RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 24 Novembre 2011
(n° 5 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/01735
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Février 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS - Section ENCADREMENT - RG n° 07/09141
APPELANT
Monsieur [V] [S]
[Adresse 3]
[Localité 4]
comparant en personne
assisté de Me Quitterie GUILLEMIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P 530
substitué par Me Dominique Paule DUPARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P 530
INTIMÉE
SA MEZZO
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Pierre LUBET, avocat au barreau de PARIS, toque : R021
substitué par Me Caroline ANDRE-HESSE-ROSSI, avocat au barreau de PARIS, toque : R021
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Octobre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Françoise FROMENT, président
Mme Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, conseiller
Mme Anne DESMURE, conseiller
Greffier : Madame Violaine GAILLOU, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Françoise FROMENT, Président et par Mme Violaine GAILLOU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure
M.[V] [S] a été engagé par la société Euromusique en qualité d'assistant de recherche à compter du 2 novembre 1995 suivant un contrat à durée déterminée, transformé en contrat à durée indéterminée.
Il a, par la suite, été engagé par la société MCM Classique Jazz Muzzik par un contrat à durée indéterminée à compter du 1er janvier 1997, en qualité de programmateur, avec une reprise d'ancienneté au 2 novembre 1995.
Nommé directeur d'antenne, M.[S] est finalement devenu directeur général adjoint en charge du développement et des affaires commerciales, à compter du 1er janvier 2002. Sa rémunération mensuelle brute s'est élevée en dernier lieu à 6 135 €.
Convoqué le 8 juin 2007 à un entretien préalable fixé au 22 juin suivant, M.[S] a été licencié pour insuffisance professionnelle par courrier du 27 juin 2007.
L'entreprise compte plus de 10 salariés.
La relation de travail est régie par les dispositions de la convention collective des chaînes thématiques.
Estimant son licenciement injustifié, M.[S] a saisi le conseil des Prud'Hommes de Paris de demandes tendant en dernier lieu à obtenir le paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile le tout avec exécution provisoire. A titre reconventionnel, la SA Mezzo a réclamé une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par décision en date du 5 février 2010, le conseil des Prud'Hommes, en sa formation de départage, a jugé le licenciement de M.[S] fondé sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté de toutes ses demandes, en le condamnant aux dépens.
M.[S] a régulièrement fait appel de cette décision dont il sollicite l'infirmation. Il demande à la cour de juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la SA Mezzo à lui payer la somme de 148 680 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SA Mezzo conclut à la confirmation du jugement déféré et, en conséquence, au débouté de M.[S] et à sa condamnation à lui payer la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile. A titre subsidiaire, elle demande de voir limitée l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse éventuellement allouée à la somme de 36 810 € représentant 6 mois de salaire.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier le 11 octobre 2011, reprises et complétées lors de l'audience.
Motivation
Aux termes de l'article L1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. L' insuffisance professionnelle constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En cas de litige, le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié (article L 1235-1 du code du travail).
Les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables.
En application de l'article L 1232-6 du code du travail, la motivation de la lettre de licenciement fixe les limites du litige.
En l'espèce, la lettre de licenciement du 27 juin 2007 oppose 3 griefs à M.[S] qui sont les suivants :
- 'le 17 avril dernier, notre service juridique m'a alerté sur le fait que Mezzo allait devoir déclarer au CSA au titre de l'exercice social 2006, 3 quotas de production non conformes à nos obligations sur les 4 existants, comme en attestent les éléments chiffrés ci-dessous :
. Quota d'investissement annuel : 786 445 € contre une obligation à 863 600 €
. Quota de production indépendante : 455 022 € contre une obligation à 575 733 €
. Production OEF (oeuvres originales françaises) : 638 920 € contre une obligation à 647 700€'
- ne pas avoir oeuvré pour faire déposer ou alerter sur l'importance du dépôt de la marque 'Jazz mix' au titre de quoi il lui est reproché un 'manque de rigueur et négligence inacceptables'
- lorsque [T] est mort le [Date décès 1] dernier, 'je vous ai, par simple acquit de conscience, demandé si sa nécrologie était prête. J'ai eu alors la stupéfaction de vous voir me répondre 'on est en train de l'organiser'. Eu égard au grand âge de cet artiste majeur et à son état de santé précaire, ce manque d'anticipation en termes de programmes dans le cadre d'une chaîne comme la nôtre n'est pas admissible'.
M.[S] conteste le bien fondé des griefs invoqués.
Il ressort des débats que M.[S] avait la responsabilité notamment d'assurer la recherche de financement, la conception et la mise en production de programmes induits par les financements obtenus, le suivi et la responsabilité des relations avec les principaux fournisseurs de Mezzo, les câblo-opérateurs et les opérateurs satellites, et 'plus généralement toute mission dans l'intérêt de l'entreprise relevant de votre domaine d'attribution et de compétence'.
Il ressort de cette définition des fonctions de M.[S] que celui-ci a une responsabilité opérationnelle et non pas administrative, ni de support. Il s'ensuit que si l'on peut admettre qu'en sa qualité de directeur général adjoint, il ne puisse ignorer les quotas en cause, d'autres que lui, telle la direction financière, voire le directeur général délégué sous la hiérarchie duquel il exerce, en ont plus particulièrement la charge. Il n'apparaît donc pas pertinent qu'il soit, à lui seul, la cible de ce reproche.
En outre, il ressort des pièces mêmes produites par l'employeur, et notamment les mails de Mme [Y] du 17 avril 2007 et celui de M.[O], du 1er août 2007, que compte-tenu des modifications intervenues dans les critères définissant les quotas et de retards des producteurs ou de paiements, le respect de ceux-ci a été rendu moins aisé en 2006.
Compte-tenu de l'ensemble de ces éléments et circonstances particulières, et quand bien même le CSA a-t-il adressé à la société Mezzo une mise en garde, le non respect des quotas pour la seule année en 2006, ne caractérise pas de la part de M.[S] une insuffisance. Il ne constitue donc pas un grief sérieux ayant pu servir de base à son licenciement.
Par ailleurs, aucun élément versé aux débats et notamment la fiche de fonction de M.[S] , ne permet à la cour de conclure que la décision de déposer une marque en général et celle de 'Jazz mix' en particulier ait dépendu de M.[S] seul. En effet, en l'espèce, la décision de déposer la marque litigieuse n'apparaît nulle part ; en outre, dans l'hypothèse où elle aurait été prise, il appartenait alors au service juridique, comme le soutient M.[S], à mettre en oeuvre, en lien avec les services externes spécialisés dans ce domaine, la procédure d'enregistrement nécessaire à la protection de la marque.
Il s'ensuit que la négligence reprochée à M.[S] n'est pas caractérisée.
Enfin, la SA Mezzo fait reproche au salarié ne n'avoir pas, compte-tenu de son grand âge, préparé la nécrologie de [T] avant même son décès.
Aucun élément produit aux débats n'établit en effet que la nécrologie de [T] ait été prête à l'annonce ou peu après l'annonce de son décès alors que la chaîne à vocation musicale exploitée par Mezzo avait vocation à offrir un écho rapide à cet événement important.
M.[S] qui avait en charge la programmation est donc responsable de cette carence.
Ce troisième grief est en conséquence établi.
Toutefois l'ensemble des griefs invoqués, lorsqu'ils sont établis, apparaissent comme des épiphénomènes dans l'ensemble de la vie de la chaîne.
Compte-tenu, en outre, de ce que M.[S] n'a fait l'objet d'aucun reproche pendant les 12 années de sa collaboration avec la SA Mezzo et qu'il a fait l'objet d'une évaluation en 2006, qui ne signale aucune difficulté particulière, les griefs en cause, lorsqu'ils sont établis, outre qu'ils apparaissent comme des épiphénomènes dans la vie de l'entreprise qui connaît au premier semestre 2007, une audience supérieure à ce qu'elle sera par la suite, selon le relevé de médiamétrie produit aux débats, revêtent également un caractère exceptionnel dans la vie professionnelle de M.[S], à l'époque considérée.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, ils sont dépourvus du caractère sérieux requis pour fonder le licenciement de M.[S].
Il ressort enfin des débats que le départ de M.[S] a été annoncé par la SA Mezzo dès le 20 juin 2007 alors qu'il n'était pas même licencié, la procédure étant en cours, que son téléphone mobile professionnel a été désactivé dès le 14 juin, ainsi que son badge lui permettant d'entrer dans l'entreprise.
Il résulte donc de l'ensemble de ce qui précède que le licenciement de M.[S] n'a eu d'autres fonctions que de formaliser un départ qui était programmé et voulu par l'employeur.
Cette situation donne droit à M.[S] à percevoir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse que, compte-tenu des éléments produits aux débats, notamment sur l'ancienneté de M.[S] et les difficultés financières rencontrées du fait de la perte de son emploi, la cour est en mesure d'évaluer à la somme de 122 000 € en application de l'article L1235-3 du code du travail.
Il convient, enfin, d'ordonner d'office, en application de l'article L 1235-4 du code du travail et dans la limite posée par cette disposition, le remboursement par la SA Mezzo, de toutes les indemnités de chômage payées à M.[S], dans la limite de 6 mensualités.
Le jugement est, en conséquence, infirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
- infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau :
- dit que le licenciement de M.[V] [S] est sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence, condamne la SA Mezzo à payer à M.[V] [S] la somme de 122 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
- ordonne d'office, en application de l'article L 1235-4 du code du travail et dans la limite posée par cette disposition, le remboursement la SA Mezzo, de toutes les indemnités de chômage payées à M.[S],
- condamne la SA mezzo aux dépens de première instance et d'appel,
Vu l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la SA mezzo à payer à M.[S] la somme de 3 000 €,
- la déboute de sa demande de ce chef.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT