RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 15 Février 2012
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/00919
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Décembre 2009 par le conseil de prud'hommes de SENS - section INDUSTRIE - RG n° 08/00301
APPELANT
Monsieur [H] [N]
[Adresse 3]
[Localité 7]
comparant en personne
assisté de Me Jean-Paul TEISSONNIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : C 995
INTIMÉS
La SA ZF MASSON prise en la personne de Me [B] [G] es qualités de mandataire ad hoc
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 6]
représentée par Me Gérard GENESTE, avocat au barreau de SENS
Me [M] [A] - Commissaire à l'exécution du plan de la SA ZF MASSON
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Gérard GENESTE, avocat au barreau de SENS
Me [E] [K] - Représentant des créanciers de la SA ZF MASSON
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 1]
représenté par Me Gérard GENESTE, avocat au barreau de SENS
CGEA - AGS DE [Localité 4]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 4]
représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, toque : T10
Et Me Patrice VERRIER, avocat au barreau D'AUXERRE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 23 Novembre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Christine ROSTAND, Présidente
Monsieur Benoît HOLLEAUX, Conseiller
Madame Monique MAUMUS, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Violaine GAILLOU, lors des débats
ARRÊT :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine ROSTAND, Présidente et par Monsieur Philippe ZIMERIS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
Vu le jugement du Conseil de prud'hommes de SENS en formation de départage du 17 décembre 2009 ayant rejeté l'exception d'incompétence, déclaré recevable Monsieur [H] [N] en son action, condamné la société ZF MASSON à lui payer la somme de 21.207,01 euros avec intérêts au taux légal partant du 4 décembre 2005 au titre du préjudice économique, fixé ladite somme au passif de la procédure collective de la société ZF MASSON, débouté celui-ci de ses autres demandes, et laissé les dépens à la charge de la procédure collective de la société ZF MASSON';
Vu la déclaration d'appel de Monsieur [H] [N] reçue au greffe de la Cour le 29 janvier 2010 ;
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 23 novembre 2011 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de Monsieur [H] [N] qui demande à la Cour de :
-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclaré recevable en son action, «condamné» la société ZF MASSON à lui payer la somme de 21.207,01 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2005 au titre de son préjudice économique, et fixé sa créance au passif de la procédure collective de la société ZF MASSON,
-l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, fixer à son profit les créances indemnitaires suivantes au passif de la procédure collective de la SA ZF MASSON :
'15.000 euros en réparation du préjudice né du bouleversement dans ses conditions d'existence,
'15.000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété ;
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 23 novembre 2011 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de Me [G] et Me [A], respectivement mandataire ad hoc et commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SA ZF MASSON, qui demandent à la Cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué àMonsieur [H] [N] la somme indemnitaire de 21.207,01 euros au titre du préjudice économique, et de le confirmer pour le surplus ;
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 23 novembre 2011 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de l'AGS CGEA DE [Localité 4] qui demande à la Cour :
-sur le préjudice économique et / ou de bouleversement dans les conditions d'existence, de débouter Monsieur [H] [N] de sa demande indemnitaire à ce titre,
-sur le préjudice d'anxiété, à titre principal de rejeter sa demande indemnitaire de ce chef, subsidiairement de juger qu'il n'y a pas lieu à garantie en raison de la nature non contractuelle du dit préjudice, et très subsidiairement si sa garantie est retenue de réduire la réclamation à de plus justes proportions,
-en tout état de cause, de juger que sa garantie ne s'exerce que dans les conditions et limites tant légales que réglementaires applicables et que le cours des intérêts au taux légal a été arrêté au jour de l'ouverture de la procédure collective.
MOTIFS DE LA COUR
En 1917, la société PONT A MOUSSON a ouvert l'usine de [Localité 11] pour développer la fabrication de pièces de robinetterie en bronze puis, à compter de 1948, de boîtes de vitesse de type WILSON.
Courant 1968, la société PONT A MOUSSON a racheté l'activité de la société MASSON spécialisée dans la fabrication de réducteurs pour la marine et, à compter de l'année 1973, a diversifié sa production dans le domaine des freins à disques ferroviaires et routiers.
En 1981, la société de droit allemand RENK AG a pris une participation dans le capital de la société PONT A MOUSSON à hauteur de 30%, cette dernière prenant la dénomination de Société Européenne d'Engrenages (SEE) qui, à partir de l'année 1988, a décidé de concentrer son activité sur la fabrication des réducteurs pour la marine et des disques de freins.
En 1999, la société ZF MARINE appartenant au groupe ZF a racheté la Société Européenne d'Engrenages (SEE) qui devient la SA ZF MASSON.
