Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 3 MAI 2011
(no 157, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 04103
Décision déférée à la Cour :
jugement du 27 janvier 2010- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 08/ 16514
APPELANTS et INTIMES
Maître Evelyne X...
...
75017 PARIS
représenté par la SCP HARDOUIN, avoués à la Cour
assisté de Me Jérôme DEPONDT, avocat au barreau de PARIS, toque : P 42
SCP A... ASSOCIES
Monsieur Laurent Y...
...
demeurant...
75006 PARIS
représenté par la SCP TAZE-BERNARD-BELFAYOL-BROQUET, avoués à la Cour
assisté de Me Emmanuelle PELETINGEAS, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1279
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 2 mars 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Dominique GUEGUEN, conseiller chargé du rapport, en présence de Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
Madame Françoise MARTINI, Conseiller venu d'une autre chambre pour compléter la cour en application de l'ordonnance de roulement portant organisation des services de la cour d'appel de PARIS à compter du 3 janvier 2011, de l'article R 312-3 du Code de l'organisation judiciaire et en remplacement d'un membre de cette chambre dûment empêché
Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN
ARRET :
- contradictoire
-rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
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Courant 1995, la société Europstat, dont M. Laurent Y... est l'un des associés et le dirigeant, souhaitant procéder à une restructuration de son groupe et en particulier constituer une société Europstat Investissements par voie d'apports des titres détenus dans la société Europstat par les actionnaires personnes physiques ou morales, a demandé à Mme Evelyne X..., avocat, d'établir une consultation, en lui donnant une mission limitée aux opérations de consultation en vue de l'organisation de la restructuration, rédaction des actes de constitution et publicité de ces actes.
Mme X... s'en est acquittée en remettant une consultation le 23 octobre 1995, dans laquelle, parmi les avantages du schéma proposé, elle indiquait en page 4, in fine du paragraphe I intitulé " Apport des titres à la Holding " la phrase suivante : " un des intérêts de l'apport de titres est son faible coût, d'autant que les éventuelles plus values peuvent sous certaines conditions, bénéficier d'un report d'imposition jusqu'à leur cession prochaine ".
Elle faisait ainsi référence aux dispositions des articles 160 I ter et 92 B du code général des impôts, ce dernier article prévoyant que l'imposition de la plus-value réalisée en cas d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée " au moment où s'opérera la cession ou le rachat des titres reçus lors de l'échange. ", report toutefois subordonné à la condition que le contribuable en fasse la demande et en déclare le montant.
M. Y... est entré dans le capital de la société Eurostat Investissements par l'apport de 1438 actions de la société Europstat en échange desquels il a reçu 40 264 actions de la société nouvelle, échange de titres générant une plus-value.
M. Y..., au lieu de déclarer la plus-value afférente à la cession de ses titres Europstat au titre de la déclaration de ses revenus 1995 effectuée en 1996, a déclaré cette plus-value au titre de ses revenus 1996 effectuée en 1997 et l'administration fiscale lui a notifié le 4 décembre 1998 un redressement à hauteur de la somme de 20 724, 99 € au titre de son imposition de 1995.
Sa contestation du redressement a été rejetée par la direction générale des impôts le 22 février 1999 et M. Y... a été débouté de son recours par un jugement du 25 avril 2006 du tribunal administratif de Paris, confirmé par un arrêt du 27 septembre 2007 de la cour administrative d'appel de Paris.
C'est dans ces circonstances que M. Y..., estimant que Mme X..., son conseil et la rédactrice des actes, lui avait délivré un conseil partiel et insuffisant, a recherché la responsabilité civile professionnelle de son avocate devant le tribunal de grande instance de Paris et a demandé la condamnation de Mme X... à lui payer la somme de 66 340 € à titre de dommages et intérêts outre une indemnité procédurale.
Par jugement en date du 27 janvier 2010, le tribunal a mis hors de cause le cabinet Z... Juridique et Fiscal, a dit que le préjudice de M. Laurent Y... évalué à 66 340 € n'est pas certain en l'état, a condamné Mme Evelyne X..., outre aux dépens, à lui payer la somme de 3000 € à titre d'indemnité procédurale.
CELA ETANT EXPOSE, la COUR :
Vu les appels interjetés le 25 février 2010 par Mme X... et le 24 mars 2010 par M. Y...,
Vu les conclusions déposées le 5 novembre 2010 par Mme X... qui demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a admis qu'elle aurait commis une faute engageant sa responsabilité envers M. Y..., statuant à nouveau, le débouté de M. Y... de son appel et de toutes ses demandes, la confirmation du jugement en toutes ses autres dispositions, à l'exception de celles relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, y ajoutant la condamnation de M. Y... à lui payer la somme de 6000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les entiers dépens,
Vu les conclusions déposées le 26 juillet 2010 par M. Y... qui, au visa de l'article 1382 du code civil, demande la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la faute de Mme X... engageant sa responsabilité à l'égard du concluant, son infirmation en ce qu'il a estimé le préjudice non certain, la condamnation de Mme X... à lui payer à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier présentant un caractère certain la somme de 66340 €, ladite somme portant intérêt au taux légal à compter de la date de l'introduction de l'instance, à lui payer la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer tous les dépens.
SUR CE :
Considérant que Mme X..., au motif que c'est la société et non son dirigeant à titre personnel qui a engagé une relation contractuelle avec elle, ce qu'elle estime démontré par les correspondances échangées ainsi que par le fait que les notes d'honoraires ont été adressées à la société, qui est donc la seule cliente, tandis que son dirigeant n'a pas demandé de consultation à titre personnel, conteste en conséquence avoir commis la faute qui a été retenue à son encontre par le jugement déféré ; qu'elle rappelle que sa mission consistait à suggérer les possibilités de restructuration et à procéder à la rédaction des actes de constitution de la société Europstat Investissement, en mentionnant certes brièvement dans la consultation les conséquences fiscales de l'opération pour les associés, ce qui a été fait et n'est pas contesté, mais sans avoir d'obligation contractuelle d'aller au delà de ce conseil ; qu'ainsi elle n'était pas en charge, sauf mission particulière qui lui aurait été confiée ce qui n'a pas été le cas, de la réalisation de formalités extrinsèques à l'acte qui ne relevaient que de la seule initiative des parties ; qu'en particulier une déclaration de revenus d'un contribuable est un acte extrinsèque à la création de la holding ; qu'elle ajoute qu'il n'existe au surplus aucun préjudice indemnisable ;
Considérant que M. Y..., également appelant du jugement mais uniquement en ce qu'il a estimé le préjudice dont il a fait état comme ne présentant pas un caractère certain, soutient qu'il est habituellement admis que l'avocat est tenu d'appeler en temps utile l'attention de son client sur les conséquences juridiques, financières et fiscales de l'opération à laquelle il prêt son concours et qu'en l'espèce, dès lors que Mme X... savait que la restructuration avait été effective immédiatement, elle devait attirer l'attention du client avant l'expiration du délai légal de déclaration des plus-values pour l'année 1995 ; qu'il estime établi le manquement par elle commis ; que certes elle tente de limiter la portée de son devoir de conseil en faisant état des limites de son intervention, soutenant qu'elle ne devait de conseils qu'à la société Europstat, à l'exclusion de tout conseil ou information relatifs à l'impact de l'opération sur les associés à titre personnel et notamment s'agissant de M. Y..., associé majoritaire du groupe ; que toutefois un avocat est tenu de se soucier de l'impact fiscal des actes qu'il prépare, d'attirer en temps utile l'attention de son client sur les conséquences non seulement juridiques et financières mais encore fiscales de l'opération à laquelle il prête son concours ; qu'en l'espèce d'ailleurs la consultation évoque les incidences fiscales de l'opération y compris pour les associés de Europstat qui font apport de leurs titres à Europstat Investissement, que toutefois elle a satisfait incomplètement à son devoir d'information en n'indiquant pas les modalités précises, soit les conditions de forme et de délai, selon lesquelles les associés apporteurs de titres pouvaient bénéficier du régime de faveur, en particulier la précision qu'il convenait d'en faire la demande expresse ; qu'il indique que son préjudice est certain dès lors qu'il n'a pu bénéficier du report de son imposition et que la somme par lui réclamée de 66 340 € comprend des intérêts de retard d'assiette pour un montant de 26 446 € et de retard de recouvrement pour celui de 49 894 €, produisant en outre en pièce No 9, un bordereau de situation fiscale délivré par l'administration justifiant de son paiement ;
Considérant que l'appréciation des obligations de l'avocat et notamment de la nature et de l'étendue de son devoir de conseil et d'information de son client suppose de définir au préalable de manière suffisamment claire et précise le cadre contractuel dans lequel il est consulté et l'identité de son client ; qu'en effet à défaut sa responsabilité civile professionnelle pourrait être recherchée de manière tellement générale que divers reproches pourraient lui être faits, y compris par des personnes tierces n'étant pas ses clients, de telle sorte que le champ de sa responsabilité s'assimilerait, in concreto, à une responsabilité quasi-délictuelle, telle celle résultant des dispositions de l'article 1382 du code civil ;
Considérant que le jugement querellé, qui a estimé, pour retenir la faute de l'avocat, que Mme X... n'avait certes pas nécessairement à communiquer à M. Y... l'ensemble des démarches fiscales à opérer pour bénéficier d'un report d'imposition au titre des plus values, mais qu'elle se devait d'attirer l'attention de ce dernier en temps utile sur les conséquences fiscales de l'opération, autrement dit avant l'expiration du délai légal de déclaration des plus values pour l'année 1995, n'a pas procédé à une analyse préalable ni de l'étendue de la mission confiée ni surtout de l'identité du client ; qu'il résulte pourtant des pièces versées aux débats, de la rédaction même du texte de la consultation et de l'objet de cette dernière, de la lettre d'envoi de ladite consultation adressée à la société Europstat, de l'envoi des notes d'honoraires de l'avocat à la société, qu'il s'agissait de la réorganisation d'un groupe de sociétés filiales de la société Europstat sans que M. Y... ne le conteste d'ailleurs, que Mme X... était tenue de délivrer ses conseils pour les opérations de restructuration du groupe mais sans être le conseil, a fortiori quant à leur propre fiscalité, des associés à titre personnel ; qu'au moment de la délivrance de la consultation, rien n'est encore décidé, que Mme X... précise " j'espère que ce schéma correspond bien à vos attentes et je reste naturellement à votre disposition pour en discuter plus avant, ces réflexions pouvant être aménagées " ; que l'opération d'échanges de titres s'est ensuite réalisée en novembre 1995 ; qu'alors les apporteurs de titres devaient déclarer les plus-values générées par cet échangé au titre de l'année 1995 et demander expressément le report de paiement de l'impôt y afférent au titre des revenus 1995 et non pas au titre des revenus de l'année 1996 ; que M. Y... ne l'ayant fait que dans le cadre de la déclaration au titre des revenus de l'année 1996, le redressement fiscal est intervenu ; que Mme X..., dont la mission ainsi qu'analysé ci-avant était différente, ne saurait avoir commis un quelconque manquement sur ce point et qu'elle n'a pas engagé sa responsabilité civile professionnelle, qu'en conséquence le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a mis hors de cause le cabinet Z... Juridique et Fiscal ;
Considérant que l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme X... à hauteur de la somme de 4000 € et de débouter M. Y... de la demande par lui formée sur ce même fondement ; que les entiers dépens de première instance et d'appel seront supportés par M. Y... qui succombe en toutes ses prétentions ;
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf celle relative à la mise hors de cause du cabinet Z... Juridique et Fiscal,
Statuant à nouveau,
Dit que Mme Evelyne X... n'a pas commis de faute engageant sa responsabilité civile professionnelle,
Déboute M. Laurent Y... de toutes ses demandes,
Y ajoutant,
Condamne M. Laurent Y... à payer à Mme Evelyne X... la somme de 4000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. Laurent Y... aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont ceux d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT