Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 26 JANVIER 2011
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/15650
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Mai 2008 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 07/01994
APPELANTE
S.A. GROUPAMA TRANSPORTS anciennement dénom mée NAVIGATION & TRANSPORTS PUIS GROUPAMA NAVIGATION & TRANSPORTS
prise en la personne de son Président du Conseil d'Administration agissant tant en
son nom personnel qu'en sa qualité de Compagnie apéritrice des Sociétés
de coassurance ALLIANZ GLOBAL CORPORATE (aux droits de AGF, ALLIANZ VIA ASSURANCES, CAMAT et PFA), AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE(aux droits d'AXA MAT), CAPITA INSURANCE SERVICES (aux droits de EAGLE STAR), CIAM, GROUPAMA TRANSPORT (aux droits de CEAI, GAN INCENDIE ACCIDENTS et GENERAL ACCIDENT ' B '), GROUPE D'ASSURANCES EUROPEENNES, MUTUELLES DU MANS ASSURANCES IARD, [Localité 9], [Localité 9] INSURANCE IRELAND LTD et [Localité 9] INTERNATIONAL FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Louis-Charles HUYGHE, avoué à la Cour
assistée de Maître NICOLAS Pierre Yves avocat au barreau du HAVRE
INTIMEE
LLOYD'S REGISTER nouvelle dénomination de la Société LLOYD'S REGISTER OF SHIPPING
prise en la personne de ses représentants légaux
dont le siège social est [Adresse 4] ROYAUME UNI
et [Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par la SCP MONIN - D'AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour
assistée de Maitre REMBAUVILLE NICOLLE Patrice avocat plaidant et associés, toque P29
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 1er décembre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Pascale GIROUD, Présidente
Madame Agnès MOUILLARD, Conseillère
Mme Dominique SAINT-SCHROEDER, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Mme Marie-Claude GOUGE
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Pascale GIROUD, présidente et par Mme Marie-Claude GOUGE, greffière.
***
La société Groupama Transport, anciennement dénommée Navigation et Transports, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de compagnie apéritrice des sociétés de coassurance Allianz Global Corporate (venant aux droits de AGF, Allianz Via Assurances,Camat et PFA), AXA Corporate Solutions Assurance (aux droits D'AXA MAT), Capita Insurance Services (aux droits de Eagle Star), CIAM, Groupama Transport (aux droits de CEAI, GAN Incendie Accidents et General Accident B), Groupe d'assurances européennes, Mutuelles du Mans Assurances IARD, [Localité 9], [Localité 9] Insurance Ireland Ltd et [Localité 9] International France, a réglé à la République de Chypre le 3 juillet 1995 la somme de 4.467.893 francs en exécution de la sentence arbitrale du 4 avril 1995 qui a condamné son assurée, la société [Y] [N] [V], à payer cette somme à la République de Chypre qui avait été victime de dommages affectant la coque de l'une des deux vedettes baptisée Aphrodite, la seconde étant dénommée Kimon, que lui avaient livrées cette société au mois de novembre 1979 suivant contrat de commande du 16 décembre 1978. Le tribunal de grande instance de Paris, saisi d'une demande en garantie, formée par assignation du 17 août 1992, de la société Groupama Transport, agissant en sa qualité de subrogée dans les droits de la République de Chypre, dirigée à l'encontre du Lloyd's Register of Shipping, aujourd'hui dénommé Lloyd's Register, a, par jugement du 7 mai 2008, déclaré cette société recevable en son action et l'a déboutée de ses demandes.
Aux termes de ses dernières conclusions du 26 novembre 2010, la société Groupama Transport, appelante, demande à la cour d'infirmer cette décision, de condamner le Lloyd's Register à lui payer, tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'apéritrice de la coassurance, la somme de 696.370,80 € avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 1995, date du payement, et capitalisation, outre la somme de 50.000 € au titre de ses frais irrépétibles.
