RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 19 octobre 2010
(n° 8 , 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/06120
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 12 mars 2008 par le conseil de prud'hommes de Bobigny section Encadrement RG n° 07/00161
APPELANTE
SA AIR FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T 3
INTIMÉ
M. [Z] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté par Me Marjana PRETNAR, avocat au barreau de PARIS, toque : P0080
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 mai 2010, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, présidente
Madame Michèle MARTINEZ, conseillère
Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-REVENEAU, conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE,
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Présidente et par M. Eddy VITALIS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour,
Statuant sur l'appel régulièrement formé par la société Air France du jugement rendu le 12 mars 2008 par le Conseil de prud'hommes de Bobigny ' section encadrement - qui l'a condamnée à payer avec intérêts de droit à M. [P] les sommes de 26.400 euros à titre d'indemnité de préavis , 2.640 euros au titre des congés payés incidents, 27.017 euros au titre de complément de l'indemnité de licenciement, 58.368 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que celle de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile.
Vu les conclusions du 4 mai 2010 au soutien de ses observations à l'oral de la Société Air France qui demande à la Cour de débouter M. [P] de toutes ses prétentions ; subsidiairement surseoir à statuer dans l'attente d'une décision du Conseil d'Etat sur la légalité de l'article 2 du Règlement du Personnel Navigant Technique n° 1, 4ème partie ; en tout état de cause condamner M. [P] à lui payer la somme de 3.000 en application de l'article 700 Code de Procédure Civile.
Vu les conclusions d'appel incident du 4 mai 2010 au soutien de ses observations à l'oral de M. [P] qui demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris, à l'exception du montant des dommages et intérêts qui lui ont été alloués dont il demande la majoration, la somme de 175.104 euros lui étant attribuée à titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société Air France à lui payer la somme de 3.588 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Attendu que M. [P], engagé le 3 septembre 1974 par la compagnie Air France en qualité de stagiaire M 15, démissionnait le 31 août 1977 pour être intégré le 2 septembre 1977 à l'Union des Transports Aériens pour suivre la formation de mécanicien navigant DC8 en vue de l'obtention du Brevet de Mécanicien des Transports Publics ;
Qu'il est devenu officier navigant le 29 juin 1978 puis officier pilote de ligne DC10 le
2 avril 1986 et a été transféré à la compagnie Air France lors de la fusion des deux compagnies en 1992, avec reprise de son ancienneté au 2 septembre 1977 ;
Qu'il devait être qualifié successivement A 300, A 310, Concorde et A 340 et percevait en dernier lieu un salaire mensuel de 9.728 euros bruts ;
Que par courrier du 15 novembre 2005 ayant pour objet 'cessation d'activité', la société Air France lui notifiait qu' 'en application des dispositions réglementaires en vigueur, il était appelé à cesser son activité au sein de la compagnie' et que 'cette cessation de service, en raison de la limite d'âge, intervindrait à compter du 1er février 2006" ;
Que par courrier à la compagnie du 29 janvier 2006, M. [P] venait dire que 'conformément à la réglementation actuellement applicable à Air France, il atteignait la limite d'âge pour exercer en tant que Personnel Navigant Technique' mais que 'toutefois, il était surpris de ne pas avoir été convoqué pour un entretien préalable à un reclassement au sol (comme) prévu dans le statut du personnel d'Air France (1/10/1994, règlements communs, article 2.3 page 20)'.
Il précisait que du 29 août 2005 au 29 janvier 2006, date d'anniversaire de ses 60 ans, il avait été mis en stage de 'pré-qualification', qu''en reprenant le travail le 29 juillet 2005, suite à un arrêt longue maladie dû à sa situation familiale..., il pensait reprendre son emploi de pilote comme le prévoit le règlement de carrière ou, au moins, dans un premier temps, être évalué au simulateur...'. Il précisait que 'compte tenu de sa situation personnelle, avec un fils de 27 ans handicapé à 80 %, et ne remplissant pas les conditions pour bénéficier d'une retraite à taux plein du régime général de sécurité sociale, il avait besoin de continuer à travailler au sol' ; 'qu'il confirmait sa volonté de travailler au sol sachant qu'à ce jour la limite d'âge pour exercer un tel emploi était de 65 ans ...' ;
Qu'il représentait la même demande par lettres des 16 et 24 février 2006 après que par lettre du 14 février 2006, la société Air France lui ait adressé un solde de tout compte ;
que M. [P] saisissait le conseil de prud'hommes de Bobigny le 15 janvier 2007, lequel prononçait le jugement dont appel ;
Attendu sur l'exception d'incompétence et la question préjudicielle tirées de la séparation des pouvoirs au motif du caractère administratif du Règlement du Personnel Navigant Technique d'Air France, que M. [P], contrairement à ce que soutient la société Air France, ne conteste pas la légalité du Règlement du Personnel Navigant Technique ni son applicabilité à la date de la rupture de son contrat de travail, antérieure à la signature le
6 mai 2006 de la convention collective du Personnel Navigant Technique se substituant au règlement, mais la méconnaissance par la société Air France de sa teneur et de ses effets quant à son obligation de reclassement au sol ;
Que l'exception d'incompétence n'est pas fondée et la question préjudicielle sans objet ;
Attendu que l'appelante se prévaut du Règlement du Personnel Navigant Technique n°1 4ème partie, en premier lieu en son article 2.3.1, qui dispose que 'l'âge de cessation définitive d'activité au sein du Personnel Navigant Technique est fixé à soixante ans' et que 'la cessation définitive d'activité prend effet le premier du mois suivant celui en cours duquel le Personnel Navigant Technique concerné a atteint son soixantième anniversaire et en second lieu en son article 2.3.2 intitulé 'indemnité de mise à la retraite et son article 2.3.2.1déterminant les bénéficiaires, à savoir les 'membres du Personnel Navigant Technique statutaire cessant toute activité à la compagnie et remplissant les conditions pour avoir droit à une pension de retraite' ;
Q'en conséquence contrairement à ce que soutient l'appelante l'article 2.3.1 précité ne vise que la cessation d'activité au sein du Personnel Navigant Technique à 60 ans alors que l'article 2.3.2.1 sur l'indemnité de mise à la retraite vise les membres de ce personnel cessant toute activité 'au sein de la compagnie' ;
Que la détermination de l'ouverture de droit à une pension de retraite en cas de cessation de toute activité au sein de la compagnie n'ait pas pour object ni pour effet de valider une rupture de contrat de travail au seul motif d'une simple cessation d'activité au sein du Personnel Navigant Technique par l'effet de l'atteinte de la limite d'âge pour naviguer ;
Et attendu que M. [P] ne conteste pas la cessation de son activité au sein du Personnel Navigant Technique mais la rupture de son contrat de travail au motif de ce seul constat ; qu'en effet en vertu de l'article L 421.9 figurant au livre du code de l'aviation civile auquel se référe le Règlement du Personnel Navigant Technique en son préambule, le Personnel Navigant ne peut exercer aucune activité en qualité de pilote ou de copilote dans le transport aérien public au delà de soixante ans, mais son contrat de travail n'est pas rompu du seul fait de l'atteinte de cette limite d'âge, sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement dans un emploi au sol ;
Qu'en effet la limite d'âge pour un tel emploi est 65 ans ; que la société Air France n'articule aucun moyen au titre d'une impossibilité de reclassement au sol pour M. [P] ;
Qu'il est constant qu'elle n'a effectué aucune recherche de reclassement puisqu'elle n'a pas répondu aux demandes, à ce titre de M. [P] préalables, à la prise d'effet de la rupture, qu'elle n'a suscité aucun bilan de compétence en vue d'un reclassement au sein de la compagnie ou du groupe,
Qu'elle n'a pas communiqué la liste des postes au sol ni même invoqué l'absence de poste au sol ;
Qu'en conséquence, la rupture notifiée au seul motif de la 'cessation de l'activité de
M. [P] au sein de la compagnie', avec effet compte tenu de la 'limite d'âge' au 1er février 2006 constitue, en l'absence de recherche de reclassement sur un emploi au sol, un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Que l'appel n'est pas fondé, notamment au titre des indemnités de rupture allouées, la société Air France ne pouvant se prévaloir d'une mise à la retraite licite ;
Attendu sur l'appel incident , que du fait du versement d'une pension retraite C.R.P.N et C.N.A.V et non plus d'une rémunération Air France , M. [P] a subi une perte de revenus dont il justifie, sauf à déduire le montant des prélèvements sociaux qu'il aurait dû supporter s'il avait continué à travailler ;
Qu'il est constaté que M. [P] s'il avait été reclassé au sein d'une société du groupe où la limite d'âge pour l'emploi de pilote est 65 ans devait conserver son niveau de rémunération ;
Qu'il subit un préjudice de carrière, une baisse de revenus sur la période d'âge de 60-65 ans et partant une baisse de l'assiette de ses pensions de retraite ;
Qu'il subit également un préjudice moral la société Air France l'ayant brutalement remercié et n'ayant pas tenu compte de ses difficultés familiales et notamment de la charge morale et matérielle d'un enfant adulte handicapé ;
Que le montant des réparations doit être fixé à 150.000 euros au regard des éléments de préjudice dont il justifie précisément ;
PAR CES MOTIFS
Infirmant partiellement le jugement déféré,
Condamne la société Air France à payer à M. [P] la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, cette somme portant intérêts à compter du jugement sur 58 368 euros et à compter du présent arrêt pour le solde,
Confirme les autres condamnations prononcées,
Condamne la société Air France aux dépens d'appel vu l'article 700 du code de procédure civile et la condamne à payer à M. [P] la somme complémentaire de 2.500 euros.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,