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09/12/2010 | FRANCE | N°09/02492

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 09 décembre 2010, 09/02492


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 09 Décembre 2010

(n° 13 , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/02492



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Novembre 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS Section ENCADREMENT RG n° 07/12147





APPELANT

Monsieur [N] [B]

[Adresse 1]

[Localité 5]

comparant en personne

assisté de Me Alain LABERIBE, avoca

t au barreau de PARIS, toque : E 1217 substitué par Me Van VU NGOC, avocat au barreau de PARIS, toque : E0935







INTIMÉE

SA ELECTRICITE DE FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représe...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 09 Décembre 2010

(n° 13 , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/02492

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Novembre 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS Section ENCADREMENT RG n° 07/12147

APPELANT

Monsieur [N] [B]

[Adresse 1]

[Localité 5]

comparant en personne

assisté de Me Alain LABERIBE, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1217 substitué par Me Van VU NGOC, avocat au barreau de PARIS, toque : E0935

INTIMÉE

SA ELECTRICITE DE FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Jean-Louis LEROY, avocat au barreau de PARIS, toque : G 891

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Octobre 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Claudette NICOLETIS, Magistrat, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Françoise FROMENT, président

Mme Claudette NICOLETIS, conseiller

Mme Marie-Ange LEPRINCE, conseiller

Greffier : Mademoiselle Sandrine CAYRE, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

- signé par Mme Françoise FROMENT, Président et par Mme Violaine GAILLOU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M. [N] [B], né le [Date naissance 3] 1947, a été embauché le 29 octobre 1979 en qualité de cadre par l'entreprise nationale ÉLECTRICITÉ DE FRANCE-GAZ DE FRANCE, aux droits de laquelle vient la SA ÉLECTRICITÉ DE FRANCE (EDF) ; il occupait en dernier lieu le poste de chef d'entité ;

Le 27 juillet 2006, la société EDF lui a notifié sa mise en inactivité à compter du 1er octobre 2007, date correspondant au 1er mois suivant son 60ème anniversaire ;

Par courrier du 6 septembre 2007, M. [B], a sollicité 'une dérogation pour pouvoir continuer à travailler à EDF jusqu'à 63 ans et demi' au motif qu'il ne pouvait pas à 60 ans bénéficier d'une retraite à taux plein ;

Par courrier du 18 septembre 2007, la société EDF a répondu que la mise en inactivité 'résulte de la mise en oeuvre des dispositions statutaires applicables aux agents des IEG, et notamment du décret du 16 janvier 1954, qui prévoit que l'admission à la retraite des agents sédentaires est prononcée d'office à l'âge d'ouverture du droit à pension d'ancienneté' ;

[N] [B] a été mis à la retraite à compter du 1er octobre 2007 et perçoit depuis une pension vieillesse de la Caisse Nationale des Industries Electriques et Gazières (CNIEG), correspondant à un coefficient de pension de 67,85% du dernier niveau de rémunération ;

Le 14 novembre 2007, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris des demandes suivantes :

- Dire et juger que la mise à la retraite d'office constitue une mesure discriminatoire qui doit être annulée

- Préjudice économique : 188 763,00 €

- Dommages et intérêts pour préjudice moral : 20 000,00 €

- Exécution provisoire

- Article 700 du Code de Procédure Civile 2 000,00 €

Par jugement du 7 novembre 2008, le conseil de prud'hommes a débouté M. [B] de toutes ses demandes ;

Le 5 janvier 2009, M. [B] a interjeté appel du jugement qui lui a été notifié le 18 décembre 2008 ;

Lors de l'audience du 28 octobre 2010, les parties ont développé oralement leurs conclusions visées le jour même par le greffier, auxquelles la Cour se réfère pour un plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties et aux termes desquelles il est demandé à la Cour de :

- Par M. [B] :

Vu l'article 6 paragraphe 1 de la directive n° 2000/78/ CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail,

Vu les articles L- 1131-1 et suivants du code du travail,

Réformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

Dire et juger que la mise à la retraite d'office de M. [B] décidée par la société EDF, fondée uniquement sur son âge, alors qu'il ne bénéficie pas d'une retraite à taux plein, constitue une mesure discriminatoire qui doit être annulée en application des articles L. 1131-1 et suivants du code du travail ;

Dire et juger également que cette mise à la retraite d'office l'a été en violation de l'article 6 paragraphe 1 de la directive n° 2000/78/ CE du Conseil du 27 novembre 2000,

A titre subsidiaire,

- Constater que la société EDF a gravement manqué à son obligation de bonne foi en refusant la prolongation d'activité de M. [B].

En tout état de cause,

- Condamner la société EDF à payer à M. [B] les sommes de :

- 188.763 € au titre du préjudice économique subi

- 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi

- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

- Par la société EDF :

Confirmer le jugement,

Débouter M. [B] de ses demandes,

Le condamner aux dépens ;

MOTIFS ET DÉCISION DE LA COUR :

Sur la légalité de la mise à la retraite :

Considérant, qu'aux termes de l'article L. 122-45 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 16 novembre 2001, devenu l'article L. 1132-1 du dit code, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 140-2, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap ;

aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire visée à l'alinéa précédent en raison de l'exercice normal du droit de grève ; aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux alinéas précédents ou pour les avoir relatés ;

En cas de litige relatif à l'application des alinéas précédents, le salarié concerné ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul de plein droit ;

Considérant que M. [B] expose qu'il ne bénéficie pas d'une retraite à taux plein puisque le taux de pension qui lui est attribué est de 67,85 %, le plafond étant de 75 % ; qu'en effet, au jour de sa mise en inactivité, le 1er octobre 2007, il totalisait 147 trimestres d'activités, qu'il lui manquait donc 13 trimestres pour atteindre les 160 trimestres nécessaires pour pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein ; que sa mise à la retraite fondée uniquement sur son âge, alors qu'il ne bénéficie pas d'une retraite à taux plein, constitue en conséquence une mesure discriminatoire, prohibée par l'article L.1132-1 du code du travail, et doit être annulée ; que la société EDF ne peut invoquer à l'appui de sa décision les dispositions de l'article 2 du décret du 16 janvier 1954, qui prévoit que l'admission à la retraite des agents sédentaires est prononcée d'office à l'âge d'ouverture du droit à pension d'ancienneté, dès lors que les articles L. 1131-1 et suivants du code du travail sont d'ordre public et s'imposent à la société EDF en sa qualité d'employeur de droit privé, aucune exception n'étant prévue pour les entreprises à statut ; qu'il invoque également la jurisprudence issue de l'article 6 paragraphe 1 de la directive n° 2000/78/ CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ;

Considérant que la société EDF répond, qu'en application du paragraphe 1 de l'article 3 de l'annexe n°3 du Statut National des Industries Electriques et Gazières, l'âge d'ouverture du droit à pension d'ancienneté est fixé pour les agents appartenant aux services sédentaires à 60 ans ; que cette limite d'âge a été mise en place car il n'existait pas depuis 1946 dans le Statut National du Personnel des Industries Electriques et Gazières de motif de rupture équivalent à la mise à la retraite par l'employeur en droit commun ; que M. [B] a atteint l'âge de 60 ans le 3 septembre 2007 et a par conséquent été mis à la retraite d'office conformément aux dispositions réglementaires résultant du décret du 16 janvier 1954 alors en vigueur ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la décision de mise à la retraite de M. [B] a été prise en raison de son âge et qu'à la date de la rupture du contrat de travail, le salarié ne bénéficiait pas d'une retraite à taux plein ; qu'il en résulte que, nonobstant les dispositions du décret du 16 janvier 1954, alors applicable, la mise à la retraite de M. [B] constituait un licenciement nul ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'examiner la demande subsidiaire formulée par M. [B] qui soutient qu'en prononçant sa mise en inactivité l'employeur a manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail ;

Sur la demande d'indemnité :

Considérant que M. [B] sollicite une indemnité au titre de son préjudice économique d'un montant de 188.763 €, correspondant :

- à la perte de revenus nette, différence entre le salaire qui lui aurait été versé pendant 3 ans et un trimestre et la pension de retraite perçue, soit 57.976,98 € ;

- à la perte de pension nette sur un coefficient de 67,85 % au lieu du plafond de 75 %, soit 4.843,92 € par an net, soit, si l'on considère une espérance de vie jusqu'à 90 ans, un préjudice de 130.785,84 € ;

Considérant qu'il produit, en cours de délibéré et à la demande de la Cour, les attestations fiscales délivrées par Pôle-Emploi pour les années 2008 et 2009, d'où il résulte qu'il a perçu de cet organisme les sommes de 33 684, 90 euros en 2008 et 40 067,94 euros en 2009, soit 73 752, 84 euros sur ces deux années ; qu'aucune information n'est fournie à la Cour pour l'année 2010 ;

Considérant que le salarié sollicite également des dommages et intérêts, à hauteur de la somme de 20.000 €, au titre du préjudice moral subi du fait des conditions vexatoires de sa mise à la retraite d'office alors qu'il disposait de toutes les capacités physiques, intellectuelles et morales pour continuer à assumer ses responsabilités de cadre pendant plusieurs années ;

Considérant que la société EDF répond que le décompte fait par M. [B] ne prend pas en compte l'indemnisation ASSEDIC dont il a pu bénéficier ; qu'aucun élément n'est produit pour établir une espérance de vie de 90 ans ; qu'en matière de préjudice économique la perte de revenu annuelle ne se calcule pas comme l'a fait le salarié, qui ne peut demander qu'un capital représentatif d'une rente correspondant à la perte de revenu annuel invoqué ; qu'ayant été mis à la retraite en application des dispositions de la réglementation interne et du décret du 16 janvier 1954, M. [B] n'a fait l'objet d'une mesure vexatoire ou discriminatoire ;

Considérant qu'eu égard aux éléments produits, il y a lieu, l'appelant ne pouvant notamment établir des calculs sur une espérance de vie à 90 ans, ni ne pas tenir compte des allocations ASSEDIC qu'il a perçues, fixer à 50 000 euros le montant des dommages et intérêts réparant l'entier préjudice résultant de la discrimination subie par M. [B] ; qu'il y a lieu de lui allouer en réparation du préjudice moral résultant d'un licenciement nul, des dommages et intérêts à hauteur de 1 000 euros ;

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement entrepris,

Dit que la mise à la retraite d'office de M. [N] [B] s'analyse en un licenciement nul ;

Condamne la SA ÉLECTRICITÉ DE FRANCE à verser à M. [N] [B] les sommes de :

- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts réparant l'entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée ;

- 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SA ÉLECTRICITÉ DE FRANCE à verser à M. [N] [B] la somme de 3 000 euros ;

Met les dépens à la charge de la SA ÉLECTRICITÉ DE FRANCE.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 09/02492
Date de la décision : 09/12/2010

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°09/02492 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-12-09;09.02492 ?
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