Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 17 MAI 2011
(no 171, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 04948
Décision déférée à la Cour :
jugement du 20 janvier 2010- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 07/ 12219
APPELANTE
SA CREDIT FONCIER DE FRANCE venant aux droits de la société ENTENIAL elle-même venant aux droits de la Banque la Henin, représentée par son Directeur Général
19 rue des Capucines
75001 PARIS
représentée par la SCP REGNIER-BEQUET-MOISAN, avoués à la Cour
assistée de Me Patrice LEOPOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : R 029
INTIMES
SCP GUILLAUME X...- PATRICE Y...- LAURENT Z... pris en la personne de ses représentants légaux
...
75116 PARIS
représentée par la SCP ARNAUDY ET BAECHLIN, avoués à la Cour
assistée de Me Stéphanie BACH, avocat au barreau de PARIS, toque : P 499
SCP RONZEAU
Monsieur Vincent B...
...
75018 PARIS
représenté par la SCP SCP MONIN D AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour
assisté de Maître Bernadette BRUGERON, avocat au barreau de PARIS, toque : K 12
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 mars 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre, chargé du rapport et Madame Dominique GUEGUEN, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
Madame Françoise MARTINI, Conseiller venu d'une autre chambre pour compléter la cour en application de l'ordonnance de roulement portant organisation des services de la cour d'appel de PARIS à compter du 3 janvier 2011, de l'article R 312-3 du Code de l'organisation judiciaire et en remplacement d'un membre de cette chambre dûment empêché
Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN
ARRET :
- contradictoire
-rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
**********
La Cour,
Considérant que, par acte reçu le 28 juin 1995 par M. Alain D..., notaire, exerçant au sein de la S. C. P. X... et D..., devenue la S. C. P. X..., Y... et Z..., la Banque La Hénin, devenue Enténial, a consenti à M. Vincent B... un crédit relais dans l'attente de la vente d'un bien immobilier ; qu'en garantie, la banque a pris une inscription d'hypothèque conventionnelle sur le bien dont il s'agit ;
Que, la vente n'ayant pas été réalisée dans le délai prévu, M. B... a sollicité la transformation du prêt relais en un crédit à long terme ; que, dans ce but, il demandait à M. D... d'établir « l'acte de prorogation de l'inscription hypothécaire lui profitant » ;
Qu'aucune convention nouvelle n'a été conclue entre la banque et M. B... qui, en réalité, a cessé de rembourser les mensualités du crédit en sorte que la banque a fait jouer la clause d'exigibilité immédiate du solde ; que le bien a été vendu et que la banque n'a pas recouvré sa créance ;
Considérant que, recherchant la responsabilité du notaire, le Crédit foncier de France, venant aux droits de la Banque La Hénin, a saisi le Tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 20 janvier 2010, l'a débouté de ses demandes, l'a condamné à payer à la S. C. P. X..., Y... et Z... la somme de 4. 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, a débouté M. B... de ses demandes et condamné ledit Crédit foncier de France aux dépens de l'instance ;
Considérant qu'appelant de ce jugement, le Crédit foncier de France, venant aux droits de la société Enténial, elle-même venant aux droits de la Banque La Hénin, demande que la S. C. P. X..., Y... et Z... soit condamnée à lui verser la somme de 125. 916, 19 euros, montant de sa créance arrêtée au 5 septembre 2007, outre les intérêts au taux légal courus depuis cette date jusqu'au jour du payement ;
Qu'à cette fin et s'appuyant sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil, le Crédit foncier de France, qui fait d'abord observer que le dépassement de la date du 11 septembre 1997, échéance du prêt relais, est dépourvu d'incidence sur la faute du notaire, soutient que M. D... n'avait pas à être destinataire d'un avenant de renégociation pour procéder aux diligences qui lui incombaient de sorte qu'en possession de la lettre du 11 septembre 1997 et de l'acte du 28 juin 1995, il devait procéder au renouvellement de l'inscription d'hypothèque dans les conditions de l'article 2154-1 du Code civil et dresser un acte permettant au conservateur des hypothèques de mentionner la prorogation en marge de l'inscription d'origine ; qu'il en déduit qu'il est prouvé que, n'ayant pas effectué ces diligences, le notaire a commis la faute qui lui est reprochée et qu'il existe un lien de causalité entre cette faute et le préjudice qu'il subit à la suite de la défaillance de M. B... ;
Considérant que la S. C. P. X..., Y... et Z... conclut à la confirmation du jugement au motif qu'elle n'a commis aucun manquement à ses obligations professionnelles envers le Crédit foncier de France dès lors que la chronologie des faits et les correspondances échangées font apparaître que la Banque La Hénin et M. B... étaient convenus d'établir une nouvelle convention de prêt à la suite du remboursement partiel de 100. 000 francs et que cette nouvelle convention était distincte du prêt relais eu égard aux conditions et caractéristiques différentes ; qu'elle en déduit que le deuxième prêt exigeait une convention nouvelle, détachable du premier contrat de crédit et nécessitant des garanties hypothécaires distinctes ; que, n'ayant pas été chargé d'établir un nouvel acte de prêt, qui, en réalité, a été passé sous seing privé, ni d'inscrire une nouvelle hypothèque, M. D... n'a commis aucune faute ;
Que l'intimée fait également valoir que le Crédit foncier de France ne démontre pas l'existence d'un préjudice indemnisable dès lors qu'il n'établit pas avoir engagé une action et exercé une voie d'exécution contre M. B... de sorte que, tout au plus, il subit une perte de chance ; qu'il ajoute que les intérêts ne sont pas dus au-delà de cinq ans ;
Qu'à titre subsidiaire, la S. C. P. X..., Y... et Z... demande, comme M. B..., que la banque, qui a commis une faute en omettant de renouveler l'inscription d'hypothèque et en restant inactive pendant plusieurs années, soit déchue du droit aux intérêts ;
Qu'enfin, la S. C. P. X..., Y... et Z... sollicite la garantie de M. B... sur le fondement de l'article 1251-3 du Code civil dès lors qu'elle aura libéré envers le Crédit foncier de France, ledit M. B... sur qui doit peser la charge définitive de la dette ; que, plus subsidiairement, elle demande sa garantie sur le fondement de l'article 1371 du Code civil puisqu'après payement, elle se serait appauvrie au profit de M. B... ;
Considérant que M. B... conclut à la confirmation du jugement ;
Qu'à titre subsidiaire, M. B... s'oppose à l'action en garantie dirigée contre lui, comme étant irrecevable et non fondée, tant sur le fondement de l'article 1251-3 du Code civil, que sur le fondement de l'article 1371 du même code, dès lors que, d'une part, le notaire ne s'est acquitté d'aucune dette susceptible de l'avoir libéré, lui, M. B..., et que, d'autre part, les sommes que la S. C. P. X..., Y... et Z... sera condamnée à payer ne sont que la conséquence de la faute sans laquelle la banque aurait été intégralement remboursée des sommes qui lui étaient dues ; qu'il ajoute qu'il a subi un préjudice en raison de la faute du notaire, la société Enténial, devenue le Crédit foncier de France, n'ayant pu être désintéressée de sa créance lors de la vente du bien.
A titre encore plus subsidiaire, M. B... invoque la faute commise par la banque pour opposer au notaire la déchéance du droit aux intérêts et pour que ne soit prononcée qu'une condamnation à payer la somme de 67. 071, 66 euros ;
Qu'enfin, M. B... conteste la condamnation aux dépens puisqu'il n'a fait que se défendre contre des demandes en garantie sur lesquelles les premiers juges n'ont pas statué ;
En fait :
Considérant que, par acte reçu le 28 juin 1995 par M. D..., notaire, exerçant au sein de la S. C. P. X... et D..., devenue la S. C. P. X..., Y... et Z..., la Banque La Hénin, devenue Enténial, a consenti à M. B... un crédit relais no 06. 363 305 d'un montant de 700. 000 francs dans l'attente de la vente d'un bien immobilier sis ..., à Paris, 18ème arrondissement, et remboursable au plus tard le 25 juin 1997 ; que la banque a pris une inscription d'hypothèque conventionnelle de premier rang qui a été inscrite les 23 août et 9 octobre 1995 sur le bien dont il s'agit et formant les lots numéros 12, 25 et 26 de l'immeuble ;
Que, la vente n'ayant pas été réalisée dans le délai prévu, M. B... a sollicité, le 30 juin 1997, la transformation du prêt relais en un crédit à long terme ; que, le, 11 septembre 1997, la Banque La Hénin lui adressait une lettre dans laquelle elle précisait avoir procédé, le 10 septembre 1997, à l'encaissement d'une somme de 100. 000 francs (15. 244, 90 euros) sur le contrat no 06. 363 305 et remettre le dossier au service après vente afin de lui consentir un crédit à long terme « suivant les conditions convenues », soit une durée de 144 mois, pour des échéances de 6. 100 francs, hors assurance, et au taux de 9 % selon une mention manuscrite ; que la banque joignait à son envoi un bulletin d'adhésion à l'assurance de groupe à compléter et précisait qu'elle informait le notaire de son accord ;
Que, par lettre du 11 septembre 1997, la banque adressait à M. D... une copie exécutoire de l'acte dressé le 28 juin 1995, la copie de la lettre adressée à M. B... et des lettres datées des 13 août et 11 septembre 1997 en lui demandant d'établir « l'acte de prorogation de l'inscription hypothécaire lui profitant » ;
Qu'aucune convention nouvelle n'a été conclue entre la Banque La Hénin et M. B... ; que, dès le 25 décembre 2000, M. B... a cessé de rembourser les mensualités du crédit de sorte que la banque a fait jouer la clause d'exigibilité immédiate du solde qui s'élevait, à cette date, à la somme de 67. 567, 81 euros ;
Que le bien a été vendu et que la banque n'a pas recouvré sa créance ;
Sur la responsabilité du notaire :
Considérant que, comme le soutient la banque, le dépassement de la date d'exigibilité du prêt relais n'a aucune influence sur la faute reprochée au notaire dès lors que les parties ont dérogé au contrat, M. B... en sollicitant un délai supplémentaire, la banque La Hénin en acceptant de transformer le prêt relais en crédit à long terme ;
Considérant que la convention d'origine stipulait notamment que « certaines modifications pourront éventuellement intervenir concernant les conditions du crédit ou les garanties y attachées … » dans divers cas dont la liste n'était « qu'indicative et non limitative » ; qu'en l'état du droit applicable à l'époque, aucune nouvelle négociation n'était nécessaire de sorte que les parties n'étaient pas tenues d'établir un avenant alors surtout que, conformément à la loi du 25 juin 1999, il était prévu une baisse du taux d'intérêt et une diminution du montant des échéances ;
Considérant que, par lettre du 11 septembre 1997, date à laquelle l'hypothèque conventionnelle était encore valable, la Banque La Hénin demandait à M. D... de lui faire parvenir une copie exécutoire de l'acte du 28 juin 1995, une copie de la lettre de M. B... et des lettres des 18 août 1997 et 11 septembre 1997, marquant l'accord de la banque ; que, par cette même lettre, elle demandait expressément au notaire « de bien vouloir établir l'acte de prorogation de l'inscription hypothécaire lui profitant » ;
Qu'il n'est pas contesté que M. D... n'a dressé aucun acte, ni procédé aux formalités qui auraient permis à l'hypothèque qui se périmait le 25 juin 1999 de conserver ses effets au-delà de cette date ;
