RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 29 novembre 2011
(n° 5 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/06607
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Juin 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS Section ENCADREMENT RG n° 07/11358
APPELANTE
Mademoiselle [N] [R]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne
assistée de Me Antoine FABRE, avocat au barreau de VERSAILLES
INTIMÉE
SAS CUSTOM PUBLISHING FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Patricia TALIMI, avocat au barreau de PARIS, toque : U 0001,
en présence de M. [E] [M], Président de la Société, en vertu d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Mars 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Michèle MARTINEZ, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Elisabeth PANTHOU-RENARD, présidente
Mme Michèle MARTINEZ, conseillère
Mme Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, conseillère
Greffier : Madame Violaine GAILLOU, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Président et par Mademoiselle Véronique LAYEMAR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [N] [R] a travaillé à compter du 1er novembre 1999, en qualité de journaliste pigiste, pour la société SENO, éditrice du magazine DVD Mania.
Son contrat de travail a été transféré à compter du 1er juillet 2003 à la société Custom publishing France, qui avait acquis le magazine DVD Mania, lequel a pris par la suite le nom de HD Mania.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 février 2007, Mme [R] a été licenciée pour motif économique avec un préavis de deux mois.
L'entreprise occupait à titre habituel moins de onze salariés et la convention collective des journalistes était applicable aux relations de travail.
Le 24 octobre 2007, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de demandes tendant en dernier lieu, à titre principal, à sa reclassification en tant que rédactrice en chef, au paiement d'un rappel de salaire, des congés payés afférents, d'une indemnité de licenciement, d'un rappel de primes d'ancienneté, des congés payés afférents, subsidiairement à la réévaluation de son salaire et au paiement des mêmes postes pour des montants différents. Elle réclamait en outre une allocation de procédure.
Par jugement du 11 juin 2009, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [R] de toutes ses demandes.
Mme [R] a fait appel. Elle de demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
- à titre principal,
- dire qu'elle était liée par un contrat de travail à la société Custom publishing France du 1er septembre 2003 au 30 avril 2007 et de condamner la société Custom publishing France à lui payer :
- 36 059,34 euros à titre de rappel de salaire du 1er septembre 2004 au 30 avril 2007 ,
- 3 605,93 euros au titre des congés payés afférents,
- 1 948,10 euros à titre de prime d'ancienneté,
- 194,81 euros au titre des congés payés afférents,
- 8 598 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 22 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- les intérêts au taux légal sur ces sommes,
- à titre subsidiaire, dire qu'elle occupait des fonctions de rédacteur en chef adjoint avec une rémunération minimale conventionnelle de 4 212,91 euros bruts et condamner la société Custom publishing France à lui payer :
- 126 654,15 euros au titre des salaire du 1er septembre 2003 au 30 avril 2007 ,
- 12 665,41 euros au titre des congés payés afférents,
- 3 791,61 euros à titre de prime d'ancienneté,
- 379,16 euros au titre des congés payés afférents,
- 33 703,28 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 42 129 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- les intérêts au taux légal sur ces sommes,
- condamner la société Custom publishing France à lui payer 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Custom publishing France conclut à la confirmation du jugement, à l'entier débouté de Mme [R] et sollicite 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l'audience des débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les relations contractuelles et le rappel de salaire et accessoires
Ni la qualité de journaliste professionnelle, ni celle de salariée, ni la collaboration régulière depuis 1999 au magazine DVD Mania, puis HD Mania, de Mme [R] ne sont contestées, et la société Custom publishing France a d'ailleurs choisi la voie du licenciement pour rompre les relations contractuelles, comme elle a toujours mentionné comme applicable aux relations entre elles la convention collective des journalistes.
En tout état de cause, le pigiste est un journaliste professionnel présumé salarié en application de l'article L.7112-1 du code du travail et en l'espèce la société Custom publishing France ne prétend pas renverser cette présomption.
Depuis son embauche par la société SENO jusqu'à son licenciement, et sans qu'il soit établi que la nature ou les conditions du travail accompli par elle avaient sensiblement varié, l'emploi de Mme [R] figurant sur ses bulletins de salaire a été successivement : journaliste/responsable communication, journaliste pigiste RG, rédactrice pigiste, rédactrice, rédactrice et correctrice pigiste.
En outre, des pièces versées aux débats par Mme [R], en particulier des attestations de journalistes ou partenaires ayant collaboré à la revue DVD Mania et/ou HD Mania, il ressort clairement que les fonctions de celle-ci excédaient celles de pigiste rémunérée à la tâche en fonction du nombre et de la qualité des articles fournis et qu'elle avait également un rôle de coordination, d'interface et d'animation auprès des autres journalistes, dont elle était de surcroît chargée de corriger les écrits.
Les bulletins de salaire de Mme [R] indiquent jusqu'en septembre 2004 au moins une rémunération relativement constante et, à partir du transfert du contrat de son contrat de travail, sa rémunération figure sous la rubrique « salaire mensuel ».
Il s'ensuit que, dans les faits, les tâches de Mme [R] ne se limitaient pas à celles d'un pigiste collaborateur régulier mais qu'elle exerçait des fonctions salariées permanentes, pour le compte de la société Custom publishing France.
L'employeur ne pouvait dès lors, comme il l'a fait ainsi que cela ressort des bulletins de salaire, modifier unilatéralement à compter de septembre 2004 le contrat de travail existant entre eux et, au premier chef le montant de la rémunération et le volume de la fourniture de travail qui en constituaient des éléments essentiels.
En effet, si la conjoncture contraignait la société Custom publishing France à diminuer la quantité de travail et donc le salaire de Mme [R], il lui appartenait, à défaut d'accord de la salariée, d'engager, dès ce moment là, une procédure de licenciement économique.
La demande de Mme [R] en paiement des salaires dont elle a été privée de façon injustifiée du fait de l'employeur est fondée.
Le montant de la réclamation lui-même n'est pas critiqué et correspond aux sommes supplémentaires que Mme [R] aurait dû percevoir pour la période concernée de septembre 2004 à avril 2007 sur la base de la rémunération moyenne mensuelle qu'elle percevait jusque là.
Le jugement sera infirmé et il sera donc fait droit à ses demandes principales à ce titre, ce qui rend sans objet sa demande subsidiaire.
Sur la prime d'ancienneté
Mme [R] exerçant des fonctions salariées permanentes pour le compte de la société Custom publishing France, elle peut prétendre au paiement de la prime conventionnelle d'ancienneté dès l'instant où elle en a rempli les conditions.
Le montant qu'elle réclame à ce titre, pour la période de novembre 2004 à avril 2007 n'est pas contesté en lui-même et a correctement été calculé notamment au regard de l'ancienneté de la salariée, du montant de son salaire et des dispositions conventionnelles applicables.
Le jugement sera infirmé et il sera également fait droit à ses demandes de ce chef.
Sur l'indemnité de licenciement
Compte tenu du rappel de salaire alloué ci-dessus, la salariée est fondée à solliciter un complément d'indemnité de licenciement.
Le montant qu'elle réclame à ce titre n'est pas contesté en lui-même et a correctement été calculé notamment au regard de l'ancienneté de la salariée, du montant de son salaire et des dispositions conventionnelles applicables.
Le jugement sera infirmé et il sera fait droit à sa demande à ce titre.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement économique du 28 février 2007, qui fixe les limites du litige, énonce :
« Les pertes d'exploitation régulières et accumulées du magazine DVD Mania et de sa nouvelle formule HD Mania depuis 2005, nous conduisent à la suspension de la publication de ce magazine bimestriel après le numéro de HD Mania qui est paru en décembre 2006.
Compte tenu de la crise générale de la presse et de la presse DVD, de la concurrence des sites internet et de la baisse régulière du marché des DVD qui concerne directement le contenu de notre magazine, il est difficile d'envisager une amélioration significative de nos résultats, tant en matière de vente de magazine que de chiffre d'affaires publicitaire.
La perte de DVD Mania en 2005/2006 puis de HD Mania en 2006 pèsent donc fortement sur les résultats d'exploitation de Custom publishing France. Elles risquent de mettre en péril la compétitivité de l'entreprise dans un marché très concurrentiel. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé la suspension de ce magazine.
La conséquence de la cessation de parution conduit à la suppression de votre poste de rédactrice et de correctrice (pour la partie DVD du magazine seulement). La taille de notre entreprise et la nature de nos autres titres ne permettent pas d'envisager votre reclassement sur un poste équivalent ».
Aux termes de l'article L.1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Une réorganisation de l'entreprise, lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou des mutations technologiques, peut constituer une cause économique de licenciement à condition qu'elle soit effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou pour prévenir des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi.
Selon l'article L.1233-4 du même code, un tel licenciement ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient ; les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
Il résulte clairement des explications fournies par l'employeur et des termes de la lettre de licenciement, que la société Custom publishing France s'est contentée, pour dire le reclassement de Mme [R] impossible, du constat de la suppression de son poste consécutive à la suspension de la parution du magazine auquel elle était affectée, sans rechercher les possibilités de formation et d'adaptation de nature à permettre le reclassement de la salariée sur un poste équivalent à celui occupé par elle ou, à défaut, le cas échéant, sur un emploi d'une catégorie inférieure, spécialement dans l'un des autres titres exploités par la société.
Il s'ensuit que la société Custom publishing France ne justifie pas d'un effort sérieux et loyal de reclassement tel que dû à la salariée en application du texte précité, lequel suppose un examen véritable et personnalisé de sa situation, de ses compétences et de ses possibilités d'évolution.
A défaut de véritable tentative de reclassement le licenciement de Mme [R] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à indemnisation à son profit.
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et aux conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure d'allouer à Mme [R], en application de l'article L.1235-5 du code du travail une somme de 13 000 euros.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur les intérêts
Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal conformément aux articles 1153 et 1153-1 du code civil ainsi que prévu au dispositif.
Sur les frais irrépétibles
Les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile sont réunies. Il convient d'allouer à Mme [R] une somme de 2 500 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour
Infirme le jugement déféré ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
Condamne la société Custom publishing France à payer à Mme [R] :
- 36 059,34 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er septembre 2004 au 30 avril 2007 ,
- 3 605,93 euros au titre des congés payés afférents,
- 1 948,10 euros à titre de prime d'ancienneté,
- 194,81 euros au titre des congés payés afférents,
- 8 598 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,
- 13 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société Custom publishing France aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE