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18/05/2011 | FRANCE | N°08/02503

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 18 mai 2011, 08/02503


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRET DU 18 MAI 2011



(n° 130 , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 08/02503



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Janvier 2008

Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2007068518





APPELANTE



S.A.S ODYSSEE VENTURE

agissant poursuites et diligences de son représentant légal r>
[Adresse 3]

[Localité 4]



représentée par Me HUYGHE Louis-Charles, avoué à la Cour

assistée de Me PLACK TOR Olivier, avocat au barreau de PARIS - toque D2036 et de

Me GUERIN François-Xavier,...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRET DU 18 MAI 2011

(n° 130 , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 08/02503

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Janvier 2008

Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2007068518

APPELANTE

S.A.S ODYSSEE VENTURE

agissant poursuites et diligences de son représentant légal

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me HUYGHE Louis-Charles, avoué à la Cour

assistée de Me PLACK TOR Olivier, avocat au barreau de PARIS - toque D2036 et de

Me GUERIN François-Xavier, avocat au barreau de PARIS - toque D2036

INTIMES

M. [R] [O]

[Adresse 1]

[Localité 6]

S.C.A. [R] & CIE

agissant poursuites et diligences de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 5]

S.A. [R] ASSET MANAGEMENT

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 5]

SAS PHILIPPE [R]

agissant poursuites et diligences de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentés par la SCP RIBAUT Alain et RIBAUT Vincent, avoués à la Cour

assistés de Me d'ORNANO Roland, avocat au barreau de MARSEILLE et de

Me BERRUYER Guillaume, avocat au barreau de PARIS - toque T04

plaidant pour l'AARPI JEANTET et associés

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 18 mai 2011 en audience publique, après qu'il ait été fait rapport par M.LE FEVRE, président, conformément aux dispositions de l'article 785 du Code de procédure civile, devant la Cour composée de :

- M.LE FEVRE, président de chambre, président

- M.ROCHE, président de chambre

- M.VERT, conseiller

Greffier lors des débats : Mme CHOLLET

ARRET

- contradictoire

- prononcé publiquement par M. LE FEVRE, président

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. LE FEVRE, président et Mme CHOLLET, greffier.

LA COUR,

Vu le jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 16 janvier 2008 qui, dans un litige entre d'une part, la société ODYSSEE VENTURE, d'autre part la SAS [R] ASSET MANAGEMENT, la société en commandite par actions [R] et Cie, l'EURL PHILIPPE [R] et M. [O] [R], relatif à des fautes qui auraient été commises par ces dernières personnes physiques ou morales dans la gestion ou à l'occasion de la gestion de Fonds Communs de Placement à caractère Innovant, ci-après FCPI, a notamment débouté la société [R] ASSET MANAGEMENT de ses demandes de dommages et intérêts fondées sur l'allégation de manquements par les sociétés [R] et Cie et [R] ASSET MANAGEMENT à leur de voir d'information et de conseil sur le placement des actifs sous gestion d'ODYSSEE VENTURE au sein de la gamme d'OPCVM [R]; a, pour le surplus, c'est à dire sur les mêmes demandes en ce qu'elles étaient fondées sur des manquements allégués aux règles ou à la déontologie des opérations de bourse, renvoyé la cause au rôle d'attente, c'est à dire sursis à statuer, dans l'attente de la décision sur l'inexécution des ordres de rachat qui serait prise dans l'enquête éventuellement diligentée par l'Autorité des Marchés Financiers, ci-après l'AMF, à la suite de la demande présentée par la société ODYSSEE VENTURE;

Vu l'appel de la société ODYSSEE VENTURE et ses conclusions du 21 janvier 2011 par lesquelles elle demande notamment à la Cour d'infirmer le jugement; dire que les sociétés [R] et Cie, [R] ASSET MANAGEMENT, PHILIPPE [R] SAS et M. [O] [R] ont commis des fautes d'une particulière gravité à son encontre; les condamner solidairement à lui payer à titre de dommages et intérêts les sommes de 31 615 665 € et 3 595 957 € arrêtées à fin avril 2011 pour le compte de plusieurs FCPI, 3 982 244 € et 19 200 000 € en réparation de son préjudice propre, subsidiairement 29 746 913 € et 2 752 663 €, 3576 348 € et 19 200 000 €, plus subsidiairement 20 150 930 € et 2 086 824€, 2 449 387 € et 19 200 000 €; dire que la SAS [O] [R] et M. [O] [R], associés commanditaires seront solidairement tenus des condamnations; débouter les intimés; les condamner solidairement lui payer 200 000€ au titre de l'article l' article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 7 mars 2011 des sociétés [R] ASSET MANAGEMENT (SA), [R] et Cie (SCA) et PHILIPPE [R] (SAS) et de M. [O] [R] qui demandent à la Cour de dire qu'ODYSSEE VENTURE ne peut solliciter l'évocation de points non jugés en première instance, qui ne constituent ni des mesures d'instruction ni des éléments mettant fin à l'instance; la dire irrecevable en ses demandes relatives à la non exécution d'ordre de rachat et à la condamnation solidaire de M. [O] [R] et de la SAS PHILIPPE [R]; sur le fond confirmer le jugement; rejeter toutes les demandes de la société ODYSSEE VENTURE ; la condamner à payer à [R] et Cie et [R] ASSET MANAGEMENT 5 000 000 € de dommages et intérêts à M. [O] [R] et à la SAS PHILIPPE [R] 200 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, à chacun des intimés 50 000 € au titre de l' article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant sur la procédure que les conditions prévues par l'article 568 du Code de procédure civile ne sont pas réunies, le Tribunal n'ayant pas ordonné l'enquête de l'AMF; mais que l'appel n'est pas limité et tend à l'infirmation du jugement dans son ensemble; que le Tribunal n'a pas sursis à statuer sur certaines demandes mais a omis de se prononcer sur certains moyens fondant les mêmes demandes que celles dont est saisie la Cour; que la Cour est saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel; qu'il n'apparaît pas possible et en tous cas qu'il ne serait pas de bonne administration de la justice de la diviser, ceci d'autant moins que les résultats de l'enquête de l'AMF sont désormais connus et que l'appelante en tire argument à l'appui de l'ensemble de ses moyens y compris le manquement à l'obligation d'information sur lequel le Tribunal s'est prononcé ; que la Cour doit statuer sur l'entier litige;

Considérant que les parties exposent et qu'il est constant que la société en commandite par actions [R] et Cie est une société financière agréée par le comité des établissements de crédit qui est notamment dépositaire des fonds communs de placements; qu'elle a pour associés commanditaires la SAS anciennement EURL, PHILIPPE [R], et M. [O] [R], et pour filiale la SA [R] ASSET MANAGEMENT, OAM, société de gestion agréée par l'AMF qui gère des fonds communs de placement, [R] et Cie étant dépositaires des fonds gérés par OAM; que la société ODYSSEE VENTURE est une société gérant pour le compte de tiers des fonds de capital investissement FCPI et FIP, essentiellement « dédiés » au financement du développement d'entreprises innovantes; qu'elle a investi, pour une somme qu'elle évalue à 63 279 938 € les disponibilités de ses fonds dans les FCP monétaires gérés par [R] ASSET MANAGEMENT, [R] cash arbitrage et [R] cash titrisation; que les deux fonds ont été liquidés en avril et septembre 2007 avec des pertes de valeur liquidatives importantes; que la société ODYSSEE VENTURE soutient avoir été victime de la part des sociétés [R] et Cie et [R] ASSET MANAGEMENT 'de fautes et manquements d'une particulière gravité' à son préjudice et à celui des fonds qu'elle gère;

Considérant que les fondateurs de la société ODYSSEE VENTURE avaient conclu, lors de sa fondation, avec la SCA [R] et Cie, une convention, en date du 1er octobre 1999, contenant aussi des stipulations concernant [R] ASSET MANAGEMENT, par laquelle les parties déclaraient avoir constitué un partenariat en matière de FCPI, lancé la commercialisation de FCRI, [R] et Cie étant dépositaire des fonds, les gérants (d'ODYSSEE VENTURE) devant consulter [R] ASSET MANAGEMENT préalablement aux investissements et '[R]' devant fournir diverses prestations, notamment la gestion administrative et comptable , la mise à disposition d'outils d'analyse et de gestion de données, l'assistance dans la communication financière et le marketing; que les sociétés [R] font valoir que le 25 août 2006, près d'un an avant les pertes litigieuses, ODYSSEE VENTURE avait dénoncé la convention; que toutefois des FCPI avaient été crées en exécution de la convention; qu'OAM était gestionnaire et [R] et Cie dépositaire, et que ces sociétés restaient débitrices des obligations résultant de la réglementation des marchés financiers et de l'obligation générale de bonne foi afférentes à ces qualités; que les décisions d'investissement relevaient de ODYSSE VENTURE, mais qu'elles devaient être éclairées;

Considérant que l'appelante déclare qu'OAM ne lui avait jamais signalé la présence des 'subprime' dans les fonds [R] cash arbitrage et [R] cash titrisation, qu'elle n'en a été informée que par un courriel du 6 juillet 2007; que dans une lettre du même jour à [R] et Cie, ODYSSEE VENTURE déclarait ' nos contacts avec OAM ne nous ont pas permis jusqu'à présent d'identifier avec certitude les fonds concernés par la thématique 'subprime'. Nous aurions besoin des conseils d'un spécialiste de la gestion taux, pour arbitrer sans précipitation au sein de la gamme et être certains d'une réelle diversification des stratégies de gestion entre les OPCVM sélectionnés'; qu' ODYSSEE VENTURE se plaint que cette lettre n'ait jamais fait l'objet d'aucune réponse;

Considérant que l'appellation [R] cash titrisation était auto explicative quant au contenu général des fonds mais sans que cela explique que les titres seraient liés à l'immobilier américain; que certes le fait qu' ODYSSEE VENTURE avait, selon le Tribunal une maîtrise des marchés financiers, impliquant une information sur les 'subprime' et les risques y afférents, mais non connaissance de la proportion de titres 'subprime'dans les fonds litigieux; que les termes du courriel analysés par le Tribunal, quoique trompeurs pour un non professionnel, étaient faciles à décrypter pour un professionnel; que ceci n'excuse , ni la teneur ambigüe du message, ni le défaut de réponse au courrier du 6 juillet , qui sont des manquements par OAM et [R] et Cie à leurs obligations de bonne foi et d'information des investisseurs; mais que le lien de causalité avec le préjudice allégué n'est pas suffisamment démontré, dès lors que ODYSSEE VENTURE était alors , de fait, alertée sur une situation à risques et n'en a pas tiré les conséquences, alors qu'il était encore temps de le faire, la perte de valeur liquidative au 6 juillet était encore très faible;

Considérant que l'appelante reproche à OAM et [R] et Cie le non-respect des intérêts des porteurs de fonds, par transfert d'actifs 'toxiques' du fonds [R] cash vers les fonds [R] cash arbitrage et [R] cash titrisation entre le 5 mars 2007 et le 5 juillet 2007, se référant à l'Autorité des marchés financiers;

Considérant que l'AMF a, par deux décisions du 18 juin 2009 reconnu des manquements et prononcé des sanctions pécuniaires de 300 000 € et un avertissement, respectivement à l'encontre des sociétés OAM et [R] et Cie; que ces dernières prétendent que les manquements identifiés par l'AMF sont sans lien avec le présent litige;

Considérant que dans la décision relative à [R] et Cie, l'AMF rappelle qu'en vertu de plusieurs dispositions de son règlement général, « les informations utiles sont communiquées au mandant afin de lui permettre de confier la gestion de ses actifs ou de prendre une décision d'investissement ou de désinvestissement en toute connaissance de cause »; que le devoir d'information et de conseil comporte la mise en garde contre les risques encourus; que la publicité concernant les OPCVM doit être cohérente avec l'investissement proposé et mentionner, le cas échéant, les caractéristiques moins favorables et les risques inhérents aux options qui peuvent être le corollaire des avantages annoncés; que l'AMF a reproché à [R] et Cie un manquement à ce principe dans ses prospectus et documents commerciaux, déclarant que les fonds dits 'monétaires dynamiques' - dont faisaient parties les fonds litigieux [R] cash arbitrage et [R] cash titrisation - étaient présentés dans la même gamme que celle où figuraient un fonds classique sans que les différences les deux catégories et qu'ils ont été commercialisés sans claire explication du risque; que l' AMF a ainsi identifié un risque de conflit d'intérêts du fait que les décisions d'abaisser la valeur liquidative demeuraient conflictuelles;

Considérant en ce qui concerne la société [R] ASSET MANAGEMENT que l'AMF lui reproche d'avoir, à la suite de la réunion du comité des risques exceptionnels d' [R] et Cie du 5 mars 2007 engagé du 5 mars au 7 juillet 2007 la vente de la totalité des produits de titrisation liés au marché immobilier américain dont le fonds [R] cash était titulaire aux quatre fonds « dynamiques » dont les deux fonds litigieux ; qu'il a été procédé pour ces cessions pour les deux tiers, non à des ventes sur le marché mais à des opérations directes avec les fonds dynamiques et donc , constate la Cour, secrètes ; que l'AMF remarque en réponse à un argument d'[R] qu'il ne ressortait pas de l'instruction que ces fonds avaient eu un intérêt propre, c'est-à-dire celui des porteurs de parts, à acheter ces mêmes produits pour des quantités au total proches de celles dont [R] cash était titulaire ;

Considérant que l'AMF en a déduit qu'[R] s'était éloignée du principe, rappelé par l'article L539-11 du Code Monétaire et Financier et 314-3 du règlement général de l'AMF, du respect des intérêts des porteurs de chacun des fonds ; que l'AMF déclare encore que le 14 mars 2007 [R] a effectué une opération sur une tranche du « CDS et DISC » qui lui a permis de réduire la perte d'[R] cash résultant d'une opération sur le même produit mais que cette opération a placé les fonds monétaires dynamiques moins favorable que celle qui aurait été la leur s'ils avaient procédé directement à l'opération, que le choix de localisation d'un profit exceptionnel dans le fond [R] cash au détriment des fonds dynamiques constituait une méconnaissance caractérisée du respect des intérêts des porteurs de chacun des fonds ;

Considérant que si les fautes d'[R] et Cie concernent principalement l'information du public en général, celles d' [R] ASSET MANAGEMENT, consistant notamment à transférer, sans que les tiers , même professionnels, en soient informés les actifs les plus risqués sur les fonds dynamiques y compris les deux fonds litigieux, en violation tant des règles du marché que de l'obligation générale de bonne foi, sont en lien de causalité directe avec la baisse de valeur des actifs des fonds litigieux ; que la collusion entre [R] et Cie et [R] ASSET MANAGEMENT est établie par la combinaison de l'ensemble des constatations de l'AMF et notamment le fait que c'est à la suite de la réunion du comité des risques exceptionnels d'[R] et Cie du 5 mars 2007, et en fait immédiatement après, qu'[R] cash a commencé à opérer la cession des produits les plus risqués aux fonds « dynamiques » gérés par [R] ASSET MANAGEMENT, filiale à 100% d'[R] et Cie ; que rien n'établit que l'une ou l'autre des sociétés [R] ait informé ODYSSEE VENTURE de l'opération de vente ni de la proportion importante des titres à risque maximal qui en résultait ; que ni la qualité de professionnel avéré d'ODYSSEE VENTURE, ni le fait que le mot « titrisation » ait figuré dans l'appellation d'un des fonds litigieux ne permettait d'affirmer qu' ODYSSEE VENTURE connaissait ou aurait dû connaître l'importance des « subprime » dans les actifs ; que toutes le créances titrisées ne sont pas nécessairement à hauts risques, les « subprime » étant des créances afférentes aux prêts hypothécaires à très longs termes et à taux variable accordés à des américains de condition modeste ou moyenne pour l'acquisition de leur logement, qui prennent un maximum de risques ;

Considérant qu'ODYSSEE VENTURE fait valoir que les documents d'information et le site internet d'[R] n'auraient jamais évoqué l'exposition des fonds monétaires de la gamme [R] aux risques « subprime », et qu'au contraire les notes des analystes de la structure de recherche du groupe [R] mettaient en garde en avril et mai 2007 contre les risques importants liés à ce type d'actifs, ce qui laisserait supposer même à des investisseurs professionnels, qu'[R] n'avait pas commis les erreurs qu'elle dénonçait, alors qu'en réalité, elle ne faisait que nettoyer un fonds au préjudice d'autres, sans en faire part aux investisseurs, pour tenter de pallier aux conséquences de ses erreurs ; que dans un tel contexte, le défaut de réponse, par [R] et Cie et de sa filiale à la lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juillet 2007 demandant des informations sur le niveau de subprime dans les fonds était un manquement supplémentaire et grave à l'obligation d'information et de bonne foi dus à tout investisseur, indépendamment d'une éventuelle obligation renforcée ;

Considérant qu'[R] ASSET MANAGEMENT et [R] et Cie pouvaient d'autant moins ignorer la réalité de la situation de risque qu'elles dissimulaient et ce même compte tenu de la distinction des personnes juridiques physiques et morales que l'appelante fait valoir qu'il résulte des pièces communiquées sur injonction que M. [O] [R] et la société PHILIPPE [R] ont procédé à partir du 25 juin 2007 à des rachats représentant selon les calculs d'ODYSSEE VENTURE plus de 76 % des sommes qu'ils avaient investies dans les fonds [R] cash arbitrage et [R] cash titrisation, ces rachats se traduisant par des prélèvements sur la trésorerie disponible des fonds ; que les intéressés ne contestent pas clairement la matérialité des faits mais seulement leur caractère fautif, expliquant notamment que le rachat effectué le 3 juillet 2007 par la société PHILIPPE [R] pour 3.614.900,11€ correspondait à une acquisition de société ; qu'il n'en reste pas moins que c'est précisément sur les fonds les plus « toxiques » que les opérations ont été réalisées et que leurs auteurs ne pouvaient en ignorer les conséquences ;

Considérant qu'ODYSSEE VENTURE invoque un non respect du niveau d'endettement maximal des fonds et des règles d'évaluation prévues par leurs règlements; mais que la méthode d'évaluation adoptée par ODYSSEE VENTURE est contestée quant à sa pertinence et que la Cour ne dispose pas des moyens techniques lui permettant de constater un manquement de ce chef ;

Considérant qu'un reproche essentiel fait par ODYSSEE VENTURE à [R] ASSET MANAGEMENT est le refus d'exécuter ses ordres de rachat ; qu'elle rappelle que le 25 juillet 2007 dans l'après-midi, [R] ASSET MANAGEMENT rendait public sur son site internet que les 3 fonds [R] cash arbitrage, [R] cash titrisation et [R] court terme dynamique ; qu'il est constant que les 26 et 27 juillet 2007, respectivement à 09h30 et 9h36 ODYSSEE VENTURE adressait à [R] ASSET MANAGEMENT des ordres de rachat de ses parts des fonds [R] cash arbitrage et [R] cash titrisation et simultanément la souscription au fonds [R] cash exempt de risques liés à la crise des « subprime » ; que ces ordres, qui selon les règles du marché devaient être exécutés le jour même de leur passation puisque donnés avant 11h, n'ont jamais été exécutés ;

Considérant que la règle est que les ordres doivent être exécutés ; qu' [R] ASSET MANAGEMENT n'avait en principe aucun choix ou opportunité de les exécuter ou non sauf suspension des rachats et souscription lorsque des circonstances exceptionnelles l'exigent, en application de l'article L 214-30 du code monétaire et financier ; que cette procédure étant exceptionnelle, c'est à [R] ASSET MANAGEMENT, de prouver les circonstances exceptionnelles, leurs conséquences nécessaires, et le respect des modalités légales, réglementaires et contractuelles dans la mise en 'uvre de la décision ;

Considérant qu'ODYSSEE VENTURE fait valoir que la décision de suspendre « immédiatement » les souscriptions et rachats des parts des fonds [R] cash arbitrage, [R] cash titrisation et [R] court terme dynamique a été annoncée par un communiqué du 27 juillet dans l'après-midi, lequel indiquait que la décision de suspension avait été prise par [R] ASSET MANAGEMENT le 26 juillet ; que le même communiqué annonçait aussi qu'avait été prise la décision de procéder à la dissolution anticipée des fonds concernés par cette opération ;

Considérant que la société [R] fait valoir que le 23 juillet 2007 la crise de liquidité sur le marché des titrisations s'est brutalement accentuée et a atteint un niveau sans précédent ; qu'il y a eu une très forte baisse sur les fonds monétaires dynamiques ; que le 26 juillet, à une heure qu'elle ne précise pas,  alors que les bourses mondiales s'effondraient et que l'ampleur de la crise de liquidité des titrisations se confirmait, [R] ASSET MANAGEMENT a pris la décision de suspendre les demandes de souscription et rachat, c'est-à-dire celles transmises depuis le 25 juillet à 8h30 pour [R] cash titrisation et à 11h pour [R] cash arbitrage ; qu'elle n'a pas procédé au calcul de la valeur liquidative du 26 juillet et en pouvait exécuter les ordres sur la base de cette valeur ;

Mais considérant que même si les mouvements étaient très importants, [R] ASSET MANAGEMENT ne démontre pas l'impossibilité de procéder au calcul de la valeur liquidative ; que c'est elle qui a pris la décision de ne pas y procéder et que, comme le dit l'appelante, elle ne pouvait, en application des articles L 214-30 et 31 du code des marchés financiers que soit procéder à une suspension du rachat des parts, provisoire, soit à une suspension définitive pour fermeture mais avec effet seulement après que l'annonce eut été rendue publique, même en cas de circonstances exceptionnelles ; que c'est de manière fautive qu' a procédé de manière rétroactive, pour des ordres donnés avant la publication de sa décision et même avant la prise de celle-ci, à une suspension définitive pour « fermeture » des fonds ;

Considérant que la Cour n'est pas en mesure de constater d'autres manquements pouvant avoir un lien de causalité avec le préjudice allégué ; une ou l'autre des sociétés du groupe [R] présente en la cause, notamment dans la phase postérieure à la fermeture des fonds ;

Considérant sur le préjudice que les conséquences du défaut d'exécution des ordres n'ont pu qu'être très limitées ; que la situation était au 26 juillet 2007 très obérée ; que la réalité de la crise boursière à cette date n'est ni contestée ni contestable, qu' ODYSSEE VENTURE remarque elle-même que entre le 4 et le 6 juillet 2007 le montant des rachats opérés sur le fonds [R] cash arbitrage dépassait 84 millions d'euros, ce qui lui était méconnu, était le signe d'une situation déjà très difficile ; que Cash arbitrage connaissaient 308 millions de sorties nettes entre le 6 et le 26 juillet 2007, et Cash titrisation 93 millions d'euros ; le différentiel de perte eut été faible ;

Considérant que l'essentiel du préjudice est en lien de causalité directe avec les fautes relevées par l'Autorité des Marchés Financiers, documents d'information inexacts et non conformes diffusés par [R] et Cie, transferts rachats d'actifs les plus risqués vers les fonds litigieux par [R] ASSET MANAGEMENT avec la complicité d'[R] et Cie, en tous cas sur constatation de celle-ci de l'importance des risques liés aux subprimes ainsi qu'avec le défaut d'information jusqu'à fin juillet 2007, notamment de réponse à la lettre du 6 juillet 2007, date à laquelle il était encore temps d'agir ; que ces manquements ont fait perdre à ODYSSEE VENTURE une chance de réorienter utilement, alors qu'il en était encore temps, ses investissements, de manière moins risquée et ont en outre accru considérablement les risques sur les fonds dans lesquels elle était engagée ; que la modestie des sanctions prononcées par l'AMF n'empêche pas la Cour d'en tirer toutes conséquences sur le plan civil ; qu'en outre la situation a été aggravée par les opérations effectuées en toute connaissance de cause par M. [O] [R] et la SAS [R] ;

Considérant toutefois qu'ODYSSEE VENTURE a participé à son préjudice en n'opérant pas le meilleur choix lors de la liquidation des fonds ; que les sociétés [R] font valoir qu' ODYSSEE VENTURE , qui a pris l'option de liquidation immédiate avec risque de décote importante, dont elle a été avertie et qu'elle ne pouvait ignorer, a perçu en juillet 2008 un solde de liquidation correspondant à la cession immédiate des actifs en portefeuille au prix du marché alors que si elle avait choisi de rester investie comme d'autres investisseurs institutionnels, elle aurait sensiblement diminué ses pertes, la valeur des fonds [R] cash arbitrage liquidation lorsque ayant augmenté de 174,93% en janvier 2011 par rapport à juillet 2008, qu'en outre même si elle avait réagi à temps, il n'est pas démontré qu'elle eut pu éviter la totalité des pertes, la crise des « subprime » se répercutant sur l'ensemble du marché boursier;

Considérant qu 'ODYSSEE VENTURE a ainsi subi un préjudice commercial d'image et de manque à gagner, sur les commissions, que la Cour évalue globalement à 2,5 millions d'euros pour sa part, en lien de causalité direct avec les manquements ci-dessus relatés;

Considérant que la société PHILIPPE [R] et M. [O] [R] ayant participé au préjudice, doivent être tenus pour le tout; qu'en outre, en leur qualité d'associés commandités, ils sont tenus solidairement des dettes de la société [R] et Cie;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la procédure d' ODYSSEE VENTURE n'est pas abusive; qu'il est équitable de lui accorder la somme globale de 80 000 € pour ses frais irrépétibles;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris.

Condamne solidairement les sociétés [R] ASSET MANAGEMENT SAS, [R] et Cie SCA, PHILIPPE [R] SAS à payer à la SAS ODYSSEE VENTURE les sommes de 10.500 000 € et 1.200 000 € de dommages et intérêts pour les comptes de FCPI mentionnés dans ses conclusions gérés par elle, 2.500 000 € en réparation de son préjudice propre et 80.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs autres demandes.

Met solidairement à la charge des personnes physiques et morales intimées précitées du groupe [R] les dépens de 1ère instance et d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 08/02503
Date de la décision : 18/05/2011

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°08/02503 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-05-18;08.02503 ?
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