RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 01 Décembre 2011
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/00830 LL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Octobre 1999 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de PARIS AGRICOLE RG n° 23904
APPELANT
Monsieur [F] [L]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par M. [P] (Président du syndicat AECC) en vertu d'un pouvoir spécial
INTIMÉE
CAISSE DE LA MUTUALITÉ SOCIALE AGRICOLE DE PARIS ILE DE FRANCE - CMSA 75
Service recouvrement
[Localité 3]
représentée par Mme [J] en vertu d'un pouvoir spécial
Ministère de l'agriculture, de l'alimentation et de la pêche
Service des Affaires Juridiques
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 Octobre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Jeannine DEPOMMIER, Président
Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Conseiller
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Greffier : Mlle Christel DUPIN, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, conformément à l'avis donné après les débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Jeannine DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Christel DUPIN, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
********
La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [L] d'un jugement rendu le 19 octobre 1999 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l'opposant à la caisse de mutualité sociale agricole d'Ile de France ;
LES FAITS, LA PROCÉDURE, LES PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que M. [L], exerçant à l'époque une activité d'entraîneur de chevaux de course, s'est vu délivrer une contrainte par la Caisse de mutualité sociale agricole d'Ile de France pour avoir paiement des cotisations et majorations de retard exigibles au titre des années 1996 et 1997, soit la somme de 201.895,42 F ; qu'il a formé opposition à cette contrainte en contestant son affiliation au régime agricole et a saisi à cette fin la juridiction des affaires de sécurité sociale ;
Par jugement du 19 octobre 1999, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris l'a débouté de son recours, a validé la contrainte en sa totalité et a rejeté les demandes en dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [L] fait déposer et soutenir oralement par son représentant des conclusions tendant à :
- Dire et juger qu'il y a péremption d'instance pour défaut de notification du jugement querellé,
- Dire nulle et de nul effet toute la procédure,
- Ordonner un renvoi pour poser à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles relatives à la conformité de son affiliation d'office au régime agricole au regard du droit européen,
- Ordonner le renvoi de l'affaire devant la juridiction de Versailles pour connexité et litispendance,
- Respecter la déclaration du Président de la République sur l'application en droit interne des directives européennes et attendre l'enquête qu'il a diligenté,
- Dire la MSA privée de sa capacité par défaut de s'être conformée avant le 1er janvier 2003 aux obligations du code de la mutualité et la dissoudre,
- Acter sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intétérêts à la somme de 150.000 euros pour les préjudices subis,
- Déclarer nulle son affiliation d'office au régime agricole de la MSA contraire à la loi,
- En tirer toutes les conséquences de droit en annulant toutes les décisions prises à son encontre,
- Juger que les textes dont se prévaut la MSA sont inapplicables car contraires à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à la législation supranationale transposée en droit interne,
- Condamner la MSA à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Au soutien de son appel, il se prévaut d'abord du fait que le jugement du 19 octobre 1999 n'a jamais été notifié conformément à l'article 503 du code de procédure civile et en déduit que l'instance est aujourd'hui périmée et que le jugement est devenu caduc, conformément aux dispositions des articles 386 et 478 du même code. Il s'oppose au moyen soulevé par la Caisse au sujet de la régularité de sa représentation devant la cour d'appel en rappelant que l'article R 142-20 du code de la sécurité sociale autorise les parties à se faire représenter par le président de l'organisation syndicale qui défend les intérêts de la profession. Il invoque aussi les exceptions de connexité et litispendance en raison de la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale de Versailles en matière d'affiliation le 9 mai 1998. Il fait également état de l'article L 3252-9 du code du travail pour contester l'existence de la créance de la caisse, en l'absence de déclaration conforme à cet article. Il demande en outre que la cour de justice de l'Union européenne soit saisie pour se prononcer sur la licéité de sa radiation du régime général et de son affiliation d'office au régime agricole. Il se prévaut à cet égard de la transposition en droit interne des directives européennes n° 92-49 et 92-96 des 18 juin et 10 novembre 1992 qui excluent tout monopole de sécurité sociale. Il fait remarquer aussi que les cotisations exigées par la MSA ont fait l'objet de deux mises en demeure portant sur des sommes différentes et que la contrainte est de ce fait entachée d'irrégularité. Il ajoute qu'ayant apporté son activité à une SARL en avril 1997, il ne pouvait être débiteur des cotisations réclamées. Il conteste également la capacité juridique de la mutualité sociale agricole en soutenant qu'elle ne s'est pas conformée aux dispositions de l'article L 111-1 du code de la mutualité. Enfin, il considère que l'activité même d'entraîneur de chevaux de course ne relève pas du régime agricole et souligne le fait que les dispositions de l'article L 311-1 du code rural aux termes desquelles sont réputées agricoles les activités d'entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation ne sont entrées en vigueur qu'avec la loi du 27 juillet 2010, postérieurement au présent litige.
La Caisse de mutualité sociale agricole d'Ile de France fait déposer et soutenir oralement par sa représentante des conclusions tendant à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de M. [L] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Après avoir contesté la régularité de la représentation en justice de M. [L] au regard des dispositions de l'article R 142-20 du code de la sécurité sociale, elle s'oppose d'abord aux différentes exceptions et fins de non-recevoir invoquées par l'appelant. Elle fait observer que l'instance n'est pas périmée car M. [L] a lui-même demandé, le 26 août 2006, la réinscription de l'affaire au rôle de la Cour après la radiation prononcée le 30 septembre 2004. Elle précise ensuite détenir directement des articles L 723-1 et L 723-2 du code rural la capacité d'ester en justice depuis l'approbation de ses statuts, sans être tenue de s'inscrire au registre national des mutuelles. Sur le fond, elle soutient que, pour la période litigieuse, l'article L 722-1 du code rural prévoyait déjà l'affiliation au régime de protection sociale agricole de l'activité d'entraîneur de chevaux de course. Elle ajoute qu'une telle affiliation concernait aussi bien les personnes physiques que les membres non salariés des sociétés d'entraînement. Enfin, elle précise que les cotisations applicables ont été calculées conformément au décret n° 94-690 du 9 août 1994 et que leur montant est devenu définitif le 31 décembre 1998 en application de l'article 5 du décret. Elle indique que les mises en demeure délivrées successivement à l'intéressé visent toujours les mêmes cotisations mais ont été converties en euros.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
SUR QUOI LA COUR :
Sur la représentation en justice de M. [L],
Considérant qu'aux termes de l'article R 142-20-3° du code de la sécurité sociale, les parties peuvent se faire représenter par un représentant qualifié des organisations syndicales de salariés ou d'employeurs ;
Considérant qu'en l'espèce, il est justifié, par un pouvoir spécial établi le 26 octobre 2011, que M. [L] a chargé le président de l'association des entraîneurs de chevaux de course de le représenter à l'audience du 27 octobre 2011 dans l'instance l'opposant à la MSA ;
Considérant que la représentation de M. [L] par une personne qualifiée pour le faire et désignée en conformité aux règles de représentation n'encourt aucun grief ; que le moyen invoqué à ce sujet par la Caisse sera donc rejeté ;
Sur la péremption d'instance,
Considérant qu'en vertu de l'article 386 du code de procédure civile, l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligence pendant deux ans ;
Considérant qu'en l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que l'instance d'appel introduite par M. [L] le 12 novembre 1999 a fait l'objet de plusieurs renvois avant d'être radiée du rôle des affaires en cours par décision contradictoire du 30 septembre 2004 ;
Considérant que l'instance a ensuite été rétablie à la demande expresse de M. [L] présentée le 16 août 2006, avant l'expiration du délai de préemption de deux ans courant depuis la décision de septembre 2004 ;
Considérant qu'ayant manifesté sa volonté de poursuivre l'instance l'opposant à la MSA, M. [L] ne peut aujourd'hui soutenir une argumentation contraire en se prévalant de la péremption d'instance ; qu'en outre ayant déposé, à l'occasion de cette procédure, deux questions prioritaires de constitutionnalité auxquelles il a été répondu, il ne lui est plus possible de demander maintenant la péremption ;
Considérant que ce premier moyen sera donc rejeté ;
Sur la caducité du jugement du 19 octobre 1999,
Considérant que M. [L] se prévaut des articles 478 et 503 du code de procédure civile, selon lesquels le jugement réputé contradictoire est non avenu s'il n'a pas été notifié dans les six mois de sa date et ne peut être exécuté contre celui auquel il est opposé qu'après lui avoir été notifié ;
Considérant cependant que le jugement du 19 octobre 1999 a été rendu contradictoirement à l'égard de M. [L] et l'appel emporte, de toute façon, renonciation au bénéfice des dispositions de l'article 478 précité ; qu'au surplus, il ressort des pièces de la procédure que la décision attaquée a été notifiée, le 27 octobre 1999, à sa personne ;
Considérant que M. [L] ne peut donc valablement se prévaloir de l'exception de caducité du jugement alors qu'il en a relevé appel en temps utile ;
Sur la connexité et la litispendance,
Considérant que sur ce point, M. [L] fait grief aux premiers juges de s'être prononcés sur le litige alors que le tribunal des affaires de sécurité sociale de Versailles avait été antérieurement saisi en matière d'affiliation ;
Considérant cependant que la litispendance suppose qu'un même litige soit pendant devant deux juridictions du même degré également compétentes pour en connaître alors qu'en l'espèce seul le tribunal de Paris a été saisi de l'opposition à contrainte ; qu'il n'est d'ailleurs même pas justifié que la juridiction de Versailles soit encore saisie d'un litige quelconque opposant M. [L] à la Caisse de mutualité sociale agricole d'Ile de France ;
Considérant que cette exception sera donc également rejetée ;
Sur la capacité juridique de la Mutualité sociale agricole d'Ile de France,
Considérant que M. [L] conteste la capacité à agir de l'organisme de sécurité sociale au motif qu'en l'absence d'immatriculation au registre national des mutuelles, il n'aurait pas acquis de personnalité juridique ;
Considérant cependant les caisses de mutualité sociale agricole sont dotées de plein droit de la personnalité morale par application des dispositions des articles L 723-1 et L 723-2 du code rural et ont la capacité pour agir en justice dans les conditions prévues par leurs statuts dès leur approbation par l'autorité administrative compétente ; qu'en l'espèce, il est justifié, par la production de l'arrêté préfectoral, que les statuts de la MSA Ile de France ont bien été approuvés :
Qu'il y a donc lieu d'écarter aussi cette fin de non-recevoir ;
Sur la demande de renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne,
Considérant que la question relative à la conformité de l'affiliation d'office au régime de protection sociale agricole au regard des dispositions européennes garantissant la libre prestation de services ne présente pas de caractère sérieux justifiant un renvoi pour interprétation devant la Cour de justice ;
Considérant qu'en effet, les directives 92/49/CEE et 92/96 du Conseil des 18 juin et 10 novembre 1992 invoquées par l'appelant ne sont pas applicables aux organismes chargés de la gestion des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ; que cette exclusion du champ d'application des directives européennes résulte expressément de l'article 2 des directives ;
Que la demande de renvoi sera donc rejetée ;
Sur le libre choix du régime de protection sociale,
Considérant que M. [L] maintient qu'il pouvait librement choisir le régime de protection sociale ;
Considérant cependant que la transposition en droit français des directives européennes précitées, dont on a vu qu'elles ne concernaient pas les assurances sociales obligatoires de base, n'a pas eu pour effet d'ouvrir à la libre concurrence le régime français obligatoire de sécurité sociale applicable aux professions agricoles ;
Considérant que M. [L] ne peut pas non plus se plaindre d'une discrimination à son détriment au motif que la transposition des directives litigieuses a bien été effectuée dans le livre IX du code de la sécurité sociale relatif à la protection sociale complémentaire mais pas dans les livres VI et VII relatifs aux divers régimes légaux de sécurité sociale ; qu'il s'agit de deux systèmes distincts autorisant un traitement différent ;
Considérant que c'est donc en vain qu'il prétend être victime d'une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur l'affiliation au régime agricole de M. [L] ;
Considérant qu'à cet égard, la caisse de mutualité sociale agricole souligne à juste titre que, dans sa rédaction applicable au litige, l'article 1144-1° du code rural relatif au régime de protection sociale des non-salariés des professions agricoles concernait déjà l'entraînement des chevaux avant même que les dispositions de l'article L 311-1 du même code , issues de la loi du 27 juillet 2010, rattachent au domaine agricole les activités de préparation et d'entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation ;
Considérant qu'ainsi l'affiliation obligatoire de M. [L] au régime agricole résulte automatiquement de l'exercice d'une activité professionnelle dans le domaine agricole qui s'étend à l'entraînement des chevaux de course ;
Considérant ensuite que la circonstance que M. [L] ait apporté son activité d'entraînement de chevaux de course à une société dont il est devenu gérant ne remettait pas en cause cette affiliation au régime agricole qui, selon l'article 1106-1, I, 5° applicable au litige, vise aussi bien les professionnels exerçant à titre individuel que les membres non salariés des sociétés ayant une activité agricole ;
Considérant qu'enfin, les déclarations des autorités publiques ne présentent pas en soi de caractère obligatoire ;
Sur les cotisations et majoration figurant sur la contrainte,
Considérant que sur ce point, M. [L] se borne à contester les sommes appelées au motif que les mises en demeure qui lui ont été adressées portaient sur des sommes différentes ;
Considérant cependant que les mises en demeure rappelaient exactement à M. [L] la cause, la nature et l'étendue de son obligation et le tribunal a relevé à bon droit que l'intéressé n'avait pas saisi en temps utile la commission de recours amiable après l'envoi de la mise en demeure ;
Considérant qu'enfin, le moyen de l'appelant tiré de l'inobservation des dispositions de l'article L 3252-9 du code du travail est inopérant dès lors que le présent litige ne relève pas du contentieux des saisies-arrêts sur rémunérations ;
Considérant que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont validé la contrainte délivrée à l'intéressé le 20 juillet 1998 et dit qu'elle produira son plein et entier effet ;
Que leur jugement sera donc confirmé ;
Considérant que M. [L] auquel a été régulièrement demandé le paiement des cotisations sociales afférentes nécessairement à son activité professionnelle sera débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;
Considérant qu'au regard de la situation respective des parties et de la durée exceptionnelle de la procédure en raison de la multiplicité des moyens développés par M. [L], il ya lieu de condamner ce dernier à verser à la Caisse la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Déclare M. [L] recevable mais mal fondé en son appel ;
Rejette l'ensemble des exceptions, fins de non-recevoir et prétentions invoqués par l'intéressé ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi devant la Cour de justice de l'union européenne ;
Confirme le jugement entrepris ;
Condamne M. [L] à verser à la Caisse de mutualité sociale agricole d'Ile de France la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Fixe le droit d'appel prévu par l'article R 144-10, alinéa 2, du code de la sécurité sociale à la charge de l'appelant au 10ème du montant mensuel du plafond prévu à l'article L 241-3 et condamne M. [L] au paiement de ce droit ;
Le Greffier, Le Président,