Considérant qu'en possession des documents ci-avant cités et de la demande expresse de la banque, M. D... devait procéder aux renouvellement et prorogation de l'hypothèque conventionnelle d'origine avant sa péremption comme le prévoit l'article 2154-1 (ancien) du Code civil en cas d'allongement du délai, établir un acte dans les conditions de l'article 2149 (ancien) du même code afin que le conservateur des hypothèques portât les mentions de la prorogation ou, en cas de difficultés ou d'incertitudes, prendre l'attache de la Banque La Hénin et de M. B... ou de l'un ou l'autre afin d'obtenir toutes précisions utiles sur l'acte demandé ;
Qu'en outre, le 5 mars 1999, et alors que l'inscription d'hypothèque d'origine n'était pas périmée, la banque a demandé à M. D... de lui faire connaître la date de dépôt des pièces à la conservation des hypothèques et que le notaire n'a pas réagi ;
Qu'en s'abstenant de procéder au renouvellement de l'hypothèque conventionnelle de premier rang prise sur le bien immobilier sis ..., à Paris, 18ème arrondissement, au profit de la Banque La Hénin, M. D... a manqué à son devoir de conseil et à son obligation de dresser des actes efficaces ;
Que cette faute a causé directement à la banque un préjudice qui, selon les documents contractuels et les décomptes versés aux débats, s'élevait, le 25 décembre 2000, date de l'exigibilité anticipée du prêt, à la somme de 67. 567, 81 euros ;
Que, l'inscription d'hypothèque d'origine étant de premier rang, la banque a perdu une chance réelle et sérieuse de recouvrer sa créance ;
Considérant que les prétentions émises par la banque consistent, non pas en une demande de remboursement du prêt, mais en une demande indemnitaire ; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur une prétendue déchéance du droit aux intérêts invoquée à titre subsidiaire par M. B... et reprise par la S. C. P. X..., Y... et Z... ;
Qu'en conséquence, il convient d'infirmer le jugement frappé d'appel et de condamner la S. C. P. X..., Y... et Z... à payer au Crédit foncier de France la somme de 60. 000 euros à titre de dommages et intérêts, augmentée, conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du Code civil, des intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
Sur l'action en garantie formée par la S. C. P. X..., Y... et Z... contre M. B... :
Considérant que la créance indemnitaire de la banque envers la S. C. P. X..., Y... et Z... ne libère aucunement M. B... qui reste tenu de rembourser le prêt contacté ;
Que, surtout, la somme que la S. C. P. X..., Y... et Z... est condamnée à payer n'est que la conséquence de la faute qu'elle a commise et sans laquelle la banque aurait été intégralement remboursée des sommes qui lui étaient dues ;
Qu'il y a donc lieu de débouter la S. C. P. X..., Y... et Z... du recours en garantie formé contre M. B... ;
Sur les autres demandes :
Considérant que, compte tenu de la solution donnée au litige, il n'y a pas lieu de statuer sur les autres demandes subsidiaires présentées par M. B... ;
Et considérant que chacune des parties sollicite une indemnité en invoquant les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que, succombant en ses prétentions et supportant les dépens, la S. C. P. X..., Y... et Z... sera déboutée de sa réclamation ; qu'en revanche, elle sera condamnée à payer au Crédit foncier de France et à M. B... les frais qui, non compris dans les dépens d'appel, seront arrêtés, en équité, à la somme de 3. 000 euros pour chacun d'eux ;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 20 janvier 2010 par le Tribunal de grande instance de Paris ;
Faisant droit à nouveau :
Condamne la S. C. P. X..., Y... et Z... à payer au Crédit foncier de France la somme de 60. 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
Déboute la S. C. P. X..., Y... et Z... de sa demande en garantie dirigée contre M. Vincent B... ;
Déboute la S. C. P. X..., Y... et Z... de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamne, par application de ce texte, à payer au Crédit foncier de France et à M. B..., chacun la somme de 3. 000 euros ;
Condamne la S. C. P. X..., Y... et Z... aux dépens de première instance et d'appel et dit que les dépens d'appel seront recouvrés par les avoués du Crédit foncier de France et de M. B..., conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT