejetée ;

Considérant, par ailleurs, qu'il résulte du sens de l'arrêt que les demandes en garantie formées par les sociétés Nokia France et Nokia UK contre les sociétés EMI France, Sony Bmg Music Entertainment France, Wamer Music France et Universal Music France deviennent sans objet ;

Sur la demande pour procédure abusive de la société Universal Music France :

Considérant que la société Universal Music France demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Mais considérant, outre qu'elle ne développe aucun moyen à l'appui de cette demande d'infirmation, que la société Universal Music France ne rapporte pas la preuve d'une intention de nuire ou légèreté blâmable de la part de la Spedidam et ne démontre pas qu'elle aurait subi, du fait de la procédure, un préjudice distinct de la nécessité d'exposer des frais pour sa défense, ce qui donnera lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile dans le mesure précisée au dispositif ; que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

* *

PAR CES MOTIFS,

DIT n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le 17 janvier 2012,

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté les fins de non recevoir opposées à la Spedidam tirées de son défaut de qualité à agir,

Le RÉFORMANT et STATUANT à nouveau de ce seul chef,

DÉCLARE la Spedidam irrecevable à agir dans l'intérêt des artistes-interprètes n'ayant pas adhéré à ses statuts,

DÉCLARE la Spedidam irrecevable à agir dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes décédés ;

DÉBOUTE la Spedidam de toutes ses prétentions,

DÉBOUTE les sociétés Nokia France et Nokia UK de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

CONSTATE que la demande en garantie formée par les sociétés Nokia France et Nokia UK contre les sociétés EMI France, Sony Bmg Music Entertainment France, Wamer Music France et Universal Music France est sans objet, 

CONDAMNE la spedidam aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer ,par application de l'article 700 du code de procédure civile :

- 25.000 € aux sociétés Nokia France et Nokia UK,

- 3.000 € au Syndicat National de l'édition phonographique,

- 20.000 € à la société Universal Music France,

- 8.000 € à chacune des sociétés EMI Music France, Sony Music Entertainment France et Warner Music France.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 10/01412
Date de la décision : 07/03/2012

Références :

Cour d'appel de Paris I1, arrêt n°10/01412 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-03-07;10.01412 ?
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