Le Lloyd's Register conclut dans ses dernières écritures du 23 novembre 2010 à l'irrecevabilité de l'action de l'appelante par application de l'article L.110-4 du code de commerce, subsidiairement à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Groupama Transport de ses demandes et à la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 120.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE
Considérant que la société Groupama Transport fait valoir tout d'abord que le payement de la somme qu'elle réclame a été effectué pour le propre compte des appelantes et non pour celui de leur assuré dès lors qu'elles étaient tenues directement envers la République de Chypre en vertu du droit propre et exclusif de cette dernière sur l'indemnité d'assurance, laquelle n'avait aucun lien contractuel avec le Lloyd's Register à qui elle reproche, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, d'avoir commis une faute en émettant sans réserve un certificat de conformité de coque alors que celle-ci s'est révélée atteinte d'un défaut de fabrication à l'origine de son délaminage apparu en 1990;
Qu'elle soutient que son action n'est pas prescrite puisque la République de Chypre est un Etat ce qui exclut le statut de commerçant et que le Lloyd's Register n'est pas inscrit au registre du commerce et ne rapporte pas la preuve de ce qu'il accomplissait, au moment des faits litigieux, des actes de commerce de façon habituelle; qu'en outre, le délai de prescription ne pourrait commencer à courir qu'à partir de la manifestation du dommage, soit en l'espèce, le 23 août 1991, date de l'assignation délivrée à son encontre par la République de Chypre, et que les différents actes de procédure accomplis successivement l'ont interrompu;
Qu'au fond, elle reproche au Lloyd's Register des manquements à son obligation générale de prudence et de diligence compte tenu des dangers que les fautes de l'intimé ont occasionnés aux personnes et aux biens, ces fautes commises en 1979, 1980 et 1992 consistant dans la délivrance en 1979 et 1980 de certificats de construction et de conformité sans réserves alors que les tests de brûlage préconisés par l'inspecteur du Lloyd's Register n'avaient pas été réalisés; qu'elle s'appuye sur le rapport de l'expert judiciaire, nommé par ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Paris du 18 septembre 1991, et conclut que si les préconisations de l'inspecteur du Lloyd's Register avaient été respectées, le sinistre ne se serait pas produit ou la responsabilité du chantier, assuré par les appelantes, n'aurait pas été engagée;
Que le Lloyd's Register oppose la prescription de l'action en soutenant que la société Groupama Transports indiquant être subrogée dans les droits de la République de Chypre pour invoquer les principes de la responsabilité délictuelle, n'exerce donc que les droits de celle-ci, et que c'est au regard de ces droits que la recevabilité doit être examinée; qu'elle fixe au 18 juin 1990 l'acquisition de la prescription; qu'elle indique que le caractère commercial de ses activités résulte de ses statuts; qu'au fond, elle rappelle que la société [Y] [N] devait, aux termes du contrat signé avec la République de Chypre, remettre à celle-ci le 'certificat de conformité du Lloyd's , ce qui ne fut pas fait puisque la République de Chypre a pris livraison des deux vedettes patrouilleurs après leurs essais en mer le 26 novembre 1979 et signé, sans réserve, le procès-verbal de livraison; qu'il n'a émis les certificats que le 18 juin 1980 et qu'il n'est pas établi qu'ils aient été remis à la République de Chypre; qu'il prétend avoir ignoré les clauses du contrat signé par la société [Y] [N] et la République de Chypre qui prévoyait que la livraison des bateaux se ferait après remise d'un certificat de conformité du Lloyd's;
Considérant, ceci exposé, que le Lloyd's Register a notamment pour activité de réaliser des expertises maritimes comme le souligne elle-même l'appelante dans ses écritures, et d'effectuer, comme en l'espèce, des contrôles à la demande des entreprises de construction de navires; que partant, il se livre à des actes de commerce de manière habituelle; que la prescription décennale prévue à l'article L.110-4 du code de commerce s'applique donc à l'action initiée à son encontre par la société Groupama Transports;
Que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a déclaré recevable l'action de la société Groupama Transport en relevant que le délaminage de la coque de l'Aphrodite est apparu en 1990 et que la République de Chypre a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris en réparation du préjudice subi la société Groupama Transport, anciennement dénommée Navigation & Transports, et son assuré, la société [Y] [N] [V], par acte du 23 août 1991, interrompant ainsi le délai de prescription, et que la société Groupama Transport a elle-même assigné en garantie le Lloyd's Register par acte du 17 août 1992; que le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef;
Considérant, au fond, qu'il était précisé à l'article IV du contrat de commande du 16 décembre 1978 que le payement se ferait à hauteur de 10% lors de l'acceptation technique des patrouilleurs conformément à l'article VII §4 qui dispose que la recette des navires aura lieu au chantier de [V] après achèvement du programme d'essai avec la commission technique de l'acheteur et remise du certificat du Lloyd's; qu'il était également indiqué que chaque acompte de la partie représentant 75% du prix serait versé sur présentation d'un certificat du Lloyd's (France) attestant que les matériels avaient été dûment fournis aux chantiers du constructeur aux dates indiquées dans le calendrier de payement, la propriété de ces matériels passant au jour du payement de ses échéances du constructeur à l'acheteur ;
Que l'article VII 2°) stipule que la construction sera entreprise sous la supervision de l'organisme de contrôle français Lloyd's; que le détail des inspections et tests figurant au paragraphe 'Inspection and testing'dont la traduction donnée par le Lloyd's Register n'est pas contestée, était le suivant:
au cours de la construction:
-échantillons pour les zones 1- 2- 3-4 (voir plans)
-supervision de la première couche d'enduit gélifié pour la coque et les cloisons
-première couche du pont après le balsa
-connexion coque-pont: rivets
-étanchéité des citernes
-échantillon d'enduit gélifié et verni
-test de pression de tous les travaux d'étanchéité à l'eau
-test des équipements électriques et des câblages.
Après la construction au chantier:
-supervision par Lloyd's incluant l'établissement du certificat de conformité,
-test des équipements et accessoires;
Considérant que le 26 mars 1979, l'inspecteur du Lloyd's Register of Shipping écrivait à [Y] [N] comme suit:
'Deux vedettes GRP pour le Gouvernement de Chypre
Suite à la visite de M.[I] à notre bureau de [Localité 7], les plans de coupe au maître, profil et fond ainsi que le plan de la plaque de fondation moteur ont été examinés et les échantillonnages et arrangements tels qu'indiqués et amendés sont tels que des coques de ce type peuvent être moulés sous la supervision de notre société en vue de la délivrance d'un certificat de construction coque (service Craft) pourvu que les détails suivants soient soumis pour approbation:
(...)La première coque étant construite, il est entendu que des échantillons seront prélevés sur cette coque pour examen afin de déterminer la qualité des laminés. Ceci doit être vérifié en brûlant des spécimens pour établir le contenu de verre par le poids et le nombre de couches de verre, et aussi pour vérifier les propriétés flexibles et la résistance. Ceci devra être effectué à vos frais et à la satisfaction des inspecteurs de notre société. Etant donné que vous avez les poids exacts de la première coque, ils devront être comparés à ceux de la seconde comme moyen supplémentaire de vérification.(...)';
Considérant qu'il y a lieu de rechercher si le Lloyd's Register a commis une faute ayant contribué à la réalisation du préjudice, lequel ne peut être que celui subi par la République de Chypre, à savoir la perte totale de la coque de l'Aphrodite, dès lors que la société Groupama Transport agit comme subrogée dans les droits de celle-ci;
Considérant qu'il résulte de la lettre du 26 mars 1979 que le Lloyd's avait soumis la délivrance du certificat de construction de la coque à la réalisation de tests de brûlage d'échantillons prélevés sur la coque de la première vedette; que ces tests devaient être réalisés à la satisfaction de ses inspecteurs; que par lettre du 26 novembre 1979, la société [Y] [N] [V] faisait savoir au Lloyd's que les échantillons adressés au laboratoire de la société [Adresse 8] à [Localité 6] et aux chercheurs du CERE n'avaient pas été prélevés sur la coque construite;
Considérant que la République de Chypre a pris livraison de l'Aphrodite le 26 novembre 1979 après émission des certificats attestant de l'avancement de la construction et de la remise des matériels à l'acheteur qui déterminaient le payement des échéances telles que fixées à l'article IV du contrat signé par la société [Y] [N] [V] et la République de Chypre ; que ces remises successives ne se faisaient qu'après contrôle de la qualité des travaux et des matériels par le Lloyd's; que si le contrat de construction n'a pas été remis matériellement au Lloyd's Register comme il le soutient, il demeure qu'en sa qualité de professionnel de l'expertise maritime, celui-ci n'ignorait pas la portée de ces certificats dont la teneur même démontre la connaissance qu'il en avait;
Que la société Groupama rappelle que le Lloyd's Register avait d'ailleurs reconnu dans ses écritures de première instance que son 'rôle... consistait à émettre ou non un certificat certifiant la qualité générale de la construction sans la production duquel les vedettes auraient pu être refusées par la République de Chypre';
Considérant qu'alors que les tests de brûlage dans les conditions édictées par le Lloyd's n'avaient pas été réalisés, l'inspecteur D.R Roux a délivré quatre certificats les 3 juillet, 28 septembre, 8 et 22 novembre 1979, ce dernier faisant état de ce que 'tous les équipements étaient installés sur le pont et les tests des moteurs et les tests électriques effectués ont été jugés satisfaisants' mais ne disant mot de l'absence de réalisation des tests de brûlage et que c'est en l'état de ces certificats, de surcroît non assortis de réserves, que la République de Chypre a pris livraison de l'Aphrodite;
Considérant que l'expert judiciaire, Monsieur [P], écrit dans son rapport sur lequel s'est fondé l'arbitre ayant statué le 4 avril1995, que les dommages observés sur la coque de l'Aphrodite relevaient d'une mise en oeuvre défectueuse des matériaux composites utilisés lors de la construction et, pour l'essentiel, de la non adhérence d'une résine de reprise sur une résine déjà durcie; qu'il indique que l'état des connaissances scientifiques et techniques aurait permis de déceler l'existence du défaut de fabrication dans le cadre des contrôles demandés et que l'inobservation des prescriptions du Lloyd's Register a été un facteur déterminant;
Considérant qu'il ressort de ces éléments d'appréciation que si le Lloyd's avait refusé de délivrer les certificats précédant la livraison de l'Aphrodite tant que les examens qu'il avait lui-même prescrits comme condition de délivrance desdits certificats - examens qui, aux dires de l'expert, auraient permis de révéler le défaut affectant la coque de l'Aphrodite - le préjudice consistant dans la perte totale de cette coque aurait été évité car le résultat de ces examens aurait conduit le constructeur à remédier à ce défaut avant la livraison du navire à la République de Chypre;
Que la faute du Lloyd's Register ayant contribué à la réalisation du préjudice, il y a lieu de condamner celui-ci à payer à la société Groupama Transport la somme de 696.370,80 € avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 1995, jour du payement de cette somme à la République de Chypre, et d'ordonner la capitalisation des intérêts;
Qu'il y a lieu d'allouer à la société Groupama une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, la demande formée à ce titre par le Lloyd's étant rejetée;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré recevable la société Groupama Transport en son action,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne le Lloyd's Register, anciennement dénommé Lloyd's Register of Shipping, à payer à la société Groupama Transport, anciennement dénommée Navigation et Transports, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de compagnie apéritrice des sociétés de coassurance Allianz Global Corporate (venant aux droits de AGF, Allianz Via Assurances,Camat et PFA), AXA Corporate Solutions Assurance (aux droits d'AXA MAT), Capita Insurance Services (aux droits de Eagle Star), CIAM, Groupama Transport (aux droits de CEAI, GAN Incendie Accidents et General Accident B), Groupe d'assurances européennes, Mutuelles du Mans Assurances IARD, [Localité 9], [Localité 9] Insurance Ireland Ltd et [Localité 9] International France la somme de 696.370,80 € avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 1995,
Ordonne la capitalisation des intérêts,
Condamne le Lloyd's Register, anciennement dénommé Lloyd's Register of Shipping, à payer à la société Groupama Transport, anciennement dénommée Navigation et Transports, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de compagnie apéritrice des sociétés de coassurance Allianz Global Corporate (venant aux droits de AGF, Allianz Via Assurances,Camat et PFA), AXA Corporate Solutions Assurance (aux droits d'AXA MAT), Capita Insurance Services (aux droits de Eagle Star), CIAM, Groupama Transport (aux droits de CEAI, GAN Incendie Accidents et General Accident B), Groupe d'assurances européennes, Mutuelles du Mans Assurances IARD, [Localité 9], [Localité 9] Insurance Ireland Ltd et [Localité 9] International France la somme de 30.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et rejette la demande du Lloyd's Register formée au même titre,
Le condamne aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT