Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 10 MARS 2011
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/28537
(Jonction avec le RG n° 09/28540)
Décision déférée à la Cour : Recours en annulation d'une sentence arbitrale du 4 juin 2009 rendue à Paris dans un arbitrage ad'hoc par Monsieur [V], président et Messieurs [M] et [K], arbitres
DEMANDERESSE AU RECOURS :
E.U.R.L. TECSO
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par la SCP GUIZARD, avoués à la Cour
assistée de Me VIGIER, avocat au barreau de ROUEN
DÉFENDERESSE AU RECOURS :
S.A.S. NEOELECTRA GROUP
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour
assistée de Me Marine LALLEMAND, avocat au barreau de PARIS, toque : C 2534
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 février 2011, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de :
Monsieur PERIE, président
Madame GUIHAL, conseillère
Madame DALLERY, conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur PERIE, président et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.
La société COURANT ENERGIES devenue la société NEOELECTRA GROUP a commandé le 29 décembre 2006 à la société TECSO la fourniture et le montage de tuyauteries pour la réalisation d'un réseau de gaz, vapeur et eau d'une usine de production d'électricité pour une papeterie à [Localité 5].
Des difficultés étant survenues dans l'exécution, la société NEOELECTRA GOUP a résilié unilatéralement le contrat. A la demande de la société TECSO le président du tribunal de commerce de Rouen a désigné un expert, M. [D], puis la société TECSO a fait assigner au fond devant ce même tribunal la société NEOELECTRA GROUP qui a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction arbitrale.
C'est ainsi que la société TECSO a introduit une demande d'arbitrage sur le fondement de la clause compromissoire prévue au contrat.
Par sentence à Paris du 4 juin 2009, assortie de l'exécution provisoire, le tribunal arbitral composé de [L] [V], président, et de [N] [M] et [B] [K], arbitres, statuant en amiable compositeur et en dernier ressort, a pour l'essentiel dit que le préjudice subi par la société TECSO du fait de la rupture devait être réparé, condamné la société NEOELECTRA GROUP à lui payer 215.092,77€ au titre du solde restant dû des fournitures et travaux exécutés, 37.329,14€ correspondant à la perte de marge brute sur les travaux dont la société TECSO s'est vue interdire l'exécution et 35.000€ au titre des frais d'arbitrage, débouté la société TECSO de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice commercial et laissé à la charge de la société NEOELECTRA GROUP les frais de l'expertise de M. [D] et à chaque partie les frais exposés pour sa défense.
La société TECSO a formé les 21 juillet et 22 décembre 2009 un recours en annulation contre cette sentence.
Elle fait valoir quatre moyens d'annulation: le tribunal arbitral a statué sans convention d'arbitrage (article 1484 1° du code de procédure civile) a été irrégulièrement composé (article 1484 2° du code de procédure civile) a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée (article 1484 3° du code de procédure civile) et n'a pas respecté le principe de la contradiction(article 1484 4° du code de procédure civile).
Par conclusions du 8 février 2011 elle prie la cour d'annuler la sentence et de statuer à nouveau. Elle demande 30.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 3 février 2011 la société NEOELECTRA GROUP sollicite le rejet du recours en annulation et la condamnation de la société TECSO à lui payer 30.000€ de dommages-intérêts pour procédure abusive et 30.000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle demande acte de ce qu'elle se réserve de conclure au fond en cas d'annulation de la sentence.
SUR QUOI,
Considérant que les instances inscrites au rôle général sous les numéros 09/28537 et 09/28540 sont connexes; qu'il convient de les joindre;
Sur le moyen d'annulation pris de la composition irrégulière du tribunal arbitral (article 1484 2° du code de procédure civile):
La société TECSO dit qu'il ressort d'un procès-verbal de constat du 12 janvier 2011 que M. [K], arbitre, faisait partie du cabinet d'avocats Freshfields comme le conseil de la société NEOELECTRA GROUP; que l'attestation de M. [K] versée aux débats par la société NEOELECTRA GROUP confirme que celui-ci a exercé au sein du cabinet Freshfields et qu'il est resté consultant pour ce cabinet après son départ; qu'il y a d'ailleurs organisé un colloque le 3 avril 2008 quatre jours avant sa désignation et y dispose toujours d'une adresse électronique; que de tels liens remettent en cause la confiance que pouvait lui accorder la société TECSO et crée un doute raisonnable sur son impartialité.
Elle ajoute que M. [V], président du tribunal arbitral est 'ami sur Facebook' du conseil de la société NEOELECTRA GROUP.
La société NEOELECTRA GROUP réplique que le colloque hébergé dans les locaux du cabinet Freshfields a été organisé par l'association du master2 de droit privé général de l'université Paris II dirigé par M. [K], ce qui ne traduit aucun lien entre celui-ci et le conseil de la société NEOELECTRA GROUP; que si M. [K] a été consultant pour le cabinet Freshfields il a quitté ces fonctions au mois d'octobre 2000; que le conseil de la société NEOELECTRA GROUP qui l'assiste en son nom personnel et non en sa qualité de collaboratrice du cabinet Freshfields n'avait aucun lien avec M. [K] qui avait quitté le cabinet Freshfields avant qu'elle le rejoigne; qu'enfin les liens prétendus de son conseil avec M. [V] sont postérieurs au prononcé de la sentence arbitrale et seulement relatifs à la campagne des élections du conseil de l'Ordre du Barreau de Paris.
Considérant qu'il est de principe que l'arbitre doit révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance qui sont l'essence même de la fonction arbitrale;
Que l'obligation d'information qui pèse sur l'arbitre afin de permettre aux parties d'exercer leur droit de récusation doit s'apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence sur le jugement de l'arbitre;
Considérant que les rapports pouvant exister entre le conseil de la société NEOELECTRA GROUP et M. [V], au demeurant postérieurs à la procédure d'arbitrage et tenant à l'organisation et la vie du barreau, ne sont pas de nature a provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur les qualités d'impartialité et d'indépendance de M. [V];
Considérant, en revanche, qu'il ressort de l'attestation établie par M. [K] au cours de la présente procédure qu'il a été 'of counsel' du cabinet Freshfields de février 1989 à octobre 2000 et que 'Il est arrivé après 2000, que le cabinet Freshfields m'ait consulté deux ou trois fois en tant que professeur pour émettre une opinion juridique portant, bien entendu, sur des points de droit précis'; qu'ainsi il existe des liens entre le cabinet Freshfields et M. [K] qui non seulement ne les a pas révélés lors de sa désignation pour permettre aux parties d'exercer leur droit de récusation mais, reconnaissant avoir été consulté 'deux ou trois fois' par le cabinet Freshfields, reste imprécis sur le courant d'affaires existant entre ce cabinet d'avocats et lui-même;
Or considérant que le conseil de la société NEOELECTRA GROUP, Me [Z], était au temps de l'arbitrage collaboratrice du cabinet Freshfields; que même à admettre qu'elle représente les intérêts de la société NEOELECTRA GROUP en son nom personnel et non comme collaboratrice du cabinet Freshfields et qu'elle n'ait pas eu personnellement de liens avec M. [K], la circonstance que celui-ci ait ou ait eu des liens d'intérêt avec le cabinet d'avocats dont Me [Z] est collaboratrice créait une obligation de révélation à laquelle il n'a pas été satisfait ce qui a privé la société TECSO de l'exercice de son droit de récusation et a été de nature à faire naître dans son esprit un doute raisonnable sur les qualités d'impartialité et d'indépendance de cet arbitre;
Considérant qu'il y a lieu en conséquence, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autre moyens, d'annuler la sentence;
Sur les demandes de dommages intérêts pour procédure abusive et au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
Considérant que compte tenu du sens du présent arrêt les demandes de la société NEOELECTRA GROUP de dommages-intérêts pour procédure abusive et au titre de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées;
Que l'équité commande de la condamner à payer à la société TECSO 10.000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile;
Considérant que chaque partie ayant exprimé le souhait de s'expliquer au fond il convient de renvoyer l'affaire à la mise en état comme il sera dit au dispositif;
PAR CES MOTIFS:
Joint les instance inscrites au rôle général sous les numéros 09/28537 et 09/28540;
ANNULE la sentence arbitrale rendue entre les parties le 4 juin 2009;
REJETTE les demandes de la société NEOELECTRA GROUP de dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE la société NEOELECTRA GROUP à payer à la société TECSO 10.000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE la société NEOELECTRA GROUP aux dépens engagés à ce jour et admet la SCP GUIZARD, avoué, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile;
RENVOIE l'affaire à l'audience de mise état du 26 mai 2011 et invite les parties pour cette date, à peine de radiation, à conclure au fond dans la limite de la mission des arbitres statuant en amiable composition.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT