Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 30 NOVEMBRE 2010
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/15327
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Avril 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - 5ème Chambre 2ème Section RG n° 07/02379
APPELANT:
Monsieur [S] [B]
demeurant [Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par la SCP HARDOUIN, avoué à la Cour
assisté de Maître Alexandre SECK, avocat au barreau de PARIS, toque : C586
INTIMEE:
Société anonyme CREDIT AGRICOLE
ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 2]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
représentée par la SCP TAZE-BERNARD - BELFAYOL-BROQUET, avoués à la Cour
assistée de Maître Jean-Pierre MATTOUT, avocat au barreau de PARIS, toque : J008, plaidant pour KRAMERLEVIN LLP
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 Septembre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Josèphe JACOMET, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Françoise CHANDELON, Conseiller
Madame Caroline FEVRE, Conseiller
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Greffier, lors des débats : Mademoiselle Guénaëlle PRIGENT
ARRET :
- contradictoire
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Josèphe JACOMET, Conseiller faisant fonction de Président et par Monsieur Sébastien PARESY, Greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
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Le 28 septembre 1990, M. [S] [B] a quitté ses fonctions d'administrateur directeur général au sein de la société Cap'd, filiale du Crédit Agricole, société dont il avait pris la direction en février 1989, et a perçu une indemnité de départ de 1.700.000 francs après avoir reçu une somme de 1.050.000 francs à titre de rémunération pour la période de son activité au sein de la société.
Par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 21 mars 1991, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'encontre de la société Cap'd, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 19 mai 1992.
En août 1994 et avril 1995, Maître [J], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Cap'd, a fait assigner en comblement de passif les administrateurs de cette société, dont M. [B].
Le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 11 octobre 1995, a retenu la responsabilité de M. [B] et l'a condamné à payer une somme de 3 millions de francs, réduite à 1 million de francs par arrêt de la Cour d'appel du 16 février 2000, M. [B] étant condamné à la payer solidairement avec M. [C], administrateur.
Par arrêt du 14 mai 2002, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de M. [B].
Par jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 18 janvier 1999, M. [B] a été relaxé du délit d'abus de biens sociaux envers la société Choiseul Gestion, de banqueroute au préjudice des sociétés Gauthier Langerneau et Cap'd, a été déclaré coupable d'abus de biens sociaux au préjudice de la société Acrymat. La Cour d'appel a confirmé ce jugement par arrêt du 27 octobre 1999.
Par courrier du 27 mai 2002, M. [B] a demandé à la société anonyme Crédit Agricole de lui allouer une somme de 1million d'euros en réparation du préjudice subi à la suite de dix ans de procédures très éprouvantes.
Par jugement du 20 novembre 2002, le Tribunal de commerce de Paris a ouvert, à l'égard de M. [B], une procédure de liquidation judiciaire qui a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 28 novembre 2006.
Un protocole d'accord a été signé entre ces parties le 7 avril 2003 en application duquel la société Crédit Agricole a versé à M. [B] une indemnité de 390.000 euros en contrepartie de laquelle celui-ci s'est désisté de toute instance à l'encontre de la société Crédit Agricole.
En juin 2006, M. [B] a voulu renégocier cet accord, ce qui a été refusé par la banque.
Par acte d'huissier du 29 janvier 2007, M. [B] a fait assigner la société Crédit Agricole en nullité du protocole transactionnel, en paiement de la somme de 1.737.743,68 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice professionnel et financier subi, de la somme de 1.483.131,24 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice personnel et familial de la somme de 15.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, subsidiairement en nomination d'un expert, devant le Tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 30 avril 2009, a:
-débouté M. [S] [B] de l'intégralité de ses demandes,
-débouté la société anonyme Crédit Agricole de sa demande reconventionnelle,
-condamné M. [S] [B] à payer à la société Crédit Agricole la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
-condamné M. [S] [B] aux dépens.
Suivant déclaration du 7 juillet 2009, M. [S] [B] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions du 16 février 2010, la société Crédit Agricole a sollicité la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté M. [B] de ses demandes, formant appel incident, l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle, la condamnation de M. [B] au paiement d'une somme de 300.000 euros par application de la clause pénale prévue à l'article 5 du protocole transactionnel du 7 avril 2003 en réparation forfaitaire du dommage résultant de la violation par celui-ci de l'obligation de confidentialité à laquelle il était tenu, au paiement de la somme de 15.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures du 10 mai 2010, M. [S] [B] a conclu à l'infirmation du jugement, à la nullité du protocole transactionnel, à la condamnation de la société Crédit Agricole à lui payer la somme de 1.737.743,68 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice professionnel et financier subi, la somme de 1.483.131,24 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice personnel et familial subi, à titre subsidiaire à la nomination d'un expert, en toutes hypothèses au débouté de la demande reconventionnelle de la société Crédit Agricole et à la condamnation de celle-ci au paiement de la somme de 15.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 21 juin 2010.
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Considérant que M. [S] [B] fait grief au jugement de l'avoir débouté de ses demandes aux motifs que la transaction incriminée a une cause, que son consentement n'a pas été vicié, que rien dans les circonstances qui ont précédé l'établissement de la transaction ou dans son contenu, ne caractérise une situation de violence ou de contrainte économique ayant pu être de nature à vicier, au sens des articles 1111 et 1112 du Code civil, le consentement du demandeur, professionnel de la finance, que la réalité de la violence dont il se prévaut n'est pas démontrée, que seule l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne peut vicier de violence l'acte juridique, qu'il n'est pas démontré que le Crédit Agricole aurait abusé de la situation;
Considérant que M. [B] fait valoir, en appel, à titre principal, que l'accord transactionnel du 7 avril 2003 est dépourvu de cause, que la cause de l'obligation est fausse, et qu'il s'ensuit que la transaction est nulle, et, à titre subsidiaire que cet accord transactionnel est un contrat vicié de violence, vice du consentement, en raison d'une situation de contrainte économique évidente;
Considérant qu'aux termes de la transaction conclue entre M. [B] et la société Crédit Agricole, le 7 avril 2003, qui rappelle la position de chacune des parties, il a été expressément convenu 1° que le Crédit Agricole accepte de verser à M. [B] à titre de transaction forfaitaire, définitive et pour solde de tout compte la somme de 390.000 euros en un versement comptant en un chèque tiré sur le Crédit Agricole à l'ordre de M. [B] qui le reconnaît et en donne bonne et valable quittance, 2° que M. [B] reconnaît par ce versement transactionnel le remplir de la totalité de ces droits à l'encontre du Crédit Agricole et se désiste en conséquence instantanément de toute prétention, de toute instance et de toute action à l'encontre du Crédit Agricole relative à ses fonctions passées à un titre quelconque au sein du groupe Crédit Agricole, 3° qu'en conséquence de la cessation totale de leur relation à la suite de la transaction, les parties décident également de mettre fin, immédiatement et sans préavis à la lettre de mission signée par le Crédit Agricole le 26 juillet 2002 avec la société Fin-S-Val Limited dont M. [B] est l'unique directeur, qu'aucune prestation n'étant actuellement en cours au titre de cette lettre de mission, il est mis fin à cette dernière sans indemnité de quelque nature que ce soit, 4° que le protocole est soumis aux dispositions des articles 2044 et suivant du Code civil, la transaction ayant notamment, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort, 5° sous le titre 'confidentialité' que M. [B] s'engage, en l'absence d'une autorisation préalable et écrite du Crédit Agricole, à ne révéler à quiconque l'existence de cette transaction, de ses modalités et des pourparlers qui y ont conduit, qu'en cas de violation de l'engagement, le Crédit Agricole sera en droit de réclamer à M. [B] à titre de clause pénale en réparation du préjudice causé une somme de 300.000 euros exigibles instantanément;
Considérant qu'il est constant que le protocole d'accord a été exécuté;
Considérant que l'article 1131 du Code civil dispose que l'obligation, sans cause, ou sur fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet;
Considérant que M. [B] soutient que la lettre datée du 27 mai 2002, par laquelle il menaçait la banque de porter cette affaire devant les tribunaux, a été rédigée sous la dictée du Crédit Agricole en la personne de son négociateur [M] [U], et sous son contrôle, en mars 2003, juste avant la signature de la transaction, afin de causer artificiellement cette transaction, et se prévaut des pièces 9,10,11 et 12, courriels des 3 et 4 mars 2003, ainsi que la lettre du 27 mai 2002 elle-même, qu'il a communiquées;
Considérant que les écritures de la banque font état de la réception, le 27 mai 2002, de cette lettre de M. [B];
Considérant que dans ladite lettre, datée du 27 mai 2002 et signée par M. [B], celui-ci indique, notamment, que le dépôt de bilan de la société Cap-D a donné lieu à des procédures commerciales et pénale qui l'ont mis en cause arbitrairement, qu'il s'en est suivi dix ans de procédures extrêmement éprouvantes qui, malgré sa tardive relaxe pénale, l'ont empêché de retrouver une situation dans le milieu professionnel qui a toujours été le sien et qu'à présent son âge lui interdit toute reconversion puisqu'il a plus de 57 ans, que cela lui a causé un préjudice personnel et professionnel considérable qui s'est étendu à toute sa famille, le laissant pratiquement sans ressources pendant toute cette période, qu'il estime que c'est à la société Crédit Agricole de réparer le préjudice qui lui a été causé et qu'il a injustement supporté, qu'il en estime le montant à 1 million d'euros;
Considérant que ces explications de M. [B] sont toujours celles énoncées devant la Cour au soutien de ses demandes en paiement;
Considérant que la société Crédit Agricole fait valoir que malgré son refus initial d'accepter une quelconque discussion avec M. [B], elle a fini, au bout d'un an, par préférer faire partiellement droit aux demandes de celui-ci qui ne cessait de la menacer d'un scandale;
Considérant que, même si les pièces 9, 10, 11 communiquées par l'appelant étaient de nature à établir que la pièce 12, soit la lettre du 27 mai 2002, a été rédigée, en fait, en mars 2003 sous la dictée d'un salarié de la société Crédit Agricole, cela n'a aucune incidence sur la conclusion du protocole; qu'il n'en demeure pas moins que M. [B] a signé cette lettre antérieurement au protocole; qu'en outre, il est patent qu'il a signé le protocole d'accord du 7 avril 2003 qui ne fait pas mention de cette lettre; qu'il admet, dans ses conclusions devant la Cour, qu'il a provoqué, entouré de sa famille et de professionnels éminents et avisés du secteur bancaire, une transaction;
Considérant qu'ainsi que l'a dit le tribunal, la transaction contestée par l'appelant a une cause, à savoir le litige qui opposait les parties et qui a été résolu par le versement d'une indemnité importante contre la renonciation à l'exercice de poursuites judiciaires, l'essence d'une transaction résidant dans les concessions réciproques consenties par chacune des parties;
Considérant que le fait que la somme allouée dans ce cadre soit inférieure à celle proposée par la banque dans le cadre de pourparlers, le 23 mars 2003, et à celle demandée par l'appelant ne constitue pas une cause de nullité;
Considérant que ce moyen ne peut prospérer;
Considérant qu'à titre subsidiaire, M. [B] soutient que l'accord transactionnel aurait été vicié de violence;
Considérant qu'eu égard aux éléments communiqués à la Cour, c'est avec pertinence que les premiers juges ont estimé que rien, dans les circonstances qui ont précédé l'établissement de la transaction, ou dans son contenu, ne caractérise une situation de violence ou de contrainte économique, constituée par une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, de nature à vicier le consentement de M. [B], dont il est admis qu'il est un professionnel de la finance, et que les difficultés financières de ce dernier, qu'elle que soit leur importance, ne constituent pas une circonstance suffisante pour lui permettre d'invoquer une violence morale exercée sur lui;
Considérant qu'au demeurant, M. [B] a admis, ainsi qu'il a été dit précédemment, qu'il était alors entouré de professionnels éminents du secteur bancaire;
Considérant que le jugement est donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du protocole transactionnel du 7 avril 2003; que les demandes subséquentes en paiement de dommages et intérêts et en désignation d'un expert n'ont plus d'objet;
Considérant que la société Crédit Agricole critique le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle aux motifs que l'exercice d'une action en justice constitue un droit, que M. [B] pouvait, sans contrevenir à la clause stipulée à l'article 5 du protocole, saisir le tribunal pour soumettre à son appréciation la valeur juridique de l'acte contesté, que la clause de confidentialité, applicable aux tiers à la transaction, ne saurait s'étendre aux juges;
Considérant, toutefois, qu'il n'est pas démontré que l'obligation de confidentialité à laquelle il s'est engagé dans le protocole transactionnel aurait été violée par M. [B]; qu'en effet, il ne se déduit pas des témoignages produits en justice que les faits relatés auraient été portés à la connaissance des personnes délivrant leur témoignage postérieurement à la signature du protocole en cause; que par ce motif qui s'ajoute à ceux du tribunal, le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Crédit Agricole;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Crédit Agricole une somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, les dispositions du jugement relatives à cet article étant confirmées;
Considérant que M. [B], qui succombe, pour l'essentiel, en ses prétentions devant la Cour, doit supporter les dépens d'appel, le jugement étant confirmé en ses dispositions relatives aux dépens;
PAR CES MOTIFS:
La Cour
Confirme le jugement.
Y ajoutant
Condamne M. [S] [B] à payer à la société anonyme Crédit Agricole la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Rejette toutes autres demandes.
Condamne M. [S] [B] aux dépens qui seront recouvrés, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, par la SCP Tazé-Bernard & Belfayol-Broquet, avoués.
LE GREFFIER LE PRESIDENT