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11/10/2011 | FRANCE | N°09/06031

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 11 octobre 2011, 09/06031


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 11 Octobre 2011



(n°3 , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/06031



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 09 février 2009 par le conseil de prud'hommes de Paris formation paritaire chambre 2 section encadrement RG n° 07/07721





APPELANTE

SOCIÉTÉ AUREL BGC venant aux droits de la société ETC POLLAK - EP

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Anne-Marie MARTINEZ, avocate au barreau de PARIS substituée par Me Eric MANCA, avocat au barreau de PARIS, toque : P 438





INTIMÉ

M. [L] [V]

[Ad...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 11 Octobre 2011

(n°3 , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/06031

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 09 février 2009 par le conseil de prud'hommes de Paris formation paritaire chambre 2 section encadrement RG n° 07/07721

APPELANTE

SOCIÉTÉ AUREL BGC venant aux droits de la société ETC POLLAK - EP

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Anne-Marie MARTINEZ, avocate au barreau de PARIS substituée par Me Eric MANCA, avocat au barreau de PARIS, toque : P 438

INTIMÉ

M. [L] [V]

[Adresse 1]

[Localité 3]

comparant en personne, assisté de Me Antoine MARGER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0463

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 janvier 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Michèle MARTINEZ, conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Présidente

Madame Michèle MARTINEZ, Conseillère

Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, Conseillère

GREFFIER : Monsieur Eddy VITALIS, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Présidente et par Mademoiselle Véronique LAYEMAR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :

M. [L] [V] a été embauché à compter du 22 octobre 1999 en qualité d'opérateur de marchés, catégorie cadre F, par la société ETC Pollak, aux droits de laquelle se trouve la société AUREL BGC, sociétés ayant une activité d'intermédiaire sur les marchés financiers (courtage), moyennant un salaire annuel fixe de 350 000 francs bruts payables sur douze mois et un intéressement variable de 18% sur le chiffre d'affaires réalisé supérieur à 100 000 francs par mois payé trimestriellement.

A partir du 1er janvier 2004, cette rémunération était portée à 100 000 euros bruts fixes annuels et l'intéressement à 18% sur le chiffre d'affaires net réalisé au-delà d'un point mort mensuel de 15 245 euros.

M. [V] exerçait ses fonctions au 'desk' (pôle) 'govies' (bons du trésor) au sein d'une équipe d'une dizaine de courtiers, sous la responsabilité de M. [Y], directeur du pôle.

En octobre 2006 la société ETC Pollak a décidé de mettre en place une nouvelle organisation des opérations de courtage en fonction de la nature des transactions traitées et en a informé l'équipe du 'desk govies' par courriel du 17 octobre 2006.

Par courriel du 20 octobre 2006, M. [V] a avisé l'employeur qu'il ne pouvait accepter la segmentation de la courbe des taux annoncée, laquelle avait été décidée sans l'accord des personnes concernées, dans un climat de pressions et chantage au licenciement et entraînait pour lui une diminution d'environ 50% de sa rémunération.

Le 24 octobre 2006 le salarié a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour le 31 octobre suivant et il lui était notifié une mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat dans l'attente d'une décision définitive.

M. [V] s'est présenté à l'entretien du 31 octobre 2006.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 novembre 2006, M. [V] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Le 14 novembre 2006, la société ETC Pollak lui a répondu qu'elle considérait qu'il avait démissionné et lui rappelait qu'il était tenu d'effectuer un préavis conventionnel de deux mois.

L'entreprise occupait à titre habituel au moins onze salariés et la convention collective nationale de la Bourse était applicable aux relations de travail.

Le 6 juillet 2007, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de demandes tendant en dernier lieu au paiement des indemnités de rupture, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, du salaire de la période de mise à pied, des congés payés afférents, des intérêts au taux légal et d'une allocation de procédure, ainsi qu'à la remise de documents sociaux conformes.

La société AUREL BGC a réclamé reconventionnellement le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et d'une indemnité de procédure, ainsi que la condamnation de M. [V] à une amende civile.

Par jugement du 9 février 2009, le conseil de prud'hommes, estimant que la prise d'acte constituait un licenciement sans cause réelle et sérieuse' a :

- condamné la société AUREL BGC, aux droits de la société ETC Pollak, à payer à M. [V] :

- 55 057,35 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 5 505,74 euros au titre des congés payés afférents,

- 64 233,58 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 10 399,72 euros au titre du salaire de la période de mise à pied,

- 1 039,97 euros au titre des congés payés afférents,

- les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation,

- 110 114,70 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- 450 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné la remise de documents sociaux conformes,

- débouté M. [V] du surplus de ses demandes et la société AUREL BGC de ses demandes reconventionnelles.

La société AUREL BGC a interjeté appel. Elle demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter M. [V] de toutes ses demandes et de :

- le condamner à lui payer :

- 35 555,55 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- les intérêts au taux légal,

- le condamner au paiement d'une amende civile.

M. [V] conclut à a confirmation du jugement sauf à porter à 220 229,40 euros le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et sollicite en outre :

- 110 114,70 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 18 352,45 euros à titre de dommages-intérêts pour refus de remettre une attestation pour l'ASSEDIC conforme,

- les intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- la capitalisation des intérêts,

- 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l'audience des débats.

Motifs de la décision :

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 novembre 2006, M. [V] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur en ces termes :

'Vous m'avez écarté du desk depuis le 24 octobre dernier, date à laquelle vous avez tenté de me faire signer une convocation à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement , que vous avez assortie d'une mise à pied conservatoire (...)

Cette mesure a directement fait suite à mon refus d'abandonner la clientèle de la courbe des taux de 2 à 10 ans dont je suis l'interlocuteur depuis plus de 6 ans et de voir réduire mon champ d'intervention, et par voie de conséquence, ma rémunération variable, aux seuls clients des taux de 11 à 30 ans.

Je vous ai fait part de mon refus par un mail circonstancié du 20 octobre 2006 auquel vous avez répondu par une lettre du 23 octobre 2006 en affirmant que votre demande de me voir intégrer l'équipe du responsable de la courbe de taux de 11 à 30 ans n'était qu'une modification de mes conditions de travail, ce que le montant de ma rémunération variable suffit à démentir.

Lors de l'entretien préalable du 31 octobre dernier au cours duquel j'ai été assisté du représentant du personnel, je vous ai confirmé mon refus d'abandonner une grande partie de mon chiffre d'affaires et vous avez répondu que vous étiez en droit de différer votre décision à un mois.

Sur l'insistance de M. [Z] [D] qui assistait à l'entretien et souhaitait savoir si des contacts avaient été pris avec mes clients habituels, vous avez répondu par l'affirmative démontrant ainsi que vous m'avez éloigné du desk pour mettre en place la réorganisation que je refuse en me coupant de mes clients.

Pour autant, vous refusez d'en tirer les conclusions qui s'imposent : soit en revenant sur votre décision de réorganisation et en me réintégrant avec rappel de salaire, soit en procédant à mon licenciement.

Je me vois donc contraint de tirer les conséquences de votre comportement et de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail du fait de la modification de mon contrat et de la procédure abusive dont je fais actuellement l'objet'.

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse , si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

M. [V] reproche à l'employeur :

- de lui avoir imposé une modification de son contrat de travail pour motif économique sans respecter les formes prévues par le code du travail,

- à la suite de son refus de cette modification, d'avoir mis en oeuvre une procédure disciplinaire abusive et illicite,

- d'avoir profité de cette mise à pied pour contacter ses clients.

L'employeur répond que la nouvelle organisation décidée en octobre 2006 avait pour but d'optimiser le fonctionnement et le rendement du 'desk', qu'elle constituait une modification des conditions de travail et qu'elle n'avait aucun impact sur la rémunération de M. [V]. Il soutient qu'en réalité le salarié a utilisé ce prétexte pour quitter la société et passer déloyalement à la concurrence, c'est-à-dire au service de la société GFI, comme l'ont fait plus de la moitié des courtiers de l'équipe 'govies' entre septembre et novembre 2006, puisque M. [V] a rejoint les effectifs de la société GFI dès le 11 janvier 2007.

Il résulte des pièces produites les faits qui suivent.

En octobre 2006, alors que jusque là chaque courtier du pôle 'govies', dont M. [V], gérait un certain nombre de clients indépendamment du produit concerné, la société ETC Pollak a décidé de mettre en place une nouvelle organisation des opérations de courtage en fonction de la nature des transactions traitées.

C'est dans ces conditions que, par courriel du 17 octobre 2006, la société a avisé l'équipe du pôle 'govies' de la réorganisation du pôle à compter du 23 octobre suivant par la segmentation de l'équipe en fonction des courbes de taux, à savoir :

- une première équipe traitant de la courbe de taux 2 à 10 ans,

- et une seconde équipe s'occupant de la courbe de taux 11 à 30 ans et +, à laquelle M. [V] était affecté, sous la responsabilité de M. [D].

Par courriel du 20 octobre 2006, M. [V] a avisé l'employeur qu'il ne pouvait accepter la segmentation de la courbe des taux annoncée, laquelle avait été décidée sans l'accord des personnes concernées, dans un climat de pressions et chantage au licenciement et entraînait pour lui une diminution d'environ 50% de sa rémunération.

Par courrier du 23 octobre 2006, la société ETC Pollak constatant que M. [V] avait refusé d'intégrer sa nouvelle équipe le matin même, a avisé celui-ci qu'en cas de persistance dans cette attitude le lendemain, il encourait une sanction disciplinaire 'à effet immédiat'.

Le 24 octobre 2006 le salarié a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour le 31 octobre suivant et il lui était notifié une mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat dans l'attente d'une décision définitive.

Lors de l'entretien du 31 octobre 2006, M. [V] était assisté de M. [J], représentant du personnel, lequel dans un courriel du même jour en a fait la relation suivante :

'La direction a d'abord demandé à [L] [V], après ces quelques jours de réflexion, s'il avait changé d'avis.

[L] [V] a répondu qu'il n'était toujours pas d'accord et davantage opposé à la segmentation et au fait qu'on prenne ses comptes.

Après cette réponse, la direction a confirmé que la mise à pied conservatoire était à durée indéterminée, et que ce n'était pas une mesure disciplinaire, jusqu'à la décision définitive de la direction concernant le refus des nouvelles conditions de travail par [L] [V]. (...)

1ère question de [Z] [D] portant sur la mise à pied à titre conservatoire de [L] [V], qui doit durer jusqu'à la décision définitive de la société qui a 30 jours pour se prononcer.

2ème question de [Z] [D] portant sur le fonctionnement du desk sans [L] [V] ('comment le desk peut-il fonctionner normalement sans [L] '') (...)

[L] [V] prend la parole pour confirmer qu'il n'est pas d'accord avec le fait qu'on veuille lui prendre ses clients, que cela constitue une amputation de son salaire de 50%, sans consultation ni accord de sa part (...)

[L]e [V] ajoute (...) que la direction a autorisé des personnes à démarcher ses clients sur toute la courbe (2 à 30 ans). Ses clients ont reçu des bloombergs de la part de personnes du desk moyen terme (2 à 10 ans). Et d'ajouter que cette mise à pied est une mise à l'écart pour appeler ses clients.

La direction a demandé si les bloombergs contenaient des prix ou des cotations.

[Z] [D] demande si les clients de [L] [V] ont été appelés avant la mise à pied. Il insiste pour avoir une réponse (..).

La direction pense (puis affirme devant l'insistance de [Z]) que les clients n'ont pas été appelés pour faire du business. (...)

[L] [V] reprend la parole pour affirmer qu'il est toujours contre la segmentation, ainsi que [W] [Y], il conteste l'arrivée de nouveaux sur le desk pour prendre ses clients, qu'il est le seul à qui on veut prendre des clients. Il rappelle qu'il est un très gros producteur. Il constate que la direction n'a rien fait pour défendre ses intérêts ni engager le dialogue. Il n'a rien à dire de plus. (...)'.

C'est dans ces conditions que M. [V] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 9 novembre 2006 dans les termes énoncés ci-dessus.

Si l'employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction peut apporter des modifications au contrat de travail, il ne peut en revanche, sans l'accord du salarié, modifier le contrat de travail.

En l'espèce, s'il est exact que la nouvelle répartition des dossiers envisagée par l'employeur ne changeait pas la structure et le mode de calcul de la rémunération de M. [V], elle en affectait nécessairement le montant puisqu'elle avait un impact sur sa partie variable proportionnelle au chiffre d'affaires réalisé, dépendant directement de la clientèle traitée et qui constituait une part importante du salaire de celui-ci.

L'employeur lui-même, après avoir affirmé que la nouvelle répartition n'avait aucun impact sur la rémunération de M. [V], ajoute que celui-ci en effet 'continuait, conformément aux dispositions de son contrat de travail à percevoir une rémunération variable de 18% net réalisé au-delà d'un point mort mensuel de 15 245 euros'. Il ne justifie pas, par ailleurs, avoir de façon ferme et officielle assorti la segmentation projetée d'une garantie du montant du salaire, l'attestation de M. [T], l'un des dirigeants de l'entreprise, certifiant qu'il avait avisé le salarié 'qu'il serait compensé dans le cas peu probable d'une baisse de son chiffre d'affaires' ne présentant pas des garanties suffisantes d'objectivité pour constituer une preuve fiable.

Dès lors, et indépendamment du fait que le salarié n'était pas propriétaire de sa clientèle et que la nouvelle organisation, qui entrait en vigueur le 23 octobre 2006, n'avait pas encore trouvé de traduction sur le salaire de l'intéressé lors de sa prise d'acte du 9 novembre 2006, la modification mise en oeuvre n'était pas un simple changement dans les conditions de travail de M. [V] mais constituait une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail, à savoir sa rémunération, et, comme telle, ne pouvait se faire sans son accord.

Le refus par le salarié de cette modification unilatérale de son contrat de travail n'était donc pas fautif en lui-même.

L'employeur, qui de surcroît ne démontre pas que la réorganisation mise en place répondait à l'un des motifs économiques énoncés à l'article L.1233-3 du code du travail, ne justifie pas en tout état de cause l'avoir proposée au salarié dans les formes exigées par l'article L.1222-6 du code du travail.

Les pièces produites par la société AUREL BGC, si elles révèlent qu'effectivement une partie importante de l'effectif de son 'desk govies' a, dans une période relativement brève, quitté le service de la société ETC Pollak et a été recrutée par la société GFI, concurrent direct nouvellement arrivé sur ce secteur de marché, ne permettent pas de démontrer qu'au-delà de ce seul constat de fait, M. [V], dont il est établi qu'il s'opposait légitimement à la modification de son contrat de travail qu'elle entendait lui imposer, se serait livré antérieurement ou concomitamment à des manoeuvres déloyales pour obtenir la rupture des relations contractuelles entre eux.

Le premier manquement reproché à l'employeur à l'appui de la prise d'acte du salarié est par conséquent établi et est suffisamment grave pour justifier cette prise d'acte de rupture.

Par ailleurs, il résulte des explications et des pièces fournies que, non seulement l'employeur n'a pas recueilli préalablement le consentement du salarié, mais qu'il a, de plus, annoncé et mis en oeuvre la réorganisation du pôle sans concertation ni information préalable, de façon brutale en quelques jours et qu'il a aussitôt entrepris une procédure disciplinaire en se cantonnant dans une posture de principe et sans répondre aux arguments du salarié.

Au-delà du caractère injustifié de cette procédure disciplinaire, la société ETC Pollak a ainsi agi fautivement et de mauvaise foi envers un salarié ancien et dont elle reconnaît elle-même qu'il avait des résultats exceptionnels pour le plus grand profit de l'entreprise.

C'est ensuite avec cette même mauvaise foi qu'elle a exercé une pression morale et économique sur le salarié en le mettant à pied, c'est-à-dire en le privant de son salaire, pour une période dont elle a laissé entendre qu'elle pouvait se prolonger de façon indéterminée et en mettant à profit cette exclusion de fait du salarié hors de l'entreprise pour contacter la clientèle qu'il avait apportée en grande partie et qu'il gérait.

Cette déloyauté dans l'exécution du contrat de travail rendait, elle aussi, impossible le maintien du lien salarial.

La prise d'acte de rupture par le salarié était donc justifiée et elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvrant droit au profit du salarié au paiement des indemnités de rupture, de dommages-intérêts et du salaire de la période de mise à pied elle-même injustifiée.

Au vu des bulletins de salaire produits et de l'attestation destinée à l'ASSEDIC, la moyenne mensuelle du salaire brut de M. [V] sera fixée à 17 777,75 euros comme le demande l'employeur.

Compte tenu de l'ancienneté du salarié, de sa catégorie professionnelle, du montant de son salaire et des dispositions légales et conventionnelles applicables, la société AUREL BGC doit être condamnée à lui payer :

- 53 333,25 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois de salaire),

- 5 333,32 euros au titre des congés payés afférents,

- 62 222,12 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement (17 777,75€ x 0,5 x 7ans),

- 10 074,05 euros au titre du salaire de la période de mise à pied de 17 jours (17 777,75€ x 17/30),

- 1 007,40 euros au titre des congés payés afférents.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences de la rupture à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure d'allouer à M. [V], une somme de 112 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera en conséquence infirmé.

Il n'y a pas lieu de faire droit en supplément à la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail formée par le salarié, cet élément ayant été pris en compte pour la justification de la prise d'acte et pour l'appréciation du préjudice en résultant et M. [V], qui a retrouvé sans difficulté un travail similaire deux mois après la rupture, ne démontrant aucun préjudice distinct de celui réparé par les sommes ci-dessus allouées.

M. [V] a retrouvé sans difficulté un travail deux mois après la rupture dans des conditions financières similaires. En l'absence de démonstration d'un préjudice plus ample et distinct de ceux réparés ci-dessus, il lui sera alloué une somme de 100 euros pour le préjudice nécessairement causé par la remise d'une attestation pour l'ASSEDIC erronée.

Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal conformément aux articles 1153 et 1153-1 du code civil ainsi que prévu au dispositif et les intérêts seront capitalisés conformément à l'article 1154 du code civil.

Les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile sont réunies. Il convient d'octroyer à M. [V] une somme de 3 000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS :

La cour

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles de la société AUREL BGC ;

Statuant à nouveau et ajoutant,

Dit que la prise d'acte de rupture de M. [V] aux torts de la société ETC Pollak est justifiée et qu'elle produit à sa date les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société AUREL BGC à payer à M. [V] :

- 53 333,25 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 5 333,32 euros au titre des congés payés afférents,

- 62 222,12 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 10 074,05 euros au titre du salaire de la période de mise à pied,

- 1 007,40 euros au titre des congés payés afférents,

- les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,

- 112 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,

- 100 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice lié à la délivrance d'une attestation pour l'ASSEDIC erronée avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les intérêts seront capitalisés conformément à l'article 1154 du code civil ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire, en particulier celle en paiement de dommages-intérêts distincts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Condamne la société AUREL BGC aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 09/06031
Date de la décision : 11/10/2011

Références :

Cour d'appel de Paris K3, arrêt n°09/06031 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-10-11;09.06031 ?
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