Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRET DU 16 FEVRIER 2011
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/15729
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mai 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 06/03928
APPELANTS
Monsieur [D] [S]
[Adresse 5]
[Localité 9]
Madame [I] [A] [Z] [S] épouse [X]
[Adresse 5]
[Localité 9]
Madame [O] [L] [B] [M]
[Adresse 4]
[Localité 7]
Monsieur [F] [N] [R] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Madame [L] [A] [Y] épouse [U]
[Adresse 11]
[Localité 3]
Madame [A] [T] [Y] épouse [W]
[Adresse 6]
[Localité 10]
représentés par Me Rémi PAMART, avoué à la Cour
assistés de Me Nicolas SIDIER plaidant pour la SCP DEFLERS ANDRIEU et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R 47
INTIMEE
Société HOTELIERE RICHEPANSE exercant sous le nom commercial 'HOTEL OPERA RICHEPANSE'
[Adresse 2]
[Localité 8]
représentée par la SCP PETIT LESENECHAL, avoués à la Cour
assistée de Me André JACQUIN plaidant pour la SCP JACQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P 428
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 7 décembre 2010, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame BARTHOLIN, Présidente et Madame BLUM, Conseiller chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame BARTHOLIN, Présidente
Madame IMBAUD-CONTENT, Conseiller
Madame BLUM, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame BASTIN.
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Madame BARTHOLIN, Présidente, et par Madame BASTIN, greffier, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
*************
Par acte du 29 août 1994, les consorts [S], [M] et [Y] ont donné à bail en renouvellement à la société Hôtelière Richepanse, pour neuf années à compter du 1er janvier 1995, des locaux à usage d'hôtel de tourisme situés [Adresse 2], moyennant un loyer annuel de 600.000 francs (91.469,41 euros).
Le 26 juin 2003, les bailleurs ont donné congé à leur locataire pour le 1er janvier 2004 avec offre de renouvellement lui notifiant par huissier de justice, le 19 décembre suivant, leur proposition d'un loyer annuel de 200.000 euros en principal.
Le juge des loyers commerciaux, saisi aux fins de fixation du prix, a, par jugement du 10 juillet 2006, constaté le renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2004, dit que s'agissant de locaux monovalents, les règles du plafonnement ne s'appliquent pas et désigné M. [H] en qualité d'expert.
M. [H] a déposé son rapport d'expertise en estimant la valeur locative des locaux au 1er janvier 2004 dans une fourchette comprise entre 124.500 euros après abattement pour travaux de 35% et 134.000 euros après abattement pour travaux de 30%.
Par jugement rendu le 25 mai 2009, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a fixé à 134.000 euros en principal par an à compter du 1er janvier 2004 le loyer du bail renouvelé depuis cette date toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées, dit que les intérêts au taux légal sur les compléments de loyers seront dus à compter du 1er janvier 2004 au fur et à mesure de chaque échéance contractuelle outre capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil, ordonné l'exécution provisoire, débouté les parties du surplus de leurs demandes et condamné chacune des parties par moitié aux dépens comprenant le coût de l'expertise.
Les consorts [S], [M] et [Y] ont relevé appel de cette décision et par leurs dernières conclusions du 28 octobre 2010, demandent à la cour, au visa des articles R 145-10 du code de commerce et L 311-2 et suivants du code du tourisme, de :
- confirmer le jugement sur le point de départ des intérêts au taux légal et leur capitalisation,
- l'infirmer sur le surplus et fixer le loyer du bail renouvelé à la somme en principal, hors taxes et hors charges, de 254.000 euros, subsidiairement, de 221.000 euros, sans préjudice pour chacune des parties de leur droit à se prévaloir de l'article L 145-57 du code de commerce,
- condamner la société Hôtelière Richepanse à leur payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens y compris les frais d'expertise.
Par ses dernières conclusions du 23 novembre 2010, la société Hôtelière Richepanse exerçant sous le nom commercial Hôtel Opera Richepanse, demande à la cour de débouter les bailleurs de leurs demandes, d'infirmer partiellement le jugement et de :
- fixer la valeur locative à compter du 1er janvier 2004 à la somme de 112.095 euros par an hors taxes et hors charges,
- dire en conséquence que les consorts [S], [M] et [Y] devront lui rembourser le trop perçu de loyer compte tenu de l'exécution qu'elle a faite du jugement,
- subsidiairement, si des arriérés de loyers étaient dus, dire que conformément à l'article 1155 du code civil, ceux-ci ne seraient dus qu'à compter de la fixation judiciaire du loyer c'est-à-dire de la décision à intervenir,
- condamner les consorts [S], [M] et [Y] à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
SUR CE,
Considérant que l'hôtel Opera Richepanse est un hôtel de 38 chambres pour 79 personnes bénéficiant d'une très bonne situation au regard de son activité, dans le quartier de la Madeleine, très fréquenté par les touristes et bien desservi par les transports en commun ; qu'à la suite d'importants travaux, il a été classé dans la catégorie 4 étoiles par arrêté préfectoral du 7 mai 1996 ; qu'il est affilié à la chaîne Best Western ;
Considérant que par application de l'article R 145-10 du code de commerce, le prix du bail renouvelé est déterminé selon les usages observés dans la branche d'activité considérée ; que se référant expressément l'une et l'autre à la méthode hôtelière conforme aux usages pour cette branche d'activité, les parties s'accordent, au vu du rapport d'expertise judiciaire, sur un montant de 4.051.500 euros pour la recette théorique annuelle hors recettes accessoires et sur la déduction d'une taxe de séjour 2003 de 14.794,49 euros, soit en conséquence, et sous réserve d'une prise en compte, dans la recette théorique, de la recette théorique du petit-déjeuner, sur la somme de 3.825.490 euros hors TVA ; qu'elles s'accordent également sur un taux d'occupation de 65% compte tenu de la situation de l'hôtel et de sa catégorie ainsi que sur un taux de recettes de 11% ; qu'elles s'opposent toutefois tant sur la prise en compte, dans la recette théorique annuelle, de la recette du petit-déjeuner que sur le taux d'abattement pour prix négociés et sur l'abattement pour travaux effectués ; qu'en outre, la société Hôtelière Richepanse soutient qu'il convient de pratiquer un abattement supplémentaire de 3% pour charges exorbitantes ;
Considérant que la recette du petit-déjeuner n'a été prise en considération ni par l'expert judiciaire ni par M. [P] consulté par les bailleurs, ceux-ci ayant appliqué la méthode hôtelière ; que cette méthode d'usage ne tient compte ni du service ni de la recette du petit-déjeuner ; que les bailleurs ne démontrent pas l'évolution des usages dans la branche d'activité considérée ; que pour ce motif et ceux pertinents du premier juge, la demande des bailleurs tendant à voir la recette du petit-déjeuner incluse dans la recette théorique annuelle sera rejetée ;
Considérant que les bailleurs estiment que l'abattement de 30% pour prix négociés, retenu par le juge des loyers, est trop important "eu égard au standing de l'hôtel Opera Richepanse" compte tenu des éléments de comparaison qu'ils produisent et que cet abattement doit être fixé, comme l'a fait M. [P], à 15% ; que la locataire prétend pour sa part que cet abattement doit être de 35% pour tenir compte de la nécessité dans laquelle elle se trouve de pratiquer des prix très compétitifs compte tenu de certains inconvénients de l'hôtel tels l'exiguïté du hall et de la salle des petits déjeuners ou les désagréments dus aux vibrations du métro ;
Mais considérant que l'expert judiciaire a procédé à l'analyse détaillée des résultats par segmentation ainsi que du tableau des remises pondérées de l'exercice 2003/2004 faisant apparaître un pourcentage de remise de 38% ; que le pourcentage moyen de 30% qu'il propose n'est pas sérieusement remis en cause par les éléments produits de part et d'autre et sera retenu ;
Considérant que la locataire demande un abattement de 3% sur la valeur locative pour charges exorbitantes compte tenu de ce que, aux termes du bail, elle doit supporter la totalité des travaux de toiture alors qu'elle n'occupe qu'une partie de l'immeuble, l'autre étant occupée par un bar-restaurant ; que les bailleurs relèvent vainement que ce point n'a jamais été évoqué auparavant par la société Hôtelière Richepanse alors qu'elle occupe les lieux depuis 40 ans, que l'autre commerce est le seul à occuper également l'immeuble et qu'il est au rez-de-chaussée, qu'il n'y a pas eu de travaux de toiture récemment, que les seules charges qu'ils récupèrent sont celles de la taxe d'ordure ménagères et la taxe de balayage et que la question n'a pas été soumise à l'expert ; que prenant en charge l'ensemble des travaux de toiture de l'immeuble occupé par un autre commerce, la société Hôtelière Richepanse est fondée à obtenir un abattement de 3% sur la valeur locative ;
Considérant pour le surplus que les bailleurs font valoir que la locataire ne peut bénéficier d'aucun abattement pour travaux dans la mesure où elle ne justifie pas leur avoir notifié la réalisation des travaux dans les conditions de l'article 2 de la loi du 1er juillet 1964 ;
Considérant que la société Hôtelière Richepanse produit toutefois devant la cour les avis de réception des lettres recommandées qu'elle a adressées, avec les devis descriptif et estimatif et les plans d'exécution de travaux, non seulement le 1er avril 1994 au mandataire des copropriétaires indivis mais encore le 6 avril 1994 à M. [D] [S], M. [F] [Y], Mme [L] [U], Mme [A] [W] ainsi qu'au notaire en charge de la succession de [V] [M] ; que le moyen tiré du non respect par la société Hôtelière Richepanse de la formalité substantielle prévue par l'article susvisé actuellement codifié sous l'article L 311-2 du code du tourisme, n'est pas fondé et sera rejeté ;
Considérant que les bailleurs soutiennent ensuite que faute de factures et de justifications comptables des dépenses engagées, la demande d'abattement pour cause de travaux doit être rejetée, qu'en outre, certain des travaux revendiqués par la locataire sont exclus du champ d'application de l'article 1er de la loi du 1er juillet 1964 (travaux de charpente et couverture, travaux afférents au revêtement des sols, aux faïences et travaux de l'aspiration intégrée) ; qu'elle fait valoir à titre subsidiaire que les travaux ne peuvent être pris en compte qu'à hauteur de 395.167,52 euros et que seul un abattement de 13% doit être retenu ;
Considérant que la société Hôtelière Richepanse qui revendique un abattement pour travaux de 35%, se prévaut d'un montant de travaux de 4.971.653 francs soit 757.924 euros outre les honoraires de maîtrise d'oeuvre ;
Considérant que si elle ne produit effectivement pas les factures afférentes, la société Hôtelière Richepanse verse aux débats, outre des actes d'engagement de marché de diverses entreprises, l'état des marchés signés et travaux complémentaires ; que l'importance et la nature des travaux réalisés ne sont par ailleurs pas sérieusement contestables dès lors qu'ils ont porté sur une"réhabilitation" de l'hôtel Opera Richepanse ce qui a permis son classement de 3 à 4 étoiles ;
Qu'il demeure que sur un montant de travaux de 4.971.653 francs (757.924 euros) retenu par l'expert judiciaire au vu de l'état des marchés signés et travaux complémentaires, 71.670 francs correspondent au prix d'une aspiration intégrée et 308.810 francs à des travaux de couverture alors que de tels travaux ne relèvent pas de l'article 1er de la loi du 1er juillet 1964 à la différence des autres postes exactement pris en compte par l'expert judiciaire, y compris les revêtements sols durs et faïences de salles de bains qui relèvent de l'équipement sanitaire en s'ajoutant aux travaux déjà considéré par l'expert au titre du poste plomberie sanitaire ; que les travaux seront en conséquence pris en compte à hauteur d'un total de 4.591.173 francs soit, arrondis, 699.920 euros ; que s'agissant de travaux amortissables sur 12 ans, l'amortissement annuel représente 58.326 euros environ soit 31,14 % de la valeur locative ; qu'un abattement de 30% est en conséquence justifié ;
Considérant qu'en conséquence la valeur locative s'établit en principal comme suit ;
- recette théorique annuelle hors recette afférentes aux petits déjeuners = 4.051.500 euros
- après déduction TVA et taxe de séjour 2003 = 3.825.490 euros
- après abattement de 30% pour remise à la clientèle = 2.677.843 euros
- application d'un taux d'occupation de 65% = 1.740.598 euros
- application d'un pourcentage de recettes de 11% = 191.466 euros
- après déduction charges exorbitantes de 3% = 185.722 euros
- après abattement pour travaux de 30% = 130.005 euros
soit arrondi 130.000 euros ;
Considérant que les intérêts moratoires supposant, même pour le revenus échus tels que les loyers visés à l'article 1155 du code civil, que ces revenus soient déterminés dans leur montant, le retard ne pouvant dans le cas contraire être caractérisé, les intérêts au taux légal sur les éventuels compléments de loyers courront à compter du présent arrêt ;
Considérant que la présente décision constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes éventuellement versées en exécution du jugement, les sommes à restituer portant intérêt au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution ; qu'il n'y a dès lors pas lieu de statuer sur la demande de la société Hôtelière Richepanse aux fins de restitution ;
Considérant que le jugement sera confirmé sur le sort des dépens de première instance comprenant le coût de l'expertise ; que succombant partiellement à ce stade, les consorts [S], [M] et [Y] conserveront à leur charge les dépens d'appel ; que vu l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2.000 euros sera allouée à la société Hôtelière Richepanse pour ses frais irrépétibles d'appel, la demande formée à ce titre par les consorts [S], [M] et [Y] étant rejetée ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré sauf sur le montant du loyer du bail renouvelé et le point de départ des intérêts au taux légal ;
Statuant à nouveau sur ces chefs infirmés,
Fixe à 130.000 euros en principal par an à compter du 1er janvier 2004 le loyer du bail renouvelé depuis cette date ;
Dit que les intérêts au taux légal courront sur les compléments de loyer à compter du présent arrêt;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour ;
Condamne les consorts [S], [M] et [Y] à payer à la société Hôtelière Richepanse la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Déboute les consorts [S], [M] et [Y] de leur demande à ce titre ;
Condamne les consorts [S], [M] et [Y] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,