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08/09/2011 | FRANCE | N°08/05828

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 08 septembre 2011, 08/05828


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 6



ARRÊT DU 8 SEPTEMBRE 2011



(n° , 14 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 08/05828



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Janvier 2008 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 04/19212





APPELANTE



MUTUELLE DES ELUS LOCAUX -MUDEL- agissant poursuites et diligences de Monsieur [J] [O] PrÃ

©sident

[Adresse 5]

[Localité 6]




représentée par la SCP REGNIER BEQUET MOISAN, avoués à la Cour

assistée de Me Xavier FLECHEUX de la SCP LAFARGE FLECHEUX REVUZ, avocat au barreau ...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRÊT DU 8 SEPTEMBRE 2011

(n° , 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 08/05828

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Janvier 2008 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 04/19212

APPELANTE

MUTUELLE DES ELUS LOCAUX -MUDEL- agissant poursuites et diligences de Monsieur [J] [O] Président

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par la SCP REGNIER BEQUET MOISAN, avoués à la Cour

assistée de Me Xavier FLECHEUX de la SCP LAFARGE FLECHEUX REVUZ, avocat au barreau de PARIS, toque : P537

INTIMÉE

Société BRED BANQUE POPULAIRE prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 3]

[Localité 9]

représentée par la SCP BERNABE-CHARDIN-CHEVILLER, avoué à la Cour

assistée de Me Fiorella VECCHIOLI DE FOURNAS de la SCP CARBONNIER LAMAZE RASLE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0298

INTERVENANT VOLONTAIRE

SOCIÉTÉ UNION NATIONALE DE LA PRÉVOYANCE DE LA MUTUALITÉ FRANÇAISE

[Adresse 4]

[Localité 7]

représentée par la SCP REGNIER BEQUET MOISAN, avoué à la Cour

assistée de Me Patrick MAISONNEUVE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1568, substitué par Maître Nadège PAIN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Février 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Claude APELLE, Président de chambre

Madame Marie-Josèphe JACOMET, Conseiller

Madame Caroline FEVRE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Nathalie MÉTIER

Madame APELLE a préalablement été entendue en son rapport.

ARRÊT :

- Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Josèphe JACOMET, Conseillère au lieu et place de Madame Marie-Claude APELLE, président et par Monsieur Sébastien PARESY, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par la magistrat signataire.

*************

La Mutuelle nationale des élus-M.U.D.E.L. est appelante d'un jugement rendu le 23 janvier 2008 par le tribunal de grande instance de Paris, qui a écarté des débats les pièces produites par cette mutuelle, l'a déclarée irrecevable à agir, a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.

I.- Faits et rapports contractuels constants- Rappel des procédures :

A.- La création de la M.U.D.E.L. et de la C.A.R.E.L. :

Courant 1991, des élus locaux et des parlementaires, conscients du temps toujours plus important consacré par les élus des collectivités territoriales à l'exercice de leur mandat, souvent au détriment de leurs activités professionnelles et personnelles, et convaincus qu'une démocratie moderne qui fait une part importante à la décentralisation ne peut raisonnablement reposer sur le seul bénévolat, ont pris l'initiative de la constitution d'un organisme mutualiste de prévoyance pour les élus locaux, dans la perspective de la création d'un régime de prévoyance sociale qui devait être intégré dans une loi en préparation sur les conditions d'exercice des mandats locaux.

Le 26 juin 1991, l'assemblée constitutive a créé la Mutuelle nationale des élus locaux-M.U.D.E.L. (ci-après, la M.U.D.E.L.), qui avait pour objet l'exercice d'une activité de prévoyance, de solidarité et d'entraide pour les élus locaux.

Ses statuts ont été approuvés par arrêté du préfet de la Région d'Île-de-France, préfet de [Localité 11], du 27 août 1991. Lors de la première assemblée générale, le 14 octobre 1991, les délégués ont procédé à l'élection des sept membres du conseil d'administration. Mme [X] [K], ancien ministre, conseiller de [Localité 11], a été élue présidente de la mutuelle. Ont été également élus un secrétaire général, M. [B] [V], conseiller de [Localité 11], et un trésorier.

Le titre V de la loi n° 92-108 du 3 février 1992 a créé un régime d'épargne-retraite volontaire par rente des élus locaux, abondé par les cotisations des élus prélevées sur leurs indemnités de fonction et les cotisations des collectivités territoriales.

Pour mettre en 'uvre cette loi, la M.U.D.E.L. a créé la Caisse autonome

mutualiste de retraite des élus locaux-C.A.R.E.L. (ci-après, la C.A.R.EL.), organisme d'épargne-retraite. Conformément au Code de la mutualité, la C.A.R.E.L. ne dispose pas d'une personnalité morale distincte de la mutuelle qui l'a fondée ; elle est dite «'autonome'» parce que, conformément à une règle usuelle en matière de démembrement de personnes publiques ou d'organismes de prévoyance sociale, elle doit disposer d'un budget autonome, c'est-à-dire distinct de celui de la mutuelle qui est à l'origine de sa création.

L'assemblée générale de la C.A.R.E.L. a adopté le règlement de la caisse, qui a été approuvé par arrêté du ministre des Affaires sociales. Mme [K] a été élue présidente de la C.A.R.E.L.

B.- Les relations avec la B.R.E.D. :

La M.U.D.E.L. a ouvert un premier compte à la Banque régionale d'escompte et de dépôts- B.R.E.D.-Banque populaire (ci-après, la B.R.E.D.). Il a été établi par l'information que la B.R.E.D. a été choisie parce qu'elle était la banque principale de la Fédération mutualiste interdépartementale de la Région parisienne-F.M.P. et qu'un des vice-présidents de la fédération était en même temps un des principaux dirigeants de la banque.

Les 3 et 4 juin 1992, la B.R.E.D. a obtenu, en garantie des concours consentis, le cautionnement solidaire de quatre administrateurs, à hauteur d'un million de francs

(1.000.000 F) chacun en principal.

La présidente de la mutuelle a établi un pouvoir au profit de M. [V] et remis à la B.R.E.D. un carton de signature incluant M. [V] et le trésorier. Le 25 octobre 1991, elle a sollicité de la B.R.E.D. une autorisation de découvert sur le compte de l'association et chargé M. [V] d'en négocier avec la banque le montant et les conditions.

Mme [K] a ensuite demandé à la B.R.E.D. l'ouverture de deux nouveaux comptes, nécessaires aux fonctionnements de la C.A.R.E.L.

En outre, deux cartes bancaires ont été ensuite délivrées par la B.R.E.D. à M. [V] sur les comptes de la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L.

C.- Les difficultés de trésorerie :

La C.A.R.E.L. a connu un vif succès initial, recevant près de trois mille adhésions et percevant cinquante-cinq millions de francs (55.000.000 F) de cotisations pour l'exercice 1993/1994, soixante-dix millions de francs (70.000.000 F) pour l'exercice 1995.

Ce succès n'a pas empêché la survenue assez rapide d'importants problèmes, à partir de 1995 selon le rapport de l'Inspection générale des Affaires sociales : essoufflement des adhésions nouvelles et départs massifs d'adhérents ; retard des remboursements dus à la Fédération mutualiste parisienne, qui gérait intégralement les prestations dues aux adhérents pour le compte de la mutuelle ; importants problèmes financiers, caractérisés notamment par l'aggravation du déficit en 1996 et au cours des sept premiers mois de 1997 et une insuffisante importance d'actif.

La persistance de ces difficultés de trésorerie et l'impossibilité d'obtenir du secrétaire général les informations demandées ont amené le conseil d'administration de la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L., le 11 décembre 1996, à demander un audit à la Fédération nationale de la Mutualité française-F.N.M.F. Cet audit a mis en évidence des suspicions précises d' irrégularités administratives et comptables, de détournements, de fraudes et d'enrichissement personnel.

D.- Le contrôle de l'Inspection générale des Affaires sociales :

À la demande de la présidente de la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L., le président de la Fédération nationale de la Mutualité française a saisi la Commission de contrôle des mutuelles et institutions de prévoyance.

L'Inspection générale des Affaires sociales a réalisé un contrôle entre le 20 et le 7 août 1997.

Son rapport, en date du 1er septembre 1997, a conclu à l'existence d'irrégularités, dont certaines susceptibles d'être qualifiées pénalement. Il importe de relever que le rapport souligne que les difficultés rencontrées par la C.A.R.E.L. s'expliquent très largement, en dehors des irrégularités pénales ou financières et d'un évident laxisme administratif, salarial et comptable, par des problèmes structurels: concurrence du fonds de pension créé par la Caisse des dépôts et consignations, structure des âges des adhérents retentissant sur le montant (faible) des rentes et donc sur l'attractivité de l'adhésion, incapacité d'atteindre la taille de cinq mille adhérents prévue par l'article R. 321-3 du Code de la mutualité, donc un niveau d'activité jugé indispensable pour un fonctionnement mutualiste en équilibre, sur-risque lié aux renouvellements électoraux qui entraînent très souvent un départ très important d'adhérents non réélus, ces problèmes déterminant des sur-coûts de gestion (les frais de gestion par adhérent étant trop importants en raison de l'insuffisance du nombre d'adhérents), générant à leur tour des sur-coûts financiers, etc.

L'Inspection générale a montré que les dispositions réglementaires et statutaires, qui réservent au président l'engagement des dépenses et au trésorier leur payement et ne permettent de déléguer ces pouvoirs qu'à un directeur salarié ou, en son absence, à un collaborateur salarié, avaient été méconnues, d'abord, par une délibération du conseil d'administration, qui avait organisé un système de double signature sur les comptes bancaires, délibération non conforme au texte réglementaire et aux statuts, d'application assez problématique et qui, en fait, n'avait jamais été respectée, ensuite et surtout, par la remise par la présidente à M. [V] secrétaire général, de mandats de gestion sur tous les comptes bancaires, ce qui était totalement irrégulier, la présidente étant radicalement incompétente pour attribuer ces pouvoirs et le secrétaire général pour les recevoir.

Le rapport révélait ensuite que certains dysfonctionnements étaient susceptibles de recevoir une qualification pénale. Ainsi en allait-il, notamment, de la prise en charge de frais salariaux et d'autres dépenses de deux associations, Le Club de l'Élu et l'Institut national Information, Recherche et Formation des élus locaux-I.R.F.E.L., animées par M. [V], de versements au bénéfice de ces associations, de payement de factures correspondant à des prestations dont la réalité était douteuse, de payements indus à une société Fac Limousine, dont l'actionnaire majoritaire et gérant était M. [V], et à une société Sofraserel, dont le gérant était M. [T], par ailleurs chauffeur de M. [V] à la mairie de [Localité 11].

Enfin, les 24 mars et 19 décembre 1995, la B.R.E.D. avait émis en faveur de M. [V] deux cartes bancaires sur les comptes de la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. L'inspection générale soulignait qu'il n'existait aucune trace d'une autorisation accordée par un organe de la mutuelle et que, selon toute vraisemblance, M. [V] avait demandé lui-même l'émission des cartes à son profit. Elle soulignait que ces cartes avaient été utilisées massivement pour des dépenses personnelles, notamment dans des magasins de luxe. L'Inspection Générale mettait en doute la régularité de la délivrance des cartes par la B.R.E.D. et s'interrogeait sur la «'légèreté'» de celle-ci [p. 78].

E.- La procédure pénale :

C'est dans ces conditions que, le 14 octobre 1997, la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L., représentée par sa présidente, a saisi le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris d'une plainte avec constitution de partie civile des chefs d'abus de confiance, faux et usages, recels d'abus de confiance et de faux.

Parallèlement, un administrateur provisoire de l'organisme mutualiste a été nommé.

La procédure pénale a mis hors de cause les dirigeants de la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. à l'exception de M. [V]. Elle a montré que ces dirigeants, s'ils avaient été peu présents, et s'agissant du trésorier totalement absentéiste, ignoraient complètement les principes de direction d'un organisme mutualiste de prévoyance et s'ils avaient fait l'erreur de ne pas s'adjoindre un directeur salarié compétent en matière de gestion de mutuelle, ne s'étaient pas enrichis personnellement et n'avaient commis aucun fait susceptible d'être qualifié pénalement.

Il a par contre été mis en évidence que le secrétaire général, M. [V], qui aurait été cadre bancaire, avait été en toute certitude chroniqueur financier et dirigeait en fait la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L., avait commis diverses infractions qui l'avaient enrichi personnellement ainsi que M. [P] [T], son chauffeur à la Ville de Paris, et avaient également comporté des transferts illicites de fonds de la mutuelle à des entités qu'il animait : l'association Le Club de l'Élu, dont l'objet était d'assurer des services (locations de voiture, partenariat avec une société de voyages) et des financements à des élus locaux (des prêts personnels et des «'prêts Démocratie'») avec notamment le concours d'une banque du groupe B.R.E.D., la Société de banque et d'expansion-S.B.E., l'association Institut national Information, Recherche et Formation des élus locaux-I.R.F.E.L., qui exerçait une activité agréée de formation continue, les sociétés Fac Limousine Sofraserel ' les activités de ces entités étant sans rapport avec l'objet mutualiste de la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L., en dépit de l'ambition de M. [V] de créer une «'nébuleuse de services pour l'élu'». En outre, M. [V] avait fait un large emploi pour des besoins personnels des deux cartes bancaires sur les comptes de la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. délivrées par la B.R.E.D.

L'instance pénale s'est achevée par un jugement de condamnation du tribunal correctionnel de Paris du 20 octobre 2004 s'agissant de M. [T], du Club de l'Élu l'Institut national Information, Recherche et Formation des élus locaux-I.R.F.E.L. et par un arrêt de condamnation de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris du 28 septembre 2005, s'agissant de M. [V]. La juridiction répressive a également statué sur les demandes de dommages intérêts de la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L., partie civile.

F.- L'instance civile :

Suivant acte d'huissier de justice du 10 décembre 2004, la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. a assigné la B.R.E.D. devant le tribunal de grande instance de Paris en paiement de restitutions et de dommages-intérêts.

Cette procédure a abouti au jugement entrepris.

II.- Les prétentions des parties :

A.- La Mutuelle nationale des élus-M.U.D.E.L. et l'Union nationale de la prévoyance de la Mutualité française-U.N.P.M.F. :

Aux termes de leurs écritures signifiées le 5 janvier 2011, valant conclusions récapitulatives conformément aux dispositions de l'article 954, alinéa 2, du Code de procédure civile, la M.U.D.E.L. et l'Union nationale de la prévoyance de la Mutualité française-U.N.P.M.F. (ci-après, l'U.N.P.M.F.) demandent à la Cour : à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris; de donner acte à l'U.N.P.M.F., venant aux droits de la Fédération nationale de la Mutualité française-F.N.M.F., de son intervention volontaire ; de déclarer la M.U.D.E.L., et en tout état l'U.N.P.M.F., recevables en leurs actions ; de constater la violation par la B.R.E. D. de ses obligations de dépositaire ; de dire que la B.R.E.D. a engagé sa responsabilité civile à l'égard de la M.U.D.E.L. en procédant à des opérations sous la signature du secrétaire général de la mutuelle en violation des dispositions du Code de la mutualité ; de dire que ces fautes ont causé à la M.U.D.E.L. des dommages qui ne peuvent être limités aux conséquences directes des infractions constatées par le juge répressif ; de condamner la B.R.E.D., en qualité de dépositaire, à restituer à la M.U.D.E.L., et subsidiairement à l'U.N.P.M.F., la somme de quatre millions neuf cent seize mille huit cent quarante-quatre euros et soixante-dix-sept centimes (4.916.844,77 €), sauf à parfaire, outre l'ensemble des sommes débitées sur les comptes litigieux ; de condamner la B.R.E.D., à payer à la M.U.D.E.L., et subsidiairement à l'U.N.P.M.F., à titre de dommages-intérêts, la somme d'un million trois cent quatre-vingt-cinq mille deux cent vingt euros et dix-sept centimes (1.385.220,17 €) ; à titre subsidiaire, d'ordonner une mesure d'expertise, aux frais avancés de la B.R.E.D., aux fins d'établir les mouvements ayant bénéficié à partir des comptes ouverts auprès de la B.R.E.D. ou de sa filiale, la S.B.E., établissements teneurs de comptes, aux entités dirigées en droit ou en fait par M. [V], particulièrement le Club de l'Élu, l'I.R.F.E.L., les sociétés Fac Limousine et Sofraserel ; de débouter la B.R.E.D. de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts ; de condamner la B.R.E.D. à leur payer la somme de trente mille euros (30.000 €) par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de leurs demandes, la M.U.D.E.L. et l'U.N.P.M.F. font valoir les arguments suivants :

1.- Sur sa qualité à agir de la M.U.D.E.L. :

Les premiers juges ont méconnu le principe de l'effet relatif des contrats, en application duquel la B.R.E.D. ne pouvait se prévaloir du contrat passé entre la M.U.D.E.L., la F.N.M.F. et la F.M.F. que s'il comportait renonciation à un droit : or, tel n'a jamais été le cas.

En outre, le jugement a fait une lecture tronquée parce que partielle des dispositions de l'article 5 de la convention, qui réservait à la M.U.D.E.L. le droit d'agir à l'encontre de la B.R.E.D.

2.- Sur l'intervention de l'U.N.M.P.F. :

L'Union nationale de la prévoyance de la Mutualité française-U.N.P.M.F. vient aux droits de la Fédération nationale de la Mutualité française-F.N.M.F. Elle demande qu'il lui en soit donné acte.

Son intervention en cause d'appel est recevable, car elle n'a pas pour effet d'entraîner une évolution du litige ; elle constitue le conséquence logique du jugement entrepris, qui a retenu que seule la F.N.M.F., aux droits de laquelle vient l'U.N.M.P.F., avait qualité à agir ; enfin, elle régularise une fin de non recevoir au sens de l'article 126 du Code de procédure civile.

3.- Sur l'absence de prescription :

En application de l'article 2244 du Code civil, la prescription décennale de l'ancien article L. 110-4 du Code de commerce a été interrompue par la procédure pénale, qui a porté sur les faits objet de la présente procédure civile ; cette procédure pénale ne s'est achevée que par l'arrêt de la 9e chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris du 28 septembre 2005.

4.- Sur l'obligation de restitution à la charge de la B.R.E.D. :

La première demande de la M.U.D.E.L. est fondée sur l'obligation de restitution à la charge du banquier dépositaire.

La B.R.E.D. est débitrice de la restitution de la somme de quatre millions neuf cent seize mille huit cent quarante-quatre euros et soixante-dix-sept centimes (4.916.844,77 €), correspondant au montant des sommes irrégulièrement débitées sur ses comptes dans les livres de la banque en raison du fonctionnement du compte sous la signature de M. [V], personne non habilitée et que la banque savait ne pouvoir être légalement habilité.

5.- Sur la demande de dommages-intérêts :

Indépendamment de l'obligation de restitution, la B.R.E.D. est tenue de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle : en effet, les détournements commis par M. [V] avec le consentement fautif de la banque ont causé à la M.U.D.E.L. un préjudice constitué, d'une part, par les agios et frais qu'elle a dû supporter en raison de l'accroissement corrélatif du débit de ses comptes, d'autre part, par le manque à gagner causé par l'absence de placement des cotisations correspondant aux détournements ' le fonctionnement mutualiste étant impossible sans les produits rapportés par le placement des cotisations.

B.- La B.R.E.D. :

Par écritures signifiées le 15 novembre 2010, valant conclusions récapitulatives conformément à l'article 954, alinéa 2, du Code de procédure civile, la B.R.E.D. demande à la Cour : à titre principal, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la M.U.D.E.L. irrecevable à agir contre la B.R.E.D. ; statuant à nouveau, de dire que l'U.N.P.M.F. est irrecevable à intervenir volontairement en cause d'appel ; de condamner la M.U.D.E.L. à lui payer la somme de trente mille euros (30.000 €) par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; à titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement, de constater que la M.U.D.E.L. a engagé sa responsabilité envers la B.R.E.D. en autorisant son secrétaire général à procéder à des opérations contraires au Code de la mutualité et aux statuts de la mutuelle ; de condamner la M.U.D.E.L. et/ou l'U.N.P.M.F. en qualité d'ayant droit de la M.U.D.E.L. à payer à la B.R.E.D. le même montant que celui auquel la B.R.E.D. pourrait être condamnée au bénéfice de la M.U.D.E.L., et subsidiairement de l'U.N.P.M.F. ; d'ordonner la compensation entre les créances

respectives ; de débouter la M.U.D.E.L. et U.N.P.M.F. de toutes leurs demandes ; à titre très subsidiaire, d'ordonner une mesure d'expertise aux frais de la MUDEL, subsidiairement de l'U.N.P.M.F et aux fins, notamment, de déterminer les opérations dont la B.R.E.D. avait connaissance au regard des comptes ouverts dans ses livres ; d'autoriser la B.R.E.D. , le cas échéant, à demander au magistrat de la mise en état une extension de la mesure d'expertise.

À l'appui de ses demandes, la B.R.E.D. développe l'argumentation qui sera résumée ainsi qu'il suit :

1.- Sur l'irrecevabilité de l'intervention de l'U.N.P.M.F. :

L'intervention en cause d'appel de l'U.N.P.M.F. est irrecevable, car elle aboutit à priver la B.R.E.D. du droit au double degré de juridiction.

2.- Sur la prescription décennale :

Il ne peut être contesté que, la banque étant un commerçant, s'applique la prescription décennale de l'ancien article L. 110-4 du Code de commerce.

La procédure pénale n'a pu suspendre le cours de la prescription civile à l'égard de la B.R.E.D., alors qu'elle n'y a jamais été mise en cause et qu'aucun de ses salariés n'a été mis en examen, a fortiori condamné.

L'assignation délivrée à la requête de la M.U.D.E.L. étant du 10 décembre 2004, la prescription se trouve acquise pour la période antérieure au 10 décembre 1994.

S'agissant de l'U.N.P.M.F., qui dit venir aux droits de la M.U.D.E.L., son intervention volontaire étant du 22 décembre 2008, l'action est intégralement prescrite, puisqu'il n'existait plus de rapports contractuels entre la B.R.E.D. et la M.U.D.E.L. au 22 décembre 1998.

3.- Sur l'existence d'un mandat apparent conféré à M. [V] :

M. [V] apparaissait comme titulaire du pouvoir de payer les dépenses de la mutuelle: la croyance légitime de la banque dans les pouvoirs du secrétaire général de l'organisme mutualiste résultait du comportement, voire des fautes, de la présidente de la M.U.D.E.L., qui, notamment, a consenti une délégation de pouvoirs à M. [V] et l'a fait figurer sur le carton de signature.

4.- Sur l'application de la règle nemo auditur :

La B.R.E.D. relève que la M.U.D.E.L. se fonde sur trois documents (le procès-verbal de l'assemblée générale du 14 octobre 1991, le carton de signature incluant les signatures de Mme [K], présidente, et de M. [V], secrétaire général, et l'acte de délégation de signature établi par la présidente) pour soutenir, quinze ans après, que la présidente, ancien ministre, professeur des universités, doyen de faculté, et les administrateurs, tous diplômés, tous élus, dont plusieurs parlementaires ou futurs parlementaires, n'avaient pas les facultés de discernement pour comprendre que les délégations qu'ils donnaient étaient illicites. Il ne paraît pas anormal à la M.U.D.E.L. que son trésorier, seul habilité à effectuer les payements, n'ait jamais exercé ses fonctions, alors qu'elle a laissé son secrétaire général exercer constamment des pouvoirs qu'il ne pouvait légalement détenir.

La banque est ainsi en droit d'opposer à la M.U.D.E.L. sa propre turpitude.

5.- Sur le principe de non-ingérence du banquier :

La banque a une obligation de non-ingérence : elle n'a pas à, et ne doit pas, s'interroger sur la cause ou l'opportunité des opérations de son client.

L'argumentation de la M.U.D.E.L., selon laquelle ce principe se heurte à l'obligation pour la banque de ne pas autoriser ou tolérer les fonctionnements anormaux dont elle peut prendre connaissance, se heurte au fait que la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. avait des comptes dans trois banques, la B.R.E.D., le Crédit lyonnais et Athéna, et qu'elle faisait de très nombreux virements de comptes à comptes, mettant les préposés en charge des comptes dans l'impossibilité de déceler d'éventuelles anomalies.

Contrairement à ce que suggèrent les appelants, la préposée de la B.R.E.D. en charge des comptes de la M.U.D.E.L. ne s'est jamais occupée des comptes des entités créées par M. [V]: l'I.R.F.E.L. avait ses comptes dans une autre agence de la banque, le Club de l'Élu après d'une filiale, la Société de banque et d'expansion. La parcellisation des comptes empêchait la banque de prendre conscience des anomalies.

6.- Sur l'absence de préjudice :

Au regard du contrat de dépôt, la M.U.D.E.L. ne justifie d'aucun préjudice.

Si l'on suit le raisonnement de la mutuelle, tous les mouvements, en crédit ou en débit, sur l'un quelconque des comptes de la M.U.D.E.L. dans les trois banques avec lesquelles elle était en relation auraient été irréguliers, puisque ni le secrétaire général, ni, accessoirement, la présidente, n'avaient qualité pour mouvementer les comptes Dès lors, si les sommes figurant sur les comptes ouverts auprès de la B.R.E.D. ont été irrégulièrement débitées, elles ont aussi été irrégulièrement créditées : on ne voit pas comment la M.U.D.E.L. pourrait prétendre être propriétaire de sommes qui, à appliquer son raisonnement, auraient été irrégulièrement portées au crédit de ses comptes.

La seule solution logique consiste donc à admettre que M. [V], mandataire apparent a, au niveau des rapports bancaires, régulièrement crédité comme débité les comptes.

De toute manière, la M.U.D.E.L. ne justifie pas d'un préjudice, puisqu'elle a déjà obtenu réparation du même dommage, d'une part, au moyen de la transaction conclue avec le Crédit lyonnais le 6 août 1998, d'autre part, par les dispositions civiles du jugement rendu par la 13e chambre du tribunal correctionnel de Paris le 20 octobre 2004.

En outre, beaucoup de mouvements effectués par M. [V], quand bien même il n'avait pas pouvoir, ont été réalisés dans l'intérêt de la mutuelle : payement des salariés de la M.U.D.E.L., des loyers, des fournitures.

7.- Sur le partage de responsabilité :

En tout état, les fautes commises par les organes de la MUDEL-CAREL doivent déterminer un partage de responsabilité.

8.- Sur l'expertise:

Aussi, si la Cour faisait droit aux demandes des appelants, il serait indispensable de désigner un expert afin d'examiner le détail des opérations effectuées au débit et au crédit des comptes de la M.U.D.E.L. auprès de la B.R.E.D. ou de sa filiale.

' ' '

La Cour se réfère aux écritures récapitulatives pour le détail plus ample de leurs arguments.

SUR CE,

I.- Sur la demande de donné acte de l'U.N.P.M.F. :

Considérant qu'il échet de donner acte à l'U.N.P.M.F., venant aux droits de la Fédération nationale de la Mutualité française-F.N.M.F., de son intervention volontaire ;

II.- Sur la recevabilité de l'intervention de l'U.N.P.M.F. :

Considérant que l'U.N.P.M.F., qui poursuit la réparation du préjudice causé par le même manquement que celui reproché à la B.R.E.D. par la M.U.D.E.L., et se borne à demander l'allocation des dommages-intérêts sollicités par la M.U.D.E.L. si celle-ci était déclarée irrecevable, ne soumet pas à la cour d'appel un litige nouveau ; que le jugement entrepris ayant déclaré que seule à intérêt à agir la F.N.M.F., aux droits de laquelle vient l'U.N.P.M.F., il ne peut être contesté que l'intervenante a, dans le principe, intérêt à agir ; qu'en application de l'article 126 du Code civil, toute situation fondant une fin de non recevoir peut être régularisée en cause d'appel, ce à quoi tend l'intervention de l'U.N.P.M.F. ; qu'enfin, la B.R.E.D. ne saurait soutenir que l'intervention de l'U.N.P.M.F. en cause d'appel la priverait du droit au double degré de juridiction, alors que, d'une part, c'est elle qui a soulevé l'irrecevabilité de l'action de la M.U.D.E.L. en première instance, d'autre part, que ni la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ni aucun texte de droit interne, ne garantissent en toutes circonstances le droit au double degré de juridiction, mais, différemment, le droit au juge supérieur, qui peut être le juge de cassation ;

Considérant qu'en l'état de ces énonciations, il échet de déclarer recevable l'intervention en cause d'appel de l'U.N.P.M.F. ;

III.- Sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par la B.R.E.D. et tirée de la perte de qualité de la M.U.D.E.L. :

Considérant que l'article 1162 du Code civil dispose que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes, qu'elles ne nuisent point aux tiers et ne leur profitent qu'en cas de stipulation pour autrui et dans les autres hypothèses prévues par la loi, notamment de renonciation à un droit ;

Considérant que l'acte sous seings privés du 20 juillet 1998 a été passé entre les seules M.U.D.E.L., F.N.M.F. et F.M.P.,, de sorte que la B.R.E.D. ne peut l'invoquer sauf à démontrer que la M.U.D.E.L. a renoncé à ses droits à son encontre ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'acte sous seings privés passé le 20 juillet 1998, la M.U.D.E.L. a cédé à la F.N.M.F. «'tous les contrats afférents à l'ensemble des risques liés à la retraite et gérés actuellement par la Caisse autonome des retraite des

élus locaux dénommés C.A.R.E.L.'» ; que ces dispositions, relatives à la gestion et à la charge des contrats de prévoyance retraite, ne concernent pas le présent litige, qui porte sur l'obligation de restitution et la responsabilité contractuelle d'un banquier dépositaire ;

Considérant que l'article 5 de la convention concerne la répartition entre la F.N.M.F. et la F.M.P. des recettes et des frais afférents à des «'procédures en cours'», mentionnées à l'annexe 6, et donne, en son alinéa 2, pouvoir à la F.N.M.F. de «'poursuivre ou faire cesser toutes procédures judiciaires» ; qu'il n'intéresse pas le présent litige entre la M.U.D.E.L. et la B.R.E.D., aucune instance n'ayant été engagée entre ces parties à la date de l'acte, le 20 juillet 1998 ;

Considérant que l'article 3 «'Conditions de transfert et situation comptable'», qui consiste en un très bref rappel du mécanisme de reprise de passif et d'actif des mutuelles prévu au chapitre unique, 'Le fonds de garantie, de la Partie législative, Titre III, Livre IV du Code de la mutualité', n'a aucunement transféré à la F.N.M.F. l'action de la M.U.D.E.L. à l'égard de la B.R.E.D., la reprise d'un actif et d'un passif comptables dans le cadre de mise en 'uvre du système obligatoire de garantie mutualiste ne valant aucunement transfert du droit à engager et conduire une action par une mutuelle conservant sa personnalité morale, a fortiori quand cette action, dirigée contre une banque dépositaire, est sans rapport avec sa mission de recouvrer les cotisations et de servir les prestations ;

Considérant qu'en application de l'article 1251, 3°, du Code civil, la subrogation a lieu de plein droit au profit de celui qui, étant tenu avec d'autres ou pour d'autres au payement de la dette, avait intérêt de l'acquitter ; que la F.N.M.F., si elle est subrogée aux droits de la M.U.D.E.L. relativement au recouvrement des cotisations d'élus et de collectivités territoriales destinées à financer le risque retraite, ne l'est pas au titre d'une créance indemnitaire de la M.U.D.E.L. envers la B.R.E.D. pour manquement aux obligations de dépositaire, créance qui est sans rapport avec les contrats de prévoyance repris ;

Considérant qu'il s'évince de ces constatations qu'en admettant la B.R.E.D à opposer à la M.U.D.E.L. un protocole auquel la première était extérieure, alors que la première ne pouvait se prévaloir d'une renonciation à un droit, les premiers juges ont méconnu l'effet relatif des conventions et dénaturé le contrat ; que le moyen d'irrecevabilité de la B.R.E.D. tiré de la perte de la qualité à agir de la M.U.D.E.L. n'est pas fondé ;

Considérant qu'en l'état de ces énonciations, il échet, infirmant le jugement entrepris, de débouter la société B.R.E.D. de son exception d'irrecevabilité ;

IV.- Sur la prescription décennale :

Considérant que, la banque B.R.E.D. étant un commerçant, l'action en restitution des fonds déposés comme celle en responsabilité contractuelle se prescrivent par dix ans, conformément à l'article L. 110-4 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'article 15 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, sauf les exceptions prévues par la loi ;

Considérant que la M.U.D.E.L. ne démontre pas s'être trouvée dans l'impossibilité prouvée ou présumée d'agir, de sorte qu'elle ne peut invoquer la suspension de la prescription au sens de l'ancien article 2251 du Code civil ; qu'elle ne justifie pas de l'existence d'un acte recognitif ou interpellatif au sens de l'ancien article 2231 du Code

civil ; que l'instance pénale, qui s'est achevée par un arrêt définitif de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris du 28 septembre 2005, n'a pu suspendre, ni interrompre la prescription, alors que la B.R.E.D. comme personne morale ou ses préposés n'ont jamais été mis en cause dans cette procédure ' une chargée de comptes ayant été exclusivement entendue comme témoin assistée ' et que les deux instances, fondées sur des causes distinctes, tendent à des fins totalement différentes, l'instance devant la juridiction répressive à la répression de faits de faux en écritures, usages de faux et abus de confiance et à l'indemnisation de la partie civile pour le dommage causé par ces délits, celle devant la justice civile à la restitution de sommes déposées et à la réparation du dommage causé par un manquement aux obligations contractuelle du banquier ;

Considérant qu'il s'évince de ces énonciations que, l'assignation ayant été délivrée à la B.R.E.D. le 10 décembre 2004, l'action de la M.U.D.E.L. à l'encontre de cette banque est prescrite pour tout manquement antérieur au 10 décembre 1994 ;

V.- Sur l'action fondée sur l'obligation de restitution à la charge de la B.R.E.D. :

Considérant qu'en application de l'article 1937 du Code civil, le banquier doit rendre les sommes qu'il a reçues ; qu'il ne peut opposer au déposant les payements qu'il a faits sur les instructions d'une personne qui n'avait pas pouvoir, sauf à démontrer que cette personne avait un mandat apparent;

Considérant que l'article 5 du décret n° 86-1359 du 30 décembre 1986 modifiant certaines dispositions du Code de la mutualité et portant établissement des statuts types des mutuelles, des unions de mutuelles et de leurs fédérations impose aux organismes mutualistes des statuts types obligatoires figurant en annexe ; que ces statuts types attribuent au président de l'organisme mutualiste le pouvoir d'engager les dépenses, et au trésorier celui de les payer ; que ces pouvoirs ne peuvent être délégués, par le président et/ou le trésorier, qu'à un directeur salarié ou à un autre salarié ;

Considérant que ces dispositions réglementaires ont été intégrées aux articles 42 et 45 des statuts de la M.U.D.E.L. ;

Considérant que la B.R.E.D. ne peut prétendre avoir ignoré les dispositions réglementaires d'ordre public susvisées, non seulement en raison du principe de connaissance nécessaire de la loi, mais encore parce qu'il s'agissait d'un texte dont un organisme bancaire acceptant un organisme mutualiste dans sa clientèle ne peut soutenir ne pas avoir eu connaissance effective au sens de la décision du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999, comme les statuts, qui ne font que reproduire le règlement ; que ces textes ne permettaient pas au secrétaire général de payer les dépenses, ni à un organe de la mutuelle de lui conférer ce pouvoir ; que, s'agissant des statuts de la M.U.D.E.L., il est de plus démontré, et non contesté, que ce document, dûment validé par l'autorité administrative de contrôle, a été remis à la B.R.E.D. lors de l'ouverture du compte ' la chargée de comptes ayant déclaré au magistrat instructeur : «' Mme [K] [...] avait également remis les statuts de la M.U.D.E.L.'» ', étant relevé en outre que la B.R.E.D. n'aurait pu, s'agissant d'opérations bancaires d'un organisme mutualiste, permettre des opérations sur les comptes que si elle disposait des statuts dûment approuvés par l'autorité administrative ; que, contrairement à ce que soutient la B.R.E.D., les statuts d'une personne morale ne sont pas un acte auquel elle n'est pas partie et qui lui est inopposable, mais, constituant la condition de la qualité à agir de personnes physiques pour le compte de la personne morale cliente, un document que la banque doit obligatoirement exiger et respecter ;

Considérant que l'obligation de non-ingérence de la banque ne la dispense pas de celle, totalement différente, de s'opposer à toute opération manifestement prohibée par une norme législative ou réglementaire et/ou les statuts de son client ;

Considérant que la B.R.E.D., invoquant la théorie du mandat apparent, fait valoir que M. [V] apparaissait comme titulaire du pouvoir de payer les dépenses de la mutuelle, cette croyance étant étayée par le comportement de la présidente de la M.U.D.E.L., qui a consenti une délégation de pouvoirs à M. [V] et l'a fait figurer sur le carton de signature ;

Mais considérant que le mandat apparent a pour fondement la croyance légitime qui aurait été celle de toute personne normalement prudente et se trouvant dans les mêmes conditions dans les pouvoirs de celui avec qui il a été contracté ou dont les instructions ont été exécutées ; qu'il ne peut y avoir croyance légitime dans des pouvoirs qui sont en contradiction avec, à la fois, des dispositions réglementaires d'ordre public régissant le fonctionnement des organismes mutualistes et les statuts de la mutuelle cliente ;

Considérant que la règle nemo auditur propriam turpitudinem allegans ne trouve application que pour faire obstacle aux restitutions consécutives à l'annulation d'un contrat dont la cause est immorale; que les conventions passées entre la B.R.E.D. et la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. n'ayant pas de cause immorale et n'étant pas annulées, l'invocation de ce principe est inopérant ;

Considérant que la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. invoque l'obligation de restitution du dépositaire; qu'il s'ensuit que la B.R.E.D. ne saurait lui opposer une reprise de son passif par des organismes mutualistes qui aurait fait disparaître le préjudice, l'organisme mutualiste ne demandant pas à titre principal la réparation d'un dommage, mais la restitution d'un dépôt de sommes ;

Considérant qu'il s'évince de ces énonciations que la B.R.E.D., qui n'avait pas le droit d'accepter d'instructions de payement ou de virement de M. [V], ni de lui remettre des moyens de payement, notamment les deux cartes bancaires, a l'obligation de restituer à la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. tous les fonds que celle-ci lui a confiés à compter du 10 décembre 1994, incluant les sommes que le secrétaire général a fait payer ou virer à des organismes qu'il dirigeait ou qu'il s'est attribué personnellement ;

VI.- Sur l'action de la MUDEL-CAREL en dommages-intérêts :

Considérant que l'interdiction pour le banquier de s'immiscer dans les affaires de son client ne le dispense ni de l'obligation de vérifier diligemment les pouvoirs de son représentant, ni de celle de refuser d'exécuter des opérations manifestement illégales ;

Considérant qu'en exécutant les instructions de payement ou de virement de M. [V] et en lui attribuant deux cartes bancaires sur le compte de la mutuelle, alors qu'il ne disposait pas, et ne pouvait disposer en vertu des dispositions réglementaires et statutaires applicables, du pouvoir pour payer au nom de la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L., la B.R.E.D. a commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle envers la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. ;

Considérant que la B.R.E.D., qui ne pouvait que connaître l'activité mutualiste de sa cliente, ne pouvait ignorer que les fonds perçus par une caisse autonome de prévoyance ne peuvent légalement être utilisés qu'au règlement des prestations mutualistes et des frais de gestion; que l'interdiction d'immixtion faite au banquier n'est pas un droit de prêter son concours à des actes illégaux, ni même de les permettre par sa passivité ; que la B.R.E.D. ne peut soutenir qu'elle ignorait la destination des sommes provenant des comptes M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. dont bénéficiait le Club de l'Élu et l'I.R.F.E.L., alors que sa chargée de comptes a reconnu au cours de l'information que M. [V] l'avait entretenue de la création de ces deux entités, chargées l'une d'une activité de formation des élus, l'autre de l'octroi de prêts, objets évidemment étrangers à celui d'une caisse mutualiste de retraite, et qu'elle l'avait dirigé vers des filiales de la B.R.E.D., censées plus adaptées au financement de ce type d'activités ; que la B.R.E.D. ne peut donc soutenir qu'elle ignorait que les très importants mouvements à partir des comptes M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. au profit de ces deux entités, notamment, étaient interdits par le Code de la mutualité et le règlement d'application ; que la B.R.E.D. a de la sorte commis des fautes engageant sa responsabilité contractuelle ;

Considérant que, pour les motifs développés ci-dessus, les arguments tirés du mandat apparent et de la règle nemo auditur sont inopérants ;

Considérant que la B.R.E.D. ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 2 du Code de procédure pénale, l'action de la mutuelle étant fondée sur l'obligation de restitution du dépositaire et sur la responsabilité contractuelle de la banque, alors que la condamnation prononcée contre MM. [V] et [T], le Club de l'Élu et l'I.R.F.E.L. est fondée sur la responsabilité délictuelle, dans la limite du dommage causé par les infractions dont ils ont été déclarés convaincus ;

Considérant que la B.R.E.D. ne peut soutenir que les fautes de la M.U.D.E.L. ont contribué au préjudice de celle-ci, alors que, quelles qu'aient été l'incurie et la désinvolture de certains organes de cette mutuelle, le dommage ne se serait jamais produit si la banque avait refusé, comme elle en avait l'obligation, tout ordre de payement manifestement irrégulier comme toute délivrance de cartes bancaires à M. [V] ; qu'elle ne peut donc s'exonérer, même partiellement, de sa responsabilité au motif que des organes de la mutuelle lui auraient donné des instructions dont elle devait nécessairement connaître l'illicéité et qu'elle devait refuser d'exécuter ;

VII.- Sur la mesure d'instruction :

Considérant que les pièces produites aux débats, notamment les extraits de la procédure pénale et les relevés de comptes, qui ne sont pas exhaustifs, ne permettent pas de déterminer le droit à restitution de la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L. au titre des sommes déposées à compter du 10 décembre 1994, pas plus que de déterminer le dommage éventuellement causé par les manquements de la banque à compter de cette date, ces manquements de nature contractuelle étant différents de ceux de nature délictuelle retenus par le juge répressif pour une période ne correspondant pas à celle retenue par la décision civile ; qu'en outre, il est indispensable de pouvoir distinguer entre les opérations qui ont été réalisées sans pouvoir licite mais dans l'intérêt mutualiste (payement des salaires, des cotisations sociales, des fournitures, des charges diverses, etc.), et celles qui étaient manifestement sans rapport avec l'objet et les charges de la mutuelle;

Considérant qu'il est donc indispensable d'ordonner une mesure d'expertise, avec la mission énoncée au dispositif ;

VIII.- Sur les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure

civile :

Considérant qu'eu égard à la nature et aux circonstances de l'affaire, il serait contraire à l'équité de laisser à la charge de la M.U.D.E.L.-C.A.R.E.L .les frais irréptétibles qu'elle a exposés;

Que la B.R.E.D. sera condamnée à lui payer la somme de dix mille euros

(10.000 €) au titre des frais irrépétibles d'ores et déjà exposés en première instance et en cause d'appel ;

Considérant qu'il convient de constater que l'Union Nationale de la Prévoyance de la Mutualité Française ne formule aucune demande séparée de la MUDEL quant à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, qu'aucune somme ne lui sera donc allouée ;

Considérant que la B.R.E.D., en raison de sa succombance, doit être déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'ores et déjà exposés ;

IX- Sur les demandes au fond de l'U.N.P.M.F. :

Considérant que les demandes de la M.U.D.E.L .étant déclarées fondées, celles au fond de l'U.N.P.M.F. se trouvent nécessairement sans objet ;

X.- Sur les dépens :

Considérant qu'une mesure d'instruction devant être exécutée, dont le coût constitue des frais taxables, il échet de réserver les dépens ;

PAR CES MOTIFS,

Donne acte à l'Union nationale de la prévoyance de la Mutualité française-U.N.P.M.F., venant aux droits de la Fédération nationale de la Mutualité française-F.N.M.F., de son intervention volontaire.

Déclare recevable l'intervention volontaire en cause d'appel de l'Union nationale de la prévoyance de la Mutualité française-U.N.P.M.F.

Infirme le jugement entrepris,

Déboute la société coopérative Banque régionale d'escompte et de dépôts- B.R.E.D.-Banque populaire de son exception d'irrecevabilité.

Déclare recevable l'action de Mutuelle nationale des élus locaux-M.U.D.E.L.

Dit que les actions en restitution et en dommages-intérêts de la Mutuelle nationale des élus locaux-M.U.D.E.L. sont prescrites pour la période courant jusqu'au 10 décembre 1994.

Déclare la société coopérative Banque régionale d'escompte et de dépôts- B.R.E.D.-Banque populaire débitrice de la restitution des sommes déposées sur les comptes ouverts dans ses livres par la Mutuelle nationale des élus locaux-M.U.D.E.L. et la Caisse autonome mutualiste de retraite des élus locaux-C.A.R.E.L. à compter du 10 décembre 1994.

Déclare la société coopérative Banque régionale d'escompte et de dépôts- B.R.E.D.-Banque populaire contractuellement responsable du dommage causé à la Mutuelle nationale des élus locaux-M.U.D.E.L. à compter du 10 décembre 1994.

Avant dire plus amplement droit,

Ordonne une mesure d'expertise.

Commet pour y procéder :

M. [H] [D]

[Adresse 2]

[Localité 8]

Tel : [XXXXXXXX01]

mail : [Courriel 10]

Avec mission :

- de convoquer les parties et leurs conseils ;

- de les entendre en leurs explications, en présence de leurs conseils ;

- de se faire remettre tous documents utiles, notamment tous les justificatifs des mouvements effectués sur et à partir des comptes de la Mutuelle des élus locaux-M.U.D.E.L. et de la Caisse autonome mutualiste de retraite des élus locaux-C.A.R.E.L. dans les livres des agences de la Banque régionale d'escompte et de dépôts- B.R.E.D.-Banque populaire ;

- de fournir tous éléments permettant de déterminer quelles sommes ont été versées à partir de ces comptes au profit de M. [B] [V], des associations Le Club de l'Élu et Institut national Information, Recherche et Formation des élus locaux-I.R.F.E.L. et des sociétés Fac Limousine et Sofraserel ou de toute autre entité à compter du 10 décembre 1994 ;

- de fournir à la Cour tous éléments permettant de distinguer, à compter du 10 décembre 1994, entre les opérations qui, même irrégulières en raison de l'absence de pouvoir de M. [V], étaient conformes à l'objet mutualiste (payement des salariés et des charges sociales, des fournitures, des loyer des locaux de la mutuelle-caisse, etc.) et celles qui étaient extérieures à cet objet ;

- d'indiquer les montants utilisés au moyen des deux cartes bancaires délivrées par la Banque régionale d'escompte et de dépôts- B.R.E.D.-Banque populaire à M. [B] [V] sur les comptes ouverts par la Mutuelle des élus locaux-M.U.D.E.L. et de la Caisse autonome mutualiste de retraite des élus locaux-C.A.R.E.L. ;

- de fournir tous éléments permettant de déterminer quelle augmentation de découvert les mouvements anormaux ont pu déterminer et quels agios, frais et accessoires cette augmentation du découvert a pu générés ;

- de fournir tous éléments susceptibles de déterminer les opérations dont la Banque régionale d'escompte et de dépôts- B.R.E.D.-Banque populaire avait connaissance au regard des comptes ouverts dans ses livres ;

- de manière générale, de fournir à la Cour toutes indications factuelles ou techniques susceptibles d'éclairer le litige.

Dit que la Mutuelle des élus locaux et la société B.R.E.D. consigneront chacune la somme de quatre mille euros (4.000 €) avant le 30 novembre 2011 à la régie de cette Cour, faute de quoi la mesure d'instruction s'avérera caduque.

Dit que l'expert déposera un pré-rapport au plus tard le 30 mars 2012.

Dit que l'expert déposera son rapport au plus tard le 31 mai 2012.

Charge le Président de cette chambre ou tout magistrat de la chambre pour suivre les opérations d'expertise et statuer en cas d'incident.

Condamne la société coopérative Banque régionale d'escompte et de dépôts-B.R.E.D.-Banque populaire à payer à la Mutuelle des élus locaux-M.U.D.E.L. la somme de dix mille euros (10.000 €) au titre des frais irrépétibles de première instance et de ceux d'appel d'ores et déjà exposés.

Déboute la société coopérative B.R.E.D. de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'ores et déjà exposés.

Réserve les autres moyens et demandes des parties ainsi que les dépens.

Renvoie l'affaire à la conférence de procédure du 13 Décembre 2011 à 14h00 , pour vérification du versement de la consignation..

LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 08/05828
Date de la décision : 08/09/2011
Sens de l'arrêt : Renvoi

Références :

Cour d'appel de Paris I6, arrêt n°08/05828 : Renvoi à la mise en état


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-09-08;08.05828 ?
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