Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 1
ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2010
(n° 375, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/05861
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Février 2009 - Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG n° 07/12334
APPELANTE
SA SAFER DE L'ILE DE FRANCE
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
ayant son siège [Adresse 3]
représentée par Maître Luc COUTURIER, avoué à la Cour
assistée de Maître Thierry COURANT, avocat au barreau du VAL DE MARNE, toque : PC 233
INTIMÉS
Monsieur [U] [E]
né le [Date naissance 2] 1945 à [Localité 10] (94)
de nationalité française
retraité
Madame [C] [S] épouse [E]
née le [Date naissance 6] 1952 à [Localité 13]
de nationalité française
retraitée
demeurant tous deux [Adresse 8]
représentés par Maître Bruno NUT, avoué à la Cour
ayant pour avocat Maître DEFALQUE, du barreau de CRETEIL
COMPOSITION DE LA COUR :
Après rapport oral, l'affaire a été débattue le 7 octobre 2010, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Lysiane LIAUZUN, présidente
Madame Christine BARBEROT, conseillère
Madame Anne-Marie LEMARINIER, conseillère
qui en ont délibéré
Greffier :
lors des débats et du prononcé de l'arrêt : Madame Christiane BOUDET
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Lysiane LIAUZUN, présidente, et par Madame Christiane BOUDET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* *
M. [U] [E] et Mme [C] [S], épouse [E] (les époux [E]), propriétaires d'un terrain situé [Adresse 9]), cadastré section AA n° [Cadastre 5] d'une surface de 2 ha 2 a et 54 ca, ayant cessé leur activité de maraîchers en 2005, ont divisé leur bien en deux lots A et B, respectivement d'une surface de 66 a 22 ca et de 1 ha 37 a 89 ca. Après avoir vendu le lot B, destiné à l'exploitation, à leur fils, les époux [E], par acte sous seing privé du 24 janvier 2007, ont vendu le lot A, comprenant une maison à usage d'habitation et des anciennes constructions à usage agricole, à M. [D] [F] au prix de 480 000 €.
Le 3 avril 2007, le notaire a notifié à la SAFER d'Ile-de-France la déclaration d'intention d'aliéner au profit de M. [D] [F], gérant de société, domicilié [Adresse 7] (94).
Le 17 avril 2007, le notaire a informé la SAFER d'Ile-de-France que M. [F] se substituait, pour l'acquisition, la SCI. Calisto, en cours d'immatriculation, dont le siège social serait [Adresse 7] (94).
Le 31 mai 2007, la SAFER d'Ile de France a accusé réception de la déclaration d'intention d'aliéner au 5 avril 2007 et de la lettre du 17 avril 2007 au 19 avril 2007 et a fixé à cette dernière date, en raison du 'changement d'acquéreur', le point de départ du délai de deux mois dont elle disposait pour pendre position.
Par lettre du 15 juin 2007, signifié au notaire des époux [E] par acte d'huissier de justice le 18 juin 2007, la SAFER d'Ile-de-France a exercé son droit de préemption sur le lot A et, estimant excessif le prix de la transaction fixé à 480 000 €, a fait une offre d'achat au prix de 350 000 €. Par acte du 10 décembre 2007, les époux [E], qui avaient refusé cette offre, ont assigné la SAFER d'Ile de France en nullité de la décision de préemption.
C'est dans ces conditions que, par jugement du 3 février 2009, le tribunal de grande instance de Créteil a :
- dit que la notification de l'exercice du droit de préemption était tardive pour avoir été faite après l'expiration du délai légal,
- constaté en conséquence la nullité de la décision de préemption de la SAFER d'Ile-de-France, notifiée le 15 juin 2007 sur la vente visée dans la déclaration d'intention d'aliéner du 4 avril 2007 dressée par M. [O],
- condamné la SAFER d'Ile-de-France à payer aux époux [E] la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La SAFER d'Ile-de-France ayant interjeté appel de ce jugement, par arrêt avant dire droit du 6 mai 2010, la Cour a prononcé la réouverture des débats pour permettre aux époux [E] de justifier que M. [F] avait bien la qualité de gérant de la SCI Calisto ou d'établir les liens existant entre M. [F] et cette société.
Le 13 juillet 2010, les époux [E] ont communiqué les statuts de la société Calisto et l'extrait K-bis de cette société au 8 juillet 2010.
Par dernières conclusions du 16 août 2010, la SAFER d'Ile-de-France demande à la Cour de :
- vu les articles L.141-1 et suivants, L. 143-1 et R. 143-4 et suivants du Code rural,
- infirmer totalement le jugement entrepris,
- débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes comme étant irrecevables et en tout état de cause non fondées,
- désigner tel expert agricole et foncier qu'il plaira afin de voir fixer la valeur des biens en cause selon la mission habituelle,
- y ajoutant demander à l'expert de tenir compte des contraintes d'urbanisme des différents droits de préemption pesant sur les terrains objet du litige, des nuisances causées par l'activité agricole voisine et d'analyser chacune des références pouvant être utilisées en écartant celles résultant de prix de convenance,
- ordonner aux époux [E] de verser la consignation destinée à couvrir les frais d'expertise,
- condamner les époux [E] à lui payer la somme de 7 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.
Par dernières conclusions du 9 novembre 2009, les époux [E] prient la Cour de :
- vu les articles L. 143-10, L. 143-7, L. 143-1, L. 143-9, R. 143-12, R. 143-6, R. 141-10, R. 143-2 et R. 143-3 du Code rural,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- en conséquence,
- confirmer l'irrégularité de la décision de préemption de la SAFER d'Ile-de-France en date du 15 juin 2007,
- débouter la SAFER d'Ile-de-France de toutes ses demandes d'appel et de fond,
- à défaut,
- fixer judiciairement le prix de la préemption à 480 000 € tel que mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner,
- en tout état de cause,
- condamner la SAFER d'Ile-de-France à leur payer la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.
SUR CE, LA COUR
Considérant que les moyens développés par la SAFER d'Ile-de-France au soutien de son appel ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs exacts que la Cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation ;
Considérant qu'il sera ajouté qu'aux termes de l'article R. 143-4 du Code rural, 'Lors d'une vente, d'un échange ou d'un apport en société portant sur un fonds agricole ou un terrain à vocation agricole situé dans une zone où la société d'aménagement foncier et d'établissement rural est autorisée à exercer le droit de préemption, le notaire chargé d'instrumenter est tenu, deux mois avant la date envisagée pour cette aliénation, de faire connaître à ladite société la consistance du bien, sa localisation, le cas échéant la mention de sa classification dans un document d'urbanisme, s'il en existe, le prix et les conditions demandées ainsi que les modalités de l'aliénation projetée. En outre, le notaire fait connaître à la société les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d'acquérir le bien' ;
Considérant qu'il ne ressort pas de ce texte l'obligation pour le notaire de notifier à la SAFER d'Ile-de-France l'existence d'une faculté de substitution accordée à l'acquéreur, de sorte qu'aucune omission n'affecte la déclaration d'intention d'aliéner du 3 avril 2007 concernant les nom, domicile et profession de l'acquéreur ;
Considérant que le 17 avril 2007, soit dans le délai de deux mois, prévu par l'article L. 412-8 du Code rural auquel renvoie l'article L. 143-8 du même Code, ouvert par la notification reçue le 5 avril 2007, le notaire a adressé à la SAFER d'Ile-de-France une lettre rédigée ainsi qu'il suit : 'Monsieur [F] m'indique substituer une SCI en cours d'immatriculation au registre du commerce de Créteil, dénommée 'Calisto' dont le siège social sera à [Adresse 11], pour l'acquisition' ;
Considérant qu'il ressort de l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés et des statuts de la société Calisto du 27 avril 2007, enregistrés le 2 mai 2007 et déposés aux greffe du tribunal de commerce de Créteil le 15 mai 2007 que :
- cette société a été constituée entre M. [D] [F], né le [Date naissance 4] 1968, et M. [T] [F], né le [Date naissance 1] 1953, le premier étant le gérant et le second, l'associé,
- cette société a son siège social à [Adresse 12], le gérant, M. [D] [F] étant domicilié à la même adresse,
- cette société a pour objet l'acquisition, la prise à bail, la location de tous immeubles et droits immobiliers, leur administration et leur exploitation, leur mise en valeur et, généralement, toutes opérations mobilières et immobilières pouvant se rattacher, directement ou indirectement, à l'objet précité ;
Considérant que l'exercice par l'acquéreur de la faculté de substitution stipulée au contrat n'a pas pour effet d'instaurer une nouvelle vente ; que, si l'identité de l'acquéreur est une mention essentielle pour les SAFER ainsi qu'il résulte de l'article R. 143-4 précité, cependant, au cas d'espèce, il existe des liens étroits entre le substitué et le substituant lesquels ont pour caractéristiques de ne pas être des agriculteurs, ce que la SAFER d'Ile-de-France savait pour le second dès le 5 avril 2007 ; que la SCI Calisto, qui a un caractère familial pour être constituée entre les consorts [F], a pour gérant le substituant et pour siège social le domicile de ce dernier ; qu'à cet égard, aucune intention de frauder les droits de la SAFER d'Ile-de-France ne peut être déduite du fait que M. [D] [F] ait changé de domicile entre l'avis du notaire du 17 avril 2007 et la signature des statuts du 27 avril 2007 ; qu'il ne peut être tiré aucune conséquence quant aux liens existant entre M. [D] [F] et la SCI Calisto et quant à la validité de la substitution de l'absence de mention d'acte accompli pour le compte de la société en formation dans les statuts ;
Considérant que M. [D] [F] ayant décidé, pour des raisons de convenances personnelles, d'acquérir le bien sous forme d'une SCI familiale qu'il constituait, il en résulte qu'il n'y a pas eu de modification substantielle de la vente et que, s'agissant de la même vente, aucun nouveau délai de deux mois n'a été ouvert au profit de la SAFER d'Ile-de-France ;
Considérant que, si le formulaire de déclaration d'intention d'aliéner du 3 avril 2007 comporte une case cochée relative au droit de préemption de personnes morales de droit public primant celui de la SAFER, cependant, ce formulaire n'indique ni le nom ni les qualité et domicile du bénéficiaire ni, encore, s'il a ou non renoncé à son droit de préemption ; qu'il en résulte que ladite case a été cochée par suite d'une erreur matérielle ;
Que, d'ailleurs, la SAFER d'Ile-de-France ne s'y est pas trompée puisqu'elle a instruit le dossier et exercé son droit de préemption le 18 juin 2007 après avoir estimé que le délai pour l'exercice de ce droit commençait à courir le 19 avril 2007 ; que, dans ces conditions, l'appelante ne peut utilement soutenir que le délai d'exercice de son droit de préemption n'avait pas commencé à courir ;
Considérant que la déclaration d'intention d'aliéner du 3 avril 2007, qui est régulière, ayant été reçue par la SAFER d'Ile-de-France le 5 avril 2007, le délai d'exercice du droit de préemption expirait le 5 juin 2007 ; qu'en conséquence, la préemption du 18 juin 2007 est tardive, de sorte que le tribunal a décidé à bon droit qu'elle ne pouvait trouver aucun effet ;
Considérant que la solution donnée au litige emporte le rejet de la demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile de la SAFER d'Ile-de-France ;
Considérant que l'équité commande qu'il soit fait droit à la demande des époux [E] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel comme il est dit dans le dispositif du présent arrêt ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Condamne la SAFER d'Ile-de-France à payer à M. [U] [E] et Mme [C] [S], épouse [E], la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;
Rejette les demandes pour le surplus ;
Condamne la SAFER d'Ile-de-France aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La Greffière,La Présidente,