COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 18 JANVIER 2011
(no 31, 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/ 17855
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 juin 2006 par le tribunal de grande instance de Paris 1ère chambre 1ère section Arrêt rendu le 5 février 2008 par la Cour d'appel de PARIS 1ère chambre section A Arrêt rendu le 25 Juin 2009 par la Cour de Cassation de PARIS-no 764 F-D
DEMANDERESSE à la SAISINE
Madame Valérie X... épouse Y...... 34000 MONTPELLIER représentée par Me Rémi PAMART, avoué à la Cour assistée de Me Jean-Pierre GUYONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : C 580
DÉFENDERESSE à la SAISINE
SCP JACQUES A... B...... 75008 PARIS représentée par la SCP ARNAUDY-BAECHLIN, avoués à la Cour assistée de Me Barthélémy LACAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E 435
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 23 novembre 2010, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller Madame Edith DUBREUIL, Conseiller venu d'une autre chambre pour compléter la cour en application de l'ordonnance portant organisation des services de la cour d'appel de PARIS à compter du 30 août 2010, de l'article R 312-3 du Code de l'organisation judiciaire et en remplacement d'un membre de cette chambre dûment empêché
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN
MINISTERE PUBLIC Madame ARRIGHI de CASANOVA, avocat général, a apposé son visa sur le dossier
ARRET :
- contradictoire-rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour,
Considérant que, par arrêt rendu le 16 décembre 1993 et devenu irrévocable, la Cour d'appel de Rouen a condamné Bernard X..., solidairement avec M. C..., son ancien associé, à payer au syndic de la liquidation judiciaire d'une société une somme équivalente à 137. 204, 11 euros, en principal, et ce, en comblement du passif de cette société ; Qu'à la suite du décès de Bernard X..., survenu le 21 octobre 1995, M. Jacques A..., notaire, chargé du règlement de la succession, a interrogé le conseil habituel du défunt, à la demande de Mlle Claire X..., soeur de Mme Valérie X..., épouse Y..., et cohéritière, sur l'existence de cette dette ; que l'avocat lui a répondu en lui faisant parvenir une copie de l'arrêt du 16 décembre 1993 ;
Considérant que, reprochant à la S. C. P. A... et associés d'avoir omis de déclarer à l'administration fiscale, au tire du passif de la succession, la dette résultant de la condamnation de son père, Mme Y... a saisi le Tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 21 juin 2006, l'a déboutée de sa demande et condamnée à payer à la S. C. P. A... et associés la somme de 2. 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens ; Que, par arrêt du 5 février 2008, la Cour de céans a confirmé le jugement sauf en ce qui concernait l'indemnité de procédure et les dépens et débouté la S. C. P. A... et associés de sa demande indemnitaire et l'a condamnée aux dépens ; Que, par arrêt du 25 juin 2009, la Cour de cassation a cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 février 2008 et renvoyé la cause et les parties devant la Cour autrement composée au motif que « tout en énonçant que le passif successoral avait pour effet de diminuer les droits de succession à payer et que l'omission de la dette du de cujus dans le passif de la déclaration de succession a eu pour conséquence directe une majoration des droits de succession que les héritières ont payé, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé » l'article 1382 du Code civil.
Considérant qu'appelante du jugement, Mme Y..., qui en poursuit l'infirmation, demande que la S. C. P. A..., B... soit condamnée à lui payer les sommes de 91. 224, 50 euros et de 25. 916 euros à titre de dommages et intérêts ; Qu'à l'appui de ses prétentions et après avoir rappelé le détail des faits, Mme Y... soutient que le notaire a commis la faute qu'elle lui reproche et que l'arrêt rendu par la Cour de cassation n'a pas remis en cause cette question de sorte que toute discussion sur le bon ou le mauvais accomplissement du devoir de conseil du notaire est dépourvue d'objet ; Que, s'agissant du préjudice, Mme Y... fait valoir qu'elle a réglé la somme de 76. 224, 50 euros, puisque sa soeur est insolvable, au titre de la transaction conclue avec le mandataire judiciaire et ce, après la vente d'une villa ; qu'elle ajoute qu'elle a subi un préjudice de 15. 000 euros au titre des loyers qu'elle a payés alors que, sans la faute du notaire, elle aurait pu racheter la villa de son père, et qu'elle a payé un surplus de droits de succession s'élevant à 25. 916 euros ;
Considérant que la S. C. P. A... et associés, devenue S. C. P. A..., B..., conclut à la confirmation du jugement, tout en soutenant qu'elle n'a commis aucune faute et qu'en réalité, elle a parfaitement accompli son devoir de conseil ; Qu'à ces fins et après avoir souligné que, par une lettre du 29 avril 1996, elle a mis en garde Mlle Claire X... contre le risque d'ignorer le passif successoral, la S. C. P. A... et associés soutient qu'antérieurement au dépôt de la déclaration de succession de Bernard X..., Mme Y... avait parfaitement connaissance de la dette du défunt envers M. D..., syndic de la société Créations Viva, telle qu'elle avait été arrêtée par le jugement du Tribunal de commerce de Gournay-en-Bray et la Cour d'appel de Rouen, ainsi que du décompte des sommes dues et des payements effectués ; qu'elle ajoute que Mlle Claire X..., co-héritière de Mme Y..., qui était sa mandataire pour l'établissement et le dépôt de la déclaration de succession, avait connaissance, avant même le décès de Bernard X..., de la dette et que l'information du mandataire équivalait à celle de la mandante ; Qu'à titre subsidiaire, l'intimée, fait observer que Mme Y... ne fait pas la preuve des préjudices dont elle demande réparation, non plus que du lien de causalité entre la prétendue faute et les préjudice allégués ;
Sur l'étendue de la cassation :
Considérant qu'en application des dispositions des articles 623, 625 et 628 du Code de procédure civile, la cassation d'une décision « en toutes ses dispositions », investit la juridiction de renvoi de la connaissance de l'entier litige, dans tous ses éléments de fait et de droit, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation ; Considérant qu'en l'espèce, la Cour de cassation a cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 février 2008 ; qu'il s'agit d'une cassation totale ; que, contrairement à ce que soutient Mme Y..., il appartient donc à la Cour de céans, en tant que juridiction de renvoi, de statuer sur l'entier litige, c'est-à-dire non seulement sur l'étendue du préjudice subi par Mme Y..., mais également et d'abord sur le principe même de la responsabilité de la S. C. P. A... et associés ;
Sur la responsabilité de la S. C. P. A... et associés :
Considérant que figure au dossier une lettre adressée le 7 mars 1995 par un avocat à Bernard X... et à Mlle Claire X... dans laquelle il écrit, à propos de la condamnation prononcée au profit de la liquidation de la société Créations Viva : « … à la vérité, je ne comprends pas votre attitude. Il serait opportun que vous vous mettiez en rapport avec moi de toute urgence » ; qu'après avoir interrogé l'avocat, M. A... a écrit à Mme Y... le 29 avril 1996 une lettre dont l'un des paragraphes est ainsi conçu : « Je n'ignore pas que vous-même et Mlle Claire X..., votre s œ ur, vous ne souhaitez pas être tenues pour responsables des dettes de cette société, malgré la condamnation à l'encontre de M. Bernard X..., votre père. Ne comptez pas trop sur la solidarité avec M. C..., ce dernier étant insolvable. Vous comprendrez, qu'en ignorant ce passif, vous seule et Mlle Claire X..., en prenez l'entière responsabilité … » ; Que la déclaration de succession établie par Mlle Claire X..., en son nom propre et en qualité de mandataire de Mme Y..., n'a pas fait mention de cette dette ; Que, quoique Mme Y... conteste, dans ses dernières conclusions avoir reçu la lettre du 29 avril 1996, il convient de relever que, d'une part, les relations qui existent entre un notaire et ses clients reposent, tant qu'elles durent, sur une confiance qui exclut, sauf circonstances exceptionnelles, inexistantes en l'espèce, l'usage de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception, et que, d'autre part, les conclusions signifiées le 17 juin 2010 par Mme Y... sont muettes sur la prétendue ignorance de la lettre dont il s'agit alors que le jugement critiqué en fait état ; Considérant qu'il convient encore de souligner que, sous la plume de son conseil, Mme Y... fait grief au notaire d'avoir négligé d'inscrire la somme arrêtée par la Cour d'appel au passif de la succession en ajoutant que « en 2002, et à sa grande surprise, Mme Valérie X..., épouse Y..., a constaté que Me D..., agissant ès qualité de syndic de la liquidation de la Sté Créations Viva, avait inscrit une hypothèque sur l'appartement … propriété de sa cliente » alors qu'en réalité, le jugement du Tribunal de commerce de Gournay-en-Bray et l'arrêt de la Cour d'appel de Rouen lui ont été signifiés le 15 janvier 1999 ; Considérant que, de surcroît, Mme Y... n'a aucunement protesté contre les termes d'une lettre que lui a fait parvenir la S. C. P. A... et associés le 23 février 1999 et qu'elle verse aux débats aux termes de laquelle le notaire écrit : « Comme je vous l'ai précédemment indiqué, le jugement prononcé à l'encontre de M. Bernard X..., votre père … ne pouvait rester sans suite » ; qu'une telle missive aurait été dépourvue de sens si Mme Y... n'avait pas reçu la lettre du 29 avril 1996 ; Considérant que ces circonstances sont constitutives d'un ensemble d'indices graves, précis et concordants démontrant que, non seulement par elle-même, mais également par son notaire, Mme Y... avait une parfaite connaissance de la dette qui devait être inscrite au passif de la succession de Bernard X... ; Qu'il y donc lieu de déduire de ces circonstances que le notaire administre la preuve de l'exécution du devoir de conseil et des obligations qui pesaient sur lui ; Que, par voie de conséquence, il convient de débouter Mme Y... de toutes ses demandes et, partant, de confirmer le jugement frappé d'appel ;
Sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile :
Considérant que chacune des parties sollicite une indemnité en invoquant les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que, succombant en ses prétentions et supportant les dépens, Mme Y... sera déboutée de sa réclamation ; qu'en revanche, elle sera condamnée à payer à la S. C. P. A... et associés les frais qui, non compris dans les dépens d'appel, seront arrêtés, en équité, à la somme de 3. 000 euros ;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Vu l'arrêt rendu le 25 juin 2009 par la Cour de cassation ;
Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 21 juin 2006 par le Tribunal de grande instance de Paris au profit de la S. C. P. A... et associés, devenue S. C. P. A..., B... ;
Déboute Mme Valérie X..., épouse Y... de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamne, par application de ce texte, à payer à la S. C. P. A... et associés la somme de 3. 000 euros ;
Condamne Mme Y... aux dépens d'appel en ce, compris les dépens de l'arrêt cassé, et dit qu'ils seront recouvrés par la S. C. P. Arnaudy et Baechlin, avoué de la S. C. P. A..., B..., conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.