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07/12/2010 | FRANCE | N°09/15535

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 07 décembre 2010, 09/15535


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5-7



ARRÊT DU 07 DÉCEMBRE 2010



(n° 197, 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 2009/15535



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 juin 2009

rendu par le Tribunal d'Instance de PARIS 10ème - RG n° 11-08-000235





APPELANTE :



- L'ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS,

rep

résentée par son Directeur Général en exercice

agissant par le Chef de l'Agence de Poursuites de la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED)

ayant son siège [Adresse ...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5-7

ARRÊT DU 07 DÉCEMBRE 2010

(n° 197, 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 2009/15535

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 juin 2009

rendu par le Tribunal d'Instance de PARIS 10ème - RG n° 11-08-000235

APPELANTE :

- L'ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS,

représentée par son Directeur Général en exercice

agissant par le Chef de l'Agence de Poursuites de la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED)

ayant son siège [Adresse 1]

représentée à l'audience par M. [L] [X], inspecteur des Douanes, muni d'un pouvoir

et

INTIMÉE :

- La société HARRY WINSTON, SARL

prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est : [Adresse 2]

représentée par la SCP LAMARCHE-BEQUET- REGNIER-AUBERT - REGNIER - MOISAN,

avoués associés près la Cour d'Appel de PARIS

assistée de Maître Xavier JAUZE,

avocat au barreau de PARIS

toque P 85

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 novembre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :

- M. Thierry FOSSIER, Président

- M. Christian REMENIERAS, Conseiller

- Mme Line TARDIF, conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Thierry FOSSIER, président et par M. Benoît TRUET-CALLU, greffier.

* * * * * *

Faits et Procédure

Le 6 octobre 2007, la bijouterie HARRY WINSTON, située [Adresse 2], a été victime d'un vol à main armée.

L'inventaire des marchandises dérobées permettait de déterminer la perte de :

- 207 pièces de bijouterie et de 18,19 carat de rubis non montées détenus sous le régime de l'entrepôt douanier

- et de 8 pièces de bijouterie sous carnets ATA.

Par courrier en date du 26 octobre 2007, la société Harry Winston demandait à l'administration des douanes la franchise des droits et taxes relatifs aux marchandises dérobées sur la base des articles 203 et 206 de Code des douanes communautaires et 862 des dispositions d'application dudit Code.

Le 6 novembre 2007 l'administration des douanes a informé la Société Harry Winston de la naissance d'une dette douanière consécutive au vol perpétré se décomposant come suit :

Droits de douane : 3.863. 927 euros ;

Taxe parafiscale sur l'horlogerie : 33.647 euros ;

TVA : 3.385.752 euros.

Un avis de recouvrement en date du 16 novembre 2007 a été émis par le Receveur des douanes pour un montant de 3.863.927 euros selon trois liquidations d'office datées du 2 novembre 2007.

Par courrier en date du 14 décembre 2007, la Société Harry Winston a contesté le bien fondé de l'AMR.

Cette contestation ayant été rejetée par l'administration des douanes par courrier du 19 février 2008, la Société Harry Winston a assigné, le 7 avril 2008, l'administration des douanes devant le Tribunal d'instance du 10ème arrondissement de Paris, sollicitant l'annulation de l'avis de mise en recouvrement.

Par jugement rendu le 3 juin 2009, le Tribunal d'instance du 10ème arrondissement a tout d'abord consacré le fait que l'administration renonçait à réclamer à la Société Harry Winston le paiement des droits et taxes relatifs aux marchandises détenues sous le régime du carnet ATA. Il a par ailleurs constaté que la direction des douanes ne pouvait pas réclamer à la société Harry Winston la TVA sur les marchandises détenues sous le régime de l'entrepôt douanier et dérobées le 6 octobre 2007. Il a annulé l'avis de recouvrement sur ce point.

Le Tribunal a enfin sursis à statuer sur la demande le Société Harry Winston tendant à voir dire que les droits de douanes ne sont pas dus sur les marchandises dérobées détenues sous le régime de l'entrepôt douanier dans l'attente d'une décision de la Cour de Justice de l'Union européenne. Le Tribunal a estimé que la décision à rendre sur l'exigibilité des droits de douanes sur ces marchandises nécessitait la réponse à une question d'interprétation du droit communautaire et a demandé à la Cour de Justice de répondre aux questions suivantes :

« - l'article 206 du règlement 2913/92 du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaires doit-il être interprété en ce sens qu'aucune dette douanière n'est réputée prendre naissance lorsque l'intéressé apporte la preuve que l'inexécution des obligations qui découlent de l'utilisation du régime douanier sous lequel la marchandise a été placée résulte du vol de la marchandise '

- Le vol de la marchandise est-il un cas de force majeure au sens de l'article 206 du texte susvisé, lorsque l'administration qui invoque la dette douanière contre la victime du vol ne prouve pas que la marchandise a rejoint le circuit économique ' »

L'administration des douanes a interjeté appel de cette décision.

LA COUR

Vu le jugement rendu par le Tribunal d'instance de Paris-X° le 3 juin 2009 ;

Vu les observations écrites de la Douane en date du 26 avril 2010 ;

Vu les conclusions de la société Harry Winston en date du 21 mai 2010 ;

SUR QUOI

1 / Sur les droits relatifs aux marchandises sous entrepôt douanier

Considérant que l'article 203 du C.D.C. dispose que fait naître une dette douanière à l'importation la soustraction d'une marchandise passible de droits à l'importation à la surveillance douanière ;

Que l'article 206 du même code énonce notamment qu'aucune dette douanière à l'importation n'est réputée prendre naissance à l'égard d'une marchandise lorsque le redevable apporte la preuve que l'inexécution des obligations résulte de la destruction totale ou de la perte irrémédiable de ladite marchandise par suite de force majeure ;

Considérant que l'administration appelante estime que l'article 203 du Code des douanes régit tous les cas de soustraction d'une marchandise sous douane, parmi lesquels figurent implicitement le vol ;

Qu'en pareille hypothèse, le débiteur de la taxe est, le cas échéant, la personne qui doit exécuter les obligations qu'entraîne le séjour en dépôt temporaire de la marchandise, en l'espèce la société HARRY WINSTON ;

Qu'a contrario, l'article 206 du CDC est inopérant car il n'englobe pas le vol ;

Que d'ailleurs, le vol n'est pas, dans la jurisprudence communautaire, un cas de force majeure, et ne rend pas la marchandise 'irrémédiablement perdue' comme le requiert l'article 206 susdit ;

MAIS CONSIDÉRANT que la soustraction de la marchandise au sens de l'article 203 C.D.C. doit être entendue comme un acte ou une omission, de la part du redevable, qui a pour résultat d'empêcher, même momentanément, l'administration d'accéder à la marchandise et d'effectuer ses contrôles ;

Qu'inversement, l'article 206 du C.D.C. est interprété par l'administration française (Bulletin officiel n 6551 du 29 mai 2022, chapitre 9 paragraphe III) comme assimilant le vol à la destruction ou la perte irrémédiables au sens de l'article 206 ; que cette même doctrine exonère l'opérateur s'il démontre que la perte irrémédiable, en l'occurrence le vol, résulte d'un cas de force majeure ;

Que dans l'hypothèse où l'administration des douanes se livre à une interprétation de la réglementation, l'article 345 bis du Code des douanes nationales prévoit que :

« I. - Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportées à la date des opérations constituant le fait générateur, elle ne peut constater par voie d'avis de mise en recouvrement et recouvrer les droits et taxes perçus selon les modalités du présent code, en soutenant une interprétation différente.

II. - Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal, elle ne peut constater par voie d'avis de mise en recouvrement et recouvrer les droits et taxes perçus selon les modalités du présent code en prenant une position différente. »

Que certes le 'IV' l'article 345 bis CD précise que « Les garanties prévues au présent article ne sont pas applicables à la dette douanière définie (par) le code des douanes communautaire» et non par le code national ; qu'en pareil cas, l'interprétation des règles gouvernant la dette douanière relève de la seule administration communautaire ;

Que cependant, le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, trouve à s'appliquer, dans l'ordre juridique national, dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge français est, comme ne l'espèce, régie par le droit communautaire ;

Que ce principe permet à la société HARRY WINSTON d'affirmer que l'interprétation, administrative d'un texte ou d'une situation de fait s'est, bien qu'elle ait excédé les missions de l'administration nationale, intégrée à la décision de ce redevable d'accomplir une opération, dont la douane ne saurait invoquer ensuite l'illicéité ;

Qu'en l'occurence, et comme elle le fait plaider en droit, la société Harry Winston a pu estimer qu'elle n'avait pas à acquitter des droits de douanes en cas de vol, moyennant la démonstration que ce vol, perte irrémédiable au sens de la doctrine administrative susénoncée, avait été occasionné par un cas de force majeure ;

Qu'il est notoire, par surcroît et en fait, qu'à défaut de cette interprétation administrative, et comme la société HARRY WINSTON le fait plaider, elle aurait étendue ses assurances en intégrant le montant de ces droits dans la valeur de la marchandise elle-même ;

Considérant que le vol à main armée en réunion du 6 octobre 2007 a été, par sa brutalité et ses caractéristiques criminologiques, imprévisibilité et inévitable ;

Que ce vol a ainsi réuni les conditions de la force majeure et a abouti à une perte irrémédiable au sens des textes susénoncés ;

Considérant dès lors qu'HARRY WINSTON ne saurait supporter la taxe qui lui a été réclamée, sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle à la C.J.U.E. ;

2 / Sur la T.V.A.

Considérant que l'administration soutient que la T.V.A. est exigible au moment où les biens sortent du régime de l'entrepôt douanier, quelles que soient les raisons de la sortie, comme en témoignerait une lecture attentive de l'article 277 (II-1) du Code général des impôts ;

Que la taxe est alors afférente à l'importation des biens et calculée dans les conditions du droit commun ;

Que la taxe est dûe par la personne désignée comme destinataire ou considérée comme telle par la législation douanière, mais que la solidarité avec la personne qui a obtenu l'autorisation du régime susdit peut conduire à lui réclamer la taxe, par application de l'article 205 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;

MAIS CONSIDÉRANT que la sortie du régime d'entrepôt n'a pas été le fait de la société HARRY WINSTON mais celui de malfaiteurs, à ce jour non identifiés ;

Que les articles 14 et 202 de la directive susmentionnée du 28 novembre 2006 indiquent par les termes qu'ils utilisent (transfert, pouvoir, faire sortir) que la sortie de régime est un acte volontaire opéré sur la marchandise taxée ;

Que la jurisprudence européenne s'est si nettement prononcée à ce sujet et en ce sens, comme l'indique la société intimée, qu'aucune question préjudicielle à la C.J.U.E. ne parait présenter une quelconque utilité ;

Considérant, sur la solidarité entre le destinataire et le titulaire de l'autorisation, que des malfaiteurs n'entrent pas dans la catégorie de ces 'destinataires' au sens de l'article 277-II-2 de la directive du 28 novembre 2006 ;

Considérant que pour ces motifs et ceux non contraires du premier juge, il faut confirmer la décision critiquée ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement rendu au Tribunal d'Instance de PARIS (Xème) le 3 juin 2009 sauf en ce qu'il a sursis à statuer sur les droits de douane ;

Sur ce point, réformant,

Constate que la société HARRY WINSTON a été victime d'une perte irrémédiable de la marchandise taxable, par suite d'un cas de force majeure ;

Prononce l'annulation de l'A.M.R. n 11/2007 du 16 novembre 2007 ;

Dit n'y avoir lieu à dépens.

LE GREFFIER,

Benoît TRUET-CALLU

LE PRÉSIDENT

Thierry FOSSIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 09/15535
Date de la décision : 07/12/2010

Références :

Cour d'appel de Paris I7, arrêt n°09/15535 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-12-07;09.15535 ?
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