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18/10/2011 | FRANCE | N°10/00996

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 18 octobre 2011, 10/00996


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRET DU 18 Octobre 2011



(n° 5 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/00996



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Septembre 2008 par le conseil de prud'hommes de Paris RG n° 07/08071





APPELANTE

Madame [Y] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assistée de Me Stéphane KADRI, avocat au barreau

de PARIS, toque : B0316 substitué par Me Lucie MESLÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : G0699







INTIMÉE

SELARL DU DOCTEUR [V]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Danielle ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRET DU 18 Octobre 2011

(n° 5 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/00996

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Septembre 2008 par le conseil de prud'hommes de Paris RG n° 07/08071

APPELANTE

Madame [Y] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assistée de Me Stéphane KADRI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0316 substitué par Me Lucie MESLÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : G0699

INTIMÉE

SELARL DU DOCTEUR [V]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Danielle PARTOUCHE-LEVY, avocat au barreau de PARIS, toque : C2059

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Mars 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Présidente

Madame Michèle MARTINEZ, Conseillère

Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Présidente et par Véronique LAYEMAR, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure

Mme [Y] [U] épouse [Z] a été engagée à compter du 23'novembre'1999 en qualité d'assistante dentaire, par la SELARL du Docteur [V].

Le 19 juin 2007, Mme'[Z] a été convoquée pour le 28'juin suivant à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement. Elle était mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3'juillet'2007, Mme'[Z] a été licenciée pour faute grave.

La société occupait à titre habituel moins de onze salariés et la convention collective nationale des cabinets dentaires était applicable aux relations de travail.

La salariée percevait en dernier lieu un salaire mensuel brut de 2'230,08'euros.

Le 12 juillet 2007, Mme'[Z], contestant son licenciement, a saisi le conseil de prud'hommes de Paris. Ses demandes tendaient en dernier lieu à obtenir':

- 1.189,04 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied,

- 118,04 euros au titre de l'incidence des congés payés,

- 4.294,86 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 429,48 euros au titre de l'incidence des congés payés,

- 5.352,19 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 25.763 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

- 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- la remise de documents sociaux sous astreinte.

Par jugement du 26'septembre'2008, le conseil de prud'hommes a débouté de l'ensemble de ses demandes Mme'[Z], laquelle a interjeté appel.

* * * * * *

Parallèlement, le 16'juin'2007, M.'[V] a déposé plainte à l'encontre de ses deux assistantes Mmes'[Z] et [S], pour exercice illégal de la profession de dentiste, puis pour vol, faux et usage de faux (rédaction d'ordonnances).

Les deux assistantes ont, au cours de leur garde à vue, reconnu l'essentiel des faits mais précisé qu'elles agissaient sur les instructions du docteur [V], le plus souvent en sa présence, le dentiste, qui recevait en moyenne 40 patients par jour, ne pouvant tout assumer seul.

Sur citation directe du procureur de la République, Mmes'[Z] et [S], ainsi qu'une troisième assistante, Mme'[L], ont été déférées devant le tribunal de grande instance de Paris pour vol et exercice illégal de la profession de chirurgien dentiste. M.'[V] était également cité pour complicité d'exercice illégal de la profession de chirurgien dentiste.

Par jugement du 12'novembre'2010, le tribunal de grande instance de Paris a relaxé les quatre prévenus et débouté la SELARL du Docteur [V], partie civile, de ses demandes.

* * * * * *

Mme'[Z] demande à la cour d'infirmer le jugement et de condamner la SELARL du Docteur [V] à':

- lui verser les sommes suivantes :

- 4.460,16 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 446 euros au titre de l'incidence des congés payés,

- 1.189,04 euros à titre de rappel du salaire de la période de mise à pied,

- 5.352,19 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 26.760,96 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,

- 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- lui remettre des documents sociaux conformes.

La société conclut à titre principal à la confirmation du jugement, à l'entier débouté de Mme'[Z] et sollicite 2'000'euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Subsidiairement elle estime que l'indemnité de licenciement ne peut excéder 4'460,16'euros.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l'audience des débats.

Motifs de la décision

Sur le licenciement

Il résulte des articles'L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement. La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement pour faute grave du 3'juillet'2007, qui fixe les limites du litige, énonce':

«'J'ai pu avoir connaissance le 16 juin 2007 des faits d'une gravité telle qu'ils ont été de nature à justifier votre mise à pied immédiate à compter du 18 juin suivant.

Une voisine de l'immeuble m'a en effet rapporté qu'un soir, en rentrant du théâtre, vers 23h30, elle avait pu croiser dans le hall de l'immeuble la gardienne, Madame [T] [O], en pyjama, laquelle se plaignait de ne pouvoir dormir du fait du bruit causé par le fonctionnement de l'aspiration chirurgicale provenant de mon cabinet dentaire. Le moteur de l'aspiration se trouvant dans le jardin mitoyen à sa loge.

Dès lors, ces dernières ont immédiatement sonné à la porte du Cabinet.

Quelle n'a pas été leur surprise de vous voir en tenue de travail avec des gants et un masque en pleine pratique d'acte.

Vous auriez selon les témoignages, semblé extrêmement irritée d'avoir été dérangée en les expédiant rapidement et en les informant que le bruit allait très vite cesser.

Selon leurs témoignages encore, il y aurait eu plusieurs personnes à l'intérieur du Cabinet.

Cet événement se serait produit alors que j'étais en congés.

Les gardiens de l'immeuble ont quant à eux confirmé que de tels événements s'étaient régulièrement produits et que vous faisiez durant certains week-end ou en soirée, venir des personnes que vous connaissiez au Cabinet, et ce toujours en mon absence, afin de pratiquer des actes.

Pour votre part, vous avez lors de l'entretien, nié purement et simplement la réalité de tels faits, ne manquant pas pour seule explication de tenir des propos parfaitement déplacés à mon égard.

Il est constant que':

- vous avez utilisé à des fins personnelles mon Cabinet en abusant de ma confiance.

- vos compétences professionnelles ne vous autorisent pas à la pratique d'actes dentaires de quelque nature qu'ils soient.

- enfin ces actes que vous avez délibérément pratiqués à mon insu, ont été effectués en mon absence et en dehors des horaires d'ouverture du Cabinet et peuvent être de nature à mettre en péril l'exercice de mon activité professionnelle.

Ces faits sont par ailleurs révélateurs de la liberté d'initiative dans l'exercice de vos fonctions et pour laquelle j'ai dû récemment intervenir.

Enfin, j'ai été étonné de recevoir tout dernièrement, en provenance du laboratoire, un bridge provisoire, destiné à votre tante, à laquelle vous avez fait une prise d'empreinte de votre propre initiative et sans que j'en sois informé ou que je vous l'ai demandé.

Dès lors et compte tenu de ces éléments, je me trouve dans l'obligation de procéder à votre licenciement au regard de la gravité de ces faits qui sont constitutifs d'une faute grave.

Les conséquences de ces faits rendent impossible le maintien de votre activité au sein de mon Cabinet même pendant le préavis'».

Il est ainsi reproché à la salariée':

- d'avoir utilisé à l'insu du dentiste le cabinet à des fins personnelles,

- d'avoir pratiqué illégalement et sans avoir la compétence requise des actes dentaires,

- d'avoir, de sa propre initiative, pris des empreintes et commandé un bridge provisoire destiné à sa tante.

La lettre de licenciement fixant les limites du litige, d'une part il n'y a pas lieu d'examiner les griefs formulés par l'employeur qui n'y figurent pas et, d'autre part, l'employeur peut mentionner dans la lettre de licenciement des griefs dont il n'a pas fait mention pendant l'entretien préalable.

Il ressort de l'enquête de police diligentée, spécialement des auditions de témoins (patients, voisins...), lesquels ont fourni pour la quasi-totalité des attestations en faveur de l'une ou l'autre des parties dans la présente procédure, ainsi que de celles, concordantes, des deux autres assistantes de M.'[V], que, si Mme'[Z], comme les deux autres assistantes, a bien réalisé à titre habituel des actes réservés au seul chirurgien dentiste, établi et parfois signé des ordonnances en vue de délivrance de médicaments, c'était sur les instructions expresses et le plus souvent en la présence de M.'[V], lequel a d'ailleurs reconnu avoir délégué certaines tâches relevant de son ministère à ses assistantes': prises d'empreintes, blanchiments, retrait d'excédent de ciment à la spatule.

Il en résulte également que M.'[V], qui était le seul praticien du cabinet, recevait jusqu'à quarante patients par jour, que son cabinet était équipé de deux salles de soins contiguës et communicantes, ce qui lui permettait de s'occuper d'un patient pendant que l'une des assistantes, dont Mme'[Z], effectuait à côté, sur le second fauteuil, des tâches de blanchiment, de détartrage, de prise d'empreintes et de finitions pour la pose de couronnes, ce qui relevait de la seule compétence du chirurgien dentiste.

Dès lors, non seulement M.'[V] ne peut reprocher à Mme'[Z] d'avoir agi à son insu, mais par son comportement il a conforté la salariée dans l'idée qu'elle pouvait, y compris en son absence, le cas échéant, accomplir les actes qu'il lui déléguait habituellement, étant précisé qu'ainsi que l'indiquent les enquêteurs, la salariée ne percevait aucune rémunération des patients qu'elle traitait seule.

Les deux premiers griefs invoqués à l'appui du licenciement de Mme'[Z] ne sont donc ni réels ni sérieux.

A supposer la réalité du grief relatif à la réalisation d'un bridge provisoire au profit d'une parente de Mme'[Z] établie, cette personne étant elle-même une patiente de M.'[V], ainsi que le relève celui-ci ce ne serait «'qu'une illustration supplémentaire'» des agissements qu'il reproche à la salariée, et par conséquent, compte tenu des développements ci-dessus, il ne constituerait pas un motif sérieux de licenciement.

Dans ces conditions, non seulement la faute grave n'est pas démontrée, mais il n'est établi aucune cause réelle et sérieuse de licenciement à l'encontre de Mme'[Z].

Le jugement doit par conséquent être infirmé.

Le licenciement de Mme'[Z] étant dénué de cause réelle et sérieuse, il ouvre droit au profit de la salariée au paiement du salaire de la période de mise à pied et des indemnités de rupture, ainsi qu'à des dommages-intérêts.

Les montants réclamés par la salariée au titre du salaire de la période de mise à pied ainsi que de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ne sont pas discutés par l'employeur et ont été correctement calculés par l'appelante au vu de son ancienneté, du montant de son salaire et des dispositions applicables.

Il sera fait droit à ses demandes de ces chefs.

Aux termes de l'article'4-3 de la convention collective nationale des cabinets dentaires':

«'Le salarié licencié après deux ans d'ancienneté au service du même employeur a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

L'indemnité se calcule comme suit :

- entre deux et quatre ans, 1/10 de mois de salaire par année de présence ;

Pour toute année incomplète, la fraction de l'indemnité correspondante sera proportionnelle au nombre de mois de présence.

- à partir de quatre ans, un mois de salaire par tranche de quatre ans de présence ou fraction de quatre années supérieure à deux ans.

Exemples :

- à partir de quatre ans de présence, l'indemnité est égale à un mois de salaire ;

- au-dessus de six ans révolus de présence, l'indemnité est égale à deux mois de salaire ;

- après huit ans de présence, l'indemnité est égale à deux mois de salaire'».

Eu égard à son ancienneté au moment du licenciement et au montant de son salaire, Mme'[Z] peut donc prétendre à une indemnité de licenciement 4'460,16'euros. La SELARL du Docteur [V] sera condamnée à lui payer cette somme.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-5 du code du travail, une somme de 18'000'euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif.

Sur les dommages-intérêts supplémentaires

Mme [Z] ne justifie pas d'un préjudice distinct de ceux réparés par les sommes allouées ci-dessus. Sa demande en paiement de dommages-intérêts supplémentaires doit dès lors être rejetée.

Sur la remise de documents

Compte tenu des développements qui précèdent, la demande de la salariée tendant à la remise de documents sociaux conformes est fondée et il y sera fait droit.

Sur les frais irrépétibles

Les conditions d'application de l'article'700 du code de procédure civile sont réunies. Il convient d'allouer à Mme [Z] une somme de 2.500'euros à ce titre.

Par ces motifs

La cour

Infirme le jugement déféré';

Statuant à nouveau et ajoutant,

Condamne la société du Docteur [V] à verser à Mme [Z] les sommes suivantes':

- 1'189,04 euros à titre de rappel du salaire de la période de mise à pied,

- 4'460,16 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 446 euros au titre de l'incidence des congés payés,

- 4'460,16 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 18'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif,

- 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile';

Condamne la SELARL du Docteur [V] à remettre à Mme'[Z], dans un délai de trente'jours à compter de la notification du présent arrêt, des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi conformes';

Déboute les parties du surplus de leurs demandes';

Condamne la SELARL du Docteur [V] aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 10/00996
Date de la décision : 18/10/2011

Références :

Cour d'appel de Paris K3, arrêt n°10/00996 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-10-18;10.00996 ?
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