La SA ZF MASSON a ainsi eu une activité industrielle tournée vers la fabrication des garnitures à base d'amiante pour les boîtes de vitesse et les systèmes de freinage, cette dernière spécialisation étant finalement cédée en 2001 à la société SAB NABCO.
La SA ZF MASSON a fait l'objet d'un jugement du Tribunal de commerce de SENS du 7 juin 2005 d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ayant abouti à une décision du même tribunal le 14 novembre 2005 désignant Me [A] en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement.
Monsieur [H] [N] était salarié de la SA ZF MASSON quand il a fait valoir ses droits dans le cadre du dispositif de l'Allocation de Cessation Anticipée d'Activité des Travailleurs de l'Amiante (ACAATA) issu de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999.
Aux termes de ce dispositif, une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux «salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle» à la condition de travailler ou avoir travaillé dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté ministériel et d'avoir atteint un âge ne pouvant être inférieur à 50 ans.
Le montant de cette allocation est calculé en fonction de la moyenne actualisée des salaires mensuels bruts de la dernière année d'activité salariée du bénéficiaire et cesse d'être versée lorsque celui-ci remplit les conditions pour percevoir une pension de retraite à taux plein.
Le salarié qui est admis au bénéfice de cette même allocation, calculée sur la base de 65% de son salaire brut mensuel de référence dans la limite du plafond de la sécurité sociale, présente sa démission à son employeur.
Suivant un arrêté du 25 mars 2003, la SA ZF MASSON a fait l'objet d'une inscription sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'Allocation de Cessation Anticipée d'Activité des Travailleurs de l'Amiante (ACAATA).
Sur la responsabilité de la SA ZF MASSON :
Durant de très nombreuses années, et au moins jusqu'en 1996, les produits industriels fabriqués par la SA ZF MASSON étaient tous amiantés et le matériel utilisé (machines outils, fours) était isolé à l'amiante, ce qui permet de relever que cette entreprise en faisait une utilisation massive et constante dans ses ateliers.
Ainsi, dès le 19 juillet 1977, le Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) de l'entreprise mettait en garde sur «le danger que présente l'usinage de l'amiante» nécessitant l'installation dans les locaux d'«un dispositif puissant d'aspiration».
Cette recommandation ne sera pas suivie d'effet, malgré les interventions ultérieures tant du médecin du travail - docteur [D] - qui en février 1979 rappelait encore à la direction de l'usine que «l'installation de protection de l'amiante est urgente», que du CHSCT qui en mai 1988 relevait qu'à l'atelier de fabrication des freins «au poste amiante, il est demandé par Monsieur [J] de la CRAM de faire évacuer les rejets à l'extérieur».
A l'occasion précisément d'une visite en décembre 1988 de l'ingénieur conseil de la CRAM, il était constaté des «problèmes relatifs à la sécurité» portant sur :
- le recyclage de l'air après captage et épuration des polluants atmosphériques («sur un certain nombre de postes de travail ' l'air pollué capté est rejeté dans l'atelier après filtration. Cette pratique est pour nous potentiellement dangereuse ' La filtration que vous réalisez actuellement est trop sommaire pour être considérée comme efficace. Dans le cas des fibres d'amiante le recyclage de l'air conduit à un enrichissement de l'air de l'atelier en fibres submicroniques dont on peut craindre l'action dans la genèse des mésothéliome. La règle générale des rejets après filtration doit être le rejet à l'extérieur»).
Dans une note interne du 22 octobre 2002'dont le contenu n'est même pas discuté par l'intimé , le Directeur Qualité Hygiène et Sécurité de la SA ZF MASSON, Mr [Y], confirmait :
'l'absence de protection dans l'atelier de fabrication des freins («'il n'était prévu aucun dépoussiérage effectif des garnitures, ce qui signifie que le poste de travail et les pièces étaient recouvertes de poussières amiantées tout au long du processus de fabrication, de manutention, de stockage et de montage»),
'l'inexistence d'un système d'aspiration ou de protection particulière sur les bancs d'essai et lors des opérations de reconditionnement des fours servant au traitement thermique pour augmenter la durée de vie des pièces usinées («'cette opération consistait à changer les organes qui s'effritaient (dégagement de poussière dans tous les ateliers GH) et était effectuée par le personnel du service thermique, pendant les heures de travail, sans aspiration ni protection particulière»),
'le défaut de précaution dans les ateliers d'usinage («'toutes (les) actions se faisaient sans protection malgré la poussière accumulée dans les rainures suite à l'usinage du composite»),
'une pratique erratique sur le banc d'essai des freins («ces essais poussés à l'extrême ' produisaient une quantité importante de poussières liées à l'usure des garnitures ainsi qu'une fumée épaisse suite à l'échauffement du disque et ses garnitures. Ces fumées et poussières étaient évacuées par aspiration non filtrée directement sur le toit donnant sur la cour de l'entreprise»),
'le fait que dans l'atelier de fonderie, les fours dont la garniture était composée de feuilles d'amiante étaient vérifiés tous les deux mois («cette opération ' consistait à remplacer le pisé et les feuilles d'amiante usagés par des matériaux neufs. Ce travail était réalisé sans protection particulière jusqu'en décembre 1996»).
