COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 24 JANVIER 2012
(no 25, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 13242
Décision déférée à la Cour : jugement du 9 juin 2010- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 09/ 05508
APPELANT
Monsieur Michel X... ... 63290 PUY GUILLAUME représenté par la SCP BERNABÉ-CHARDIN-CHEVILLER, avoué à la Cour assisté de Me Renaud PORTEJOIE (avocat au barreau de CLERMONT FERRAND)
INTIMÉ
Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR 6 rue Louise Weiss Télédoc 3531- Bâtiment Condorcet 75013 PARIS représenté par Me Frédéric BURET, avoué à la Cour assisté de la SCP UETTWILLER GRELON GOUT CANAT et ASSOCIES (Me Jean-Baptiste SCHROEDER) (avocats au barreau de PARIS, toque : P 261)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 novembre 2011, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de : Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN
MINISTERE PUBLIC : Madame ARRIGHI de CASANOVA, avocat général, a déposé des conclusions écrites
ARRET :
- contradictoire-rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Le 25 mai 2007, M. Michel X..., alors sénateur du Puy-de-Dôme (63) a déposé plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand (63) pour injures envers un citoyen chargé d'un mandat public, délit prévu et réprimé par les articles 29 alinéa 2 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, contre M. C..., directeur de publication de Marianne et M. Jean-François D..., auteur d'un article paru dans le No 524 525 du 9 au 18 mai 2007, intitulé " N'ayez pas peur ! Ce formidable et enthousiasmant combat qui attend les républicains " citant M. X... ainsi que d'autres personnalités.
Une information judiciaire a été ouverte le 3 août 2007, le juge d'instruction a communiqué son dossier au procureur de la République le 5 décembre 2007, lequel, suivant réquisitoire définitif du 8 janvier 2008, a requis le renvoi devant le tribunal correctionnel de MM. D... et C..., lesquels, par ordonnance en date du 10 avril 2008 du juge d'instruction, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand du chef d'injures envers un citoyen chargé d'un mandat public.
Par jugement du 29 janvier 2009, le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand statuant en matière correctionnelle, répondant aux conclusions déposées par le conseil des prévenus, a constaté l'extinction de l'action publique et de l'action civile au motif que l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction en date du 10 avril 2008 avait été rendue plus de trois mois après le dernier acte de poursuite, en l'occurrence le réquisitoire définitif du 8 janvier 2008, retenant que la prescription de l'action prévue à l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 n'avait pas été interrompue par ladite ordonnance et le tribunal a déclaré la constitution de partie civile de M. X... irrecevable.
M. X..., faisant valoir que la faute commise par le juge d'instruction, pour avoir rendu le 10 avril 2008, tardivement, avec trois jours de retard, l'ordonnance de renvoi des prévenus MM. C... et D... devant le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand, l'a empêché d'obtenir réparation du préjudice subi du fait des graves injures qu'il a dénoncées et de laver son honneur, est une faute lourde qui constitue un dysfonctionnement du service de la justice engageant la responsabilité de l'Etat, a, par assignation du 24 mars 2009, recherché la responsabilité de l'Etat Français sur le fondement de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire et a demandé la condamnation de l'agent judiciaire du Trésor à lui payer la somme de 70 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, une indemnité de procédure ainsi qu'à payer les dépens.
Par jugement en date du 9 juin 2010 le tribunal a débouté M. X... de toutes ses demandes et l'a condamné aux dépens ainsi qu'à payer à l'agent judiciaire du Trésor la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
CELA ETANT EXPOSE, la COUR :
Vu l'appel interjeté le 25 juin 2010 par M. X...,
Vu les conclusions déposées le 20 septembre 2011 par l'appelant qui demande l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, le débouté de l'agent judiciaire du Trésor de toutes ses demandes, la condamnation de l'agent judiciaire du Trésor à lui verser la somme de 70 000 € en réparation du préjudice résultant de la faute lourde du service de la justice dont il a été victime, la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens,
Vu les conclusions déposées le 6 septembre 2011 par l'agent judiciaire du Trésor qui demande à titre principal, en l'absence d'une faute lourde démontrée, la confirmation du jugement, à titre subsidiaire, en raison de l'incertitude importante sur le sort de la plainte pour injure déposée par M. X... et en l'absence de tout lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice allégué, le préjudice moral invoqué n'étant pas établi, le débouté de M. X... de toutes ses demandes, à tout le moins que soit ramené à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts qui lui seraient alloués, en tout état de cause, la condamnation de M. X... à lui payer la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer les entiers dépens
Vu les conclusions déposées le 18 juillet 2011 par le procureur général qui demande la confirmation du jugement.
SUR CE :
Considérant qu'aux termes de l'article 141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, sa responsabilité n'étant engagée que par une faute lourde, constituée par une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service de la justice à remplir la mission dont il est investi, ou par un déni de justice ;
Considérant que les premiers juges ont constaté que le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand a appliqué le principe résultant de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui dispose que l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par ladite loi se prescrivent par trois mois révolus, à compter du jour où ils ont été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait et que l'ordonnance litigieuse du magistrat instructeur en date du 10 avril 2008 a été rendue plus de trois mois après le dernier acte de poursuite, soit le réquisitoire définitif du 8 janvier 2008, mais ont rappelé que le juge d'instruction était tenu, pour rendre l'ordonnance de renvoi qu'il entendait rédiger, de respecter le délai de 4 mois imposé par l'article 175 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi No 2007-291 du 5 mars 2007, délai incompressible dont il doit attendre l'expiration pour pouvoir rendre son ordonnance de règlement ;
Considérant qu'ils ont estimé qu'aucune disposition n'ayant été prévue pour les procédures en matière de délits de presse, soumises par ailleurs à des conditions de délais différentes, il s'agit d'un obstacle de droit qui justifie de soutenir, devant la juridiction saisie d'une exception de prescription, que la prescription s'est, dans cette hypothèse, trouvée suspendue par l'effet de la loi et qui a pour conséquence que le juge d'instruction, ainsi placé devant la difficulté majeure de devoir appliquer deux textes contraires et inconciliables en se conformant aux dispositions protectrices du droit des parties d'intervenir dans une procédure pénale, selon les conditions et délais prévus par le législateur, n'a pas commis de faute lourde au sens de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;
Considérant que l'appelant soutient que les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation au motif qu'ils se sont appuyés sur une impossibilité de concilier les divers textes applicables, de ce fait exclusive de leur point de vue de toute responsabilité pour le juge d'instruction et constitutive d'un obstacle de droit permettant de rejeter la notion de faute lourde, alors qu'il considère qu'il n'y avait pas d'obstacle insurmontable dans les circonstances de l'espèce ;
Considérant que l'appelant s'il admet en effet que :- d'une part, la courte prescription de l'article 65 et les causes de suspension ou d'interruption de cette prescription doivent être examinées, dès lors que chaque interruption peut faire courir un nouveau délai de trois mois, ce qui suppose une diligence et un acte du juge d'instruction, autre qu'un acte de simple administration, qui soit interruptif de prescription, étant précisé qu'en matière d'infraction de presse, il faut une cause relative à l'infraction même qui est poursuivie, lorsque la partie poursuivante se heurte à un obstacle de droit la mettant dans l'impossibilité d'agir,- de seconde part, le juge d'instruction se trouvait confronté à un délai de 4 mois, incompressible, imposé par la loi, donc effectivement à une difficulté particulière puisqu'aucun acte interruptif de prescription n'a par définition vocation à intervenir entre le réquisitoire définitif et l'ordonnance de renvoi devant la juridiction, sinon, en cas de nouvel acte de poursuite ou d'enquête, mais en rendant alors caduque la fin de l'information et en imposant l'envoi d'un nouvel avis, soutient que la jurisprudence invoquée par l'agent judiciaire du Trésor, qui suit cette analyse, correspond à des cas différents dans lesquels le réquisitoire définitif intervient durant le premier mois du délai incompressible de 4 mois, ce qui rend impossible le respect du délai maximum de 3 mois ; qu'en l'espèce, le réquisitoire définitif étant daté du 8 janvier 2008, donc intervenant au début du second mois du délai incompressible lequel prenait fin le 5 avril 2008, tandis que la courte prescription de trois mois obligeait le juge d'instruction à rendre son ordonnance avant le 8 avril 2008, il était possible au magistrat instructeur de satisfaire au double délai, alors qu'il a attendu le 10 avril, c'est à dire qu'il a statué avec 2 jours de retard ;
Considérant que M. X... soutient en conséquence qu'il était de la responsabilité du magistrat instructeur de ne pas laisser passer ce délai, que le faisant, il l'a placé dans une impasse procédurale ; qu'en effet, lorsqu'il lui est opposé en particulier par l'agent judiciaire du Trésor la possibilité pour la partie civile de contester en appel l'acquisition de la prescription, en réalité elle n'existait plus puisque aucun obstacle de droit n'existait, qu'ainsi il n'aurait pu valablement se prévaloir d'une jurisprudence ne correspondant pas à son cas, la prescription restant acquise, étant d'ailleurs observé que s'il avait fait appel, il risquait d'être condamné pour appel non fondé et dilatoire, le ministère public n'ayant pas pour sa part interjeté appel ; qu'il considère dès lors que le fait d'avoir rendu une ordonnance de renvoi tardive constitue une faute grave de la part du juge d'instruction, au sens de l'article L 141-1 du Code de l'organisation judiciaire, faute qui l'a entravé dans son droit d'accès à un tribunal, lui a fait subir une perte de chance réelle de gagner son procès, fondé sur l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881, l'injure étant constituée dès lors que si certes l'article n'évoquait pas les mandats politiques ou parlementaires de M. X..., l'appelant n'est connu du grand public et n'intéresse les journalistes qu'en ces qualités qui sont le support nécessaire des propos litigieux ;
Considérant que l'agent judiciaire du Trésor conteste l'existence d'une faute lourde, dont il rappelle qu'elle est la faute commise sous l'influence d'une erreur tellement grossière qu'un magistrat normalement soucieux de ses devoirs n'y eut pas été entraîné ; qu'il n'y a pas de faute du magistrat à avoir rendu son ordonnance le 10 avril 2008 alors qu'il est admis par la jurisprudence que la prescription de l'action publique est suspendue en présence d'un obstacle de droit et qu'en particulier le délai incompressible de 4 mois imposé par l'article 175 du code de procédure pénale constitue un tel obstacle ; que subsidiairement, l'action engagée par M. X... était vouée à l'échec, aucun lien de causalité n'étant établi entre la faute alléguée et le préjudice invoqué, dès lors que la qualification proposée dans la plainte était inappropriée pour être fondée sur l'injure commise à l'égard d'un citoyen chargé d'un mandat public à raison de ses fonctions, alors qu'il s'agissait d'une injure à l'égard d'un particulier puisque l'article n'évoquait pas les mandats et fonctions de M. X... et visait de nombreuses personnalités venant d'horizons très divers ; que plus subsidiairement encore, le préjudice moral invoqué n'existe pas, s'agissant de propos tenus dans un magazine satirique dont le style est souvent agressif et à propos d'un personnage public notoirement connu pour la verdeur voire la brutalité de ses propres propos ;
Considérant que par des motifs pertinents qui ne peuvent qu'être approuvés par la cour, les premiers juges ont estimé, dans le cas présent, alors que le juge d'instruction est dans l'obligation de devoir appliquer deux textes contraires et inconciliables, en se conformant aux dispositions protectrices du droit des parties d'intervenir dans une procédure pénale, selon les conditions et délais prévus par le législateur, que le magistrat n'a commis aucune faute, a fortiori aucune faute lourde au sens de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;
Considérant en effet que, contrairement à l'argumentation développée par l'appelant, et à supposer même, comme il l'explicite, qu'il ait été possible, en l'espèce, de concilier les deux délais, il n'y a pas lieu pour un magistrat en général et pas davantage pour un juge d'instruction de se livrer à une appréciation différente et au cas par cas de l'application des règles légales de procédure relatives aux délais, pour prendre en compte la spécificité de la chronologie des actes de procédure d'un dossier particulier, attitude qui introduirait une inégalité de traitement entre les dossiers particulièrement inacceptable ; que d'ailleurs cette interprétation uniforme des textes est sans aucune conséquence préjudiciable pour les justiciables au regard de la jurisprudence qui admet l'obstacle de droit pendant lequel " la prescription de l'action publique est suspendue à partir du moment où le juge d'instruction estime que l'information est achevée et pendant les délais prévus par l'article 175 du code de procédure pénale " ; qu'ainsi se trouvent corrigées les conséquences procédurales négatives pour la partie poursuivante qui pourraient résulter de la combinaison et de l'articulation difficile voire impossible de divers textes incompatibles et que les moyens développés par M. X... à ce titre ne sont pas pertinents ;
Considérant que l'appelant ne saurait dès lors faire valoir qu'il s'est trouvé confronté à une impasse procédurale et qu'il a été entravé dans son droit d'accès à un tribunal, en arguant de ce qu'il n'aurait pas estimé possible de se prévaloir d'une jurisprudence dont il considérait qu'elle ne correspondait pas à son cas ; que M. X... pouvait contester la décision rendue par le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand, par la voie de l'appel ; qu'il est constant que la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée que lorsque les voies de recours n'ont pas permis de réparer l'erreur de droit ou d'appréciation alléguée ;
Considérant en conséquence que le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant que l'appelant qui succombe ne saurait prétendre à l'application à son bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et qu'il supportera la charge des dépens d'appel ; qu'en revanche l'équité commande de faire application de ces dispositions au profit de l'agent judiciaire du Trésor dans les termes du dispositif ci-après.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. Michel X... à payer à l'agent judiciaire du Trésor la somme de 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute M. Michel X... de la demande par lui formée sur le même fondement,
Condamne M. Michel X... aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.