Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 10 JANVIER 2012
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/17158
Décision déférée à la Cour : Recours en annulation d'une sentence rendue à Paris le 13 juillet 2010 par le tribunal arbitral composé de M. [F] [Y], président, et de MM.[R] [S] et [B] [L], arbitres, et de l'ordonnance du Président du tribunal de grande instance de Paris du 30 juillet 2010 ayant reconnu et accordé l'exequatur de la sentence
DEMANDEURS AU RECOURS EN ANNULATION :
Monsieur [D] [G] né le [Date naissance 3] 1969
[Adresse 5]
[Localité 6]
représenté par Me Francois TEYTAUD (avoué à la Cour)
assisté de Me Eric BORYSEWICZ, avocat au barreau de PARIS, du cabinet BAKER & McKENZIE, toque : P 445
Monsieur [V] [U] né le [Date naissance 4] 1972
[Adresse 2]
[Localité 7]
représenté par Me Francois TEYTAUD (avoué à la Cour)
assisté de Me Eric BORYSEWICZ, avocat au barreau de PARIS, du cabinet BAKER & McKENZIE, toque : P 445
DÉFENDERESSE AU RECOURS EN ANNULATION :
S.A. DELOITTE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 8]
représentée par la SCP ARNAUDY ET BAECHLIN (avoués à la Cour)
assistée de Me Jean-Pierre MARTEL, avocat au barreau de PARIS, du cabinet RAMBAUD MARTEL, toque : P 134
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 novembre 2011, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de :
Monsieur PERIE, Président
Madame GUIHAL, Conseillère
Madame DALLERY, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur PERIE, président et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.
M. [D] [G] et M. [V] [U] qui exerçaient la profession d'actuaire conseil auprès de la société DELOITTE Conseil, sont devenus actionnaires de DELOITTE SA, respectivement en 2005 et en 2007, M. [G] étant également associé de DELOITTE en Angleterre depuis 2003. Ils sont tous deux signataires de la 'Charte associative' DELOITTE définissant les relations entre associés et actionnaires de la Firme. constituée de l'ensemble des entreprises membres du réseau international DELOITTE, TOUCHE, TOHMATSU, personnifiée en France par DELOITTE SA, holding de tête d'un groupe de sociétés dont fait partie DELOITTE Conseil.
Le 24 octobre 2008, ils quittaient la société après avoir donné leur démission le 24 juillet 2008, pour devenir directeurs généraux de Milliman SAS, bureau français de la société d'actuariat de droit américain, Milliman inc, suivis par la majeure partie des collaborateurs de DELOITTE Conseil se consacrant à l'activité d'actuariat conseil.
C'est dans ces conditions que la société DELOITTE SA a introduit une demande d'arbitrage sur le fondement de la clause compromissoire figurant à l'article VII de la charte DELOITTE, dans sa version du 6 octobre 2005.
Par sentence rendue à Paris le 13 juillet 2010, le tribunal arbitral composé de M. [F] [Y], président, et de MM.[R] [S] et [B] [L], arbitres, s'est déclaré compétent pour statuer sur les demandes présentées et a, pour l'essentiel, condamné M. [D] [G] et M.[V] [U] à payer à la société DELOITTE respectivement la somme de 119.400 € outre intérêts au taux légal et 139.400 €, outre intérêts au taux légal , ainsi que M. [D] [G] à émettre les ordres de virement des 246 actions DELOITTE SA et 12.300 actions SFIEN dans les huit jours de la sentence, la société DELOITTE étant condamnée à verser à ce dernier la somme de 292.125 €.
M. [D] [G] et M.[V] [U] ont formé le 19 août 2010 un recours en annulation contre cette sentence.
Ils soutiennent que le tribunal arbitral a statué sans convention d'arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée (article 1484 1° du code de procédure civile, subsidiairement 1492 1°dans sa rédaction issue du decret du 13 janvier 2011), que le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé (article 1484 2° du code de procédure civile subsidiairement 1492 2°), qu'il a violé l'ordre public (article 1484 6° du code de procédure civile subsidiairement 1492 5°).
Par conclusions du 21 octobre 2011, ils prient la cour d'annuler la sentence, d'infirmer l'ordonnance d'exequatur du président du tribunal de grande instance de Paris, de condamner la société DELOITTE à leur verser respectivement, 203.395 € et
183.395 € de dommages et intérêts et, sur le fond, de renvoyer la cause et les parties devant de Conseil des Prud'hommes de Nanterre, subsidiairement, de rejeter l'ensemble des demandes de DELOITTE et de condamner celle-ci à procéder- et à se porter fort de la Société Financière In Extenso pour qu'elle procède- au rachat des actions d'[D] [G] pour un montant de 292.125 € outre intérêts et capitalisation de ceux-ci, plus subsidiairement, si la clause de non-concurrence de l'article II.6.2 de la Charte associative ainsi que la clause pénale article II.10.4 s'y rapportant, étaient applicables, de réduire la clause pénale manifestement excessive à un euro, de condamner DELOITTE à leur payer à chacun 120.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 26 octobre 2011, la société DELOITTE S.A sollicite le rejet du recours en annulation, la confirmation de l'ordonnance d'exequatur et la condamnation de M. [G] et de M. [U] à lui verser chacun 120.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle demande que les parties soient mises en mesure de conclure au fond en cas d'annulation de la sentence.
SUR QUOI,
Sur les moyens d'annulation pris de l'absence de convention d'arbitrage et de la violation d'une règle d'ordre public (article 1484 1° et 6°du code de procédure civile) :
M. [G] et de M. [U] soutiennent que les dispositions de la Charte associative sur lesquelles le tribunal arbitral s'est prononcé constituent un avenant à leurs contrats de travail ; que tel est le cas en particulier de la clause de non-concurrence figurant à l'article II.6 de la Charte sur laquelle le tribunal arbitral a fondé sa sentence. Ils en déduisent qu'en statuant notamment sur la validité et l'application à leur égard de cet article, le tribunal arbitral a violé les articles 2060 et 2061 du code civil et L 1411-4 du code du travail, la prohibition des clauses compromissoires dans les litiges relatifs à un contrat de travail s'imposant à DELOITTE SA.
Considérant que le juge du recours contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier l'existence et l'efficacité de la convention d'arbitrage ;
Considérant que le tribunal arbitral qui a rejeté l'exception d'incompétence tirée de l'inarbitrabilité ratione materiae du litige, a estimé que le statut de salarié de MM [G] et [U] n'était pas exclusif d'un autre statut professionnel ; que le statut d'associé ou d'actionnaire n'était pas en lui-même un statut de salarié et que la Charte associative créait une relation juridique différente par nature du contrat de travail susceptible de s'ajouter à celui-ci ; que cette relation juridique n'était pas l'accessoire des
contrats de travail de MM [U] et [G] et que les demandes formées par DELOITTE SA n'étaient pas, par leur nature, leur cause et leur objet relatives à l'exécution d'un contrat de travail ;
Considérant que selon l'article L 1411-4 du code du travail, le Conseil des Prud'hommes est seul compétent quel que soit le montant de la demande pour connaître des différends nés de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail ; toute convention contraire étant réputée non écrite ;
Considérant qu'il est constant que les recourants étaient liés par un contrat de travail à la société DELOITTE Conseil jusqu'à leur démission le 24 juillet 2008 ;
Considérant que si M. [G] possède des actions DELOITTE, il s'agit d'une condition de réalisation de la promotion de l'associé au poste d'actionnaire et cette acquisition ne lui a pas fait perdre sa qualité de salarié, n'ayant pas fait le choix d'exercer son activité en qualité de prestataire de service ; que M. [U] ne détient quant à lui, ni actions ni parts sociales ; que la charte associative Deloitte qui réglemente des questions relevant du droit du travail, constitue un code interne de reconnaissance professionnelle applicable à toutes les sociétés du groupe DELOITTE ;
Considérant qu'en l'état de ces éléments, les recourants font la preuve du caractère d'avenant à leur contrat de travail de la charte associative qu'ils ont signée ; Qu'en conséquence, la clause compromissoire qui y est stipulée, est inopposable tant à M. [G] qu'à M. [U] conformément à l'article L 1411-4 du code du travail ;
Que le moyen tiré de l'inefficacité de la convention d'arbitrage est accueilli ;
Considérant qu'il convient en conséquence, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens, d'annuler la sentence ainsi que l'ordonnance du Président du tribunal de grande instance de Paris du 30 juillet 2010 ayant reconnu et accordé l'exequatur de la sentence et de renvoyer les parties à se mieux pourvoir ;
Sur les demandes respectives de dommages intérêts de MM [G] et [U] :
Considérant que MM [G] et [U] qui ne démontrent pas que DELOITTE SA ait agi par malice en engageant une procédure arbitrale à leur encontre, sont déboutés de leur demande respective de dommages et intérêts ;
Sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
Considérant que DELOITTE SA qui succombe est déboutée de sa demande et paie à MM [G] et [U], chacun la somme de 25.000 € ;
PAR CES MOTIFS:
ANNULE la sentence arbitrale rendue entre les parties le 13 juillet 2010 ;
ANNULE l'ordonnance d'exequatur du Président du tribunal de grande instance de Paris du 30 juillet 2010 ;
Renvoie les parties à se mieux pourvoir ;
Condamne DELOITTE SA à verser à MM [G] et [U], chacun la somme de 25.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne DELOITTE SA aux dépens et admet Maître TEYTAUD avoué au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT