RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 23 Mars 2011
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/06535
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Juillet 2009 par le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY - Section Encadrement - RG n° 08/01230
APPELANTE
Madame [B] [C]
[Adresse 2]
[Localité 4]
comparante en personne, assistée de Me Bruno d'ASTORG, avocat au barreau de PARIS, L0022 substitué par Me Marie-Béatrix FONADE, avocate au barreau de PARIS
INTIMÉE
LA SOCIÉTÉ EVA AIRWAYS CORPORATION
[Adresse 1]
[Adresse 3]
[Adresse 6]
représentée par Me Pascal TELLE, avocat au barreau de PARIS, C471
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Février 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Geneviève LAMBLING, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Geneviève LAMBLING, Présidente
Madame Anne DESMURE, Conseillère
Monsieur Benoît HOLLEAUX, Conseiller
GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
- signé par Madame Geneviève LAMBLING, Présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [B] [C] a été engagée par la société Eva Airways Corporation, société aérienne de droit taïwannais, suivant contrat à durée indéterminée à effet du 1er décembre 1993, en tant que superviseur d'escale statut cadre, coefficient 300 de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien.
Dans le dernier état des relations contractuelles, elle était directeur d'escale et du fret, coefficient 530, et percevait une rémunération mensuelle brute de 5 559,86 euros, prime d'ancienneté incluse.
Elle était également déléguée du personnel suppléant.
Se prévalant de difficultés économiques, La société Eva Airways Corporation a procédé à une réorganisation de sa succursale française dans le cadre de laquelle elle a supprimé l'activité de trafic passagers de l'aéroport de [5] pour ne conserver que l'activité de fret et licencier 10 salariés sur les 25 existants.
Après autorisation de l'inspection du travail obtenue le 8 janvier 2008 et entretien préalable, Mme [B] [C] a été licenciée pour motif économique par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 janvier 2008.
Elle a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de demandes indemnitaires dont elle a été déboutée par jugement du 1er juillet 2009.
Régulièrement appelante, elle demande à la cour, dans ses conclusions déposées et soutenues lors de l'audience du 14 février 2011 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, d'infirmer cette décision et, statuant à nouveau, de condamner la société Eva Airways Corporation à lui verser les sommes de 105 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non respect des critères d'ordre de licenciement, 18 000 euros en réparation de son préjudice moral et 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Eva Airways Corporation, dans ses écritures soutenues dans les mêmes conditions auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, conclut au débouté, à la confirmation de la décision déférée et à l'allocation d'une indemnité de procédure de 800 euros.
MOTIFS
Comme en justifie la société Eva Airways Corporation, le licenciement pour motif économique de Mme [B] [C], salariée protégée, a été autorisé par l'inspection du travail par décision du 8 janvier 2008 qui a contrôlé la réalité du motif économique, en considérant que les difficultés économiques et financières rencontrées par la société Eva Airways Corporation avaient conduit à l'arrêt de l'activité passager et à la suppression tant de l'escale Roissy Charles de Gaulle où travaillait l'appelante que de celle de son poste de directeur d'escale et de fret, que les propositions de reclassement interne et externe faites à la salariée.
Mme [B] [C], qui n'a pas formé de recours à l'encontre de cette décision devenue définitive, ne peut, dès lors, remettre en cause devant le juge judiciaire, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, la cause économique du licenciement ni la carence alléguée de l'employeur quant à son obligation de reclassement.
L'appelante est, en revanche, recevable à discuter les aspects du licenciement qui n'ont pas été soumis au contrôle de l'inspecteur du travail, telle l'observation de l'ordre des licenciements.
L'inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements pour motif économique constitue une illégalité qui entraîne pour le salarié un préjudice pouvant aller jusqu'à la perte injustifiée de son emploi, lequel doit être intégralement réparé, selon son étendue.
Mme [B] [C] expose qu'en sa qualité de directeur de l'escale et du fret, elle était à la fois responsable du trafic passagers et du fret, que l'activité fret persistant, le motif de son licenciement était injustifié, que l'ordre des licenciements n'a pas été respecté puisque l'employeur a fait le choix de la licencier alors qu'il conservait à leur poste deux de ses subordonnés, M. [E], son adjoint en sa qualité de superviseur opération fret, plus jeune, sans charge de famille et ayant la même ancienneté et M. [W], directeur adjoint fret.
Elle ajoute que l'application des critères d'ordre de licenciement doit se faire dans la catégorie professionnelle du salarié concerné c'est à dire dans l'ensemble des salariés qui exercent au sein de l'entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune, que MM. [E] et [W], ses deux adjoints étaient cadres comme elle, que s'agissant de M. [W], il résulte de la pièce 34 de l'employeur qu'ils étaient susceptibles l'un et l'autre d'être licenciés et que leur situation devait être comparée, qu' aucune indication n'est fournie sur le fait qu'il s'est vu gratifier au titre des charges de famille '3+2" alors qu'il n'a que deux enfants, elle-même en ayant trois, afin de lui permettre d'avoir le même total de points (8) qu'elle, qu'il aurait donc dû être licencié à sa place puisqu'il totalisait en réalité 6 points, que M. [E] a démissionné par courrier du 21 décembre 2007, date à laquelle elle n'avait pas été licenciée, enfin que Mme [L] qui était simple agent administratif non cadre a été promue le 1er janvier 2008 soit quinze jours avant son licenciement directrice adjointe d'Eva Air France alors que ce poste de cadre aurait dû lui être proposé, la procédure interne pour cette promotion n'ayant ainsi pas été respectée.
La société Eva Airways Corporation lui oppose pour l'essentiel qu'elle n'avait pas à mettre en oeuvre les critères fixés avec les délégués du personnel, lors de la réunion du 26 octobre 2006, puisque Mme [B] [C] occupait le poste de directrice de l'escale, en exerçant des fonctions centrées sur l'activité passagers, et était la seule salariée travaillant dans sa catégorie professionnelle, le caractère unique de cette position professionnelle étant confirmée par le manuel de sûreté que la salariée a elle-même établi, que les critères d'ordre arrêtés n'avaient ainsi pas à être appliqués.
Il résulte cependant de la lettre de licenciement du 15 janvier 2008 que la société Eva Airways Corporation a informé Mme [B] [C] de ce qu'elle était contrainte 'de procéder, après autorisation de l'inspection du travail en date du 8 janvier 2008 réceptionnée le 9 janvier 2008 et par application des critères d'ordre, à votre licenciement pour motif économique'.
La société Eva Airways Corporation ne peut ainsi utilement soutenir que l'application de ces critères n'a pas été nécessaire, motif pris de ce que l'emploi supprimé était le seul de sa catégorie professionnelle.
Mme [B] [C], directeur de l'escale et du fret était cadre, groupe II B de la convention collective, coefficient 530, M. [Z] [W], premier directeur adjoint Fret, cadre groupe II A, coefficient 480, et M. [E], assistant superviseur fret, cadre groupe I A, coefficient 300
Aucun élément n'est donné par les parties s'agissant de la formation professionnelle de Mme [B] [C], MM [Z] [W] et [E], ce dernier ayant démissionné avant que l'appelante ne soit licenciée.
Mme [B] [C] et M.[Z] [W] étaient tous deux cadres, groupe II, et il résulte de la pièce 34 de l'employeur, qui ne justifie pas avoir établi ce tableau, comme il l'a soutenu lors de l'audience devant la cour, non pas lors de la procédure de licenciement mais devant le conseil de prud'hommes pour répondre à la contestation de l'appelante, qu'en application des critères d'ordre retenus, chacun totalisait 8 points.
La société Eva Airways Corporation n'a cependant donné aucune explication sur le fait qu'alors que M.[W] avait deux enfants, 5 points lui ont été attribués au titre des charges de famille (3 + 2) alors que 4 points ont été attribués à Mme [B] [C], qui a trois enfants, conformément pour celle-ci à la pondération définie à ce titre, étant par ailleurs observé qu'elle était plus âgée que M.[W].
L'employeur ne peut davantage être suivi lorsqu'il argue que Mme [B] [C], en sa qualité de directeur de l'escale et du fret, était responsable d'escale alors que M. [Z] [W], premier directeur adjoint était responsable bureau fret et que le licenciement collectif a ainsi touché l'activité passagers et non pas l'activité marchandise.
En effet, lorsqu'un service est supprimé, les salariés de ce service ne doivent pas nécessairement être licenciés mais, bien au contraire, ne doivent pas l'être si des salariés travaillant dans d'autres services et appartenant à la même catégorie professionnelle sont moins bien placés dans l'ordre des licenciements, ce qui était le cas de M.[W].
Les critères d'ordre de licenciement n'ayant pas été respectés par la société Eva Airways Corporation, Mme [B] [C] est ainsi fondée à solliciter à raison de cette illégalité la réparation intégrale du préjudice en résultant pouvant aller jusqu'à la perte injustifiée de son emploi.
Elle sollicite de ce chef la somme de 105 000 euros, établit être restée sans emploi pendant six mois et ne pas avoir retrouvé un poste comparable en termes de responsabilité et de rémunération puisqu'elle est désormais responsable opérationnel Position I A, coefficient 300, et perçoit une rémunération moyenne mensuelle brute de 2 964 euros alors qu'elle a perçu en 2007 au sein de la société Eva Airways Corporation une rémunération mensuelle moyenne brute de 5 753, 04 euros.
En considération de ces éléments, la société Eva Airways Corporation sera condamnée à verser à Mme [B] [C] la somme de 105 000 euros en réparation du préjudice tant matériel que moral résultant de la perte injustifiée de son emploi.
L'appelante sera, en revanche, déboutée de sa demande en paiement de la somme de 18 000 euros complémentaire qu'elle fonde sur le caractère vexatoire de son licenciement lié pour l'essentiel au fait qu'aucune recherche de reclassement n'a été effectuée, ce point ne pouvant être remis en cause.
L'équité dicte d'allouer à Mme [B] [C] allouer la somme de 3 000 euros sollicitée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de débouter la société Eva Airways Corporation de ce même chef.
Les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de la société Eva Airways Corporation.
PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que l'application des critères relatifs à l'ordre des licenciements avait été respectée,
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
DIT et juge que la société Eva Airways Corporation n'a pas respecté les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements,
CONDAMNE la société Eva Airways Corporation à payer à Mme [B] [C] la somme de 105 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice,
DÉBOUTE Mme [B] [C] de sa demande en paiement de la somme de 18 000 euros en réparation de son préjudice moral distinct,
CONDAMNE la société Eva Airways Corporation à payer à Mme [B] [C] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
LA DÉBOUTE de ce même chef et la condamne aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE