Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 9
ARRET DU 15 SEPTEMBRE 2011
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/21308
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Septembre 2009 -Tribunal d'Instance d'AUXERRE - RG n° 1108000218
APPELANTE
COMMUNE D'[Localité 11] prise en la personne de son Maire
Mairie
[Adresse 19]
[Localité 9]
représentée par la SCP SCP TAZE-BERNARD BELFAYOL BROQUET, avoués à la Cour
assistée de Me Karima MANHOULI plaidant pour la SCP DU PARC & ASSOCIES avocat au barreau de DIJON toque 91
INTIMEE
Société Civile GROUPEMENT FORESTIER MAPHI représenté (e) par son gérant et tous représentants légaux
[Adresse 3]
[Localité 10]
représentée par Me Louis-Charles HUYGHE, avoué à la Cour
assistée de Me Hubert AMIEL avocat au barreau D'AIX EN PROVENCE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire, instruite par Monsieur [H] [R], a été débattue le 8 juin 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Alain SADOT, président
Madame Catherine BONNAN-GARÇON, Conseillère
Madame Pénélope POSTEL-VINAY vice présidente placée
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Nicaise BONVARD
ARRET : CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Alain SADOT, président et par Mme Nicaise BONVARD, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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La société civile Groupement Forestier MAPHI est propriétaire, sur le territoire de la commune d'[Localité 11], de plusieurs parcelles de forêt cadastrées section F, numéro [Cadastre 1] à [Cadastre 8].
Par jugement du 24 septembre 2009, le tribunal d'instance d'Auxerre a dit que les chemins traversant ces parcelles constituaient, non pas des chemins ruraux faisant partie du domaine privé de la commune, mais des chemins d'exploitation, appartenant au groupement forestier.
Par déclaration déposée le 16 octobre 2009, la commune d'[Localité 11] a formé appel de cette décision. Dans ses dernières conclusions déposées le 16 février 2011, elle soutient que les chemins litigieux répondent aux conditions fixées par les articles L. 161-1 et suivants du code rural, en ce qu'ils sont affectés à l'usage du public, par leur utilisation historique comme voies de passage pour relier la commune d'[Localité 11] à d'autres communes ou hameaux, et inscrits comme telles au cadastre depuis 1827, et par les actes réitérés de surveillance et d'entretien réalisés par l'autorité municipale. Elle conteste le droit de propriété revendiqué par la société Groupement Forestier MAPHI, en faisant valoir que la présomption légale de propriété de la commune sur les chemins ne peut être détruite par des énonciations contenues dans des actes passés entre particuliers sans intervention de la commune, et en rappelant que le gérant de la société intimée lui a même présenté une proposition d'achat qui a été repoussé par délibération du conseil municipal du 25 juillet 2003.
Dans ses dernières conclusions déposées le 26 avril 2011, la société Groupement Forestier MAPHI soutient que la présomption légale de propriété de la commune sur les chemins litigieux est combattue par l'acte authentique du 27 septembre 1995, aux termes duquel elle a acquis une propriété d'un seul tenant, ne comportant aucune division. Elle soutient que l'offre de paiement d'une somme de 20 000 € rejetée par le conseil municipal a été présentée en son nom personnel par M. [G], son gérant, qui souhaitait faire cette proposition amiable d'indemnité à la commune afin d'éviter un contentieux, et ne vaut donc pas reconnaissance, par le groupement forestier, de la propriété de la commune.
À titre subsidiaire, elle soutient que la présomption instituée par l'article L. 161-3 du code rural d'affectation du chemin à l'usage du public ne peut être retenue, d'abord en ce que les chemins ne sont pas utilisés comme voie de passage ou voies de communications entre les dépendances du domaine public, mais sont seulement empruntés par quelques promeneurs à pied, ce qui n'établit pas un usage public, ensuite en ce que ces chemins, qui sont d'ailleurs laissés à l'abandon et se perdent dans la forêt, n'ont pas pour utilité de relier différentes communes, mais ne desservent que les terres du château d'[Localité 11], dont le domaine forestier lui appartient désormais, enfin en ce que la commune n'a jamais réalisé de travaux d'entretien sur ces chemins, fermés par des barrières et qui sont empruntés seulement par les chasseurs et les forestiers. En outre, elle conteste que la délibération du conseil municipal du 19 avril 1857 décidant l'intégration de trois chemins dans la catégorie des chemins vicinaux puissent concerner les chemins litigieux dont la longueur et l'assiette sont très différentes ;
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Attendu que les trois chemins litigieux sont clairement précisés dans les conclusions de la commune d'[Localité 11], et peuvent être aisément identifiés sur le plan de remembrement produit par la collectivité territoriale ; qu'il s'agit donc :
- du chemin dénommé « ancien chemin de [Localité 22] a [Localité 21] », qui traverse le massif forestier dans une direction nord-sud,
- du chemin dénommé de « [Localité 20] à [Localité 11] », dont le trajet est d'abord d'ouest en est, puis oblique légèrement vers le sud-est pour rejoindre le troisième chemin litigieux,
- du chemin dénommé « d'[Localité 13] à [Localité 11] », dont le trajet sur le territoire de la commune part du sud-ouest, puis s'oriente d'ouest en est ;
Attendu qu'ils figurent également sur le plan cadastral (section F) dressé en 1827, mis à jour en 1969, dans son édition de 1989, produite aux débats par la commune ;
Attendu qu'il ressort de ces documents graphiques, dont les versions récentes correspondent entre elles, que ces chemins existaient historiquement et avaient pour objet de relier divers hameaux ou localités, non seulement comme leur nom l'indique mais aussi comme leur tracé le fait apparaître, puisque chacun d'eux traverse, non seulement le massif forestier mais, sur une plus grande partie, le territoire de la commune d'[Localité 11] et se poursuit sur celui des communes voisines, ou rejoint une voie publique ( par exemple l'ancien chemin de [Localité 22] à [Localité 21] qui aboutit au sud à la voie communale numéro 1 bis après avoir longé un grand nombre de parcelles de la section ZR) ;
Attendu qu'une autre observation peut être faite sur la pertinence de ces documents : qu'ainsi sur le plan cadastral qui reprend les éléments du plan d'origine de 1827, certains chemins anciens figurent en pointillé, ce qui implique probablement qu'ils ont disparu au moment de la mise à jour du plan en 1961 ; qu'il en est ainsi notamment d'un chemin qui suivait approximativement la ligne de division entre les parcelles numéro [Cadastre 2] au nord et les parcelles numéros [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 7] au sud ; qu'il convient de remarquer que ce chemin, comme les autres qui sont portés en pointillés sur le plan cadastral, ne figure plus sur le plan de remembrement, alors que les trois chemins litigieux y sont toujours clairement reproduits ;
Attendu que la commune d'[Localité 11] produit également plusieurs délibérations de son conseil municipal des années 1857 et 1858 définissant le tracé de certains chemins vicinaux, et décidant leur classement dans la voirie municipale ; qu'il ressort des explications fournies dans ses conclusions que les trois chemins litigieux, qui constituaient des voies ouvertes à la circulation publique permettant de relier divers hameaux ou agglomérations, ont ainsi été intégrés dans cette voirie municipale ;
Attendu que la société Groupement Forestier MAPHI prétend que ces chemins n'ont pas une telle utilité puisque des voies publiques permettent de relier [Localité 12] aux communes voisines ; qu'elle produit un extrait d'une carte routière montrant effectivement que des routes départementales relient cette commune avec les bourgs ou hameaux d'[Localité 13], St Moré, [Localité 17], [Localité 14] ; que cependant, elle produit également un extrait d'une carte détaillée de l'Institut Géographique National, sur laquelle les chemins litigieux sont clairement indiqués, et faisant apparaître qu'ils ne constituent pas des voies internes au massif forestier, destinées seulement à son exploitation ; qu'il peut en effet être ainsi remarqué que :
- le chemin provenant de [Localité 14], débutant près du lieudit « [Adresse 18] », qui atteint le territoire de la commune d'[Localité 11] à un endroit indiqué par une cote d'altitude 202, traverse le massif forestier en passant par des points marqués par les cotes d'altitude 227, 232, 233, et se poursuit au sud jusqu'à la voie publique D 950, a manifestement le tracé du chemin litigieux dit « ancien [Adresse 16] »,
- un sentier, qui prend son origine au lieudit « Les Accrues », à proximité d'une cote d'altitude 200, rejoint le massif forestier à un point côté 227, et le traverse d'ouest en est, passant par des points cotés 233, 245, 233 puis sort à un point côté 156, pour rejoindre l'agglomération d'[Localité 11], a clairement le même tracé que le chemin litigieux « d'[Localité 13] à [Localité 11] »
- un autre sentier, qui apparaît sur la carte à un point d'altitude coté 222 et rejoint le sentier précédent après avoir traversé le sentier premier cité à un point côté 232, a un tracé similaire à celui du chemin litigieux dit de « [Localité 20] à [Localité 11] » ;
Attendu que cette carte récente prouve l'existence physique, encore actuellement, de chemins qui traversent, selon le tracé des chemins litigieux, le domaine appartenant à la société Groupement Forestier MAPHI, en ayant une origine et une suite en dehors des parcelles ressortissant de ce domaine ;
Attendu qu'il résulte suffisamment de ces éléments que ces chemins, qui traversent l'ensemble de parcelles appartenant à la société Groupement Forestier MAPHI, n'ont pas pour objet d'assurer exclusivement la desserte de ces fonds ; qu'ils ne peuvent donc être qualifiés de chemins ou sentiers d'exploitation au sens de l'article L.162-1 du code rural ; qu'en outre, la commune d'[Localité 11] produit diverses attestations établissant qu'en des temps anciens, ces chemins étaient régulièrement utilisés par le public pour traverser le massif forestier ;
Attendu qu'en conséquence, ces éléments, et tout particulièrement le tracé de ces chemins qui les destine clairement à un usage de voie de communication et non de voie d'exploitation, conduisent à retenir la qualification de chemin rural pour chacune des voies litigieuses ;
Attendu que la société Groupement Forestier MAPHI produit des documents techniques (études réalisées par un géomètre, et procès-verbal de constat d'huissier) démontrant que les chemins qui devraient suivre le tracé figurant au plan cadastral s'en écartent par endroits ou se trouvent encombrés par des plantations à d'autres ; que certains de ces documents prouvent que cette situation résulte notamment de la création d'allées, ouvertes pour l'exploitation forestière en 1997, c'est-à-dire de la création d'ouvrages résultant du fait de la société Groupement Forestier MAPHI, propriétaire depuis 1995 ; qu'une telle situation apparaît notamment de façon très claire sur un document intitulé « étude sur les chemins actuels usités et les emprises revendiquées. Point 5, vue 13. juin 2008 », puisqu'une photographie aérienne, complétée par un schéma représentant l'ancien tracé des chemins, démontre qu'au croisement de deux des chemins litigieux, se trouvent actuellement des allées forestières créées selon un tracé plus droit, le long du tracé d'origine de ces chemins;
Attendu cependant que cette modification des lieux ne peut avoir pour effet de faire perdre au chemin litigieux leur qualification originelle de chemin rural ; qu'il en est de même pour le défaut d'entretien dont l'évidence apparaît au vu de ces documents, et qui se trouve établi par l'attestation fournie par M. [W] [K], qui a exercé les fonctions de conseiller municipal chargé de l'encadrement des employés communaux et certifie n'avoir jamais confié à ces agents des tâches d'entretien de cette voirie ; qu'en effet, l'absence d'entretien d'un chemin rural par la commune ne lui en fait pas perdre la propriété et ne peut avoir d'autres conséquences que celles qui sont prévues par l'article L. 161-11 du code précité ;
Attendu que la société Groupement Forestier MAPHI prétend qu'elle bénéficie d'un titre contraire à cette propriété revendiquée par la commune ; que cependant, l'acte authentique qu'elle produit, qui présente le domaine forestier comme une propriété d'un seul tenant, et ne mentionne pas l'existence des chemins communaux la traversant, ne constitue pas un titre opposable à la commune, et ne prouve pas que ces voies sont la propriété du vendeur ;
Attendu que les chemins ruraux font partie du domaine privé de la commune, et sont donc susceptibles d'aliénation, voire d'appropriation par un tiers ;
Attendu cependant que la société Groupement Forestier MAPHI qui a effectivement exercé, depuis son acquisition en 1995, des actes de possession sur ces chemins, en procédant à des modifications de tracé, en interdisant leur accès aux véhicules par la pose de chaînes ou de barrières, ne peut pas prétendre être devenue propriétaire par la prescription acquisitive résultant de la jonction de cette possession avec celle de son auteur, en ce que ces actes de possession n'ont pas été accomplis à titre de propriétaire ;
Attendu qu'en effet qu'il ressort d'une délibération du conseil municipal du 23 janvier 1969 que le gérant du domaine forestier a fait à la commune la proposition d'acquisition de « tous les chemins qu'elle possède dans la traversée des bois qu'il gère, afin de pouvoir clôturer ces bois », ce qui constitue un acte tout à fait incompatible avec une possession, de bonne foi, à titre de propriétaire ;
Attendu surtout que par courrier du 23 juin 2003, Monsieur [M] [G], dirigeant de la société Groupement Forestier MAPHI renouvelait cette proposition d'acquisition en exposant que « les chemins ruraux, parfois réduits à l'état de sentiers et traversant ce bois, ne desservent que les parcelles de la propriété qui dispose également de voies privées... i la commune désirait déclasser ces voies... je vous indique que je serais disposé à les acquérir. Pour vous faciliter la réalisation de ces projets, je serai prêt, si votre conseil municipal y avait convenance, à régler un prix de 20 000 € pour l'acquisition de ces voies déclassées » ; que la société Groupement Forestier MAPHI ne peut prétendre que Monsieur [G] agissait à titre personnel alors que l'objet de cette lettre était d'organiser la circulation du public à l'intérieur du massif forestier, et d'éviter la pénétration de véhicules automobiles ;
Attendu que ces documents établissent la connaissance, par le propriétaire des parcelles forestières, de l'existence des chemins affectés à l'usage du public qui traversent ce domaine, et la reconnaissance de la propriété de la commune d'[Localité 11] sur ces voies de communication ;
Attendu qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement qui a inexactement affirmé la qualification de chemins d'exploitation et la propriété de la société Groupement Forestier MAPHI ;
Attendu qu'en outre, la commune d'[Localité 11] ne doit pas conserver à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer l'occasion de la présente instance ;
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement rendu le 24 septembre 2009 par le tribunal d'instance d'Auxerre,
Dit que les chemins figurant sur la feuille F du plan cadastral de la commune d'[Localité 11] sous les dénominations de « ancien chemin de [Localité 22] a [Localité 21] », « chemin de [Localité 20] à [Localité 11] », et « [Adresse 15] », sont des chemins ruraux dont la commune d'[Localité 11] est propriétaire,
Condamne la société Groupement Forestier MAPHI à payer à la commune d'[Localité 11] la somme de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT