Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRET DU 07 DECEMBRE 2011
(n° 296, 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/28227.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Décembre 2009 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 2ème Section - RG n° 09/10292.
APPELANTS et INTIMÉS SIMULTANÉMENT :
- S.A.R.L. IDEAL 'International Design and Licensing'
prise en la personne de son gérant,
ayant son siège social [Adresse 2],
- Monsieur [D] [N] pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de Gérant de la Société IDEAL
demeurant [Adresse 2],
représentés par la SCP HARDOUIN, avoués à la Cour,
assistés de Maître Joëlle AKNIN, avocat au barreau de PARIS, toque B 398.
INTIMÉE et APPELANTE SIMULTANÉMENT :
SAS CHANEL
prise en la personne de son Président,
ayant son siège [Adresse 1],
représentée par la SCP MENARD SCELLE MILLET, avoués à la Cour,
assistée de la SCP SALANS & Associés, avocats au barreau de PARIS, toque P 372.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 octobre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Didier PIMOULLE, Président,
Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère,
Madame Anne-Marie GABER, Conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Florence DESTRADE.
ARRET :
Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président, et par Monsieur Truc Lam NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
LA COUR,
Vu les appels relevés par la s.a.r.l. International Design and Licensing (ci-après : IDEAL) et M. [D] [N] (déclarations d'appel n° 26827 et 27505, respectivement des 16 et 23 décembre 2009) joints par ordonnance du conseiller de la mise en état du 23 mars 2010, du jugement du tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 2ème section, n° RG : 09/10292) rendu le 4 décembre 2009,
Vu le précédent arrêt du 30 mars 2011 par lequel cette cour, avec l'accord des parties, a organisé une mesure de médiation ;
Vu la lettre du 27 juillet 2011 par laquelle le Centre de Médiation et d'arbitrage de [Localité 3] informe la cour de ce que le médiateur désigné pour exécuter la médiation a mis fin à la mission, les parties ayant échoué à trouver un accord ;
Vu la lettre du 29 août 2011 de la s.c.p. Menard-Scelle-Millet, avoué de la société Chanel, qui avise la cour de l'échec de la médiation ordonnée par arrêt du 30 mars 2011 ;
Vu les dernières conclusions des appelants (1er mars 2011)
Vu les dernières conclusions (8 février 2011) de la s.a.s. Chanel, intimée ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 1er mars 2011 ;
* *
SUR QUOI,
Considérant que la société Chanel, connue dans le domaine de la haute couture et des cosmétiques, ayant décidé en 1988 de développer une activité de bijouterie joaillerie, a recouru à cette fin aux services de M. [N] en qualité de designer ; que, de 1988 au 31 décembre 2007, la société Chanel, d'une part, M. [N] et les sociétés constituées par lui pour exploiter ses créations - la société Jolo d'abord, la société IDEAL ensuite - ont conclu une série de contrats dits « de Création de modèles originaux » et de contrats de cession de droits prévoyant notamment, outre la cession de l'intégralité des droits patrimoniaux d'auteur sur chacun des modèles créés à la société Chanel, le droit pour cette dernière d'apporter « des adaptations et/ou des modifications avec l'accord écrit de l'auteur, lequel, aux termes des contrats « ne pourra refuser cet accord que pour des motifs sérieux et raisonnables » ;
Considérant que, le dernier contrat « de création de modèles originaux » signé le 25 avril 2004 n'ayant pas été renouvelé, la fin de la collaboration entre les parties, au 31 décembre 2007, les a conduites à préciser, par un accord du 4 juillet 2008 rétroactivement entré en vigueur le 1er janvier 2008, les règles applicables lorsque la société Chanel devra solliciter l'accord de M. [N] pour modifier ou adapter ses créations ; que cet accord prévoyait que chaque autorisation de modification ou adaptation donnerait lieu au paiement par la société Chanel de 1000 € à la société IDEAL, aucune somme n'étant due pour de simples changements de couleur de matières ou de couleur des pierres ;
Considérant que M. [N], ayant observé que dans 80 % des cas son accord ne devait pas être rémunéré et estimant que, de ce fait, la société Chanel n'exécutait pas de bonne foi les conventions, a refusé à compter du 14 avril 2009 d'accorder les autorisations non payantes qui lui étaient demandées ;
Considérant que c'est dans ces circonstances que la société Chanel, le 19 juin 2009, a assigné à jour fixe M. [N] et la société IDEAL en nullité du contrat du 4 juillet 2008, subsidiairement en résiliation de ce contrat, très subsidiairement en paiement de dommages-intérêts pour inexécution contractuelle ;
Que M. [N] et la société Chanel se sont opposés à ces prétentions et ont reconventionnellement conclu à la nullité des différents contrats et protocoles d'accord intervenus, subsidiairement à la rescision pour lésion de ces conventions et demandé au tribunal de condamner la société Chanel à leur payer un complément de prix et des dommages-intérêts, à apposer le poinçon de M. [N] sur chaque modèle de sa création et réclamé la publication de la décision ;
Que le tribunal, par le jugement dont appel rendu après échec d'une première tentative de médiation, a déclaré irrecevable comme prescrite la demande reconventionnelle en nullité des contrats « de Création de modèles originaux », a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle en rescision pour lésion de ces mêmes contrats, a prononcé la nullité de l'accord du 4 juillet 2008 et celle de la clause 1.2 des contrat de cession des 26 novembre 2007 et 4 juillet 2008 et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Sur la nullité de l'accord du 4 juillet 2008 :
Considérant que l'accord du 4 juillet 2008 par lequel les parties ont entendu régler pour l'avenir les conditions dans lesquelles M. [N] autoriserait les modifications et adaptations de ses créations souhaitées par la société Chanel disposait en son article 1er : « En cas de modification ou adaptation des créations, des Créations modifiées ou adaptées telle que définies à l'article 4 ci-dessous, Chanel devra obtenir l'accord préalable et écrit de M. [N], titulaire du droit moral sur les Créations, qui ne pourra refuser de donner cet accord que pour des motifs sérieux et légitimes. M. [N] donnera cet accord en signant les documents formalisant l'accord, lequel accord est conditionné, dans les cas donnant lieu à rémunération, à la perception par IDEAL de la rémunération prévue à l'article trois ci-dessous. » ;
Que l'article 3 visé par l'article 1er reproduit ci-dessus prévoit que : « Chaque autorisation de modification ou adaptation donnera lieu au paiement d'une somme de 10 000 € hors-taxes par Chanel à IDEAL et que, par exception à ce qui précède, aucun montant ne sera dû par Chanel s'agissant des modifications suivantes : changement de couleur des matières ; tout changement de couleur des pierres à savoir : changement de couleur des pierres de centre ; changement de couleur des pierres ; changement de couleur du pavage » ;
Considérant que, devant le tribunal, la société Chanel demandait la nullité de cet accord qui, selon elle, avait pour objet des choses hors du commerce à savoir l'exercice à titre onéreux par M. [N] de son droit moral au respect de ses 'uvres, privant ainsi de cause licite l'obligation de paiement qu'elle a elle-même contractée ;
Que, pour leur part, M. [N] et la société IDEAL sollicitaient la nullité du même accord à titre reconventionnel en faisant valoir que la clause permettant à la société Chanel de modifier ou d'adapter les bijoux, en ce qu'elle subordonne la possibilité pour l'auteur de refuser les modifications ou adaptations à l'existence de motifs sérieux et légitimes, lesquels ne sont définis ni dans leur termes, ni dans leur étendue, constitue une restriction à l'exercice du droit moral de l'auteur puisque celui-ci doit a contrario y consentir en l'absence de tels motifs, alors que ce droit revêt un caractère absolu et discrétionnaire ;
Considérant que, devant la cour, la société Chanel maintient son moyen de nullité de l'accord du 4 juillet 2008 tel que développé en première instance et que M. [N] et la société IDEAL demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de l'accord du 4 juillet 2008 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les parties se rejoignent pour soutenir que l'accord du 4 juillet 2008 est nul ; que le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point conformément aux demandes concordantes des parties ;
Sur les conséquences de la nullité de l'accord du 4 juillet 2008 :
Considérant que le tribunal a rejeté la demande de la société Chanel tendant à obtenir, comme conséquence de la nullité de l'accord du 4 juillet 2008, la restitution des sommes versées à la société IDEAL en contrepartie des autorisations données par M. [N] aux motifs que, si la nullité d'une convention conduit à remettre les parties dans l'état où elles se trouveraient si la convention annulée n'avait pas été conclue, cette remise en état n'est pas possible en l'espèce dans la mesure ou, certes, les sommes payées par la société Chanel pourraient lui être restituées, mais les autorisations de modification données en contrepartie et l'exploitation des bijoux qui s'en est suivie ne peuvent être anéanties ;
Considérant que la société Chanel conclut à l'infirmation du jugement sur ce point en faisant valoir, en synthèse, que la restitution est toujours possible, fût-ce par équivalent, et affirme (page 36 de ses dernières écritures) « que, sans le contrat, le droit moral aurait existé et, surtout, les autorisations auraient été données » ;
Mais considérant que cette affirmation est dépourvue de tout fondement dès lors que rien ne démontre que M. [N] aurait, en l'absence de l'accord litigieux, exercé libéralement son droit moral au seul avantage de la société Chanel en autorisant systématiquement les modifications ou adaptations réclamées par elle ; que les circonstances de la cause démontrent au contraire que c'est pour se couvrir du risque d'exercice aléatoire de son droit moral par M. [N] que les parties se sont efforcées, par l'accord annulé, d'en régler les conditions ;
Considérant par ailleurs, au contraire de ce que soutient la société Chanel, que la non restitution des sommes versées par elle ne laisse subsister à son désavantage aucun appauvrissement sans contrepartie ; qu'en s'assurant en effet, par le versement des sommes contractuellement prévues, contre le risque d'un refus de M. [N] d'autoriser les modifications ou adaptations qu'elle souhaitait pouvoir apporter à sa production, la société Chanel a pu procéder à celles-ci et en tirer les avantages commerciaux escomptés ;
Considérant que c'est ainsi à juste titre et par des motifs pertinents que la cour fait siens que le tribunal a jugé que, s'agissant d'un contrat à exécution successive, la société Chanel, qui se trouve elle-même dans l'impossibilité de restituer à M. [N] et à la société IDEAL les prestations reçues, à savoir les autorisations accordées, dès lors que les modifications ou adaptations concernées ayant été réalisées et les bijoux ainsi modifiés ou adaptés vraisemblablement vendus à des tiers de bonne foi, n'est pas fondée à réclamer pour elle-même la restitution des sommes qu'elle a versées pour obtenir ces autorisations ;
Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de restitution à la société Chanel des sommes par elle versées en exécution de l'accord annulé du 4 juillet 2008 ;
Sur la nullité des contrats de création de modèles originaux et de cession de droit :
Considérant que M. [N] et la société IDEAL reprennent devant la cour leurs demandes telles que présentées à titre reconventionnel devant le tribunal tendant à voir prononcer la nullité des contrats dits « de Création de modèles originaux » et des contrats « de cession de droits » conclus avec la société Chanel aux motifs, en synthèse :
- que les clauses portant sur les modifications et adaptations sont nulles parce qu'elle violent le droit moral de l'auteur,
- que les clauses de cession de droits sont nulles parce qu'elles sont générales et imprécises, qu'elles fixent des rémunérations forfaitaires et méconnaissent le principe de rémunération proportionnelle et qu'elles dispensent la société Chanel de l'obligation d'exploiter les 'uvres auxquelles se rapportent les droits cédés ;
Considérant qu'il convient de rappeler que, depuis 1988 et jusqu'au 31 décembre 2007, les relations entre la société Chanel d'une part, M. [N] et les sociétés constituées par lui d'autre part ont été régies par les contrats suivants :
- cinq contrats dits « de Création de modèles originaux » conclus : les 27 octobre 1988 entre la société Chanel et la société Jolo, le 25 mai 1993 entre la société Chanel et M. [N], les 29 février 1996, 27 mai 2001 et 25 avril 2004 entre la société Chanel et la société IDEAL,
- 15 contrats « de cession de droits » conclus : le 25 mai 1993 entre la société Chanel et la société Jolo, les 9 novembre 1994 et 19 février 1995 entre la société Chanel et M. [N] et les 10 septembre 1996, 31 janvier 1997, 3 décembre 1998, 21 juin 2000, 2 décembre 2001, 8 janvier 2002, 4 juillet 2003, 7 décembre 2003, 25 avril 2004, 26 novembre 2007 et 4 juillet 2008 entre la société Chanel et la société IDEAL,
- deux protocoles d'accord conclus le 26 novembre 2007 et 9 novembre 2008 entre la société Chanel d'une part, la société IDEAL et M. [N] d'autre part ;
Considérant que le tribunal, appliquant les dispositions de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, a jugé ces demandes irrecevables comme prescrites s'agissant des contrats conclus avant le 31 août 2004, soit plus de cinq ans avant le 31 août 2009, date des conclusions comportant pour la première fois de telles demandes de nullité ; que M. [N] et la société IDEAL demandent l'infirmation du jugement sur ce point, qui doit en conséquence être examiné avant le bien fondé des demandes de nullité ;
Sur la prescription :
Considérant que l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction en vigueur depuis le 19 juin 2008, dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. » ;
Considérant que M. [N] et la société IDEAL font valoir, au sujet des clauses relatives aux modifications et adaptation des Créations, que l'action en nullité de ces clauses, qui s'analyse comme une revendication du plein exercice du droit moral de l'auteur, droit imprescriptible, échappe elle-même la prescription, et que, pour le reste, s'agissant de contrats à exécution successive, la prescription n'a pas commencé à courir ou, en tout cas, a commencé à courir le jour où M. [N] a eu connaissance des causes de nullité invoquées, ce qui n'est advenu, selon lui, que le 19 juin 2009, par l'assignation délivrée par la société Chanel ;
Considérant qu'il est constant que tous les contrats litigieux comportent une clause relative aux droits d'adaptation rédigée sur le modèle suivant : « IDEAL cède également à Chanel le droit de modifier et d'adapter les Créations et les Bijoux et montres joaillerie réalisées à partir des Créations et d'exploiter les Créations ainsi modifiées et/ou adaptées dans les conditions prévues ci-dessus à l'article A paragraphe 1.1. Il est précisé que, pour procéder à des modifications ou adaptations des Créations, Chanel devra obtenir l'accord écrit d'IDEAL qui ne pourra refuser de lui donner cet accord que pour des motifs sérieux et raisonnables. La demande d'accord sera faite par écrit par Chanel à IDEAL qui aura un délai d'un mois compter de la réception d'une telle demande pour répondre à Chanel. Le silence d'IDEAL ne pourra être présumé valoir acceptation d'IDEAL » ;
Considérant que l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que : « L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son 'uvre.
Ce droit est attaché à sa personne.
Il est perpétuel inaliénable et imprescriptible. »
Considérant que les clauses rédigées sur le modèle ci-dessus ne portent nullement atteinte au droit au respect du nom de M. [N] ;
Qu'il peut être observé que le droit défini par le texte ci-dessus reproduit est attaché à la personne de l'auteur, M. [N], de sorte que la société IDEAL n'a donc pas qualité pour agir en vue de la défense de ce droit ;
Considérant, en toute hypothèse, que le caractère perpétuel inaliénable et imprescriptible du droit moral de l'auteur qui résulte des dispositions d'ordre public de l'article L.121-1 code de la propriété intellectuelle garantit à M. [N] la faculté d'exercer pleinement et librement ce droit - sous la seule réserve d'un abus éventuel ; que la société Chanel ne lui conteste nullement le libre et plein exercice de ce droit et ne prétend pas l'exercer à sa place, de sorte que c'est à tort que M. [N] et la société IDEAL soutiennent que leur action en nullité des dispositions contractuelles relatives à la modification et à l'adaptation des Créations devrait s'analyser en une action en revendication ; que rien en définitive ne justifie que cette action en nullité relative d'une disposition contractuelle échappe à la prescription de l'article 2224 du code civil ;
Considérant par ailleurs que l'argumentation de Monsieur [N] et de la société IDEAL tirée de l'imprescriptibilité du droit moral de l'auteur est dénuée de pertinence au regard des clauses des contrats qui intéressent les droits patrimoniaux de l'auteur, qui sont d'une autre nature ;
Considérant encore que l'article 2224 du Code civil, qui fixe le point de départ du délai de prescription au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettent de l'exercer, ne réserve pas sur ce point un sort particulier aux actions en nullité de contrats à exécution successive ;
Que M. [N] et la société IDEAL ne sont pas fondés à soutenir qu'ils n'ont connu qu'à la date de l'assignation délivrée par la société Chanel que les dispositions des contrats dits « de Création de modèles originaux » ou de cession droit relatives à rémunération de l'auteur et à l'exploitation de ses 'uvres pourraient leur permettre d'exercer l'action en nullité parce que, selon eux, ces dispositions méconnaîtraient les règles du code de la propriété intellectuelle applicables à ces matières ;
Qu'ils ne prétendent pas que leur consentement à ces contrats aurait été vicié par violence, erreur ou dol, circonstances qui auraient cessé ou auraient été découvertes à une date telle que le point de départ du délai de prescription serait à distinguer de la date des contrats ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est par une exacte analyse des circonstances de la cause et des règles de droit applicables que le tribunal a jugé irrecevable comme prescrite l'action exercée à titre principal par M. [N] et la société IDEAL tendant avoir prononcé la nullité des contrats conclus avant le 31 août 2004 ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;
Sur le bien fondé de la demande d'annulation des contrats postérieurs au 31 août 2004 :
Considérant, eu égard aux motifs qui précèdent, qu'il reste à examiner les demandes de M. [N] et de la société IDEAL tendant à voir prononcer, pour les motifs précédemment indiqués, la nullité des contrats de cession de droits du 26 novembre 2007 et du 4 juillet 2008 ;
Considérant que ces deux contrats ont été signés par la société Chanel, d'une part, et la société IDEAL, d'autre part ; que le tribunal a écarté à juste titre l'argumentation de M. [N] et de la société IDEAL selon laquelle ces contrats seraient en réalité rendus « tripartites » par la présence, en fin de contrat, d'une déclaration type signée de M [N] intervenant, non plus ès qualité de gérant de la société IDEAL, mais en son nom personnel ; qu'il sera en effet démontré plus loin par l'analyse de cette déclaration que, loin d'être une source d'obligations réciproques entre M. [N] à titre personnel et la société Chanel, elle confirme au contraire l'absence de lien contractuel patrimonial entre celui-ci et celle-là ;
Considérant qu'il en résulte que les moyens de nullités tirés de prétendues violations des articles L.131-3 du code de la propriété intellectuelle et L.131-4, dont l'auteur seul a qualité pour s'en prévaloir, sont inopérants en l'espèce puisque M. [N] n'est pas partie au contrat à titre personnel et que les contrats n'obligent que la société IDEAL et la société Chanel ;
Considérant que les deux contrats en cause contiennent un article 1.2. qui dispose : « IDEAL cède également à Chanel : [...] le droit de modifier et/ou adapter les Créations et les Bijoux et montres joaillerie à réaliser à partir des Créations et d'exploiter les Créations ainsi modifiées et/ou adaptées et dans les conditions prévues ci-dessus à l'article A paragraphe 1.1. Il est précisé que, pour procéder à des modifications ou adaptations des Créations, Chanel devra obtenir l'accord écrit d' IDEAL qui ne pourra refuser de lui donner cet accord que pour des motifs sérieux et raisonnables. La demande d'accord sera faite par écrit par Chanel à IDEAL qui aura un délai d'un mois à compter de la réception des demandes pour répondre Chanel. Le silence d'IDEAL ne pourra être présumé valoir acceptation d'IDEAL. » ;
Considérant que cette clause ne crée d'obligations qu'à la charge de la société IDEAL, laquelle n'est pas l'auteur et n'a donc pas qualité pour défendre sur ce point le droit moral de M. [N] ; que cette clause n'emporte pas renonciation a priori de M [N] au droit au respect de son 'uvre mais lui laisse contraire intégralement le droit de s'opposer à toute modification ou adaptation qui n'aurait pas son agrément ; que, dans l'hypothèse où une opposition personnelle de M. [N] devrait conduire la société IDEAL à refuser une autorisation sollicitée par la société Chanel, pour un motif que cette dernière jugerait ni sérieux ni raisonnable, le litige éventuel qui en résulterait n'impliquerait que la société IDEAL et non M. [N], sauf à ce dernier à répondre, non en qualité d'auteur, mais seulement en raison de son engagement à garantir la société IDEAL ;
Considérant qu'il n'est au demeurant pas indifférent d'observer que la clause de même nature contenue dans l'accord du 4 juillet 2008 précédemment examiné indique que « Chanel devra obtenir l'accord préalable et écrit de M. [N], titulaire du droit moral sur les Créations, qui ne pourra refuser de donner cet accord que pour des motifs sérieux et légitimes. M. [N] donnera cet accord en signant les documents formalisant l'accord... » (le nom de M. [N] est souligné par la cour pour marquer la différence avec la clause présentement examinée qui requiert l'accord d'IDEAL) ;
Considérant que le tribunal a donc retenu à tort que cette clause portait atteinte au principe de l'inaliénabilité du droit moral de l'auteur au respect de son 'uvre ; que le jugement déféré sera donc infirmé seulement en ce qu'il a prononcé la nullité de la clause 1.2. des contrats de cession de droit en date du 26 novembre 2007 et 4 juillet 2008 conclus entre la société Chanel et la société IDEAL ; qu'il sera confirmé en ce qu'il a rejeté tous les autres moyens de nullité des contrats ;
Sur la demande de rescision pour lésion :
Considérant que M. [N] reprend devant la cour sa demande subsidiaire tendant à voir prononcer, sur le fondement de l'article L.131-5 du code de la propriété intellectuelle, la rescision pour cause de lésion des clauses de rémunération des contrats de création des 27 octobre 1988, 25 mai 1993, 29 février 1996, 27 mai 2001, 25 avril 2004, des protocoles d'accord des 26 novembre 2007, 9 septembre 2008, et de l'accord du 4 juillet 2008 ;
Considérant que l'article L.131-5 du code de la propriété intellectuelle dispose : « En cas de cession du droit d'exploitation, lorsque l'auteur aura subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l''uvre, il pourra provoquer la révision des conditions de prix du contrat.
Cette demande ne pourra être formée que dans le cas où l''uvre aura été cédé moyennant une rémunération forfaitaire. » ;
Considérant que l'action prévue par ce texte, ainsi que l'a exactement retenu le tribunal, est ouverte à l'auteur à l'encontre de son propre cessionnaire, non à l'encontre du sous-cessionnaire ;
Considérant, en l'espèce, que les contrats dont la rescision pour lésion est demandée ont tous été conclus, à la seule exception du contrat de Création de modèles originaux du 25 mai 1993, entre la société Chanel d'une part, et les sociétés constituées par M. [N], successivement la société Jolo et la société IDEAL d'autre part ;
Considérant que M. [N] soutient toutefois qu'il est intervenu à titre personnel dans tous les contrats, de sorte qu'il doit être regardé comme partie contractante, dès lors recevable à agir au titre de ces contrats entre la société Chanel ;
Mais considérant que, pour démontrer sa qualité de partie aux contrats en cause et, par voie de conséquence, sa recevabilité, en qualité d'auteur, à agir contre la société Chanel, M. [N] se réfère aux déclarations figurant à la fin de ces contrats, après sa propre signature ès qualité de gérant de la société Jolo ou de la société IDEAL et celle du représentant habilité de la société Chanel, déclarations en effet signées de M. [N], non plus ès qualité de gérant, mais à titre personnel, qui ont précisément pour objet de confirmer que les clauses de rémunération de ces contrats ne concernent pas M. [N] pris comme auteur à titre personnel, mais seulement la société qu'il représente ;
Que c'est ainsi que la déclaration figurant à la fin du contrat du 25 avril 2004, prise comme modèle par M. [N] pour soutenir son argumentation et reproduite à cette fin en page 20 de ses dernières écritures, mentionne sans équivoque : « Je confirme que seul IDEAL est habilitée à agir en mon nom pour tout ce qui concerne le contrat, et je reconnais que seul IDEAL me donnera une rémunération pour les services rendus et les droits cédés en exécution du Contrat et que Chanel ne me devra aucune rémunération, aucun paiement ou indemnité et ce sauf au cas où je me substituerai à IDEAL, dans les hypothèses prévues au paragraphe précédent, pour exécuter le contrat, auquel cas, et seulement dans cette hypothèse, les montants restant dus en exécution du contrat et aucun autre montant me seraient versés par Chanel. » ;
Considérant que c'est donc après une analyse exacte des rapports contractuels et des dispositions ci-dessus rappelées de l'article L.131-5 code de la propriété intellectuelle que le tribunal a déclaré M. [N] irrecevable à agir en rescision pour lésion de l'ensemble des contrats, étant observé que son action sur ce fondement au titre du contrat du 25 mai 1993 est également irrecevable, dans ce cas parce qu'elle atteinte par la prescription, ainsi que l'a exactement jugé le tribunal, dont le jugement sera confirmé en ce qu'il a en définitive déclaré M. [N] irrecevable en toutes ses demandes tendant à voir prononcer à titre subsidiaire la rescision pour lésion des contrats en cause ;
Sur la violation du droit à la paternité sur ses 'uvres de M. [N] :
Considérant que M. [N] et la société IDEAL demandent la condamnation de la société Chanel à leur payer 5 millions d'euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation du droit de M. [N] à la paternité sur ses 'uvres ;
Qu'ils font valoir que les contrats de Création de modèles originaux comportent tous un article 8-5 rédigé comme suit : « .. ni IDEAL ni M. [N] ne prendront l'initiative de divulguer au public leur rôle dans la création de bijoux ou le fait qu'ils sont parties au contrat ou ont été partie, directement ou indirectement, à un contrat quel qu'il soit avec Chanel, et que ce n'est qu'à la demande et avec l'autorisation et selon les modalités ayant reçu l'approbation de Chanel qu'ils pourront faire des communications à la presse et/ou aux tiers relativement à leur rôle dans la Création des Bijoux » ;
Considérant que M. [N] et la société IDEAL estiment qu'une telle clause interdit à l'auteur de se prévaloir de la paternité sur ses 'uvres et viole manifestement les dispositions d'ordre public de l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais considérant que la clause ci-dessus reproduite, si elle a en effet pour conséquence de permettre à la société Chanel d'exploiter les créations de M. [N] sans faire mention de son nom, n'emporte pas pour autant aliénation de son droit à paternité mais lui laisse au contraire la faculté d'exiger à tout moment la mention de son nom sur ses créations ; qu'elle prévoit seulement que M. [N] ne pourra prendre l'initiative d'exercer seul cette faculté de divulguer son rôle sans en avoir préalablement référé à son partenaire ; que M. [N] ne prétend pas qu'il aurait été au moins une fois dans le cas d'exprimer sa volonté de voir son nom mentionné sur les créations et que cette volonté se serait opposée à un refus de la société Chanel ; qu'il n'allègue en réalité aucune atteinte avérée ;
Considérant que M. [N] et la société IDEAL ne sont pas fondées à soutenir qu'ils auraient été maintenus dans l'ignorance de la faculté d'exiger à tout moment la mention du nom de M. [N] sur ses créations telles qu'exploitées par la société Chanel ; qu'ils ne prétendent pas que leur consentement aux contrats comportant cette clause aurait été vicié par erreur ou surpris par dol ;
Considérant que c'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté les demandes de M. [N] et de la société IDEAL sur le fondement de la violation du droit de paternité de M. [N] sur ses 'uvres, faute pour ce dernier de rapporter la preuve, au-delà des stipulations contractuelles critiquées, de réelles atteintes ;
Considérant que M. [N] demande également à la cour d'ordonner à la société Chanel, sous astreinte de 30 000 € par jour à compter du prononcé de l'arrêt, que les nom et qualités de [D] [N] figurent sur les publicités, catalogues, sites Internet et qu'un poinçon reproduisant en son nom dans la même taille que Chanel soit apposé sur chaque exemplaire des modèles créés par lui ;
Considérant que la société Chanel, loin de résister à cette prétention, demande au contraire la cour de lui donner acte de ce qu'elle a d'ores et déjà commencé à mettre en 'uvre les mesures appropriées sur la mention du nom et de la qualité de M. [N] dans ses publicités et catalogue ;
Considérant dès lors que la demande de M. [N] sera accueillie dans son principe est que le montant de l'astreinte, compte tenu des engagements de la société Chanel sera réduit à 5000 € par jour ;
Considérant que les circonstances de la cause ne justifient pas d'ordonner la publication de l'arrêt telle que réclamée par M. [N] et la société IDEAL ;
Considérant que M. [N] et la société IDEAL, qui succombent pour l'essentiel, supporteront la charge des dépens de leur appel ;
* *
PAR CES MOTIFS :
CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a prononcé la nullité de la clause 1.2. des contrats de cession de droit en date du 26 novembre 2007 et 4 juillet 2008 conclus entre la société Chanelet la société IDEAL,
Le RÉFORMANT et STATUANT à nouveau de ce chef,
DIT n'y avoir lieu à annulation de la clause 1.2. des contrats de cession de droit en date du 26 novembre 2007 et 4 juillet 2008 conclus entre la société Chanelet la société IDEAL,
Y AJOUTANT,
ORDONNE à la société Chanel, sous astreinte de 5 000 € par jour à compter du prononcé de l'arrêt, que les nom et qualités de [D] [N] figurent sur les publicités, catalogues, sites Internet et qu'un poinçon reproduisant en son nom dans la même taille que Chanel soit apposé sur chaque exemplaire des modèles créés par lui ;
DÉBOUTE M. [D] [N] et la société IDEALde toutes leurs autres prétentions,
CONDAMNE M. [D] [N] et la société IDEAL aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Chanel 30.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,