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22/09/2011 | FRANCE | N°09/05484

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 22 septembre 2011, 09/05484


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5



ARRET DU 22 SEPTEMBRE 2011



(n° ,10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 09/05484



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Février 2009 -Tribunal de Commerce d'EVRY - RG n° 2006F00691





APPELANTE



S.A. TRADELINK

ayant son siège : [Adresse 4]



représentée par la SCP HARDOUIN, avoué

s à la Cour

assistée de Me Alexandre MALAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0574, plaidant pour la société d'avocats B&M Associés,







INTIMEES



S.A. ALLIANZ IARD anciennement dénommée C...

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRET DU 22 SEPTEMBRE 2011

(n° ,10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/05484

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Février 2009 -Tribunal de Commerce d'EVRY - RG n° 2006F00691

APPELANTE

S.A. TRADELINK

ayant son siège : [Adresse 4]

représentée par la SCP HARDOUIN, avoués à la Cour

assistée de Me Alexandre MALAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0574, plaidant pour la société d'avocats B&M Associés,

INTIMEES

S.A. ALLIANZ IARD anciennement dénommée Compagnie Assurances Générales de France IART

ayant son siège : [Adresse 2]

représentée par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU et PELIT JUMEL, avoués à la Cour

assistée de Me Jean-Marie COSTE-FLORET, avocat au barreau de PARIS, toque : P 267, plaidant pour la SCP SOULIE et COSTE-FLORET,

S.A.S L.R. BEVA

ayant son siège : [Adresse 3]

représentée par la SCP OUDINOT-FLAURAUD, avoués à la Cour

assistée de Me Gilles BOIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1793, plaidant pour la société d'avocats HOGAN LOVELLS LLP et substituant Me Antoine DE BROSSES,

S.A.R.L. PLANETE SOIF

ayant son siège : [Adresse 1]

représentée par la SCP BERNABE-CHARDIN-CHEVILLER, avoués à la Cour

ayant pour avocat Me Hervé LECLERCQ, avocat au barreau de BOULOGNE SUR MER, plaidant pour la société d'avocats LEGIS CONSEILS,

Société SGS MULTILAB

ayant son siège : [Adresse 5]

représentée par la SCP MONIN ET D'AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour

assistée de Me Edouart TAY PAMART, avocat au barreau de PARIS, toque : J 040, plaidant pour la société d'avocats HOLMAN FENWICK & WILLAN,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Juin 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Colette PERRIN, Présidente et Madame Janick TOUZERY-CHAMPION, Conseillère chargée d'instruire l'affaire .

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Colette PERRIN, présidente

Madame Janick TOUZERY-CHAMPION, conseillère

Madame Patricia POMONTI, conseillère

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Anne BOISNARD

ARRET :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Colette PERRIN, présidente et par Mademoiselle Anne BOISNARD, greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

La loi du 9 août 2004, entrée en vigueur au 1er janvier 2005, a institué, pour des raisons de santé publique, une taxe additionnelle de 11 euros par décilitre sur les boissons constituées par des produits dont le taux d'alcool est compris entre 1,2 et 12 degrés par litre et contenant plus de 35 grammes de sucre ou d'équivalent par litre.

La société Tradelink, qui importe et commercialise en France depuis janvier 2004 une gamme de produits dits « Malt Alternatifs » ou Premix (qui sont des boissons alcoolisées aromatisées et sucrées) a interrogé son fournisseur importateur exclusif, la SARL Planète Soif, sur la taxe relative aux boissons qu'il vend en France et qui sont fabriquées au Royaume-Uni par la société Axis Bottling Ltd.

Cherchant à vérifier si les bières Blue Shark et Pinkly seront soumises à la taxe additionnelle instituée par la loi précitée, la société Planète Soif a d'abord saisi, le 6 septembre 2004, le laboratoire SGS Multilab pour lui demander des analyses en taux de sucre desdites boissons, lequel lui a remis le 16 décembre 2004 deux analyses de composition en sucres et édulcorants.

Le 5 novembre 2004, la société Planète Soif a commandé à un second laboratoire Nutrinov une « cartographie des sucres » sur les deux boissons précitées et le 30 novembre suivant ,cette dernière société a rendu ses rapports d'analyse qui ont été aussitôt transmis à la société Tradelink.

Le 11 août 2005, l'Administration des Douanes a saisi plusieurs échantillons des boissons Premix et a effectué des analyses qui ont révélé un taux de sucre inverti dépassant les 35 grammes au litre. Le 31 janvier 2006, les services des Douanes ont établi un procès-verbal de notification d'infraction et ont évalué les droits impayés sur les boissons Premix commercialisées depuis le 1er janvier 2005 à la somme de 1.447.270 euros. Le 1er février 2006, cette notification a été suivie d'un avis de mise en recouvrement.

Le 9 juin 2006, les services des Douanes ont notifié à la société Tradelink leur intention d'engager une procédure contentieuse sur le fondement de l'article 414 du code des douanes ; le 23 février 2007, le Comité des Douanes a accepté une transaction de 5.000 euros, limitant fortement ses prétentions au regard de la bonne foi invoquée par cette société.

Estimant avoir été trompée par le caractère incomplet des analyses des deux laboratoires Nutrinov et SGS Multilab, la société Tradelink les a fait assigner par actes des 8 novembre 2006 ; puis par acte du 2 février 2007, la société Nutrinov a appelé en garantie son assureur la compagnie AGF IART et par acte du 27 décembre 2007, cette dernière a, à son tour, attrait en justice la SARL Planète Soif.

Par jugement du 18 février 2009, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce d'Evry, a :

- donné acte à la SARL LR Beva de ce qu'elle vient aux droits de la SAS Nutrinov,

- déclaré la société Tradelink bien fondée dans son intérêt à agir et recevable en son action,

- débouté la SA Tradelink de toutes ses demandes, en considérant que les fautes imputées aux laboratoires ne sont pas établies,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné la SA Tradelink à payer à la Sas SGS Multilab et à la SARL LR Beva chacune la somme de 1.500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 17 mai 2011, la société Tradelink, appelante, demande :

- la confirmation du jugement dont appel en ce qu'il a déclaré recevable sa demande

- l'infirmation du surplus du jugement ,

- la constatation des fautes des laboratoires LR Beva et SGS Multilab qui sont la cause directe de son préjudice,

- la condamnation in solidum des sociétés SGS Multilab, LR Beva et Allianz à lui payer:

* la somme de 1.447.270 euros au titre du redressement douanier sur les produits Blue Shark et Pinkly commercialisés par elle depuis le 1er janvier 2005,

* la somme de 5.000 euros au titre de l'amende transactionnelle payée aux services des Douanes,

* la somme de 112.000 euros correspondant au coût du prêt souscrit par elle auprès de la Société Générale pour assurer le paiement du redressement opéré par les Douanes,

* la somme de 18.981 euros au titre du surcoût de l'engagement de caution de la Société Générale en faveur de l'administration des douanes, consécutif au redressement opéré par cette dernière ,

* la somme de 24.293 euros pour le coût des licenciements économiques consécutifs à la dégradation de la surface financière de la société Tradelink en raison du redressement opéré par les services des Douanes,

* la somme de 56.000 euros représentant le coût de résiliation du contrat avec la société Code CHR en mars 2006 pour faire face à la dégradation de sa situation financière en raison du redressement opéré par les services des Douanes,

* la somme de 8.000 euros, correspondant au montant estimatif des frais liés aux opérations d'escompte et de Dailly auxquelles elle doit recourir pour compenser l'utilisation de sa trésorerie pour le paiement du redressement douanier,

* la somme de 13.000 euros au titre du manque à gagner lié aux intérêts qui auraient été perçus sur le placement de sa trésorerie et qui ont été perdus du fait de l'utilisation de cette trésorerie pour le paiement du redressement douanier,

* la somme de 318.506 euros, correspondant au surcoût de taux d'intérêts contractés pour financer l'opération immobilière dans laquelle elle se trouvait engagée avant le redressement douanier, lié à des conditions de prêt moins avantageuses en raison de la dégradation du crédit de la société,

* la somme de 33.000 euros pour la perte de marge commerciale sur la vente des produits Pinkly et Blue Shark,

ces condamnations portant intérêt au taux légal à compter du 10 avril 2006, date de la première mise en demeure envoyée aux sociétés LR Beva et SGS Multilab, jusqu'à complet paiement,

-la condamnation in solidum des sociétés SGS Multilab, LR Beva et AGF IART à lui payer la somme de 40.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Tradelink fait valoir qu'elle a subi un préjudice découlant directement de la négligence des laboratoires, commise dans le cadre des analyses sollicitées par la société Planète Soif, et soutient ainsi que sa demande contre les laboratoires est parfaitement recevable sur le fondement délictuel .Elle affirme en outre que les laboratoires SGS Multilab et Nutrinov ont commis des fautes en délivrant une réponse incomplète et sans explications à la société Planète Soif et en n'attirant pas l'attention du client sur la façon d'interpréter les résultats pour déterminer l'équivalence en sucre des teneurs en édulcorants trouvées. Elle fait également valoir que la SGS Multilab connaissait les modalités d'interprétation des équivalences en sucres avant leur publication par l' administration des Douanes. Elle soutient encore que la société Nutrinov n'a pas correctement rempli sa mission d'analyse des sucres et a manqué à son obligation en ne cherchant pas à s'informer des besoins précis de son client. Elle excipe d'une obligation d'information et de conseil à la charge des laboratoires.

Par conclusions récapitulatives du 9 décembre 2009, la SAS LR Beva, venant aux droits de la société Nutrinov, intimée faisant appel incident, sollicite :

- la confirmation de la décision rendue par le tribunal de commerce d'Evry le 18 février 2009,

- à titre principal, la constatation que la société Nutrinov n'a pas manqué à son

obligation d'infirmation et de conseil,

- le rejet des prétentions de la société Tradelink,

- à titre subsidiaire, la constatation que le préjudice de la société Tradelink

se limite au coût d'une seconde analyse, et diminuer en conséquence le montant d'indemnisation réclamé,

- la condamnation de la société AGF IART à la garantir de toutes les condamnations en principal, frais, dépens et/ ou débours qui pourraient être prononcés à son encontre à la demande de la société Tradelink,

- en tout état de cause, la condamnation de la société Tradelink à lui verser la somme de 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société LR Beva fait valoir qu'elle n'a pas manqué à son obligation de conseil, laquelle n'est ni générale, ni absolue et n'est due que dans la mesure où le créancier de cette obligation est effectivement ignorant et n'a ni les moyens, ni la compétence pour s'informer correctement.

Elle ajoute que pour établir un manquement à l'obligation d'information, il faut également que le créancier de l'obligation ait pris soin de renseigner au préalable son partenaire sur ses besoins spécifiques, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. A titre subsidiaire, elle considère que le préjudice allégué par la société Tradelink n'était pas prévisible pour elle et que certains éléments de ce préjudice sont sans aucune relation avec un prétendu manquement à l'obligation de conseil.

Par conclusions récapitulatives du 16 mars 2011, la société Allianz IARD, intimée formant appel incident, demande de :

- à titre principal,

constater qu'aucune faute n'est caractérisée à l'encontre de la société Nutrinov,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal d'Evry en toutes ses dispositions,

- débouter la société Tradelink de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Nutrinov et d'elle-même,

- juger que l'appel en garantie dirigé à son encontre est privé d'objet,

- à titre subsidiaire, sur la garantie des sociétés Planète Soif et SGS Multilab,

condamner la société Planète Soif à la garantir intégralement des condamnations susceptibles d'être supportées par elle-même en sa qualité d'assureur de la société Nutrinov,

- condamner la société SGS Multilab à la garantir intégralement des condamnations susceptibles d'être supportées par elle-même en sa qualité d'assureur de la société Nutrinov,

- à titre très subsidiaire, sur le quantum des demandes,

juger que les pertes alléguées par la société Tradelink n'étaient pas prévisibles par la société Nutrinov,

- estimer que les seules pertes que la société Nutrinov pouvaient prévoir correspondent aux frais pouvant raisonnablement être engagés afin de réaliser une nouvelle analyse permettant de vérifier si les produits Pinkly et Blue Shark étaient assujettis à la taxe additionnelle instituée par la loi dite Bur,

- retenir que le préjudice susceptible d'être invoqué par la société Tradelink à l'encontre de la société Nutrinov est une perte de chance, correspondant à la chance pour Tradelink d'éviter la perte alléguée ' que la faute de la société Nutrinov lui aurait fait perdre,

- juger que la société Tradelink n'a pas justifié de l'existence d'une perte de chance,

ou de l'étendue des préjudices qu'elle a allégués,

- juger que la société Tradelink n'a pas établi le lien de causalité entre les préjudices allégués et le fait reproché à la société Nutrinov,

- rejeter l'ensemble des demandes présentées par la société Tradelink à l'encontre de la société Nutrinov,

- juger que l'appel en garantie dirigé à son encontre est privé d'objet,

- à titre infiniment subsidiaire, sur les limites de garantie contractuelle de la société Allianz,

- lui donner acte de ce que la garantie sollicitée par la société Nutrinov ne peut s'appliquer que dans la limite des termes et conditions de la police d'assurance et de ses avenants,

- juger que la garantie ne saurait s'appliquer qu'après déduction de la franchise contractuelle de 4.573 euros et dans la limite du plafond de la garantie de 153.000 euros,

- en toute hypothèse, condamner tout succombant à lui verser la somme de 10.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

La compagnie Allianz fait valoir que c'est à juste titre que le tribunal a conclu à l'absence de faute de la société Nutrinov dans l'exécution des commandes passées avec la société Planète Soif. Elle soutient que contrairement à ce que la société Tradelink affirme, il n'appartenait aucunement à la société Nutrinov de recadrer la demande de la société Planète Soif . Elle estime que la société Tradelink est seule responsable du préjudice qu'elle revendique dès lors qu'elle ne pouvait ignorer les modalités d'application de la loi Bur.

Subsidiairement la société Allianz sollicite la garantie de la SARL Planète Soif et prétend que si une partie au contrat conclu entre les sociétés Nutrinov et Panète Soif a manqué à une obligation contractuelle, c'est incontestablement la société Planète Soif qui a, à l'origine, commis une faute dans la formulation de sa demande. Elle sollicite également la garantie de la société SGS Multilab ; à ce titre, la compagnie d'assurance souligne le fait que la société Nutrinov, contrairement à la société SGS Multilab, n'a jamais été informée de ce que son analyse se référait à la loi du 8 août 2004 et insiste sur la disproportion de la gravité des fautes commises par les deux laboratoires.

Par conclusions signifiées le 4 mai 2011, la société SGS Multilab, intimée faisant appel incident, demande de :

- à titre principal, constater qu'elle n'a pas commis de faute dans l'exécution du contrat qui la liait à la société Planète Soif,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Evry en date du 18 février 2009,

- subsidiairement,

- constater que la société Tradelink ne rapporte pas la preuve du lien de causalité entre la faute qu'elle lui reproche et le préjudice qu'elle allègue, ni celle du préjudice qu'elle aurait subi,

- débouter la société Tradelink de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Evry par substitution de motifs,

- en tout état de cause,

- condamner la société Tradelink à lui verser une indemnité de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle allègue qu'aux termes du devis, qui a été accepté par la société Planète Soif et qui constitue la loi des parties, sa mission était exclusivement de déterminer les teneurs absolues en sucres et édulcorants des deux produits remis. Elle argue qu'il appartenait à la société Planète Soif d'interpréter les résultats, soit elle-même, soit en soumettant à l'administration des douanes ou à la DGCCRF les résultats bruts des analyses réalisées par elle pour obtenir leurs avis sur l'application de la nouvelle taxe à ses produits . Elle prétend qu'elle n'avait en revanche aucune obligation de donner à la société Planète Soif des indications sur la manière de procéder à cette interprétation. Subsidiairement, elle insiste sur l'absence de lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice qui aurait été subi par la société Tradelink dès lors qu'il appartenait aux sociétés Tradelink et Planète Soif de se tenir informées de la parution de textes ou de lignes directrices sur l'application d'une taxe spécifique; elle considère ainsi que les fautes professionnelles commises par les sociétés Tradelink et Planète Soif sont à l'origine exclusive du préjudice allégué par Tradelink

Par conclusions récapitulatives du 10 mai 2011, la SARL Planète Soif, intimée faisant appel incident, sollicite le rejet de la demande en garantie formée par la compagnie Allianz IART à son encontre et sa condamnation à lui régler une somme de 5.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile

.

Elle estime qu'aucune responsabilité ne peut peser sur elle, dès lors qu'elle n'est pas un professionnel de la production des produits alcoolisés et qu'elle a pris toutes les initiatives qu'il était possible de prendre en consultant deux laboratoires spécialisés .Elle soutient que l'obligation de conseil qui pesait sur la société Nutrinov aurait du conduire ce laboratoire à attirer son attention sur l'inutilité de l'analyse portant sur les seuls sucres classiques. Elle considère, s'agissant de la société Multilab, que le laboratoire ne peut se retrancher derrière un devis pour faire fi de son obligation de conseil ,d'une part, et de sa demande expresse, d'autre part.

La Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Considérant que la société Tradelink reproche aux deux laboratoires SGS Multilab et LR Beva d'avoir commis une faute en délivrant à la société Planète Soif une information incomplète, en ce qu'elle ne comprend aucune explication sur la façon d'interpréter les résultats pour déterminer l'équivalence en sucre des teneurs en édulcorants contenues dans les deux boissons appelées Blue Shark et Pinkly, alors qu'ils sont débiteurs, selon elle, d'une obligation d'information et de conseil ;

Qu'il n'est pas contesté que la société Tradelink, tiers au contrat formé entre la société Planète Soif et les deux laboratoires, est fondée à invoquer, sur le fondement délictuel, un manquement contractuel qui lui aurait occasionné un dommage ;

Considérant que le 6 septembre 2004, la société Planète Soif a demandé au laboratoire SGS Multilab une 'analyse sur 2 produits 'RTD': Blue Shark et Pinkly' en expliquant 'nous avons besoin de valider le taux de sucre inverti' et en joignant le projet de loi qui devait entrer en vigueur à partir du 1er janvier prochain, prévoyant 'une application de la taxe aux boissons alcooliques et mélange de boissons alcooliques titrant de 1,2 % d'alcool à 12 $gt;% d'alcool, qui contiennent plus de 35 grammes de sucre ou une édulcoration équivalente par litre, exprimée en sucre inverti' ;

Que le 8 septembre 2004 la société SGS Multilab a adressé à cette dernière un devis extrêmement précis, faisant mention de la détermination de deux paramètres, d'une part, la teneur en sucres( fructose, glucose, saccharose, maltose) , d'autre part, en édulcorants de synthèse (acésulfame, aspartame, saccharinate); que le même jour cette dernière a donné son accord par écrit ;

Qu'ainsi le laboratoire, en cherchant à circonscrire la demande de sa cliente, s'est bien enquis de ses besoins, a proposé ce devis, lequel a été expressément accepté par la société Planète Soif sans aucune réserve, emportant ainsi formation d'un contrat entre elles; que l'accord entre les parties porte donc uniquement sur l'énoncé du devis accepté, qui fixe seul l'étendue de la mission du laboratoire; que contrairement aux allégations de l'appelante, il lui appartenait dans ce contexte de ne pas signer ce devis s'il ne répondait pas à sa demande ou à ses besoins ou encore de préciser ses besoins et ses objectifs à atteindre afin de donner des instructions claires ;

Que le fait pour la société SGS Multilab de n'avoir pas effectué un calcul d'équivalence en sucre des édulcorants ou n'avoir pas déterminé si les deux produits litigieux seraient ou non soumis à la taxe additionnelle prévue par la loi Bur ne peut être constitutif d'une faute qui lui serait imputable, puisque ces points, qui ne figuraient pas dans la mission confiée par la société Planète Soif limitée à la détermination de la teneur en sucres et en édulcorants de synthèse apparaissant bien dans le rapport du 16 septembre 2004 remis par le laboratoire à celle-ci, ne sont pas entrés dans le champ contractuel liant les parties ;

Considérant que la société Tradelink fait également grief au laboratoire d'avoir manqué à son obligation contractuelle d'information au motif que les mesures d'équivalence sont une donnée d'interprétation essentielle des résultats qu'il lui communiquait ; qu'elle soutient que si le laboratoire n'avait pas la mission de calculer lui-même les équivalences en sucre inverti des teneurs en édulcorants, il devait, à tout le moins, mentionner dans son rapport que l'interprétation des données devait se faire en multipliant par 100 au minimum les valeurs en édulcorants ;

Considérant que le devoir d'information et de conseil doit s'apprécier au regard des compétences respectives des parties; que l'étendue de l'information varie selon que le client est ou non un professionnel avisé ;

Que la société SGS Multilab a pour activité la réalisation d'analyses de laboratoires dans des domaines variés, notamment en matière agro-alimentaire ;

Que la société Tradelink a pour activité principale l'importation et la distribution de produits alimentaires et de boissons notamment alcoolisées; que la société Planète Soif a pour activité ' toutes prestations de services, logistique, promotion se rattachant au négoce de boissons alcoolisées ou non, opérations de commerce import-export et entreposage de toutes boissons alcoolisées, toutes matières premières employées dans ces boissons'; que sur son site internet, elle se dit 'spécialisée dans la distribution de produits alcoolisés de marque consommés par les britanniques';

Que cette dernière, distributeur et entrepositaire agréée, ne peut donc ignorer les caractéristiques de ses produits , même si elle n'en est pas le fabricant, ce qui n'est au demeurant pas démontré ; que les boissons Blue Shark (alcoolisée à base de malt à l'arôme de vodka et de citron) et Pinkly ( alcoolisée à base de malt à l'arôme de vodka et de pamplemousse) contiennent un édulcorant (aspartame)qui figure naturellement sur leurs étiquettes; que la société Planète Soif ne saurait donc être considéré comme un profane en matière de boissons alcoolisées ;

Que le haut pouvoir sucrant des édulcorants est une donnée de notoriété publique; qu'ainsi l'aspartame, qui figure comme un ingrédient essentiel pour ces deux boissons, est d'un usage courant pour nombre de consommateurs qui remplacent un morceau entier de sucre par une pastille de 2 millimètres environ ; que la société Planète Soif ne pouvait donc ignorer légitimement cette donnée ; qu'au cas particulier les analyses des services des douanes ont démontré que les boissons Blue Shark et Pinkly contenaient respectivement 69 et 75 grammes de sucres invertis par litre ;

Qu'en toute hypothèse, à compter du 31 janvier 2005 est parue au bulletin officiel des douanes la loi relative au régime fiscal des boissons alcooliques; qu'en annexe 2 était joint la liste des sucres et édulcorants autorisés dans les boissons alcooliques ainsi qu'un tableau relatif au 'pouvoir sucrant des sucres et édulcorants'; qu'il y est notamment précisé que l'aspartarme a un pouvoir sucrant de 200 ;

Qu'il s'ensuit qu' au moins à compter de cette dernière date, la société Planète Soif ne peut sérieusement soutenir qu'elle ne connaissait pas cette donnée ;

Qu'à supposer même qu'elle ne connaissait pas le haut pouvoir sucrant des édulcorants, il lui suffisait de prendre sérieusement connaissance de cette loi pour être totalement informée; qu'en sa qualité de professionnel avisé, il lui incombait -et non au laboratoire comme elle le prétend- de se tenir informée de la nouvelle législation s'appliquant aux boissons alcoolisées susceptible d'avoir une incidence sur la commercialisation de ses produits ;

Que contrairement à ce qu'elle soutient, la publication ultérieure par les services des douanes par rapport à sa saisine du laboratoire, exonère ce dernier de toute éventuelle responsabilité, dans la mesure où il appartenait à la société Planète Soif, en qualité de professionnel des boissons alcoolisées, de se renseigner sur les modalités d'application de cette nouvelle loi, pour pouvoir agir au mieux de ses intérêts commerciaux ; qu' elle connaissait également parfaitement les motivations de santé publique qui ont conduit le législateur à réglementer les boissons dites 'prémix' en imposant une taxe supplémentaire ; qu'en effet la forte teneur en sucres, qui adoucit le gôut de ces boissons et 'couvre' l'alcool qu'elles contiennent, incite, notamment les très jeunes gens, à la consommation de ces boissons, jeunes gens que le législateur a donc cherché à protéger ;

Qu'enfin il importe d'observer que la société Planète Soif n 'aurait pas du interpréter seule les résultats bruts de l'analyse du laboratoire, sans les soumettre à nouveau à ce dernier au regard de son objectif; qu'elle aurait également pu soumettre ces résultats à l'administration des douanes ou à la DGCCRF pour obtenir leur avis sur l'application de la nouvelle taxe à ses produits; que si, ainsi qu'elle le prétend à juste titre, elle n'avait pas l'obligation de consulter l'administration des Douanes avant la mise sur le marché de ses produits, elle a néanmoins perdu une chance d'être réellement informée en interprétant seule des résultats scientifiques ;

Considérant que la société Tradelink fait également grief au laboratoire d'avoir violé les normes d'accréditation ISO sur les bonnes pratiques de laboratoire, entrées dans le champ contractuel; qu'il aurait du fournir à la société Planète Soif des indications sur la manière d'interpréter correctement les teneurs en édulcorants ;

Mais considérant qu'aucune des normes ISO 17025 citées par la société Tradelink n 'a été violé par la société SGS Multilab dès lors que conformément

- à l'article 4.7 elle a coopéré avec sa cliente pour élucider sa demande en lui adressant un devis précis que cette dernière a accepté,

- à l'article 4.7 et 5.10.1 la cliente n'ayant sollicité aucune information complémentaire ou une interprétation des résultats , le laboratoire n'avait aucune obligation d'aller au-delà de la demande ;

Que ce reproche n'est en conséquence pas fondé ;

Que dès lors il ne saurait être reproché au laboratoire, dont l'objet de l'intervention était seulement de réaliser une analyse chimique et de fournir des résultats exacts et objectifs, de n'avoir pas donné à sa cliente une interprétation de ses résultats, dès lors que sa mission était limitée, que l'objectif de sa cliente ne lui était pas connu et que celle-ci a interprété elle-même les résultats, sans recourir à ses services, alors qu'elle ne pouvait ignorer les modalités d'application de la loi Bur, en sa qualité de professionnel des boissons alcoolisées ;

Que le jugement mérite confirmation de ce chef ;

Considérant que la société Tradelink met également en cause la responsabilité du second laboratoire LR BEVA qu'elle a consulté pour n'avoir pas rempli correctement sa mission, en ce qu'il n'aurait procédé qu'à l'analyse des sucres naturels et non des sucres artificiels (autre appellation des édulcorants, selon elle) et en ce qu'il n'aurait pas satisfait à son obligation de conseil, prudence et diligence en ne cherchant pas à s'informer des besoins précis de sa cliente ;

Que les moyens invoqués par la société Tradelink étant quasiment identiques à ceux dont elle se prévaut pour le premier laboratoire, les réponses seront pour l'essentiel les mêmes que celles données ci-dessus; que seuls seront évoqués les arguments supplémentaires ;

Considérant que la société Tradelink ne conteste pas que la société Planète Soif a sollicité auprès de la société LR BEVA 'une cartographie des sucres' , sans autre précision ou document joint, ainsi qu'il résulte de sa correspondance du 17 novembre 2004 ;

Que le laboratoire a envoyé le 16 novembre 2004 à sa cliente un devis faisant mention en objet 'd'un dosage des sucres solubles par chromatographie ionique sur deux boissons', qui n'a suscité aucune réserve ; que la mission de la société LR BEVA, laboratoire d'analyse spécialisé dans le domaine de l'alimentation, était ainsi limitée à une recherche des sucres, sans qu'il soit fait allusion à un quelconque projet de loi ;

Que la société Tradelink ne peut sérieusement prétendre que cette demande incluait nécessairement une analyse des édulcorants, ceux-ci étant considérés comme des sucres artificiels par rapport aux sucres naturels, selon la site wikipédia; qu'en effet , le décret du décret du 30 juin 2003 définissant les sucres ( saccharose, glucose, dextose,fructose) ne s'applique pas aux édulcorants considérés comme des additifs en raison de leur composition chimique; que l'étiquette des deux boissons litigieuses porte d'ailleurs la mention spécifique 'avec sucre et édulcorants' ; qu'à tort l'appelante prend comme référence le site wikipédia, qui n'est nullement une source scientifique; qu'enfin, il a été statué ci-dessus qu' en toute hypothèse, à compter du 31 janvier 2005, la société Planète Soif ne pouvait plus légitimement ignorer la différence entre les sucres et les édulcorants et le pouvoir sucrant de ceux-ci ;

Considérant par ailleurs que l'information doit être réciproque, le client devant préciser lors des pourparlers les résultats attendus ; qu'une demande trop laconique décharge d'autant le professionnel de sa responsabilité ;

Qu'au cas particulier, la société Planète Soif, professionnel des boissons alcoolisées et connaissant parfaitement l'enjeu de la loi Bur avait le devoir d'en informer son cocontractant et le devoir de se renseigner sur les modalités d'application pratique de cette loi ;

Que le manquement au devoir de conseil, invoqué par la société Tradelink, correspond en fait à la mise en relation du renseignement brut avec l'objectif poursuivi par la société Planète Soif ; que ne peut donner un conseil avisé et pertinent que celui qui a procédé à une analyse complète de la situation et a été informé de tous éléments s'y rattachant ;

Que par conséquent la société Tradelink n'apporte pas la preuve de fautes commises par ce laboratoire; que le jugement doit également être confirmé de ce chef ;

Que les appels en garantie formés par la société Allianz à l'encontre de la société Planète Soif et de la société SGS Multilab sont sans objet ;

Considérant que l'équité ne commande l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur des intimées dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

Sauf à y ajouter,

Condamne la société TRADELINK à payer la somme de 10 000 € à chacune des trois sociétés, à savoir la société LR BEVA, la société SGS Multilab et la société ALLIANZ IARD au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Tradelink aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier

A. BOISNARD

La Présidente

C. PERRIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 09/05484
Date de la décision : 22/09/2011

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°09/05484 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-09-22;09.05484 ?
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