RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRET DU 09 Mars 2011
(n° 5 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/05714-CR
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Avril 2009 par le conseil de prud'hommes de MEAUX section Encadrement RG n° 07/01643
APPELANT
Monsieur [X] [L]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Frédéric DELMER, avocat au barreau de PARIS, toque : G0718
INTIMÉE
SA METIN
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Anne-Françoise NAY-LAPLASSE, avocat au barreau du VAL DE MARNE, toque : PC256
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Janvier 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Claudine ROYER, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Patrice MORTUREUX DE FAUDOAS, Président
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Conseillère
Madame Claudine ROYER, Conseillère
Greffier : Evelyne MUDRY lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrice MORTUREUX DE FAUDOAS, Président et par Evelyne MUDRY, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Par jugement du 20 avril 2009 auquel la Cour se réfère pour l'exposé des faits, de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de MEAUX a :
- requalifié le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
- condamné la SA METIN à verser à Monsieur [X] [L] les sommes suivantes :
* 16636,65 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 1663,67 euros à titre de congés payés sur préavis
* 7763 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 3434,26 euros à titre de rappel de salaire (mise à pied)
* 343,42 euros à titre de congés payés afférents,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le bureau de convocation,
* 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
- ordonné à la SA METIN de remettre à Monsieur [L] une attestation ASSEDIC, un certificat de travail et un bulletin de paie conformes au jugement,
- débouté Monsieur [L] du surplus de ses demandes,
- condamné la SA METIN aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d'exécution par voie d'huissier de justice du jugement.
Monsieur [X] [L] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 10 juin 2009.
Vu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile et les conclusions régulièrement communiquées et oralement soutenues par Monsieur [X] [L] et la SA METIN à l'audience du 26 janvier 2011, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de leurs demandes, moyens et arguments ;
MOTIFS
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 21 août 1992, la SA METIN a embauché Monsieur [X] [L] à compter du 1er septembre 1992 en qualité de « vendeur » (classification niveau 3, échelon 1, coefficient 215 de la convention collective nationale des services de l'automobile). Le 1er juillet 2002, il a été par avenant promu « responsable des ventes VN/VO et affecté à la concession de [Localité 6].
Le 13 octobre 2006, Monsieur [L] a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire avec convocation à un entretien préalable fixé au 23 octobre 2006. Puis il a été licencié pour faute grave par lettre du 2 novembre 2006 pour avoir réalisé sur une période courant de 2004 à 2006, des opérations de ventes et d'achat de véhicules d'occasion au profit de membres de sa famille ou de proches (frère, compagne, ex-épouse) à des conditions préférentielles engendrant des pertes de marge et des pertes financières importantes pour la société.
Contestant son licenciement, Monsieur [X] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de MEAUX qui a rendu la décision déférée
Sur la prescription
Aux termes des dispositions de l'article L 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait n'ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Monsieur [L] soulève d'emblée la prescription des faits ayant motivé le licenciement, faits selon la lettre de licenciement, du 21 avril 2006 qui auraient déclenché la procédure disciplinaire . Il soutient que la société METIN ne donne pas la date précise de la découverte des faits qui serait intervenue « fin septembre 2006 », à l'occasion d'un contrôle inopiné des factures internes effectué le 13 septembre 2006. Il fait observer que le contrôle des factures internes s'opérait chaque fin de mois et que l'employeur avait nécessairement validé les factures d'avril 2006, de sorte que la découverte d'un fait fautif en septembre 2006 était impossible.
La société METIN demande de dire et juger que les faits fautifs ne sont pas prescrits. Elle soutient qu'au mois de septembre 2006, lors d'un contrôle de factures internes à la société, Monsieur [D] (responsable de site) a été alerté par des frais de garantie pour un échange de pare-brise sur un véhicule Passat break qui avaient fait l'objet d'une commande du 12 septembre 2006 et d'une facture interne du 13 septembre 2006 ; que Monsieur [D] a alors découvert et constaté que ce véhicule avait été vendu au mois d'avril 2006 à Monsieur [V] [L], à un tarif préférentiel qui générait une perte financière et un manque à gagner pour la société ; qu'intrigué il a procédé à un examen du livre de police et a découvert que sur une période courant de 2004 à 2006, Monsieur [L] avait réalisé 13 opérations de vente ou d'achat auprès de membres connus de sa famille à des conditions très préférentielles générant pour la société des pertes et un manque à gagner.
La lettre de licenciement du 2 novembre 2006 évoquait de la façon suivante comment les faits objet du licenciement avaient été découverts :
« Fin septembre 2006, lors d'un contrôle de factures internes à notre entreprise, votre responsable de site Monsieur [S] [D] s'est interrogé sur des frais de garantie concernant l'échange d'un pare-brise sur un véhicule Passat Break immatriculé [Immatriculation 2], objet d'une facture interne datée du 13 septembre 2006.
Après vérification, il s'est avéré que vous avez vendu ce véhicule à Monsieur [V] [L] votre frère en date du 21 avril 2006, au prix de 12900 euros. A l'étude du dossier, nous avons constaté que ce véhicule avait été repris pour un montant de 12000 euros en date du 14 avril 2006.
Sur ce véhicule il a été réalisé des travaux de remise en état et de préparation pour un montant de 1579,08 euros plus le coût de l'assurance garantie voitures d'occasion d'un montant de 153,06 euros , soit un total de 1732,14 euros.
Monsieur [S] [D] a donc constaté dans cette affaire une perte financière de 832,14 euros. Le prix de vente pour ce véhicule était de 14200 euros, soit un manque à gagner total de 2132,14 euros.
Suite à ce constat de perte financière importante sur cette vente réalisée auprès d'un membre de votre famille, Monsieur [S] [D] a demandé à étudier le livre de police, et s'est aperçu que vous réalisiez régulièrement des opérations d'achat et de vente avec des membres de votre famille.
Monsieur [S] [D] a fait ressortir les dossiers ci-dessous détaillés, sur une période courant de 2004 à 2006.
Nous tenons à préciser qu'il existe d'autres dossiers plus anciens sur lesquels nous avons constaté également des pertes, mais que nous ne relatons pas ci-dessous, ayant déjà suffisamment d'exemples de transactions dans lesquelles l'entreprise à réalisé des pertes financières, plus un manque à gagner important par rapport au prix du marché. (...) »
Le point de départ du délai de prescription est constitué par le jour où l'agissement fautif est personnalisé, c'est à dire au jour où l'employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié. La fin de ce délai est constituée par la date de déclenchement de la procédure de licenciement, soit la date du 13 octobre 2006, date de la mise à pied disciplinaire et de la convocation à l'entretien préalable.
En l'espèce, le fait fautif reproché à Monsieur [X] [L] est une vente de véhicule effectuée le 21 avril 2006 au profit de son frère Monsieur [V] [L], à des tarifs préférentiels ayant généré une perte pour la société. Cette vente aurait été révélée à l'employeur fin septembre 2006 lors du contrôle d'une facture du 13 septembre 2006 relative à un échange de pare-brise pris en charge au titre de la garantie véhicule d'occasion.
Il ressort des attestations versées aux débats par la société METIN (attestations des Mesdames [Y] et [N]) que le contrôle des factures internes et l'analyse des tableaux de bord était faite chaque mois par la Direction.
Contrairement à ce que soutient la société METIN, et à supposer que le salarié n'ait pas sollicité d'autorisation de sa hiérarchie pour procéder à la vente litigieuse à un membre de sa famille (ce que le salarié conteste), il est impensable que la vente du 21 avril 2006 ait pu passer inaperçue lors du contrôle des factures de fin de mois ou lors de l'analyse des tableaux de bord, et échapper ainsi à la connaissance de la Direction.
Il en résulte que fin avril 2006 ou début mai 2006, la Direction de la société METIN avait eu connaissance de la vente du 21 avril 2006 ou avait été en mesure d'en prendre connaissance par l'intermédiaire de son service administratif et financier. Par le même contrôle mensuel, elle avait également été en capacité de connaître toutes les ventes antérieures reprochées au salarié.
Dès lors il y a lieu de constater que la procédure de licenciement initiée le 13 octobre 2006 repose sur des faits prescrits . Le licenciement intervenu le 2 novembre 2006 sera donc déclaré sans cause réelle et sérieuse.
La décision de première instance sera donc infirmée en ce qu'elle a rejeté le moyen tiré de la prescription et en ce qu'elle a déclaré le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes de Monsieur [L]
Il y a lieu de confirmer les sommes non contestées allouées en première instance au titre du rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire et des congés payés afférents, et de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.
S'agissant de l'indemnité de licenciement, compte tenu des dispositions de la convention collective, de l'ancienneté du salarié (14 ans et 2 mois) et des bulletins de paie versés aux débats, il y a lieu d'infirmer la décision déférée et d'allouer à Monsieur [L] la somme de 18 818, 67 euros qu'il réclame, qui portera intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2007, date de convocation des parties devant le bureau de jugement.
Par ailleurs compte tenu de son ancienneté, de son âge au moment du licenciement, de la période de chômage subie (jusqu'au 3 septembre 2007), il y a lieu de condamner la Société METIN à verser à Monsieur [L] sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail, une somme de 66546, 60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui portera intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt.
Monsieur [L] ne justifiant pas d'un préjudice moral distinct de celui déjà réparé par les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral sera rejetée.
En application des dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts échus depuis au moins un an.
S'agissant du droit individuel à la formation (DIF), Monsieur [L] réclame le paiement d'une somme de 366 euros au titre de ce droit ainsi qu'une somme de 5545,55 euros (un mois) à titre de dommages et intérêts pour non respect de ce droit au DIF.
La société METIN répond que le salarié ayant été licencié pour faute grave, il ne peut prétendre au bénéfice de ces dispositions.
Il résulte des dispositions des articles L 6323-18 et L 6323-19 du code du travail, qu'en cas de rupture non consécutive à une faute lourde le salarié peut utiliser le solde d'heures acquises au titre du droit individuel et la formation, l'employeur devant, dans la lettre de licenciement, informer le salarié, s'il y a lieu, de ses droits en matière de droit individuel à la formation.
En l'espèce, la SA METIN a informé Monsieur [L] dans sa lettre de licenciement d'un droit acquis de 40 heures au titre du DIF, mais non transférable en raison « du degré de la sanction qui engendrait la non exécution de son préavis (faute grave) ».
Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, il est certain que Monsieur [L], qui a bien été informé des heures acquises par lui au titre du DIF, a perdu du fait de la faute grave retenue à tort par son employeur, une chance de faire valoir ses droits au bénéfice du DIF. Ce préjudice réel doit être indemnisé. Il sera réparé par l'allocation d'une somme de 1000 euros que la société METIN devra verser à Monsieur [L] à titre de dommages et intérêts pour non respect de ses droits au DIF.
La société METIN sera également condamnée à délivrer au salarié des documents sociaux (attestation ASSEDIC, solde de tout compte et certificat de travail) conformes au présent arrêt.
Sur le remboursement d'office des indemnités de chômage
L'article L 1235-4 du code du travail prévoit que « dans les cas prévus aux articles L1235-3 et L 1235-11 le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. » Le texte précise que « ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. »
Sur la base de ces dispositions, et compte tenu du licenciement sans cause réelle et sérieuse de Monsieur [L], il y a lieu d'ordonner à la SA METIN de rembourser les indemnités de chômage versées au salarié du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités.
La SA METIN qui succombe supportera les dépens et indemnisera Monsieur [L] des frais exposés par lui en appel à hauteur de la somme de 2000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirmant partiellement le jugement déféré,
Constate que les faits invoqués à l'appui du licenciement de Monsieur [X] [L] sont prescrits,
Déclare en conséquence sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié à Monsieur [L] par lettre du 2 novembre 2006,
Condamne la SA METIN à payer à Monsieur [X] [L] les sommes suivantes :
- 18 818, 67 euros à titre d'indemnité de licenciement avec intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2007,
- 66546, 60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt,
- 1000 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de ses droits au DIF, avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt,
Confirme pour le surplus le jugement déféré en ses dispositions non contraires,
Y ajoutant,
Ordonne la capitalisation des intérêts échus au moins pour une année entière,
Condamne la SA METIN à payer à Monsieur [X] [L], la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SA METIN à payer à rembourser à l'organisme social intéressé les indemnités de chômage versées à Monsieur [L] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
Condamne la SA METIN aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,