L'article L.4121-1 du code du travail dispose que : «L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels ' ; 2° Des actions d'information et de formation ' ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes».
En vertu des contrats de travail le liant à ses salariés, l'employeur est tenu envers eux d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre toutes les mesures nécessaires afin d'assurer de manière effective leur sécurité et de protéger leur santé au travail, notamment en ce qui concerne les risques d'exposition à des produits contaminants.
La SA ZF MASSON était soumise aux dispositions du décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, texte invoqué par les appelants dans leurs écritures (page 7) et qui lui imposait une limitation du taux de concentration moyenne en fibre d'amiante de l'atmosphère (article 2), le conditionnement des déchets de produits amiantés pour qu'ils ne provoquent pas des émissions de poussières pendant leur manutention (article 5), un contrôle régulier de l'atmosphère des lieux (article 6), la vérification des appareils de protection collective en matière de «captage, de filtration et de ventilation» (article 7), de même que la mise à disposition pour le personnel exposé des équipements respiratoires individuels et des vêtements de protection (article 8).
L'appelant précise sans être démenti par la partie intimée que le médecin du travail - docteur [D] - avait organisé le 12 janvier 1978 une réunion avec la Direction et le CHSCT pour évoquer ce décret, et que «les recommandations mises en avant par (celui-ci) ne seront jamais suivies d'effet» (conclusions, page 7).
Il s'évince des données factuelles précédemment rappelées que la SA ZF MASSON n'a pris dans le temps aucune mesure qui aurait permis d'assurer la sécurité et de protéger la santé au travail des salariés exposés dans ses locaux à l'amiante, en dépit des prescriptions réglementaires susvisées qu'elle a volontairement ignorées et des nombreuses alertes reçues tant de la médecine du travail que du CHSCT, ce comportement de totale inaction aboutissant au constat pour le moins accablant ayant été fait par son directeur qualité hygiène et sécurité dans la note interne précitée du 22 octobre 2002.
De tels manquements imputables à la SA ZF MASSON qui a fait courir à ses salariés durant plusieurs années un risque majeur d'exposition à l'amiante, bien que tenue d'une obligation de prévention (déterminer les risques potentiels, les évaluer, prendre toutes mesures techniques tant collectives qu'individuelles pour les éviter ou en diminuer les effets), sont constitutifs d'une violation caractérisée de son obligation de sécurité de résultat.
Il y a lieu en conséquence de juger l'employeur responsable pour manquement à son obligation générale de sécurité de résultat sur le fondement de l'article L.4121-1 du code du travail.
Sur l'indemnisation des préjudices :
Le non respect par la SA ZF MASSON de son obligation de sécurité de résultat a nécessairement causé un préjudice à ses salariés, dangereusement exposés au risque de l'amiante, dont Monsieur [H] [N].
1/ Le préjudice économique
Au soutien de sa demande indemnitaire au titre d'une «perte de revenus», Monsieur [H] [N] considère que le dispositif issu de la loi du 23 décembre 1998 ne lui laissait en réalité qu'un «choix relatif» entre, soit risquer de voir disparaître ou sérieusement amputé un droit à la retraite pour lui «statistiquement réduit», soit exercer ce droit reconnu légalement à une préretraite Amiante en raison des conséquences de son exposition prolongée mais au prix d'un préjudice économique important», de sorte qu'il serait bien fondé à réclamer une somme correspondant au «différentiel entre le salaire qu'auraient touché les anciens salariés de la société s'ils n'avaient pas été contraints de partir en préretraite amiante, et l'allocation qui leur est servie par la CRAM».
La loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 en son article 41 a créé un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés ayant été exposés à l'amiante, avec le versement d'une allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (dispositif ACAATA) aux salariés et anciens salariés des établissements visés sur une liste établie par arrêté ministériel, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle à l'ouverture de leurs droits soumis à condition.
Il résulte ainsi de ces dispositions spéciales que le salarié qui a demandé le versement de cette allocation dite de préretraite Amiante n'est pas fondé à obtenir de l'employeur fautif, en application des règles générales de la responsabilité civile contractuelle, réparation d'une «perte de revenus» résultant de la mise en 'uvre de ce dispositif légal.
Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu'il a alloué Monsieur [H] [N] la somme de 21.207,01 euros au titre du préjudice économique, et celui-ci en conséquence débouté de sa demande indemnitaire de ce chef.
2/ Le préjudice d'anxiété
Pour s'opposer à la demande indemnitaire de Monsieur [H] [N] en réparation de son préjudice d'anxiété distinct du dispositif légal ACAATA, la partie intimée entend indiquer que «toute activité professionnelle implique nécessairement des risques accidentels voire mortels qui ne peuvent prêter à indemnisation. La liste des professions à risques est sans fin et il va de soi que notre système judiciaire ne saurait admettre une indemnisation au titre d'un préjudice d'anxiété, soit de développement d'une pathologie puisque celle-ci est déjà indemnisée par un fonds spécial le FIVA, soit de décès présumé puisque celui-ci arrivera inexorablement» (conclusions, page 8).
L'AGS CGEA de [Localité 4], pour contester tout autant cette réclamation indemnitaire dans son principe, indique que la faute de l'employeur n'est pas démontrée, qu'il n'y a pas de «faute automatique» en ce que le préjudice d'anxiété n'est pas lié à l'obligation de sécurité de résultat qui en tout état de cause a été consacrée seulement par la loi du 31 décembre 1991 - actuel article L.4121-1 du code du travail -, qu'avant décembre 1991 cette obligation «n'existait pas en droit du travail», que la jurisprudence sur cette même obligation en matière de droit de la sécurité sociale n'est pas applicable en droit du travail, qu'ont bien été respectées les prescriptions applicables à l'époque dont le décret du 17 août 1977, et que l'existence d'un préjudice à ce titre n'est pas davantage établie par salarié outre la nécessité d'un lien de causalité directe avec la faute requise.
Il a été précédemment indiqué en quoi la SA ZF MASSON engage sa responsabilité pour avoir manqué à son obligation de sécurité de résultat, obligation générale et inhérente au contrat de travail sans que l'on puisse opérer une distinction entre avant et après l'adoption de la loi du 31 décembre 1991, responsabilité découlant directement du fait que l'employeur n'a pris aucune mesure sérieuse pour assurer de manière effective la sécurité de ses salariés et protéger leur santé au travail, en violation des premières dispositions réglementaires issues du décret du 17 août 1977, malgré les nombreuses mises en garde reçues (médecin du travail, CHSCT, CRAM), ce qui leur a nécessairement causé un préjudice puisqu'ayant été exposés sans précaution et durant plusieurs années au risque d'inhalation de fibres nocives d'amiante, comme ce fut notamment le cas de Monsieur [H] [N].
Indépendamment de la mise en 'uvre des mécanismes d'indemnisation propres au droit de la sécurité sociale, qui n'ont pas vocation à être appliqués en l'espèce, Monsieur [H] [N] est bien fondé à faire reconnaître l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété indépendant de la mise en 'uvre de la loi du 23 décembre 1998, préjudice indemnisable sur le fondement des règles de la responsabilité civile et, plus précisément, pour manquement caractérisé de la SA ZF MASSON à son obligation générale de sécurité de résultat.
Sur ce dernier point, et contrairement à ce que soutient l'AGS CGEA de [Localité 4], il existe un lien direct entre le préjudice d'anxiété indemnisable et l'obligation de sécurité de résultat pesant sur tout employeur.
Monsieur [H] [N], qui a travaillé dans un établissement mentionné à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient traités des matériaux contenant de l'amiante, se trouve par le fait de son employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, situation le contraignant à subir des contrôles et examens réguliers de nature à réactiver cette angoisse, ce qui constitue un préjudice d'anxiété appelant réparation.
Ce préjudice, qui entre dans la catégorie des préjudices dits de contamination, vise l'hypothèse d'une exposition prolongée à l'inhalation de fibres d'amiante en tant qu'agents cancérigènes avérés avant même l'apparition d'une pathologie qui peut se déclencher plus ou moins rapidement.
Il se distingue des mécanismes de réparation propres au Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) qui ne concerne que les salariés victimes justifiant d'une atteinte à leur santé et d'un lien de causalité avéré entre l'exposition au risque et le préjudice subi.
Il sera en conséquence alloué à Monsieur [H] [N] la somme indemnitaire à ce titre de 15.000 euros, et le jugement entrepris ainsi infirmé.
3/ Le préjudice né du bouleversement dans les conditions d'existence (demande nouvelle)
Pour s'opposer à la demande indemnitaire de Monsieur [H] [N] au titre du préjudice né du bouleversement dans ses conditions d'existence, la partie intimée et l'AGS CGEA de [Localité 4] considèrent qu'il ne s'agit que d'une nouvelle dénomination du préjudice économique, qu'il ne démontre pas avoir été exposé individuellement à l'amiante, et que sa réclamation en paiement d'une somme forfaitaire ne repose sur aucun préjudice prouvé.
Les salariés contaminés par une inhalation prolongée de fibres d'amiante sur leurs lieux de travail voient leur projet de vie bouleversé indépendamment de l'inquiétude face au risque de déclaration à tout moment d'une pathologie grave, inquiétude qui est indemnisable de manière distincte au titre du préjudice d'anxiété.
Un tel bouleversement dans les conditions d'existence, autre composante du préjudice dit de contamination, est une réalité en ce qu'il est lié à une probable perte d'espérance de vie, situation d'autant plus injuste pour les salariés en étant les victimes directes qu'elle est le résultat de défaillances de l'employeur s'étant montré incapable de prendre les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité physique et protéger leur santé.
Ces mêmes salariés, dont Monsieur [H] [N], sont ainsi privés de la possibilité de penser leur avenir avec sérénité puisque contraints dans leur vie quotidienne de tenir compte de cette réalité au regard des orientations qu'ils sont ou seront amenés à donner à leur existence, ce qui n'est pas sans conséquences sur leur entourage.
Ce type de préjudice, contrairement à ce que soutient la partie adverse, se distingue du préjudice économique et, comme tel, appelle une juste indemnisation dès lors qu'il est en lien direct avec le manquement de la SA ZF MASSON à son obligation de sécurité de résultat comme précédemment caractérisé.
Il sera alloué en conséquence à Monsieur [H] [N] la somme indemnitaire de ce chef de 15.000 euros.
Sur la garantie de l'AGS CGEA de [Localité 4]
Pour contester sa garantie, l'AGS CGEA de [Localité 4] prétend que le préjudice d'anxiété n'est pas de nature contractuelle puisque fondé sur l'article 1383 du code civil, qu'elle n'intervient qu'en cas de défaillance de l'employeur dans l'exécution de ses obligations nées du contrat de travail, que Monsieur [H] [N] ne démontre pas que son préjudice se rattacherait à un manquement contractuel de l'employeur, et que l'obligation de sécurité de résultat procède de la loi en son article L.4121-1 du code du travail excluant les dispositions de l'article 1147 du code civil sur la responsabilité civile contractuelle.
Sont garanties au sens des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail les créances indemnitaires des salariés à raison de l'inexécution par l'employeur d'une obligation résultant ou découlant du contrat de travail.
Les créances indemnitaires garanties peuvent résulter notamment d'une obligation de faire comme celle pesant sur tout employeur, en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, d'assurer sa sécurité et de protéger sa santé au travail.
Cette double obligation patronale de sécurité et de protection trouve sa traduction dans l'obligation générale de sécurité de résultat qui est inhérente au contrat de travail.
L'obligation de sécurité de résultat est donc bien de nature contractuelle, ce qui n'est pas incompatible avec le fait qu'elle soit reprise désormais à l'article L.4121-1 du code du travail, et renvoie par ailleurs aux dispositions de droit commun issues de l'article 1147 du code civil.
L'indemnisation des préjudices résultant directement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat dans le cadre de l'exécution du contrat de travail qui l'a lié à Monsieur [H] [N], il y a lieu de dire et juger que l'AGS CGEA de [Localité 4] lui doit sa garantie.
Sur les dépens
Me [G], es-qualités de mandataire ad hoc de la SA ZF MASSON, supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe.
Confirme le jugement entrepris seulement en ses dispositions sur la recevabilité.
L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau :
Déboute Monsieur [H] [N] de sa demande indemnitaire au titre du préjudice économique ;
Fixe la créance de Monsieur [H] [N] au passif de la procédure de redressement judiciaire de la SA ZF MASSON à la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'anxiété.
Y ajoutant, Fixe la créance de Monsieur [H] [N] au passif de la procédure de redressement judiciaire de la SA ZF MASSON à la somme indemnitaire de 15.000 euros au titre du préjudice né du bouleversement dans les conditions d'existence.
Dit et juge que l'AGS CGEA de [Localité 4] doit sa garantie dans les conditions et limites de plafond tant légales que réglementaires.
Condamne Me [G], es-qualités, aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,