RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRET DU 16 Décembre 2010
(n° 4, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 07/05667
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Février 2007 par le conseil de prud'hommes de PARIS section Commerce RG n° 05/12059
APPELANT
Monsieur [X] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Bruno GELIX, avocat au barreau de PARIS, toque : L 158
INTIMEE
SARL ENTREPRISE NETTOYAGE ET SERVICE (ENS)
[Adresse 3]
[Localité 5]
comparant en personne, assistée de Me Abdelhalim BEKEL, avocat au barreau de SEINE SAINT DENIS, toque : BOB 10
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 Octobre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Michèle BRONGNIART, Présidente
Monsieur Thierry PERROT, Conseiller
Monsieur Bruno BLANC, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Evelyne MUDRY, lors des débats
L'affaire a été mis en délibéré au 25 Novembre 2010, prorogée au 16 Décembre 2010
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Madame Michèle BRONGNIART, Président et par Mlle Véronique LAYEMAR, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [X] [Z] était engagé par la SARL ENTREPRISE NETTOYAGE ET SERVICE (la SARL ENS) suivant contrat à durée indéterminée à temps partiel en date et à effet du 29 novembre 2002, en qualité d'ouvrier nettoyeur, catégorie 1, coefficient 150 de la Convention Collective Nationale des Entreprises de Propreté, avec reprise de son ancienneté depuis le 14 octobre 1996, moyennant une rémunération mensuelle brute, à raison de 86 heures de travail par mois, de 628,66 €, en étant affecté à l'entretien des plateaux de télévision sis au studio 107 à [Localité 6] (93).
Convoqué, par LRAR du 6 avril 2005, -lui ayant par ailleurs notifié sa mise à pied conservatoire-, à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour le 18 avril 2005, le salarié était licencié, par LRAR du 25 avril 2005, pour faute lourde.
Il saisissait le conseil de prud'hommes de PARIS, ayant, par jugement du 16 février 2007, statué en ces termes :
- requalifie le licenciement pour faute lourde en licenciement pour faute grave ;
- condamne la SARL ENS à payer à M. [X] [Z] la somme de 687,18 €, pour congés payés antérieurs ;
- déboute M. [Z] du surplus de ses demandes.
Régulièrement appelant de cette décision, M. [Z] demande à la Cour de :
- réformer en tous points le jugement ;
Et, statuant à nouveau :
- dire le licenciement de M. [Z] sans cause réelle et sérieuse ;
Subsidiairement :
- dire qu'il n'y a pas faute grave ;
- confirmer en tout état de cause l'absence de faute lourde ;
- arrêter la moyenne des trois derniers salaires mensuels à 654,46 € ;
En conséquence :
- condamner la SARL ENS à payer à M. [Z] les sommes suivantes :
* 727,16 €, au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
* 1 308,92 €, au titre de l'indemnité de préavis ;
* 130,92 €, au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis ;
* 687,18 €, au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;
* 654,46 €, au titre du salaire impayé de mars 2005 ;
* 1 721,28 € de rappels de salaires indûment retenus ;
* la remise du bulletin de paie de mars 2005 ;
* la remise des documents légaux conformes à la date d'ancienneté fixée au 14 octobre 1996, au besoin sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;
* 15 700,00 €, à titre de dommages-intérêts, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement de l'article L 122-14-5 du code du travail ancien / L 1235-3 nouveau
(trente-six mois de salaires) ;
* 1 500,00 €, à titre de dommages-intérêts, en indemnisation du préjudice résultant des circonstances particulièrement vexatoires dans la mise en oeuvre du licenciement ;
- dire que l'ensemble de ces sommes porteront intérêt au taux légal au jour de l'introduction de la demande (18 octobre 2005) ;
- condamner la SARL ENS à payer à M. [Z] une somme de 3 000 €, au titre de l'article 700 du CPC ;
- la condamner aux entiers dépens.
La SARL ENS entend voir :
- déclarer l'appelant irrecevable en son appel et l'y dire mal fondé ;
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- débouter l'appelant de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner l'appelant aux dépens ;
- le condamner à verser à la SARL ENS la somme de 1 000 €, en application de l'article 700 du CPC.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs conclusions écrites, visées le 14 octobre 2010, et réitérées oralement à l'audience.
SUR CE,
- Sur le licenciement :
Considérant que la lettre de licenciement, fixant les limites du litige, est ainsi libellée :
'Vous avez été convoqué pour un entretien préalable pour le 18 avril 2005 à 10 h à nos bureaux, auquel vous vous êtes présenté pour s'expliquer sur les faits qui vous ont été reprochés, que vous n'avez donné aucune explication :
* Vous étiez absent pendant longtemps et votre chef d'équipe a continué de vous pointer tous les jours et pendant votre absence elle fait faire votre travail par les autres salariés et vous avez continué à toucher votre salaire.
Nous considérons ces agissements intolérables et immoraux, qui peuvent mettre en danger notre contrat commercial.
Nous nous voyons en conséquence dans l'obligation de mettre fin immédiatement à votre contrat de travail
pour faute lourde sans préavis ni indemnité ; vous cesserez, à la présentation de cette lettre, de faire partie du personnel de notre entreprise.
Votre certificat de travail et le solde de tous comptes ainsi que les salaires vous restant dus à votre disposition, que vous les recevrez par lettre recommandée AR' ;
Considérant qu'il incombe à l'employeur, invoquant de ces chefs une faute lourde, et se prétendant par-là même exonéré de toutes obligations en termes d'indemnités, tant compensatrice de préavis que de licenciement et de congés payés en cours, d'en apporter la preuve ;
Considérant qu'il est reproché à M. [X] [Z] d'avoir été longtemps absent, tout en ayant continué à être pointé, tous les jours en son absence, par sa mère, Mme [U] [Z], chef d'équipe, ayant fait réaliser son travail par les autres salariés de l'entreprise, alors qu'il a continué à percevoir son salaire ;
Considérant que la SARL ENS se prévaut à cet égard de diverses attestations, émanant de Mmes [G] et [W], ainsi que de MM. [O] et [P], salariés de l'entreprise, dont cette seule qualité reste toutefois notoirement insuffisante à rendre leurs attestations irrecevables, ni même seulement suspectes de la nécessaire partialité que l'appelant se plaît à tort à leur prêter ;
Que Mme [G] relate ainsi : 'Je suis salariée de la société ENS depuis plus de deux ans, et je travaille sur le site du studio 107 à [Localité 6], et notre chef d'équipe, Mme [Z] [U], jusqu'au mois de mars 2005, Mme [U] s'absente souvent.
Et comme son mari travaille avec nous, c'est lui qui fait son travail et nous fait faire son travail à lui.
Pour le reste de l'équipe, et quand on lui pose la question elle est où [U], il nous répond sur un autre plateau du moment, on sait qu'elle n'est pas là, et c'est son mari qui signe pour elle.
Et c'est la même chose quand [quant à] M. [Z] [U] (mari) quand il s'absente, c'est Mme [U] qui s'arrange pour faire [faire] son travail par le reste de l'équipe sans que le responsable s'en aperçoive, et cela à plusieurs reprises dans le mois. Quant à M. [Z] [B], il s'absente tout le temps et tous les mois et cela des fois pendant des semaines, et c'est le reste de l'équipe qui fait le travail. Quant à M. [Z] [X], je ne l'ai jamais vu travailler sur le chantier' ;
Que Mme [W] rapporte pour sa part : 'Je travaille avec la Société ENS sur le site studio 107 à [Localité 6]. J'ai constaté que M. [Z] [B] n'est pas venu pendant des mois, et c'est nous, les autres salariés, qui travaillons à sa place à la demande de la chef, Mme [S], et que M. [Z] [U] ne vient [pas] travailler tous les jours. Quant à M. [Z], je ne l'ai jamais vu sur le site' ;
Que M. [O] indique encore : 'Je soussigné... certifie sur l'honneur de témoigner contre Mme [U], qui, depuis un bon moment, ne s'entendait plus avec nous, les autres employés de cette entreprise. Depuis 2 ans, Mme [U] me faisait travailler à la place de son mari, M. [U], ainsi que son fils, M. [B]. Jusqu'à ce jour, leur absence a été justifiée par le patron lui-même ; depuis ce temps, mon temps est devenu normal qui l'aurait pu être depuis 2 ans. Je témoigne aujourd'hui contre [U] devant les autorités, comme prévu par la loi' ;
Que M. [P] déclare quant à lui : 'atteste sur l'honneur travailler avec :
- [U] (chef d'équipe) ;
- [U] ;
- [B] (occasionnellement).
N.B. : Par ailleurs, je n'ai jamais travaillé avec M. [X] ' ;
Considérant qu'il résulte de ces attestations précises, concordantes et circonstanciées, se corroborant ainsi les unes les autres, et émanant du reste de l'équipe affectée par la SARL ENS au studio [Adresse 1], que Mme [Z] avait en réalité mis en place un stratagème, ayant consisté, au préjudice de l'entreprise, à gonfler artificiellement les heures de présence, voire à mentionner des heures de travail totalement inexistantes, tant pour elle-même que pour les membres de sa famille, à savoir, M. [C] [Z], son mari, ainsi que leurs fils, MM. [X] et [B] [Z], sur le site du studio 107 où ils étaient tous affectés ;
Considérant en effet que la réalité des agissements ainsi perpétrés par Mme [Z], de concert avec les autres membres de sa famille, dont notamment son fils, M. [X] [Z], s'évince de surcroît de la confrontation des fiches de pointage les concernant établies par la salariée avec les cahiers de présence, révélant de nombreuses anomalies ;
Considérant que ces incohérences, sur lesquelles aucune explication pertinente ni même seulement plausible n'est fournie, loin d'avoir pu relever de la commission de simples erreurs, procèdent en réalité du stratagème délibérément mis en oeuvre par Mme [Z] avec les membres de sa famille au détriment de leur commun employeur ;
Or considérant que le fait pour M. [X] [Z] d'avoir, en sa qualité d'ouvrier nettoyeur, ainsi procédé, par l'intermédiaire de sa mère, Mme [U] [Z], par voie de tels agissements volontaires et délibérés, lui est assurément imputable sous la qualification, sinon d'une faute lourde, à tout le moins d'une faute grave, ayant, comme telle interdit toute poursuite de la relation de travail, y compris pendant la durée, même limitée, du préavis ;
Considérant qu'il convient donc, dans ces conditions, et sans qu'il y ait dès lors lieu de suivre le salarié dans le détail de son argumentation, étant par suite et pour le surplus tout aussi inopérante, de juger son licenciement valablement prononcé pour faute grave, ainsi que le conseil de prud'hommes l'a exactement retenu, aux termes de la décision déférée, méritant donc confirmation pour avoir par suite non moins justement débouté l'intéressé de l'ensemble de ses prétentions, tant salariales, en termes d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés y afférents, indemnité de licenciement, dont, valablement licencié pour faute grave, il se trouve privé du bénéfice, que, par ailleurs, indemnitaires, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral :
Considérant, s'il est de principe qu'un licenciement, fût-il fondé sur une cause réelle et sérieuse, voire valablement prononcé pour faute grave, ou même lourde, est encore susceptible d'ouvrir éventuellement droit pour le salarié à l'allocation de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, qu'il n'en est jamais ainsi que pour autant qu'il soit justifié de l'existence de circonstances brutales ou vexatoires ayant par ailleurs présidé à la rupture de son contrat de travail, sur la réalité desquelles il n'est toutefois en l'espèce fourni aucun élément ni commencement de preuve, en sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement, ayant par suite à bon droit débouté le salarié de cet autre chef de demande, formulée à hauteur de 1 500 € de dommages-intérêts, et à présent reprise, en ses écritures d'appel ;
- Sur l'indemnité compensatrice de congés payés :
Considérant que les premiers juges ont exactement retenu que M. [X] [Z], n'ayant pas été réglé de ses congés payés annuels, à raison de ses droits acquis sur une période de dix mois et demi, était fondé, en l'absence de faute lourde, à revendiquer le paiement de l'indemnité restant légitimement à lui revenir de ce chef, et par suite condamné l'employeur à lui payer la somme de 687,18 € légitimement requise à ce titre, le jugement étant dès lors derechef confirmé sur ce point, sauf, y ajoutant, à préciser que cette somme produira intérêts de plein droit au taux légal à compter du 31 octobre 2005, date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes ;
- Sur le salaire du mois de mars 2005 :
Considérant que M. [X] [Z] ne saurait être admis à indiquer n'avoir reçu ni sa paie ni aucun bulletin de salaire au titre du mois de mars 2005, quand il est établi qu'il n'a pas travaillé sur cette entière période, même si sa mère, Mme [U] [Z], avait certes pris soin de le noter présent chaque jour à son poste de travail, tant et si bien qu'il y a lieu de confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a rejeté de chef de demande ;
- Sur la demande de rappel de salaires :
Considérant que M. [X] [Z], poursuivant encore le règlement d'une somme globale de 1 721,38 €, au titre des heures selon lui à tort retenues sur ses salaires des mois de décembre 2003 à février 2005, au titre d'autant d'absences dont il ne démontre toutefois pas qu'elles lui aient été indûment imputées par l'employeur, s'est dès lors vu justement débouter de cette demande de rappel de salaires, faute d'avoir justifié du bien fondé de sa réclamation formulée en ce sens, n'étant pas plus établie en cause d'appel, le jugement étant par suite également confirmé pour l'avoir à juste titre débouté de ce chef ;
- Sur la délivrance de documents sociaux conformes :
Considérant, dans la mesure où son contrat de travail vise expressément la reprise de son ancienneté à compter du 14 octobre 1996, que M. [X] [Z] est en revanche légitimement en droit de prétendre à la délivrance de documents sociaux, -soit attestation ASSEDIC (POLE EMPLOI) et certificat de travail-, en tous points conformes quant au visa de son ancienneté depuis cette même date, et non pas seulement à compter du 29 novembre 2002, de telle sorte qu'il convient, infirmant le jugement sur ce point, et statuant à nouveau en ce sens, de condamner l'employeur à les lui remettre, et ce, dans le mois de la notification du présent arrêt, sous peine, passé ce délai, d'une astreinte provisoire de 50 € par jour de retard et par document ;
- Sur les dépens et frais irrépétibles :
Considérant, M. [X] [Z] succombant ainsi en l'ensemble des fins de sa voie de recours, sauf du chef de la délivrance de documents sociaux conformes quant au point de départ de son ancienneté, reprise à compter du 14 octobre 1996, et prospérant donc de plus fort en une infime partie de son action, -ne fût-ce donc que du seul chef de l'indemnité compensatrice de congés payés à lui revenir, outre de la délivrance de documents sociaux conformes-, qu'il convient, complétant la décision querellée, en réparant l'omission de statuer sur les dépens de première instance, et y ajoutant, de faire masse des entiers dépens, tant de première instance que d'appel, pour être supportés par le salarié à hauteur des 9/10èmes, et par l'employeur à concurrence d'1/10ème, outre, la confirmant quant au sort des frais irrépétibles de première instance, et, y ajoutant, de dire n'y avoir davantage lieu, en équité, ni au regard de la situation économique respective des parties, à application des dispositions de l'article 700 du CPC en cause d'appel qu'en première instance au profit de l'une quelconque d'entre elles ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions, sauf du chef du rejet de la demande de délivrance de documents sociaux conformes,
Et, statuant à nouveau quant à ce,
Condamne la SARL ENTREPRISE NETTOYAGE ET SERVICE (ENS) à remettre à M. [X] [Z] des documents sociaux, -soit attestation ASSEDIC (POLE EMPLOI) et certificat de travail-, en tous points conformes quant au visa de son ancienneté depuis le 14 octobre 1996, et ce, dans le mois de la notification du présent arrêt, sous peine, passé ce délai, d'une astreinte provisoire de 50 € par jour de retard et par document,
Ajoutant au jugement entrepris,
Dit que la somme de 687,18 € allouée au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés produira intérêts de plein droit au taux légal à compter du 31 octobre 2005, date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,
Déboute M. [Z] du surplus des fins, infondées, de sa voie de recours,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du CPC au profit de l'une quelconque des parties ;
Complétant le jugement, en réparant l'omission de statuer sur les dépens de première instance,
Et, y ajoutant,
Fait masse des entiers dépens, tant de première instance que d'appel, pour être supportés par M. [Z] à hauteur des 9/10èmes, et par la SARL ENTREPRISE NETTOYAGE ET SERVICE (ENS) à concurrence d'1/10ème.
Le Greffier,Le Président,