COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 8 NOVEMBRE 2011
(no 324, 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 09206
Décision déférée à la Cour : jugement du 24 février 2010- Tribunal de Grande Instance de FONTAINEBLEAU-RG no 08/ 00838
APPELANT
Maître Fabrice X..., Notaire associé de la SCP Y... X...... 92300 LEVALLOIS PERRET représenté par la SCP ARNAUDY ET BAECHLIN, avoués à la Cour assisté de la SCP KUHN (Me Christophe LAVERNE), avocats au barreau de PARIS
INTIME
Monsieur Cédric A...... 77250 MORET SUR LOING représenté par la SCP CALARN-DELAUNAY, avoués à la Cour assisté de Me Sophie COTE-ZERBIB, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2011/ 10824 du 06/ 04/ 2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 septembre 2011, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN
ARRET :
- contradictoire-rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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M. A... s'était porté caution hypothécaire, aux côtés de deux autres cautions solidaires, du prêt consenti selon la technique du " crédit-vendeur " au profit d'une SARL " Club La Playa " pour l'acquisition, le 28 mai 2005, d'un fonds de commerce de " bar discothèque vins et liqueurs et restaurant " à une société " Scotch ", le prix devant en être payé pour partie au comptant et pour partie par mensualités affectées d'un taux d'intérêt de 6 %.
Faute par l'acquéreur d'avoir honoré ses engagements, la société venderesse a fait délivrer à M. A..., le 11 août 2006, un commandement de payer la totalité restant due, soit 91 412, 49 €, et a poursuivi une procédure de saisie immobilière à son encontre. Un protocole d'accord est intervenu qui a mis fin à cette procédure en prévoyant les modalités d'apurement de la dette, soit le versement forfaitaire de 25 000 € dont partie au comptant et le solde par mensualités sans que ce protocole emporte novation.
C'est alors que M. A... a recherché la responsabilité de M. X..., notaire ayant reçu l'acte de cession, auquel il reproche un manquement à son devoir de conseil lors de sa passation, pour ne pas avoir appelé son attention sur le danger de la technique du crédit-vendeur, sur les risques prévisibles de cet acte d'acquisition au regard des faibles capacités financières des acquéreurs et de la fragilité économique de l'opération, les bilans ayant été déficitaires les deux années précédant la vente et à peine excédentaires auparavant, et, partant, sur les conséquences pour lui, relatives à la mise en oeuvre de l'hypothèque sur son bien immobilier récemment acquis, non encore remboursé et déjà grevé de l'hypothèque de son prêteur de deniers.
Par jugement du 24 février 2010, le tribunal de grande instance de Fontainebleau a, après avoir mis hors de cause la SCP X... et Z..., condamné M. X... à payer à M. A... la somme de 25 000 €, représentant le montant de la somme payée au comptant en application du protocole d'accord, à lui rembourser le montant des frais d'acte et à lui payer 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a débouté celui-ci de ses demandes indemnitaires relatives à son préjudice moral.
CECI ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,
Vu l'appel de ce jugement par M. X... en date du 22 avril 2010,
Vu ses dernières conclusions déposées le 26 août 2010 selon lesquelles il sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a mis hors de cause la SCP à laquelle il appartient, débouté M. A... de sa demande indemnitaire pour son préjudice moral et son infirmation pour le surplus et le débouté de celui-ci de ses demandes et sa condamnation à payer à M. X... la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions déposées le 17 mai 2011 par lesquelles M. A..., appelant incident, demande la confirmation du jugement sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande de réparation de son préjudice moral et sa réformation à ce titre et la condamnation de M. X... à lui payer la somme de 10 000 €, outre celle de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
SUR CE,
Considérant que M. X... soutient, à l'appui de son appel, que l'opération envisagée non seulement était courante, comme l'est le crédit-vendeur, déjà utilisé pour les cessions précédentes du fonds aux prédécesseurs de la société " Club La Playa " dont M. A... est co-gérant, la venderesse n'ayant accepté cette technique que sous réserve d'obtenir une caution hypothécaire, mais encore que le notaire n'a fait qu'authentifier un accord conclu antérieurement et sans son intervention et qu'il n'avait pas à fournir son conseil sur son opportunité ou sa faisabilité économique ou sur son coût, le devoir de conseil d'un notaire se limitant à la sphère juridique ; qu'il critique le jugement qui s'est contredit en affirmant ce principe tout en lui reprochant de n'avoir pas attiré l'attention sur la fragilité économique, comptable et financière de l'opération ; qu'il fait également valoir que le préjudice n'est pas certain puisque la somme de 25 000 € résulte d'un protocole qui lui est étranger mais aurait pu être négocié plus favorablement ; que M. A... bénéficie d'une action récursoire contre les autres cautions solidaires et contre le débiteur principal et que, s'il avait été informé plus complètement, rien ne dit qu'il ne se serait pas quand même engagé comme caution ; qu'en tout état de cause il ne peut s'agir pour lui que d'une perte de chance de ne pas payer cette somme ou de ne pas s'engager ; qu'il rappelle enfin que l'acte reçu a été efficace de sorte que le remboursement des frais d'acte n'est pas justifié ;
Que M. A..., qui rappelle que la somme prévue par le protocole, en cours de règlement, est payée sur ses deniers personnels, se dit " victime par ricochet " du manquement du notaire à son devoir de " mise en garde " alors que, lors de la promesse et de la cession, il a retranscrit l'ensemble des bilans des années 2001 à 2004 dont les deux derniers étaient déficitaires et que, si, en effet, il n'est pas homme du chiffre, il devait alors faire appel à un expert-comptable pour apprécier l'opportunité et les risques de l'opération et, à tout le moins, attirer l'attention de la caution hypothécaire sur " l'économie de l'acte signé ", notamment quant au prix " excessif " fixé, à la modalité " parfaitement inadaptée " de règlement pour des " professionnels non avertis " et aux garanties portant sur un immeuble déjà grevé, dès lors qu'il était " évident " que lui-même comme ses deux associés cherchaient à faire un chiffre d'affaires suffisant pour rembourser le crédit-vendeur, étant tous dans une situation financière précaire ; que si perte de chance il y a, elle a consisté, pour lui, à ne pas avoir eu le choix de ne pas s'engager ; qu'il subit un préjudice supplémentaire, du fait de la " menace permanente de reprise des opérations de saisie " s'il ne s'acquitte pas des mensualités convenues par le protocole, qui mérite réparation ;
Considérant qu'il est acquis que le notaire, tenu professionnellement d'éclairer les parties, ne saurait se décharger de sa responsabilité au motif qu'il se limite à donner forme authentique à l'acte qu'il reçoit et qui a été négocié en dehors de lui ; qu'il ne peut pas plus exiger de son client qu'il se retourne, au préalable, contre les autres débiteurs, en l'espèce la société " Club La Playa " ou les autres cautions ;
Que c'est néanmoins à tort que M. A... reproche son abstention à M. X... en invoquant le montage d'un acte " peu fréquent " pour décrire les modalités du paiement du prix, alors que la technique dite du " crédit-vendeur ", outre qu'elle est courante, comme d'ailleurs l'acte en témoigne puisqu'elle a été celle utilisée lors des cessions précédentes du même fonds, peut, tout au contraire, se révéler favorable à des contractants qui, comme en l'espèce, ne pouvaient obtenir de prêt bancaire pour mener à bien l'opération souhaitée du fait de la nature du fonds acquis ;
Considérant que, comme le rappelle justement M. X..., le notaire n'est débiteur de son devoir de conseil que pour ce qui relève de son ministère, à savoir le conseil juridique, voire fiscal, mais aucunement, comme l'ont exactement énoncé les premiers juges, un conseil économique qui concernerait la viabilité financière d'une opération, étant entendu qu'il ne peut lui être reproché, comme le fait M. A..., de n'avoir pas sollicité un expert comptable que ce dernier pouvait tout à loisir consulter s'il ne s'estimait pas suffisamment éclairé ;
Que comme M. X... le souligne avec pertinence, la simple lecture de l'acte, faite de surcroît aux parties par le notaire, faisant apparaître des résultats déficitaires du fonds sur plusieurs années (page 29) dont cet acte précise que " le cessionnaire ", représenté à la signature par M. A... et l'un de ses associés, est " informé... par ses investigations personnelles " et en conséquence " dispense expressément le notaire... de l'énonciation précise... déclarant se contenter des renseignements qui précèdent ", était suffisante pour éclairer un contractant, même peu averti, sur le risque financier de l'achat projeté et atteste ainsi du conseil donné ; qu'aucune faute ne peut en résulter contrairement à ce qu'a décidé le tribunal ;
Considérant qu'en revanche, il ressort sans contestation possible du devoir du notaire d'éclairer les parties sur les engagements juridiques qu'elles prennent consistant, en l'espèce, pour M. A..., à offrir son seul bien immobilier en garantie de l'engagement souscrit par la société " Club La Playa " ; qu'il ne résulte ni de l'acte ni d'aucune autre pièce versée qu'il l'ait, sur ce point, particulièrement informé de la signification et de la portée d'un tel engagement ; qu'il a donc, à ce sujet, commis un manquement dont il doit répondre des conséquences dommageables pour M. A... ;
Considérant à cet égard que M. X... fait utilement valoir que ce manquement a fait perdre à M. A... une chance, mieux éclairé, de ne pas s'engager ; que la chance perdue apparaît toutefois assez faible dans la mesure où, comme le souligne le notaire, faute de la garantie offerte et à défaut d'autres suffisantes, le cédant n'aurait très vraisemblablement pas accepté la cession à la société " Club La Playa " alors que M. A... et ses associés, souhaitant d'évidence cette acquisition, ont accepté de se porter caution et lui même a concédé l'hypothèque litigieuse ;
Que le jugement, qui a accordé des dommages et intérêts à hauteur de l'intégralité du préjudice invoqué, sera réformé en ce sens, le préjudice étant réparé par la condamnation de M. X... à payer à M. A... la somme de 8 000 € à ce titre ;
Considérant que M. X... soutient à juste titre que l'acte critiqué a été efficace, M. A... ne disant pas, au delà des critiques déjà examinées, en quoi son efficacité serait absente ; que le jugement, qui a condamné le notaire à rembourser les frais d'actes, ne pourra qu'être infirmé de ce chef ;
Considérant que M. A..., qui sollicite des dommages et intérêts supplémentaires du fait de la " menace permanente de reprise des opérations de saisie ", ne produit en cause d'appel pas plus de pièce qu'en première instance justificative de ce poste de préjudice, susceptibles de démontrer l'imminence de la situation ou même de la cessation, actuelle ou prévisible à court terme, de ses paiements ; qu'il ne peut qu'être débouté de cette demande et le jugement, qui en avait fait de même, confirmé à ce titre ;
Considérant que l'équité ne commande pas, en l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que, du fait du manquement du notaire et nonobstant la solution apportée à son appel, il sera condamné aux dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné M. X... au paiement des frais d'actes et statuant à nouveau quant à ce,
Déboute M. A... de sa demande à ce titre,
Confirme le jugement en ce qu'il a : mis hors de cause la SCP X... et Z..., débouté M. A... de sa demande de dommages et intérêts pour son préjudice moral, retenu un manquement de M. X..., condamné M. X... à payer à M. A... des indemnités de procédure et l'a condamné aux dépens,
Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau,
Condamne M. X... à payer à M. A... la somme de 8 000 € à titre de dommages et intérêts,
Condamne M. X... aux dépens d'appel et dit qu'ils seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.