Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 4
ARRET DU 16 MAI 2011
(n° 146, 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/17246
Décision déférée à la Cour : Décision du 17 Juin 2010 rendue par L'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX - ONIAM
DEMANDEURS
Monsieur [E] [D]
C/O Me Florence BOYER
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Monsieur [B] [D]
C/O Me Florence BOYER
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Monsieur [K] [D]
C/0 Me Florence BOYER
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Madame [O] [D]
C/O Me Florence BOYER
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Mademoiselle [X] [D]
C/O Me Florence BOYER
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentés par Maître Florence BOYER, avocat au barreau de Paris, J 103
DEFENDEUR
ONIAM - OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté par Maître Olivier SAUMON, avocat au barreau de Paris, P 82
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 mars 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Marie-Christine LAGRANGE, Conseiller, chargée du rapport
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
- Renaud BOULY de LESDAIN, Président
- Françoise CHANDELON, Conseiller
- Marie-Christine LAGRANGE, Conseiller
Greffier, lors des débats : Isabelle COULON
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Renaud BOULY de LESDAIN, Président et par Isabelle COULON, greffier présent lors du prononcé.
Les consorts [D] ont contesté la décision de rejet du 17 juin 2010 par l'O.N.I.A.M. de leur demande d'indemnisation à titre successoral du préjudice spécifique de contamination subi par leur mère, Madame [P] [D],
La décision de rejet est fondée sur deux motifs :
- d'une part, la matérialité du dommage n'étant pas démontrée concernant la victime directe, la succession agissant en son nom et pour son compte ne peut prétendre à l'indemnisation de préjudices qui ne sont pas entrés dans le patrimoine de la victime à son décès,
- d'autre part, la sérologie positive au V.I.H. n'était pas connue de Madame [D] si bien qu'aucun préjudice ne peut résulter de la connaissance de sa séropositivité.
Les consorts [D] ont contesté cette décision de rejet par requête déposée au greffe de la Cour.
Dans leurs dernières conclusions déposées au greffe de la Cour et soutenues oralement à l'audience, les consorts [D] demandent à la Cour de :
- dire que Madame [D] a bien subi une contamination VIH post-transfusionnelle,
- dire que cette contamination a entraîné pour elle jusqu'à son décès un préjudice considérable qui ne saurait être limité à la prétendue méconnaissance qui aurait été la sienne de sa contamination, 'cette méconnaissance n'étant tout d'abord pas établie et n'ayant jamais constitué une condition nécessaire à l'accession à l'indemnisation pas plus qu'une composante indispensable de l'étendue du préjudice de la victime directe',
- 'condamner' l'O.N.I.A.M. au paiement à leur profit de la somme de 350 000 € à titre de dommages et intérêts ainsi qu'aux intérêts de droit,
- 'condamner' l'O.N.I.A.M. au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts [D], après avoir longuement rappelé les circonstances de la contamination transfusionnelle par le V.I.H. de Madame [P] [D] et les suites de la pathologie dont 146 hospitalisations, soutiennent que :
- l'O.N.I.A.M. ajoute à la loi dès lors que l'article L 3122-2 du code de la santé publique ne pose que deux conditions à l'accès à l'indemnisation : la justification d'une part de l'atteinte par le virus et d'autre part des transfusions sanguines ou des injections de produits dérivés du sang,
- l'O.N.I.A.M. ne se conforme pas aux textes lui imposant la réparation intégrale des préjudices,
- L'O.N.I.A.M. méconnaît la nature des préjudices extra- patrimoniaux subis par les victimes et analysés par la jurisprudence.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe de la Cour et soutenues oralement à l'audience, l'O.N.I.A.M. demande à la Cour de débouter les consorts [D] de toutes leurs demandes et de les condamner aux entiers dépens. Subsidiairement, il demande que l'indemnité allouée soit réduite à de plus justes proportions.
L'O.N.I.A.M. soutient que :
- le préjudice spécifique de contamination est un préjudice personnel qui s'apprécie in concreto,
- c'est en violation manifeste du droit à l'information du patient que Madame [P] [D] n'a jamais été informée de sa pathologie ni de sa gravité pas plus que de son caractère évolutif,
- les consorts [D] ont volontairement maintenu leur mère dans l'ignorance de sa pathologie.
SUR CE
Considérant que Madame [P] [D] a subi le 19 avril 1984 une opération de chirurgie cardiaque au cours de laquelle 32 concentrés globulaires et 35 plasmas frais congelés lui ont été distribués ; qu'en octobre 1991 une contamination par le V.I.H. a été identifiée puis une contamination par le VHC ayant aussi été identifiée une trithérapie a été administrée à compter de juillet 1997 ;
Considérant que Madame [P] [D] est décédée le [Date décès 1] 2009 après avoir subi 146 hospitalisation depuis 1984 ; que le compte-rendu d'hospitalisation daté du 7 janvier 2009 fait les constats suivants : 'une infection par le vih depuis une vingtaine d'années post transfusionnelle, co-infectée par le virus de l'hépatite C avec le même mode de transmission avec cirrhose secondaire. Diabète post-corticothérapie. Porteuse d'une pneumopathie interstitielle liée au vih et fibrose pulmonaire responsable d'un syndrome restrictif sévère sous oxygénothérapie à domicile, maladie fibreuse gravissime évoluée en octobre dernier donc fragilité extrême (...)' ;
Considérant que l'époux et les enfants de Madame [P] [D] ont fait le choix de ne pas informer celle-ci de la nature exacte de la pathologie dont elle a souffert pendant vingt cinq ans ; qu'ils ont même sollicité une demande d'indemnisation auprès du Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le V.I.H. le 10 octobre 1992 à l'insu de Madame [P] [D] ;
Considérant que la demande des consorts [D] est strictement limitée à l'indemnisation du préjudice spécifique de contamination qu'ils soutiennent que leur mère a subi pendant toute la durée de la maladie ; que l'O.N.I.A.M. fait valoir que la victime n'a pu subir ce type de préjudice dès lors qu'elle ignorait l'existence de sa véritable pathologie et que le préjudice n'est donc pas entré dans le patrimoine successoral ;
Considérant que le préjudice spécifique de contamination est un préjudice exceptionnel extra-patrimonial qui est caractérisé par l'ensemble des préjudices tant physiques que psychiques résultant notamment de la réduction de l'espérance de vie, des perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle ainsi que des souffrances et de leur crainte, du préjudice esthétique et d'agrément ainsi que de toutes les affections opportunes consécutives à la déclaration de la maladie ;
Considérant que ce préjudice a un caractère exceptionnel en raison de la spécificité des atteintes d'ordre physique et psychiques engendrées par la contamination, certes, mais aussi par la connaissance de cette contamination qui est en soi anxiogène et socialement déstabilisatrice dès lors que la victime ne peut ignorer que son avenir et le pronostic vital sont obérés ; que le caractère exceptionnel du préjudice est intrinséquement associé à la prise de conscience des effets spécifiquement ravageurs de la contamination ce que traduit d'ailleurs l'intitulé de ce 'préjudice spécifique de contamination' ;
Considérant que, sans remettre en cause la réalité des souffrances psychiques et physiologiques endurées par Madame [P] [D], pour autant celle-ci n'a pu subir un préjudice spécifique de contamination dès lors qu'elle a été laissée dans l'ignorance de la spécificité et donc du caractère exceptionnel de sa pathologie dont les conséquences lui sont propres et destructrices ;
Considérant, en conséquence, que les consorts [D] seront déboutés de leurs demandes formées au titre du préjudice spécifique de contamination subi par Madame [P] [D] ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement et contradictoirement,
DEBOUTE les consorts [D] de leurs demandes,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE les consorts [D] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT