RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 11 Janvier 2011
(n° 16 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/02763
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 16 Février 2009 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL section activités diverses RG n° 07/02406
APPELANTES
Madame [B] [S] [M]
[Adresse 3]
[Localité 4]
comparante en personne, assistée de M. [X] [J] (Délégué syndical ouvrier) muni d'un pouvoir spécial
Madame [C] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 5]
comparante en personne, assistée de M. [X] [J] (Délégué syndical ouvrier) muni d'un pouvoir spécial
INTIME
[7]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représenté par Me François ASSEMAT, avocat au barreau de PARIS, toque : P.27
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 23 Novembre 2010, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Brigitte BOITAUD, Présidente
Monsieur Philippe LABREGERE, Conseiller
Mme Marie-Aleth TRAPET, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Monsieur Polycarpe GARCIA, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par Madame Brigitte BOITAUD, présidente
- signé par Madame Brigitte BOITAUD, présidente et par Monsieur Polycarpe GARCIA, greffier présent lors du prononcé.
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame [B] [S] [M] est entrée au service de l'[7] de Villejuif à compter du 5 janvier 1987 en qualité d'agent de service. Après avoir occupé la fonction d'aide service hôtellerie à compter du 3 novembre 1988, elle a été promue technicienne de réception à compter du 1er octobre 2000. Elle appartient toujours au personnel de l'[7].
Madame [C] [Y] a été engagée par l'[7] le 26 janvier 1989, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, en qualité d'agent de service hôtelier. Son contrat a été transformé en contrat à durée indéterminée à compter du 12 janvier 1990. Ayant obtenu le diplôme d'aide-soignante, elle a bénéficié d'une promotion en cette qualité à compter du 1er février 2003 et continue à exercer ses fonctions au sein de l'institut.
Les deux salariées sont classées en position 3, groupe D, au regard de la convention collective des centres de lutte contre le cancer. Elles ont contesté le calcul de leur rémunération et la réduction du 'différentiel d'indemnité transitoire', mécanisme institué par la nouvelle convention collective des centres de lutte contre le cancer afin de mettre en oeuvre les nouvelles dispositions conventionnelles tout en maintenant la rémunération globale des salariés présents dans les centres de lutte contre le cancer au moment de l'application de la nouvelle convention collective, en leur garantissant le montant acquis au 31 décembre 1998.
Une nouvelle convention collective des centres de lutte contre le cancer, conclue notamment par la fédération nationale des centres de lutte contre le cancer à laquelle est rattaché l'[7] - ci-après dénommé « IGR » -, est en effet entrée en vigueur le 1er janvier 1999. L'application de cette nouvelle convention pouvant conduire à la perception d'une rémunération moindre au préjudice des salariés antérieurement embauchés, par rapport à celle qu'ils recevaient en application de l'ancienne convention collective signée le 12 mai 1970 à effet du 1er janvier 1971, les signataires de la convention du 1er janvier 1999 ont prévu la mise en place d'un mécanisme de compensation appelé 'différentiel d'indemnité transitoire' - et, par abréviation, « DIT », ce différentiel étant destiné à maintenir 'la rémunération globale des salariés'.
L'article 5.1.9.1 de la convention collective précise ainsi les modalités de calcul de ce DIT:
'Les signataires ou adhérents de la convention collective de 1999 ont souhaité maintenir la rémunération globale des salariés tout en mettant en 'uvre dès le 1er janvier 1999 l'ensemble des dispositions prévues dans cette nouvelle convention collective. Ainsi, chaque salarié se verra appliquer les nouveaux éléments de rémunération prévus dans la convention collective de 1999.
Dans le cas où l'addition « rémunération minimale annuelle garantie, expérience professionnelle et bonification acquise de carrière » serait inférieure au 1er janvier 1999 à la rémunération conventionnelle calculée sur les grilles de la convention collective de 1971, hors indemnités et sujétions particulières, il sera alloué un différentiel d'indemnité transitoire permettant le maintien de la rémunération antérieure.
Le salaire de référence sera celui de décembre 1998 pour les personnels ayant leur rémunération entière sur ce mois ci.
Pour les autres personnels, le salaire sera reconstitué à partir du coefficient de décembre 1998.
Concernant la prime d'assiduité prévue dans la convention collective de 1971, elle est incluse dans le différentiel d'indemnité transitoire. Le calcul de son montant se fera par application pour chaque salarié sur la base forfaitaire de 7,5 % quel que soit le taux d'absentéisme de 1998 et, selon les mêmes modalités que précédemment.
Le calcul du DIT se fera de façon uniforme dans tous les centres de lutte contre le cancer selon la méthodologie fédérale, tant pour les cas généraux que pour les cas particuliers.'
L'article 5.9.1.2 détermine l'évolution du DIT en précisant ses modalités de réduction :
'Le différentiel d'indemnité transitoire sera réduit dans la limite des augmentations générales du salaire minimum annuel garanti. Cependant, si des dispositions concernant la fonction publique hospitalière autorisent la différenciation du maintien du pouvoir d'achat et d'un montant spécifique dû à la croissance, les mêmes dispositions seront appliquées dans la convention collective nationale des centres de lutte contre le cancer.
Dans ce dernier cas, le différentiel d'indemnité transitoire ne fondra que sur le montant correspondant au maintien du pouvoir d'achat. Toutefois, pour 1999, le différentiel d'indemnité transitoire ne fondra qu'à hauteur de 50 % des augmentations générales appliquées cette année-là.'
Mesdames [S] [M] et [Y] ont saisi le conseil de prud'hommes de Créteil, lequel, par jugement du 16 février 2009, a prononcé la jonction des deux affaires et débouté les deux salariées de leurs prétentions.
Cette décision a été frappée d'appel par [B] [S] [M] et par [C] [Y].
Pour les prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions visées par le greffier et reprises oralement le 23 novembre 2010.
SUR QUOI, LA COUR,
Sur la demande de complément de rémunération
Mesdames [S] [M] et [Y] réclament un complément de rémunération calculé en considération de la prescription quinquennale en matière de salaire, qui se trouve ainsi limité à la période postérieure à décembre 2002.
La demande de [B] [S] [M] est chiffrée à 19 733,40 € ; celle de [C] [Y] à 34 744,56 €, outre les congés payés y afférents.
Les deux salariées estiment que le complément de rémunération qui leur a été versé à compter du 1er janvier 1999 constituait une composante fixe de leur rémunération et qu'elle n'était pas susceptible de diminution à l'occasion d'une promotion.
L'[7] soutient que la promotion d'un salarié entraîne la fonte du complément de rémunération, en appuyant son argumentation - comme l'a fait le conseil de prud'hommes de Créteil dans la motivation du jugement entrepris - sur l'avenant du 21 juin 2004. En stipulant que serait 'garantie à tout salarié promu, après réduction de son complément de rémunération, une progression salariale minimale de 6 % du SMAG de l'emploi dans lequel il est classé avant promotion', l'article 4 de l'avenant accorderait désormais une progression minimale qui n'existait pas préalablement. Par ailleurs, le fait que cette disposition de l'avenant précise encore que 'pour les salariés des groupes A et B, le complément de rémunération ne fond pas en cas de promotion', permettrait de vérifier a contrario que le complément de rémunération continuerait de fondre pour les salariés des autres groupes - notamment du groupe D auquel appartiennent Mesdames [S] [M] et [Y].
Considérant que l'article 4 de l'avenant du 21 juin 2004 n'a pas vocation à s'appliquer en faveur de ces salariées dont la promotion remonte respectivement au 1er octobre 2000 et au 1er février 2003, dès lors que le texte réserve le bénéfice de la progression salariale à tout salarié promu 'à compter de la date de prise d'effet du présent avenant' ;
Considérant que l'avenant du 21 juin 2004 n'en présente pas moins l'intérêt de révéler les circonstances qui ont conduit à 'réexaminer les dispositions transitoires liées à la rénovation de la convention collective au terme de cinq années d'application', selon les termes de son préambule ;
Considérant que l'intitulé même de l'article 4 manifeste le caractère nouveau de la 'Réduction du complément de rémunération du fait des augmentations individuelles (promotions)', en contrepartie de la création d'une garantie de progression salariale, les parties signataires étant explicitement convenues que 'le maintien des dispositions transitoires en cas de promotion ne peut conduire à modifier de façon trop forte les équilibres de la grille salariale résultant de la classification des emplois' ; que le texte précise explicitement que 'dans ce but, les parties signataires conviennent qu'à compter de la date de prise d'effet du présent avenant, il sera garanti à tout salarié promu, après réduction de son complément de rémunération (au sens de l'avenant à la convention collective résultant de la délibération de la commission nationale d'interprétation du 2 décembre 1998), une progression salariale minimale de 6 % du SMAG de l'emploi dans lequel il est classé avant promotion' ;
Considérant que le juge doit, pour rechercher la commune intention des parties signataires d'une convention, se placer au jour de sa conclusion ; qu'à cet égard, l'avis d'interprétation du 2 décembre 1998 - expressément visé dans l'article 4 du 21 juin 2004 - manifeste l'importance interprétative donnée par les partenaires sociaux à l'avis du 2 décembre 1998 pour définir le 'complément de rémunération', distinct du DIT, en précisant : 'chaque salarié se voit attribuer, autant que de besoin, un complément de rémunération, pouvant atteindre le différentiel entre son SMAG et celui immédiatement supérieur. Ce n'est qu'une fois que l'ensemble de ces calculs est effectué que le DIT peut apparaître' ;
Considérant que Mesdames [S] [M] et [Y] ne pouvant bénéficier des nouvelles dispositions issues de l'avenant du 21 juin 2004, il y a lieu de dire qu'elles devaient continuer à percevoir le complément de rémunération qui leur était servi avant leur promotion et de réformer sur ce point le jugement entrepris pour faire droit à la demande présentée de ce chef ;
Sur le différentiel d'indemnité transitoire
Mesdames [S] [M] et [Y] soutiennent que la 'fonte' du DIT n'est prévue que dans l'hypothèse d'augmentations générales, comme cela résulte du texte, mais non en cas de promotion interne, sans quoi un salarié promu percevrait - comme ce serait le cas pour [C] [Y] - une rémunération inférieure à celle qui lui était servie à son ancien poste, situation qui suffit à démontrer le caractère insoutenable de la démonstration adverse dès lors qu'elle aboutit à une 'régression salariale'.
Les salariées s'appuient sur l'avis d'interprétation rendu le 2 décembre 1998 apportant des précisions sur les modalités de calcul du DIT, sur la recommandation patronale du 31 mai 2001 de la fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, selon laquelle le DIT ne doit pas 'fondre' en cas de promotion ou de changement d'emploi du salarié, et sur la reconnaissance par des juridictions - singulièrement par un arrêt de revirement de la chambre sociale de la Cour de cassation prononcé le 19 mai 2010 - pour d'autres salariés placés dans des situations identiques à la leur, du droit de continuer à bénéficier du DIT.
L'[7] conteste cette interprétation et affirme que, dans l'hypothèse d'une promotion, une nouvelle négociation du contrat de travail intervient, de sorte que tous les éléments du salaire doivent être revus comme l'indique le service juridique de la fédération nationale des centres de lutte contre le cancer dans une lettre du 5 avril 2000.
L'institut ajoute que la recommandation patronale ne constitue pas une injonction impérative contraignante, qu'au surplus, elle n'a vocation à s'appliquer qu'à compter du 1er juin 2001, ce qui interdirait à [B] [S] [M] d'en solliciter le bénéfice puisque sa promotion est antérieure à cette date.
L'[7] se fonde, pour sa part, sur la position adoptée par la chambre sociale de la Cour de cassation le 16 décembre 2003, dans un litige l'opposant à 350 salariés. Il estime que le revirement de 2010 est contraire à la volonté des partenaires sociaux, dans la mesure où, d'une part, le dispositif est transitoire et n'a pas vocation à créer des disparités de rémunération entre des salariés occupant la même fonction et, d'autre part, l'absence de fonte du DIT aurait pour conséquence un ralentissement conséquent des promotions individuelles.
L'employeur affirme par ailleurs que la conclusion, le 21 juin 2004, d'un avenant relatif aux mesures transitoires des personnels non médicaux, qui attribue aux salariés une progression salariale minimale, constitue la preuve de ce qu'une telle progression n'existait pas auparavant.
Considérant que l'[7] soutient inexactement que, de par la volonté des partenaires sociaux, 'en cas de promotion, le DIT doit diminuer, voire disparaître' ; que l'interprétation donnée par le service juridique de la fédération nationale le 5 avril 2000 se trouve contredite par la recommandation patronale diffusée le 31 mai 2001, laquelle invite explicitement les centres de lutte contre le cancer à 'cesser la pratique de fonte du DIT lors de la promotion ou du changement d'emploi d'un salarié' ;
Considérant surtout que la position adoptée par l'[7] ne repose sur aucune disposition expresse de la convention collective, qui ne prévoit qu'une seule hypothèse de réduction du DIT, à savoir l'existence d''augmentations générales' ;
Considérant que l'interprétation développée par l'[7] n'est conforme ni à la lettre ni davantage à l'esprit général de la convention collective et singulièrement à ses dispositions transitoires ; que la commune intention des parties contractantes est clairement indiquée dans lesdites dispositions puisqu'elles y affirment vouloir 'maintenir la rémunération globale des salariés' tout en mettant en oeuvre la convention collective au 1er janvier 1999 ; que les parties contractantes y affirment également leur désir d'éviter des différences de traitements puisqu'elles précisent que 'le calcul du DIT se fera de façon uniforme dans les centres de lutte contre le cancer' ; que la recommandation patronale, dont l'employeur ne conteste pas l'existence, révèle cette volonté d'uniformisation ; qu'elle permet - comme l'avenant du 21 juin 2004 - de confirmer l'interprétation du texte sans qu'il y ait à statuer sur son caractère obligatoire ni même à rechercher si elle a vocation à s'appliquer aux salariées parties au présent litige ;
Considérant que, dans le préambule de l'avenant du 21 juin 2004, les partenaires sociaux n'ont pas manqué de 'constater que le DIT a réduit l'intérêt d'une part importante des salariés des CLCC pour la négociation salariale, la revalorisation du SMAG ne produisant d'effet réel et immédiat pour les salariés ayant du DIT que sur les accessoires de salaire'; que c'est 'dans ce contexte' que les signataires ont souhaité 'prendre acte que les dispositions conventionnelles en place depuis le 1er janvier 1999 permettaient aux CLCC de faire face aux enjeux de l'avenir' et ont 'décidé de réexaminer les dispositions transitoires liées à la rénovation de la convention collective' ; que l'article 2 de cet avenant est intitulé 'Réduction du différentiel d'indemnité provisoire du fait des augmentations générales du SMAG' ; que cette disposition prévoit que le DIT des salariés en bénéficiant sera 'réputé définitivement acquis à la hauteur du montant constaté au 1er janvier 2006"; que l'avenant va même au-delà puisqu'il précise que les augmentations générales elles-mêmes 'ne font pas fondre le DIT des salariés des groupes A et B à compter de l'entrée en vigueur du présent avenant et de façon définitive' ; que si ces dernières dispositions ne concernent pas Mesdames [S] [M] et [Y] qui relèvent du groupe D, elles n'en laissent pas moins apparaître la volonté de pérenniser le DIT, et non la disparition rapide de ce dispositif qu'invoque l'[7] ;
Considérant que la discrimination naîtrait, non pas comme l'affirme l'[7] de l'augmentation de salaire légitimement générée par la promotion des salariées, mais de la pratique de la fonte du DIT à l'occasion de leur promotion ; que rien ne justifie en effet que l'augmentation de la rémunération liée à une promotion se trouve absorbée par la disparition partielle ou totale du DIT ;
Considérant qu'il y a lieu, dans ces conditions, de réformer le jugement entrepris et de dire, par application de l'article 5.1.9.2. de la convention collective nationale applicable, que le différentiel d'indemnité transitoire ne peut être réduit que dans la limite des augmentations générales du salaire minimum annuel garanti, et non en cas de promotion interne ;
Considérant qu'il sera fait droit, en conséquence, aux demandes présentées par Mesdames [S] [M] et [Y], étant précisé que l'employeur n'a formulé aucune contestation sur les calculs très précis opérés par les deux salariées à la faveur des tableaux soumis à la cour, présentant mois par mois, pour toute la période non couverte par la prescription, le montant du SMAG, la rémunération retenue et celle demandée, et la différence réclamée en conséquence à l'[7] ;
PAR CES MOTIFS
RÉFORME le jugement entrepris ;
CONDAMNE l'[7] à payer à Madame [B] [S] [M] :
- 19 733,40 € à titre de rappel de complément de salaire de décembre 2002 à décembre 2010,
- 1 933,34 € à titre de congés payés y afférents,
- 5 966,64 € à titre de rappel de différentiel d'indemnité transitoire de décembre 2002 à décembre 2010,
- 596,66 € à titre de congés payés y afférents,
- 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE l'[7] à payer à Madame [C] [Y] :
- 34 744,56 € à titre de rappel de complément de salaire de décembre 2002 à décembre 2010,
- 3 474,46 € à titre de congés payés y afférents,
- 334,32 € à titre de rappel de différentiel d'indemnité transitoire de décembre 2002 à décembre 2010,
- 33,43 € à titre de congés payés y afférents,
- 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE l'[7] aux dépens ;
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE