Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 7 FEVRIER 2012
(n° 38, 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/21772
Décision déférée à la Cour :
jugement du 20 octobre 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/09157
APPELANTS
Monsieur [T] [U] [B] [G]
[Adresse 6]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par la SCP MICHEL BLIN et LAURENCE BLIN AVOUES ASSOCIES (avoués à la Cour)
assisté de Me Emmanuel LUDOT, avocat au barreau de REIMS
Madame [P] [E] [G] épouse [C]
[Adresse 6]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par la SCP MICHEL BLIN et LAURENCE BLIN AVOUES ASSOCIES (avoués à la Cour)
assistée de Me Emmanuel LUDOT, avocat au barreau de REIMS
INTIME
L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR
Direction des Affaires Juridiques
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Me Frédéric BURET (avoué à la Cour)
assisté de la AARPI JOBIN GRANGIÉ (Me Véronique JOBIN), avocats au barreau de PARIS toque : R 195
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 décembre 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre chargé du rapport, en présence de Madame Dominique GUEGUEN, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN
MINISTERE PUBLIC :
Madame ARRIGHI de CASANOVA, avocat général, a déposé des conclusions écrites
ARRET :
- contradictoire
- rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, président de chambre
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
**********
La Cour,
Considérant qu'en 1989, M. [T] [G] et Mme [P] [C], alors mariés, ont créé la société Résidence Pompairain destinée à la gestion d'une maison de retraite médicalisée située à [Localité 5] (Deux-Sèvres) dans laquelle ils ont mis en place une organisation et des services destinés aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ; M. [G] en était le directeur ;
Qu'en 1994 et à la suite d'une plaine émanant d'une parente d'une pensionnaire présente en séjour temporaire, la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (D.D.C.C.R.F.) des Deux-Sèvres, a effectué une visite d'enquête ; que les fonctionnaires ont dressé procès-verbal d'un délit caractérisant l'existence d'une publicité mensongère alors que, selon eux, l'emploi du qualificatif « médicalisé » n'était pas réglementé et ce, sans avoir procédé à une véritable vérification ;
Qu'après consultation de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (D.D.A.S.S.) qui a transmis un rapport d'inspection à la D.D.C.C.R.F., un procès-verbal de délit a été dressé et transmis au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Bressuire qui a fait citer M. [G] devant le Tribunal correctionnel du chef de publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
Que, par jugement du 7 mars 1996, le Tribunal correctionnel de Bressuire a condamné M. [G] à une amende de 10.000 francs et au payement d'une somme de 5.000 francs de dommages et intérêts au profit de l'association U.F.C., partie civile ; que, par arrêt rendu le 5 décembre 1996, la Cour d'appel de Poitiers a relaxé M. [G] des fins de la poursuite ;
Que, soutenant que cette procédure a provoqué la baisse de fréquentation de l'établissement, puis le redressement et la liquidation judiciaires de la société Résidence Pompairain, puis, finalement, la perte de leur patrimoine, M. [G] et Mme [C] ont saisi le Tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 20 octobre 2010, les a déclarés irrecevables en leur action et condamnés à supporter les dépens ;
Considérant qu'appelants de ce jugement, M. [G] et Mme [C], qui en poursuivent l'infirmation, demandent que l'Agent judiciaire du Trésor soit condamné à leur payer la somme de 15 millions d'euros à titre de dommages et intérêts ;
Qu'à l'appui de leurs prétentions, les appelants font d'abord valoir que le délai de prescription quadriennale n'a pas commencé à courir contre eux dès lors que le fait générateur du dommage, qui marque le point de départ de la prescription quadriennale, se situe au moment de la publication du jugement de clôture de la procédure collective qui doit être faite au Bulletin officiel des annonces commerciales (Bodacc), le jugement lui-même n'ayant d'effet qu'entre les parties, et qu'en réalité, le jugement prononcé le 14 janvier 2002 par le Tribunal de commerce de Bressuire n'a pas été publié de sorte qu'eux-mêmes étant tiers à la procédure collective, il leur est inopposable ; qu'ils en déduisent que leur action n'est pas irrecevable ;
Qu'au fond, les consorts [G] et [C] soutiennent que l'Etat a commis une faute lourde en permettant des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 215-1 à L. 215-8 du Code de la consommation et au vu d'un rapport de la D.G.C.C.R.F. concluant faussement à l'existence d'une publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur et d'un rapport tronqué de la D.D.A.S.S. ; qu'enfin, ils font valoir que leur préjudice, évalué à 15 millions d'euros, correspond au montant de leur investissement financier et bancaire ;
Considérant que l'Agent judiciaire du Trésor conclut à la confirmation du jugement au motif que le délai de prescription quadriennale court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle s'est produit le fait dommageable, c'est-à-dire, en l'espèce, à compter du 1er février 1999, date du jugement du Tribunal de commerce de Bressuire qui a prononcé la cession de la société Résidence Pompairain et sa liquidation en sorte que les consorts [G] et [C], qui engagé l'action le 27 mai 2009, sont irrecevables comme étant prescrits depuis le 1er janvier 2004 ;
Que, sur ce point et pour répondre à une partie de l'argumentation développée par les appelants, l'Agent judiciaire du Trésor, souligne que, d'une part, il représente l'Etat dans les litiges pécuniaires et qu'il est donc « compétent » pour soulever la prescription quadriennale, ce droit n'étant pas réservé à l'ordonnateur principal de la collectivité publique concernée et que, d'autre part, l'ordonnance rendue le 27 juin 2007 par le juge des référés administratif qui a ordonné une expertise n'a aucune influence sur le litige ;
Qu'à titre subsidiaire et au fond, l'Agent judiciaire du Trésor fait valoir qu'il n'existe, en la cause, aucune faute lourde au sens de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire, alors surtout que M. [G], qui a usé des voies de recours, a été relaxé en cause d'appel ;
Considérant que M. le procureur général conclut à la confirmation du jugement en faisant valoir que le point de départ du délai de la prescription quadriennale, que l'Agent judiciaire du Trésor est en droit d'invoquer, se situe, non pas à telle ou telle date de la procédure collective qui ne concerne pas M. [G] et Mme [C], mais à la date de l'arrêt de la Cour d'appel de Poitiers qui a relaxé M. [G] des fins de la poursuite de sorte que la prescription est acquise depuis le 1er janvier 2001 ;
Que, subsidiairement, M. le procureur général soutient que, même si le jugement de clôture en date du 14 janvier 2002 était retenu comme étant la manifestation du dommage, l'action est néanmoins prescrite dès lors que M. [G] et Mme [C] ne sont pas fondés à se prévaloir d'un défaut de publication du jugement qui, conformément aux textes alors applicables, a été publié au registre du commerce et des sociétés ;
SUR CE :
Considérant qu'en vertu de l'article 38 de la loi du 31 décembre 1968, « toute action portée devant les juridictions de l'ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l'Etat créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l'agent judiciaire du Trésor public » ; qu'il s'infère de ce texte que l'Agent judiciaire du Trésor, partie au litige et seul habile à défendre au nom et pour le compte de l'Etat, est recevable à soulever tous les moyens qu'il estime utiles en ce, compris le moyen tiré de la prescription de l'action ;
Qu'en conséquence, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que l'Agent judiciaire du Trésor n'aurait pas « qualité » pour opposer la prescription quadriennale prévue par l'article 1er de la loi susvisée ;
Considérant qu'aux termes de ce texte, « sont prescrites au profit de l'Etat, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes les créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis » ; que l'article 2, alinéa 3, ajoute que « la prescription est interrompue par tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance » ;
Considérant que l'action en responsabilité prévue par l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire n'est ouverte qu'aux usagers du service de la justice définis comme étant les personnes directement concernées par la procédure relativement à laquelle elles dénoncent un mauvais fonctionnement du service ;
Qu'en l'espèce, M. [G] n'était partie que dans la procédure pénale à l'issue de laquelle, par arrêt rendu le 5 décembre 1996, la Cour d'appel de Poitiers a relaxé M. [G] des fins de la poursuite ;
Qu'il suit de là que le point de départ de l'action ouverte à M. [G], pris en tant qu'usager du service directement concerné par la procédure, doit être fixée à la date du 5 décembre 1996 de sorte que l'action en indemnisation engagée par assignation délivrée le 27 mai 2009 a été intentée après l'expiration du délai quadriennal prévu par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 sans qu'une cause d'interruption de cette prescription fût intervenue antérieurement au 1er janvier 2001 ;
Considérant que M. [G] et Mme [C] n'étaient pas personnellement parties à la procédure collective ouverte contre la société Résidence Pompairain ; que, toutefois, ils soutiennent implicitement mais nécessairement avoir été victimes par ricochet de cette procédure ;
Qu'il est constant que le redressement de la société Résidence Pompairain a été prononcé le 11 septembre 1998 par le Tribunal de grande instance de Bressuire jugeant commercialement, que la liquidation a été prononcée par la même juridiction en son jugement du 1er février 1999 et que les opérations de liquidation ont été clôturées par un jugement du 14 janvier 2002 ;
Que, même si cette décision n'a pas été publiée au Bodacc, il n'est demeure pas moins que, fût-il procédé à cette formalité, une telle publication, destinée à l'information des créanciers, n'aurait pas été de nature à constituer le fait générateur du dommage que prétendent avoir subi M. [G] et Mme [C] ;
Qu'en réalité, le délai de prescription quadriennale a commencé à courir, au plus tard, le 14 janvier 2002 et que, partant, l'action engagée le 27 mai 2009 par M. [G] et Mme [C] est prescrite, la saisine du juge des référés administratif, datée du 28 avril 2007 et, partant, postérieure au 1er janvier 2007, n'ayant eu aucun effet interruptif ;
Considérant qu'il convient, en conséquence, de confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement frappé d'appel ;
Considérant que chacune des parties sollicite une indemnité en invoquant les dispositions susvisées ; que, succombant en leurs prétentions et supportant les dépens, M. [G] et Mme [C] seront déboutés de leur réclamation ; qu'en revanche, ils seront condamnés à payer à l'Agent judiciaire du Trésor les frais qui, non compris dans les dépens d'appel, seront arrêtés, en équité, à la somme de 1.500 euros ;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 20 octobre 2010 par le Tribunal de grande instance de Paris au profit de l'Agent judiciaire du Trésor ;
Déboute M. [T] [G] et Mme [P] [C] de leur demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les condamne, par application de ce texte, à payer à l'Agent judiciaire du Trésor la somme de 1.500 euros ;
Condamne M. [T] [G] et Mme [P] [C] aux dépens d'appel qui seront recouvrés par Maître Buret, avoué de l'Agent judiciaire du Trésor, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT