Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE [Localité 3]
Pôle 5 - Chambre 6
ARRÊT DU 24 FÉVRIER 2011
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/19697
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juin 2008 -Tribunal de Grande Instance de SENS - RG n° 05/00556
APPELANT:
Monsieur [O] [R] [C]
demeurant [Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par la SCP VERDUN - SEVENO, avoué à la Cour
assisté de Maître Gaëlle BUFFIERE , avocat au barreau de METZ
APPELANT:
Monsieur [G] [M] [C]
demeurant [Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par la SCP VERDUN - SEVENO, avoué à la Cour
assisté de Maître Gaëlle BUFFIERE , avocat au barreau de METZ
INTIMÉE:
Société anonyme BNP PARIBAS venant aux droits de la société anonyme FORTIS BANQUE.
ayant son siège [Adresse 1]
[Localité 3]
prise en la personne de son directeur général et administrateur domicilié en cette qualité audit siège
représentée par la SCP GOIRAND, avoué à la Cour
assistée de Maître Christophe FOUQUIER, avocat au barreau de [Localité 3], toque : R110
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Novembre 2010, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Josèphe JACOMET, Conseillère.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de: :
Madame Marie-Claude APELLE, Présidente
Madame Marie-Josèphe JACOMET, Conseillère
Madame Françoise CHANDELON, Conseillère
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de Procédure Civile.,
Greffier, lors des débats : Monsieur Sébastien PARESY,
ARRÊT :
- contradictoire,
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, comme elles ont été avisées de la date de prorogation du délibéré.
- signé par Madame Marie-Josèphe JACOMET, Conseillère aux lieu et place de Mme Marie-Claude APELLE, Présidente, empêchée, et par Madame Marie-Claude GOUGE, Greffier auquel la minute de l'arrêt a été remise par le magistrat signataire.
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Le 2 novembre 1991, Monsieur [O] [C] a ouvert un compte courant dans les livres de la société Banque Parisienne de Crédit.
Le 6 novembre 1991, Monsieur [O] [C] a donné à Monsieur [W] [C] une procuration pour donner tous ordres de bourse et faire toutes opérations sur titres.
Le 31 juillet 1998, Monsieur [G] [C], fils de Monsieur [O] [C], a signé, auprès de cette banque, une convention de compte titres, aux termes de laquelle ont été ouverts un compte de titres en portefeuille et un compte de titres en report, ce dernier étant créé pour effectuer des acquisitions de titres en services à règlement différé-SRD.
Le 20 octobre 1998, la banque a fait signer à Monsieur [O] [C] un engagement au terme duquel il s'est obligé à affecter en garantie, à titre de couverture des opérations à terme effectuées, la totalité des titres qu'il détenait ou pourrait détenir en portefeuille.
Aux termes de cet engagement, il a également donné à la banque un mandat irrévocable de vendre, à son choix, les titres qu'il détenait pour couvrir le cas échéant, les soldes débiteurs de ses comptes de liquidation, et un pouvoir irrévocable de signer tous les bordereaux de transfert qui seraient établis à la suite de la réalisation des titres nominatifs déposés sous son dossier.
Il a été en outre convenu que si la valeur de couverture se trouvait réduite avant la liquidation mensuelle, au delà de la proportion déterminée par le règlement de la Chambre syndicale des agents de change de la Bourse de [Localité 3], il s'engageait à reconstituer cette couverture dans les limites réglementaires et dans le délai de deux jours de Bourse à compter de la date d'envoi de la réclamation de la banque notifiée par lettre recommandée, et qu'à défaut la banque pourrait, sans autre mise en demeure, procéder à la liquidation des engagements de son client et à l'annulation partielle ou totale de sa couverture.
A réception du relevé mensuel de liquidation du 29 mars 2001, Messieurs [O] et [G] [C] se sont aperçus que la banque avait procédé à la vente de la totalité de leurs titres, ce qui avait entraîné la liquidation de leurs comptes et leur clôture le 13 mars 2001.
Par acte d'huissier du 3 mai 2005, Messieurs [O] et [G] [C] ont fait assigner la société anonyme Fortis Banque, venant aux droits de la Banque Parisienne de Crédit, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, aux fins d'obtenir réparation de leur préjudice, devant le Tribunal de grande instance de Sens, qui, par jugement du 6 juin 2008, a:
-condamné la société anonyme Fortis Banque à payer à Monsieur [G] [C] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
-condamné la société anonyme Fortis Banque à payer à Monsieur [O] [C] la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts,
-condamné la société anonyme Fortis Banque à payer à Monsieur [O] [C] et à Monsieur [G] [C] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
-ordonné l'exécution provisoire,
-condamné la société anonyme Fortis Banque aux dépens.
Suivant déclaration du 17 octobre 2008, Messieurs [O] et [G] [C] ont interjeté appel de ce jugement (procédure RG n° 08/19697).
Suivant déclaration du 12 novembre 2008, la société Fortis Banque France, anciennement Banque Parisienne de Crédit, a également interjeté appel de ce jugement (procédure RG n° 08/21362).
Par ordonnance du 19 mars 2009, le magistrat de la mise en l'état a ordonné la jonction des deux procédures.
Dans leurs dernières écritures signifiées le 23 septembre 2010, Messieurs [O] et [G] [C] ont conclu, au visa de l'article 1147 du Code civil, à la confirmation partielle du jugement rendu le 6 juin 2008, à la recevabilité et au bien fondé de leurs demandes, que la BNP Paribas, venant aux droits de la société Fortis Banque, soit déclarée tenue à réparer l'entier préjudice qu'elle leur a fait subir, pour non respect de son mandat ainsi que de son obligation d'information et son devoir de conseil en application de l'article 1147 du Code civil, à la réformation du jugement en ce qu'il n'a pas tenu compte de l'ensemble de leurs préjudices, à la condamnation de la BNP Paribas, venant aux droits de la société Fortis Banque, à payer à Monsieur [O] [C] la somme de 400.000 euros à titre de dommages et intérêts, à la condamnation de la BNP Paribas, venant aux droits de la société Fortis Banque, à payer à Monsieur [G] [C] la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts, à la condamnation de la BNP Paribas, venant aux droits de la société Fortis Banque, à payer à Messieurs [O] et [G] [C] la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions du 7 octobre 2010, la société anonyme BNP Paribas, venant aux droits de la société Fortis Banque France, demande la réformation en toutes ses dispositions du jugement du 6 juin 2008, le débouté de Messieurs [O] et [G] [C] de l'intégralité de leurs demandes à son encontre, la condamnation de Messieurs [O] et [G] [C], solidairement, à lui payer une somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 26 octobre 2006.
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Considérant que Messieurs [O] et [G] [C] font grief au jugement d'avoir estimé que les conventions signées par Monsieur [O] [C] auprès de la banque ne sauraient s'analyser en un mandat de gestion alors il existait bien plus qu'un simple mandat d'administration entre eux puisque la banque avait le pouvoir de réaliser des actes de disposition sur les titres détenus et ce, à son libre choix, d'avoir sous-évalué leurs préjudices, alors que la banque aurait revendu la totalité de leurs titres sans leur accord à une période inopportune, à une valeur très inférieure à leur valeur d'achat, qu'elle aurait manqué à son obligation d'information sur les risques encourus dans les opérations spéculatives sur le marché à terme lorsque le client est considéré comme 'non averti', et de conseil à leur égard, ceux-ci n'étant pas des clients avertis, Monsieur [W] [C], frère de Monsieur [O] [C], réalisant les opérations boursières, en sa qualité de chargé de clientèle à la société Fortis Banque, en s'abstenant de les informer des risques encourus dans les opérations spéculatives sur les marchés à terme; qu'ils font valoir que la banque a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle sur le fondement de l'article 1147 du Code civil en violant l'obligation de conseil et d'information, en ne leur demandant pas de couverture complémentaire, eu égard au montant excessif de la valeur des titres en report, en ne les informant pas avant de procéder à la vente de leurs titres, en ne les invitant pas à procéder à la vente de leurs titres à un cours de bourse plus élevé, en détournant dans son intérêt exclusif l'objet du mandat dont elle était investie, que le comportement fautif de la banque leur a causé un préjudice financier tant au titre des pertes subies que de la perte de chance de retirer un bénéfice des opérations boursières réalisées, d'autant plus qu'ils étaient en mesure de couvrir leur solde débiteur;
Considérant que la société BNP Paribas reproche au tribunal d'avoir retenu sa responsabilité et de l'avoir condamnée alors qu'elle n'aurait commis aucune faute tant dans le cadre de la gestion du compte titre de Monsieur [O] [C] que dans celui de Monsieur [G] [C], étant fondée à agir pour limiter les pertes enregistrées par les consorts [C] à la suite de la dégradation de la situation boursière, ces derniers n'ayant pris aucune mesure pour limiter les pertes enregistrées, alors que les consorts [C] seraient particulièrement mal fondés à invoquer une quelconque faute de sa part puisqu'en vendant les titres acquis en report, elle les a préservés d'une moins value financière plus importante, la situation boursière s'étant progressivement dégradée entre septembre 2000 et le début de l'année 2003, alors qu'elle n'aurait jamais été titulaire d'un quelconque mandat de gestion sur les comptes titres de Messieurs [O] et [G] [C], les seuls documents régularisés étant des conventions de compte titre, alors qu'elle n'aurait commis aucune faute en vendant sans mise en demeure préalable et sans préavis les titres, se trouvant dans l'hypothèse, prévue par les conventions de titres signées par Messieurs [O] et [G] [C], de provisions insuffisantes pour permettre le règlement des engagements pris par le client;
Considérant que Monsieur [G] [C], âgé de 22 ans en 2001 et étudiant, était titulaire, dans les livres de la société Fortis Banque, d'un compte courant et d'un compte titres ouverts sous le même numéro, sur lequel étaient enregistrées des acquisitions de titres au comptant ou à terme;
Considérant qu'à la date du 31 octobre 2000, le compte de liquidation qui lui a été adressé faisait apparaître un portefeuille d'actions à terme d'un montant de 160.512,68 francs dont le report, demandé au 25 octobre 2000, a entraîné un solde débiteur d'un montant de 3.584,94 francs, reporté sur son relevé de compte du 4 novembre 2000; que le report de la vente de ces titres a été sollicité systématiquement dans les mois qui ont suivi, alors que le cours des actions ne cessait de baisser et les soldes débiteurs des comptes de liquidation, reportés sur le compte courant, d'augmenter; que le 3 mars 2001, le compte courant de Monsieur [G] [C] était débiteur d'une somme de 34.235,82 francs (5.219,22 euros), à la suite de la liquidation du 22 février 2001;
Considérant qu'en l'absence de réaction de Monsieur [G] [C], la société Fortis Banque a vendu unilatéralement l'intégralité du portefeuille de report, le 13 mars 2001, en s'appuyant sur la convention de compte-titres aux termes de laquelle le client s'engage à constituer à son compte, à bonne date, c'est à dire en fonction des règles de place et des accords passés avec la banque, la provision titres ou espèces nécessaire à l'exécution des règlements de livraison correspondant aux ordres passés, à défaut de constitution de cette provision, la banque est autorisée, sans mise en demeure préalable, à procéder au rachat des titres vendus et non livrés ou à la revente des titres achetés et non payés aux frais et risques du client et à débiter son compte des sommes correspondantes, la banque peut, dans une telle hypothèse, vendre, selon sa convenance, sans préavis, tout titre ou valeur conservé au compte du client afin de solder les positions débitrices du client, l'ensemble des titres et des espèces du client étant affectés par anticipation au paiement de tous ses engagements envers la banque au titre des opérations réalisées dans le cadre du contrat, la banque sera fondée à appliquer à tout moment le produit de la vente des titres du client et le solde créditeur de ses comptes au règlement des créances issues de l'exécution de la convention ou de celle s'y rattachant, la simple inscription au compte du client d'une position débitrice liée à une opération réalisée dans le cadre du contrat ne pourra valoir autorisation de découvert tacite;
Considérant que la banque reproche au jugement d'avoir retenu qu'elle n'a pas respecté son devoir d'information et de conseil à l'égard de Monsieur [G] [C];
Considérant qu'il ne ressort d'aucune des circonstances de la cause que Monsieur [G] [C], à l'époque de son engagement dans les opérations litigieuses, était un investisseur averti et avait une expérience personnelle des opérations d'investissement dans des placements à risques ou spéculatifs;
Considérant que c'est par d'exacts motifs que le tribunal s'est prononcé en relevant, notamment, le jeune âge de l'intéressé et sa situation d'étudiant lors de la signature de la convention, et qu'à la date des opérations litigieuses il ne pouvait être considéré comme un opérateur averti, rompu aux pratiques boursières de l'achat de titres en service à règlement différé;
Considérant que la banque, quelles que soient ses relations avec son client, avait le devoir de l'informer des risques encourus dans les opérations spéculatives sur le marché à terme; que Monsieur [G] [C] n'étant pas un client expérimenté et averti, elle n'était pas dispensée de son devoir d'information envers lui qui ne saurait résulter de la seule signature de la convention; qu'elle ne démontre par aucun élément avoir rempli cette obligation envers Monsieur [G] [C];
Considérant que Monsieur [G] [C] conteste l'évaluation par le tribunal de son préjudice;
Considérant que le manquement de la société Fortis Banque, aux droits de laquelle se trouve la société BNP Paribas, a fait perdre à Monsieur [G] [C] la chance, en étant informé des caractéristiques exactes des placements litigieux et de leurs risques, de procéder à des investissements moins risqués; que la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants, au regard des pièces produites, pour évaluer le montant du préjudice subi au titre de cette perte de chance à la somme de 5.000 euros au paiement de laquelle la société BNP Paribas doit être condamnée; que le jugement est confirmé de ce chef;
Considérant, en ce qui concerne Monsieur [O] [C], qu'il ne peut être considéré comme un opérateur averti dès lors, d'une part que dès le 6 novembre 1991, il a donné une procuration à Monsieur [W] [C], son frère, quatre jours après l'ouverture de son compte à la banque, pour faire fonctionner ce compte en francs ouvert sous le numéro 00033701465, et pour, en son nom, donner tous ordres de Bourse et faire toutes opérations sur titres, qu'il n'est ni allégué ni justifié qu'il aurait été mis fin par Monsieur [O] [C] à cette procuration, d'autre part, il n'est pas démontré que Monsieur [O] [C] a passé lui-même un certain nombre d'ordres, enfin que, des termes des trois lettres des 1er décembre 1993, 27 novembre 1994 et 8 novembre 1997, exactement rappelés par le tribunal, il ne se déduit pas une connaissance personnelle et précise du fonctionnement des opérations sur le marché à terme et des risques encourus de la part de Monsieur [O] [C];
Considérant que la banque, quelles que soient ses relations avec son client, avait, en cette circonstance, le devoir d'informer Monsieur [O] [C], dont il n'est pas démontré qu'il aurait été un client expérimenté et averti, des risques encourus dans les opérations spéculatives sur le marché à terme et qu'elle n'était pas dispensée de son devoir d'information envers lui; qu'elle n'établit par aucun élément qu'elle a satisfait à cette obligation, ce qui ne se déduit ni d'un quelconque acte, ni des compte-rendus d'opérations;
Considérant que le manquement de la société Fortis Banque, aux droits de laquelle se trouve la société BNP Paribas, a fait perdre à Monsieur [O] [C] la chance, en étant informé des caractéristiques exactes des placements litigieux, et de leurs risques, de procéder à des investissements moins risqués; que la Cour dispose, notamment au regard de la fluctuation importante du marché boursier lors des opérations litigieuses, des éléments d'appréciation suffisants, au regard des pièces produites, pour évaluer le montant du préjudice subi au titre de cette perte de chance à la somme de 50.000 euros au paiement de laquelle la société BNP Paribas doit être condamnée; que le jugement est confirmé de ce chef;
Considérant que l'équité ne commande pas l'application, en appel, des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, le jugement étant confirmé en ses dispositions relatives à cet article;
Considérant que chacun succombant en son appel, supportera ses propres dépens exposés devant la Cour, les dispositions du jugement relatives aux dépens étant confirmées;
PAR CES MOTIFS:
La Cour
Confirme le jugement sauf à préciser que la société anonyme BNP Paribas vient aux droits de la société Fortis Banque.
Y ajoutant
Rejette le surplus des demandes.
Dit que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle a exposés en appel.
LE GREFFIER, POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE,