Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 24 NOVEMBRE 2011
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/16525
Décision déférée à la Cour : Ordonnance d'exequatur du 19 mai 2010 rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris d'une sentence rendue au Caire le 12 septembre 2009 par le tribunal arbitral composé de M.M [L] et [N], arbitres, et de M. [G], président
APPELANTE
SOCIETE EGYPTIAN GENERAL PETROLEUM CORPORATION (E.G.P.C) Société de droit égyptien
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 5]
[Localité 4]
(EGYPTE)
représentée par Me Francois TEYTAUD, avoué à la Cour
assistée de Me Karim BOULMELH, avocat au barreau de PARIS, plaidant pour le cabinet BAKER & MCKENZIE, toque : P 445
INTIMEE
SOCIETE NATIONAL GAS COMPANY (NATCAS) Société de droit égyptien
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège :
[Adresse 1]
[Localité 4]
(EGYPTE)
et son établissement principal :
[Adresse 2],
[Adresse 2]
[Localité 4]
(EGYPTE)
représentée par la SCP FISSELIER CHILOUX BOULAY, avoués à la Cour
assistée de Me Xavier NYSSEN, avocat au barreau de PARIS, toque : J 96
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 25 octobre 2011, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de :
Monsieur PERIE, Président
Madame GUIHAL, Conseillère
Madame DALLERY, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur PERIE, président et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.
Le 6 janvier 1999 a été conclu entre EGYPTIAN GENERAL PETROLEUM CORPORATION (EGPC), établissement public égyptien et NATIONAL GAS COMPANY (NATGAS) société anonyme de droit égyptien, un contrat d'adduction de gaz naturel pour l'alimentation de zones résidentielles et industrielles ainsi que de centrales électriques situées dans le gouvernorat égyptien d'[Localité 3]. Le 24 septembre 2001 a été signé entre les parties un Avenant n° 1 portant sur l'adduction d'une zone géographique supplémentaire.
NATGAS ayant souscrit, pour le financement de l'opération, des emprunts libellés en dollars US et en euros, la modification de la parité de la livre égyptienne, décidée par les autorités égyptiennes suivant décret du 28 janvier 2003, a alourdi ses charges financières. Le refus d'EGPC de supporter ce supplément de frais a conduit NATGAS à déposer le 2 février 2008, en application de la clause compromissoire stipulée à l'article 20 du contrat, une demande d'arbitrage auprès du Centre régional d'arbitrage commercial du Caire (CRCICA).
Par sentence rendue au Caire le 12 septembre 2009, le tribunal arbitral composé de M.M [L] et [N], arbitres, et de M. [G], président, a :
- rejeté l'exception d'irrecevabilité de la demande d'arbitrage tirée de la qualité de personne publique d'EGPC;
- rejeté l'exception de nullité du contrat tirée de la non-conformité à la Constitution égyptienne de l'article 2 du Règlement d'application de la loi sur le gaz naturel n° 217 de 1980;
- condamné EGPC à payer à NATGAS 253.424.668,31 L.E. majorée des intérêts au taux fixé par la Banque centrale d'Egypte;
- rejeté l'exception de nullité de la clause compromissoire;
- rejeté la demande de résiliation du contrat;
- rejeté la demande de désignation d'une commission d'experts;
- prononcé sur le partage des frais d'arbitrage.
L'ordonnance d'exequatur de cette sentence rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris le 19 mai 2010 a fait l'objet d'un appel formé par EGPC le 6 août 2010.
Par conclusions du 9 juin 2011, EGPC sollicite l'infirmation de l'ordonnance entreprise et la condamnation de NATGAS à lui payer la somme de 40.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir, en premier lieu, que les arbitres ont statué sans convention d'arbitrage dès lors, d'une part, que le contrat avait été transféré par EGPC à la société Egyptian Gas Company (EGAS), d'autre part, que la clause compromissoire violait les dispositions impératives de la loi égyptienne en matière d'arbitrage, loi applicable dès lors qu'était en cause un arbitrage interne (article 1502 1° et 5° du code de procédure civile), en deuxième lieu, que le tribunal arbitral n'a pas observé le principe de la contradiction et les droits de la défense (article 1502 4° et 5° du code de procédure civile), en troisième lieu que les arbitres ont méconnu l'étendue de leur mission en ne soumettant pas à la Cour constitutionnelle suprême l'exception d'inconstitutionnalité dont ils étaient saisis (article 1502 3° du code de procédure civile), en quatrième lieu, que la sentence viole le principe d'ordre public international de l'effet relatif des contrats (article 1502 5° du code de procédure civile), enfin que la sentence litigieuse est inexistante pour avoir été annulée par les juridictions égyptienne et ne pouvait donc faire l'objet d'un exequatur sans qu'il soit contrevenu aux dispositions des articles 1498 et 1502 5° du code de procédure civile.
Par conclusions du 8 septembre 2011, NATGAS demande à la Cour de débouter EGPC de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner à lui payer la somme de 60.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que le contrat litigieux n'a pas été cédé par EGPC à EGAS; que le moyen tiré de l'invalidité de la clause compromissoire faute d'agrément du ministre de tutelle d'EGPC a été présenté tardivement et de mauvaise foi et se heurte à la règle de l'estoppel; qu'en toute hypothèse les règles de validité de la convention d'arbitrage énoncées par la loi égyptienne sont inapplicables à un arbitrage qui, contrairement à ce que prétend EGPC revêt un caractère international; qu'aucune atteinte à la contradiction et au respect des droits de la défense ne résulte du refus du tribunal arbitral d'ordonner une expertise; que les arbitres n'ont pas méconnu leur mission en écartant, sans saisir la Cour suprême une exception d'inconstitutionnalité dépourvue de sérieux; que le principe d'effet relatif des contrats ne relève pas de l'ordre public international et n'a, en toute hypothèse, pas été méconnu en l'espèce; enfin que le moyen tiré de l'annulation de la sentence en Egypte est inopérant.
SUR QUOI :
Sur le moyen tiré de l'inexistence de la sentence dont l'exequatur est contesté (articles 1498 et 1502 5° devenus 1514 et 1520 5° du code de procédure civile):
EGPC soutient que la sentence litigieuse étant purement interne à l'ordre juridique égyptien et ayant été annulée par les juridictions égyptiennes est inexistante et ne peut donc faire l'objet d'un exequatur.
Considérant que les articles 1498 et suivants devenus 1514 et suivants du code de procédure civile sur la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales sont applicables à la fois aux sentences internationales et aux sentences rendues à l'étranger, quel que soit, pour ces dernières, leur caractère interne ou international; que dès lors, en vertu de l'article VII, 1 de la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, il convient de mettre en oeuvre le droit français de l'arbitrage international, plus favorable, qui ne prévoit pas l'annulation de la sentence dans son pays d'origine comme cause de refus de reconnaissance et d'exécution de la sentence rendue à l'étranger;
Sur le moyen tiré de l'absence ou de la nullité de la convention d'arbitrage (article 1502 1° et 5°, devenu 1520 1° et 5° du code de procédure civile) :
EGPC soutient que les arbitres ont statué sans convention d'arbitrage ou sur convention nulle dès lors, d'une part, que le contrat, ainsi que tous les droits et obligations qui en découlaient avaient été cédés par elle à EGAS, de sorte qu'elle n'était plus liée par la convention d'arbitrage, d'autre part, que dans un arbitrage interne à l'Egypte, la clause compromissoire a été conclue par un établissement public sans l'agrément de son ministre de tutelle en violation de la loi égyptienne sur l'arbitrage en matière civile et commerciale ce qui heurte la conception française de l'ordre public international.
Considérant qu'EGPC, établissement public de droit égyptien, et NATGAS, société anonyme de droit égyptien, ont conclu le 6 janvier 1999 un contrat par lequel la première a confié à la seconde la réalisation, l'exploitation et la maintenance d'un réseau d'adduction de gaz naturel sur le territoire égyptien pour l'alimentation de particuliers et d'entreprises;
Considérant que cette convention stipule en son article 20 que : 'Si les parties ne parviennent pas à trouver une solution, tout litige, différend ou réclamation né entre l'Etablissement public et la Société au sujet soit du Contrat, soit de tout élément s'y rapportant, soit du non respect des conditions qu'il comporte, soit de sa résiliation, soit de son annulation, sera résolu par la voie de l'arbitrage conformément au règlement du Centre régional d'arbitrage commercial du Caire';
Considérant que sur le fondement de cette clause, le tribunal arbitral s'est estimé compétent pour examiner la requête formée par NATGAS tendant à ce que soit mis à la charge d'EGPC les frais supplémentaires qu'elle subissait, à la suite de la modification de la parité de la livre égyptienne, sur les emprunts libellés en dollars US et en euros qu'elle avait contractés auprès de tiers pour le financement du projet ;
Considérant, en premier lieu, qu'à la supposer établie la circonstance que ce contrat aurait été cédé par EGPC à l'établissement public EGAS en vertu d'un décret n° 1009 de l'année 2001, d'un arrêté subséquent du ministre du Pétrole n° 669 du 9 août 2001 et d'un avenant n° 2 au contrat principal, signé le 4 avril 2004, n'affectait pas l'efficacité de la clause d'arbitrage stipulée par le contrat du 6 janvier 1999; qu'elle avait seulement pour effet, le cas échéant, de modifier les obligations respectives des parties, ce qu'il appartenait aux arbitres d'apprécier;
Considérant, en second lieu, qu'ainsi qu'il a été dit, les articles 1498 et suivants, devenus 1514 et suivants, du code de procédure civile sur la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales sont applicables à la fois aux sentences internationales et aux sentences rendues à l'étranger, quel que soit, pour ces dernières, leur caractère interne ou international; que la régularité de telles sentences est examinée au regard des règles applicables dans le pays où leur reconnaissance et leur exécution sont
demandées, l'objet de la procédure d'exequatur en France étant d'accueillir dans l'ordre juridique français les sentences étrangères aux seules conditions qu'il a posées;
Considérant qu'en application du principe de validité de la convention d'arbitrage, la volonté des parties suffit à valider celle-ci qui est soustraite à l'emprise des droits nationaux;
que, par conséquent, à la supposer établie, la circonstance que le droit égyptien soumettrait à un agrément ministériel la conclusion par un établissement public égyptien d'une convention d'arbitrage est indifférente à l'appréciation de l'efficacité de la clause compromissoire par le juge français de l'exequatur, peu important que la sentence rendue en Egypte ait un caractère interne ou international; qu'au demeurant, contrairement à ce que soutient EGPC, l'arbitrage en cause n'est pas purement interne à l'Egypte dès lors que l'expertise technique était fournie par la société italienne Nord Italy Gas SPA, dont l'article 7.15 du contrat prévoit expressément que NATGAS a l'obligation de la conserver sans interruption comme associée et actionnaire pendant toute la durée d'exécution du contrat, de sorte que l'opération ne se résout pas économiquement dans un seul pays;
Considérant que le moyen pris de l'absence ou de la nullité de la convention d'arbitrage ne peut qu'être écarté en ses deux branches;
Sur le moyen tiré de la violation du principe de la contradiction et des droits de la défense (article 1502 4° et 5° devenu 1520 4° et 5°) :
EGPC expose, d'une part, que NATGAS a produit tardivement un grand nombre de pièces comptables sans qu'un délai suffisant lui soit laissé pour en prendre connaissance et sans qu'il soit fait droit à sa demande d'expertise, d'autre part, que les arbitres ont relevé d'office un moyen d'irrecevabilité pour tardiveté de l'exception d'incompétence sans mettre les parties en mesure d'en discuter le bien-fondé, alors qu'il s'agissait d'une incompétence d'ordre public recevable en tout état de cause.
Considérant, en premier lieu, que le principe de la contradiction exige seulement que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire;
Considérant que le tribunal a décidé qu'après l'échange des mémoires il tiendrait une audience de plaidoiries les 12 et 13 avril 2009 et qu'il a invité les parties à lui faire connaître avant le 10 février 2009 les témoins ou les experts auxquels elles entendaient faire appel; que si EGPC prétend que NATGAS aurait produit le premier jour d'audience de nombreuses pièces comptables nouvelles, il apparaît, d'une part, qu'au cours des deux journées d'audience, les parties ont pu interroger leurs experts respectifs et débattre des expertises produites (sentence p. 6), d'autre part, que le deuxième jour d'audience, les parties ont déclaré n'avoir aucune objection ou réserve à formuler sur la procédure suivie jusqu'alors, déclaration notée au procès-verbal de séance; que les arbitres ont, en outre, permis aux parties de présenter un mémoire final pour répondre, le cas échéant, sur les points soulevés pendant les plaidoiries; qu'il apparaît ainsi que les parties ont été mises en mesure de discuter l'ensemble des arguments présentés et des pièces produites; qu'il ne saurait, dès lors, être reproché aux arbitres d'avoir violé le principe de la contradiction en estimant que les débats rendaient inutiles le recours à une mesure d'expertise et que la demande en ce sens d'EGPC, dont l'expert comptable s'était longuement expliqué sur les pièces produites, était tardive et dilatoire;
Considérant, en second lieu, que les arbitres n'ont aucune obligation de soumettre au préalable leur motivation à une discussion contradictoire des parties; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient EGPC, le tribunal arbitral a pu, sans ordonner la réouverture des débats, et sans méconnaître aucun principe d'ordre public international, écarter l'exception d'incompétence opposée par EGPC au motif que ce moyen n'avait pas été présenté dans le délai imparti par le § 2 de l'article 27 et le § 3 de l'article 21 du Règlement d'arbitrage du CRCICA;
Considérant que le moyen pris de l'inobservation du principe de la contradiction et des droits de la défense doit être écarté;
Sur le moyen tiré de la violation par les arbitres de leur mission (article 1502 3° devenu 1520 3° du code de procédure civile) :
EGPC soutient qu'en rejetant une exception d'inconstitutionnalité du décret en vertu duquel le contrat avait été conclu, sans renvoyer cette question à la Cour constitutionnelle, seule compétente pour statuer sur une telle question, le tribunal a excédé les limites de sa mission.
Considérant que si les arbitres devaient trancher le litige conformément au droit égyptien, il ne résulte pas du seul fait qu'ils aient refusé de soumettre à la Cour constitutionnelle une exception d'inconstitutionnalité d'un décret qu'ils n'aient pas fait application de ce droit, dès lors que suivant la loi égyptienne relative à la Cour suprême constitutionnelle, il appartient à tout organe juridictionnel d'apprécier le sérieux du moyen d'inconstitutionnalité dont il est saisi;
Que le moyen, sous couvert d'inobservation par les arbitres de leur mission, tend à une révision au fond de la sentence qui n'est pas permise au juge de l'exequatur; qu'il doit donc être écarté;
Sur le moyen tiré de la violation de l'ordre public international (article 1502 5° devenu 1520 5° du code de procédure civile) :
EGPC fait valoir qu'elle ne saurait, sans qu'il soit porté atteinte au principe d'ordre public international de l'effet relatif des contrats, être tenue pour responsable du préjudice résultant pour NATGAS de conventions de financement conclues avec des tiers antérieurement à la signature du contrat entre les parties à l'arbitrage.
Considérant que l'article 7.13 du contrat conclu entre les parties le 6 janvier 1999 stipule : 'La société se conformera aux lois et règlements émanant des autorités compétentes et concernées pour tout ce qui se rapporte à l'objet et à l'étendue des travaux contractuels, que ce soit ceux actuellement en vigueur ou ceux qui le seront au cours de l'exécution sans que cela entraîne toutefois un accroissement de ses charges financières prévues dans le Contrat';
Considérant que la sentence condamne sur ce fondement le concédant, EGPC, à indemniser le concessionnaire, NATGAS, des frais supplémentaires que cette dernière a subis, à la suite de la modification de la parité de la livre égyptienne, sur les emprunts libellés en dollars US et en euros qu'elle avait contractés auprès de tiers pour le financement du projet;
Considérant qu'il ne résulte d'une telle condamnation aucune violation flagrante, effective et concrète de l'ordre public international; que le moyen ne peut qu'être écarté;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ordonnance d'exequatur doit être confirmée;
Considérant qu'EGPC, qui succombe, ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et devra payer sur ce fondement la somme de 60.000 euros à NATGAS;
PAR CES MOTIFS :
Confirme l'ordonnance d'exequatur.
Déboute l'EGYPTIAN GENERAL PETROLEUM CORPORATION de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile l'EGYPTIAN GENERAL PETROLEUM CORPORATION à payer la somme de 60.000 euros à la société NATIONAL GAS COMPANY.
Condamne l'EGYPTIAN GENERAL PETROLEUM CORPORATION aux dépens et admet la SCP Fisselier Chiloux Boulay, avoués, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT