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13/10/2010 | FRANCE | N°10/17042

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 13 octobre 2010, 10/17042


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS





Pôle 1 - Chambre 2





ARRÊT DU 13 OCTOBRE 2010





(n° 525 , 10 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : 10/17042



Décision déférée à la Cour :



Ordonnance de référé rendue le 23 Juillet 2010 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux sous le RG n° 2010R01299





APPELANTE



S.A. AMMO

NIAC AGRICOLE représentée par son liquidateur amiable Monsieur [F] [CV] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

[Adresse 36]

[Localité 33]

représentée par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU JUMEL, avoués à...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 13 OCTOBRE 2010

(n° 525 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/17042

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue le 23 Juillet 2010 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux sous le RG n° 2010R01299

APPELANTE

S.A. AMMONIAC AGRICOLE représentée par son liquidateur amiable Monsieur [F] [CV] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

[Adresse 36]

[Localité 33]

représentée par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU JUMEL, avoués à la Cour

assistée de Me Alain FLEURY, plaidant pour la SELARL FLEURY MARES DELVOLVE ROUCHE, avocats au barreau de Paris, toque : P0035

INTIMÉS

UNION DE COOPÉRATIVES AGRICOLES EURALIS CÉRÉALES

[Adresse 29]

[Localité 25]

représentée par la SCP TAZE-BERNARD - BELFAYOL-BROQUET, avoués à la Cour

assistée de Me Jean-Michel VERTUT, avocat au barreau de Montpellier

EARL DU BROUSTIC

[Adresse 30]

[Localité 15]

représentée par la SCP TAZE-BERNARD - BELFAYOL-BROQUET, avoués à la Cour

assistée de Me Jean-Michel VERTUT, avocat au barreau de Montpellier

EARL DE NABONNE

[Localité 7]

représentée par la SCP TAZE-BERNARD - BELFAYOL-BROQUET, avoués à la Cour

assistée de Me Jean-Michel VERTUT, avocat au barreau de Montpellier

S.A.R.L. LES DEUX CANTONS

[Localité 27]

représentée par la SCP TAZE-BERNARD - BELFAYOL-BROQUET, avoués à la Cour

assistée de Me Jean-Michel VERTUT, avocat au barreau de Montpellier

Monsieur [S] [B]

[Adresse 1]

[Localité 28]

représenté par la SCP TAZE-BERNARD - BELFAYOL-BROQUET, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Michel VERTUT, avocat au barreau de Montpellier

Monsieur [U] [C]

[Localité 24]

représenté par la SCP TAZE-BERNARD - BELFAYOL-BROQUET, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Michel VERTUT, avocat au barreau de Montpellier

SA coopérative à conseil d'administration MAISADOUR

[Adresse 35]

[Localité 11]

représentée par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assistée de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

S.A.S AGRALIA

[Adresse 22]

[Localité 20]

représentée par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assistée de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

Monsieur [T] [P]

[Adresse 32]

[Localité 18]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

Monsieur [M] [N]

[Localité 17]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

Monsieur [E] [X]

[Adresse 21]

[Localité 13]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

Monsieur [O] [Z]

[Adresse 3]

[Localité 26]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

S.A.R.L. SEE DEYTS

[Adresse 2]

[Localité 9]

représentée par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assistée de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

Monsieur [K] [Y] pris en sa qualité de repreneur de l'EARL DOUS COMPOT

[Adresse 31]

[Localité 8]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

SCEA DE JOUANOT

[Adresse 34]

[Localité 12]

représentée par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assistée de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

Monsieur [V] [I]

[Adresse 4]

[Localité 16]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

Monsieur [J] [W]

[Adresse 6]

[Localité 10]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

Monsieur [D] [W]

[Adresse 6]

[Localité 10]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

Monsieur [VA] [H]

[Adresse 5]

[Localité 14]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

Monsieur [L] [A]

[Adresse 23]

[Localité 19]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

INTERVENANT VOLONTAIRE

Monsieur [R] [G]

[Adresse 34]

[Localité 12]

représenté par la SCP BERNABE - CHARDIN - CHEVILLER, avoués à la Cour

assisté de Me Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de Paris, toque C 1626

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Septembre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Marcel FOULON, Président

Monsieur Renaud BLANQUART, Conseiller

Madame Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Lydie GIRIER-DUFOURNIER

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Marcel FOULON, président et par Madame Lydie GIRIER-DUFOURNIER, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

FAITS CONSTANTS

L'ammoniac anhydre est un engrais agricole sous pression dont le transport et le stockage dangereux sont strictement réglementés.

Les campagnes de fertilisation de cet engrais ont lieu, en général, entre mi-mai et mi-juillet.

La SA AMMONIAC AGRICOLE distribue en France de l'ammoniac anhydre. Elle se fournit auprès de ses deux actionnaires principaux YARA FRANCE (site de [Localité 33]) et Grande Paroisse, qui sont producteurs et importateurs d'ammoniac.

Le site de production le plus important était le site de [Localité 33] (YARA FRANCE), où était fabriqué l'hydrogène nécessaire à l'élaboration d'ammoniac dans une usine appartenant au groupe CELANESE sise sur le même site.

Le groupe CELANESE cessait cette activité en décembre 2009.

Les intimés sont des grossistes négociants de produits agricoles, des coopératives agricoles, et des membres de celles-ci, se fournissant auprès de AMMONIAC AGRICOLE.

Le litige porte sur la prétendue rupture brutale des relations commerciales entre AMMONIAC AGRICOLE et les intimés, ses clients.

Le 8 décembre 2008, un accord de confidentialité était signé entre AMMONIAC, la société EURALIS CEREALES et la SA MAISADOUR.

Il est reconnu par les intimés que le 25 février 2010 AMMONIAC AGRICOLE envoyait à ses clients une lettre recommandée avec accusé de réception intitulée 'PROJET DE CESSATION D'ACTIVITE DE L'AMMONIAC AGRICOLE' ainsi rédigée 'Pour le bon ordre de nos dossiers, nous vous prions de bien vouloir trouver sous pli recommandé le courrier concernant le projet de cessation d'activité d'AMMONIAC AGRICOLE, que nous vous avons déjà envoyé par courrier simple le 18 décembre 2009.

Par assemblée générale extraordinaire du 15 février 2010, AMMONIAC AGRICOLE décidait sa dissolution anticipée à compter du 1er juillet 2010, et sa mise en liquidation amiable.

Cette décision était publiée le 15 mars 2010.

Par lettre du 25 mars 2010, AMMONIAC AGRICOLE informait ses clients de la décision de cette assemblée générale.

Par ordonnance contradictoire entreprise du 23 juillet 2010, le juge des référés du Tribunal de commerce de Bordeaux :

- ordonnait à AMMONIAC AGRICOLE d'honorer les commandes d'ammoniac anhydre qui lui seront adressées ... par les demandeurs pour la campagne 2011 ;

- ordonnait à AMMONIAC AGRICOLE de poursuivre les formations, les ventes de matériel et la maintenance ;

- rejetait les demandes relatives à la campagne 2012 ;

- se déclarait incompétent sur les autres demandes.

AMMONIAC AGRICOLE interjetait appel le 16 août 2010.

Le 19 août 2010, assignation à jour fixe était autorisée pour le 28 septembre 2010.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DE AMONIAC AGRICOLE

Par dernières conclusions en date du 28 septembre 2010, auxquelles il convient de se reporter, AMMONIAC AGRICOLE expose :

- que pour des raisons de sécurité, l'arrêt de la commercialisation de ce produit était inéluctable ;

- que cet engrais est minoritaire et aisément substituable ;

- que la part de ce produit dans le chiffre d'affaire de ces coopératives est très faible (entre 0,25 et 0,3 %) ;

- que les intéressés pourraient facilement se procurer un engrais de substitution ;

- ne plus disposer, ni de fourniture d'ammoniac, ni de personnel pour répondre à cette condamnation ;

- avoir le 8 décembre 2008 informé EURALIS et MAISADOUR de la très grande éventualité de ne pas poursuivre son activité au-delà de 2010 ;

- que le délai de préavis laissé est parfaitement suffisant puisque nombre d'entrepreneurs se dont déjà reconvertis ;

- que le délai de préavis de 18 mois pour les entrepreneurs (décembre 2009 - 5 juillet 2011), et 30 mois pour les coopératives, (décembre 2008 - 15 juillet 2011) était amplement suffisant ;

- que la notion de brutalité s'oppose à celle de prévisibilité ;

- qu'elle n'a donc commis aucune faute ;

- que les coopératives ne peuvent alléguer aucun préjudice sérieux ;

- que rien ne démontre que les coûts de reconversion seraient plus importants aujourd'hui qu'ils ne le seraient en 2012 ;

- que seuls 19 entrepreneurs agricoles ont agi sur plus de 200, annoncés et 2 000 agriculteurs ;

- que ceux-ci n'ont à ce jour subi aucun préjudice ;

- que c'est elle même qui subit un trouble manifestement illicite ;

- que le premier juge s'est contredit dans sa motivation.

Elle ajoute :

- que les demandes concernant la campagne 2012, aux conditions tarifaires anciennes, sont irrecevables.

Elle demande :

- l'infirmation de l'ordonnance ;

- de débouter les intimés ;

- 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Cette partie entend bénéficier des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DE EURALIS CEREALES, DU BROUSTIC, DE NABONNE, LES DEUX CANTONS, [S] [B] et [U] [C]

Par dernières conclusions en date du 28 septembre 2010, auxquelles il convient de se reporter, ces parties exposent :

- que la décision de AMMONIAC AGRICOLE entraîne la nécessité d'une migration d'un mode de fertilisation à un autre ;

- que cette rupture commerciale a été faite au mépris des dispositions de l'article L. 442-6- I-5) du Code de commerce ;

- que les relations commerciales sont anciennes (40 ans pour EURALIS) ;

- que le préavis fut très bref puisque ayant été annoncé par lettre du 18 décembre 2009 ;

- que les prétextes allégués par AMMONIAC AGRICOLE sont fallacieux ;

- que le juge des référés a 'compétence' pour statuer sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code du commerce et 873 du Code de procédure civile, puisque :

- il y a un trouble manifestement illicite ;

- il y a un dommage imminent ;

- que les mesures sollicitées sont proportionnées, et possibles.

Elles demandent :

- la confirmation de l'ordonnance sauf à dire que le maintien des relations commerciales, le sera jusqu'à la campagne d'épandage 2012 'aux conditions de prix compétitives par rapport au prix de l'unité d'azote sur des produits concurrents' et ce, sous astreinte ;

- qu'il leur soit donné acte de ce qu'elles se réservent le droit de solliciter réparation de la totalité de leur préjudice ;

- 40 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ces parties entendent bénéficier des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DE MAISADOUR, AGRALIA, [T] [P], [M] [N], [E] [X], [O] [Z], SEE DEYTS, [K] [Y], SCEA de JOUANOT, [V] [I], [J] [W], [D] [W], [VA] [H], [L] [A]

Par dernières conclusions en date du 28 septembre 2010, auxquelles il convient de se reporter, ces parties reprennent les mêmes moyens que les autres intimés et invoquent :

- l'ancienneté des relations commerciales (plus de 35 ans) ;

- le caractère précipité et brutal de la décision de AMMONIAC AGRICOLE qui constitue un dommage imminent ;

- que la migration vers d'autres solutions de fertilisation est impossible dans un délai aussi court.

Elles demandent :

- la confirmation de l'ordonnance, sauf à dire que le maintien des relations commerciales le sera jusqu'à la campagne 2012, sous astreinte ;

- 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ces parties entendent bénéficier des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

SUR QUOI, LA COUR

Considérant en droit, et en premier lieu, qu'il entre dans les pouvoirs du juge des référés (et non pas dans sa compétence) de constater une évidence ;

Qu'en deuxième lieu et selon l'article L. 442-6 I du Code de commerce, dans sa version applicable au cas d'espèce : 'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant industriel ...,

'De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ;

'Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation' ;

'Le juge des référés peut ordonner , au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques' abusives ou toute autre mesure provisoire' ;

Qu'en troisième lieu, en vertu de l'article 873 alinéa 1 du Code de procédure civile, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures de remise en état qui s'imposent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite soit pour prévenir un dommage imminent ;

Considérant que le juge des référés peut ainsi, sur le fondement de ces dispositions, faire une injonction à une partie à un contrat de reprendre les relations contractuellles qu'elle a manifestement fait cesser de manière illicite ;

Considérant, en fait, que le point de départ du préavis ne pouvait être - au plus précoce - que le 27 janvier 2010, date de réception de la lettre envoyée par AMMONIAC AGRICOLE à tous ses clients, qui constitue l'écrit de l'article L 442-6-I du Code susvisé, tous les événements antérieurs ne participant manifestement pas d'un préavis, et ce, y compris 'l'accord de confidentialité' signé par certains intimés le 8 décembre 2008, qui avait un autre objet et qui ne s'était d'ailleurs, selon les propres termes de AMMONIAC AGRICOLE, que borné à informer EURALIS et MAISADOUR d'une 'éventualité de non poursuite de son activité' ; qu'il relevait ainsi du pouvoir du juge des référés de constater cette évidence et de retenir comme point de départ du préavis le 27 janvier 2010 ;

Considérant que la question à laquelle le juge devait répondre n'était pas de savoir si la décision de AMMONIAC AGRICOLE de se dissoudre constituait une violation de l'article L. 442-6-I du Code susvisé, question qui concernera la nature des éventuelles mesures à prendre par le juge, mais de rechercher si le délai de préavis prévu par ledit article, avait, compte tenu de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties, été respecté, peu important le caractère inéluctable de la disparition à venir de cet engrais ; qu'il est significatif à ce sujet de constater qu'à aucun moment dans sa requête à jour fixe (et donc dans son assignation) AMMONIAC AGRICOLE ne mentionne l'ancienneté des relations contractuelles, ne fondant en réalité sa demande que sur l'impossibilité d' 'imposer à une société en liquidation de poursuivre son activité alors qu'elle ne dispose plus ni de la matière première indispensable à cette poursuite, ni de la main d'oeuvre spécifique, indispensable au regard d'un activité extrêmement réglementée' (page 2 de la requête) ;

Considérant que la nature particulière des activités agricole litigieuses conduit à apprécier la durée du préavis, en saisons culturales, ce qu'a d'ailleurs fait AMMONIAC AGRICOLE (dans ses correspondances antérieures au procès), et non pas en mois ;

Considérant qu'il résulte de différentes pièces versées aux débats, et sans que cela ne soit contesté par AMMONIAC AGRICOLE, que cette dernière, seul fournisseur d'ammoniac anhydre en France, a, il y a une quarantaine d'année, créé une filière de fourniture et de distribution sur place de ce produit hautement efficace mais d'une manipulation délicate et dangereuse, par un réseau spécifique sécurisé, doté de matériel et de main d'oeuvre spécialisés nécessitant des liens fonctionnels et opérationnels étroits entre le fournisseur (AMMONIAC AGRICOLE), les transporteurs, les coopératives agricoles, les épandeurs ou entrepreneurs agricoles, et les agriculteurs ;

Que les contrats communiqués démontrent une ancienneté des relations contractuelles variable suivant les intéressés, mais allant de 30 à 40 ans pour les plus nombreux ;

Qu'il convient d'ajouter :

- que dès le 19 février 2010, les intéressés contestaient la décision de AMMONIAC AGRICOLE annoncée par lettre du 25 janvier 2010 ;

- que jusqu'en juin 2010, AMMONIAC AGRICOLE envisageait encore la poursuite de ses activités, par la reprise de celles-ci par le groupe GAZECHIM et que cette éventualité avait été portée à la connaissance de ses clients ;

- que AMMONIAC AGRICOLE dispose d'une exclusivité de fait dans la fourniture de cet engrais, se présentant d'ailleurs comme une 'société qui exerce une activité rentable sur un marché différencié, en partie à l'abri des aléas de la concurrence' ;

- que certains agriculteurs n'utilisaient pratiquement que cet engrais ;

- que AMMONIAC AGRICOLE était parfaitement conscient de l' 'impact de (sa) décision sur la filière' (lettre de AMMONIAC AGRICOLE du 5 mars 2010) ;

- que cet impact est évident puisque la substitution par un autre engrais nécessite :

1°) la recherche et la mise en place de nouveaux engrais, avec d'autres circuits de distribution ou tout au moins des circuits de distribution totalement transformés ;

2°) le remplacement des actuels matériels importants et coûteux (et souvent non amortis) par de nouveaux, et ceci tant pour les épandeurs, les agriculteurs que pour les coopératives ;

Considérant que AMMONIAC AGRICOLE, qui connaît évidemment les phases des saisons agricoles, et l'importance de la filière qu'elle avait mise en place et renforcée pendant 40 ans, ne pouvait et ne peut sérieusement soutenir qu'un préavis expirant à la fin de la saison 2010 était suffisant alors qu'il avait été donné en janvier de la même année et alors que AMMONIAC AGRICOLE laissait entendre en juin 2010 - qui est aussi la fin de la campagne d'épandage 2010 - que ses activités seraient peut-être maintenues (par GAZEPRIM) ; qu'une telle rupture, pour ne pas être brutale, nécessitait, en l'absence d'accords interprofessionnels, et compte tenu de ce qui a été dit plus haut, un préavis de deux saisons, concernant en conséquences les saisons 2011 et 2012 ; que la rupture litigieuse, manifestement brutale, a constitué un trouble manifestement illicite et est de nature à causer un dommage imminent, dommage qui sera forcément subi, du fait de l'impossibilité des intéressés de trouver dans l'urgence, des moyens de substitution au système de fertilisation jusqu'alors adopté ;

Considérant que le juge se doit de prévenir ce dommage en prenant les mesures adéquates ;

Considérant, sur ces mesures, qu'il convient de constater que pour se soustraire à ses obligations visées par l'article L. 442-6-5 susvisé, AMMONIAC AGRICOLE est mal fondé et mal venu, à invoquer :

- son auto-liquidation ;

- le fait qu'elle n'aurait plus de personnel qualifié ;

- sa prétendue absence de matériel spécialisé ;

- encore moins, le coût allégué d'un tel maintien, puisqu'elle est seule à l'origine de ces mesures, alors qu'elle n'ignorait pas que le délai de préavis par elle donné était manifestement insuffisant ;

Que la rapidité, voire la précipitation de toutes ses décisions concomitantes au préavis démontre que celles-ci visaient à auto-justifier une future impossibilité d'exécuter, qu'il convient au surplus de constater que l'approvisionnement 2010 vient juste de se terminer et que AMMONIAC AGRICOLE disposait encore il y a peu de temps de toutes les structures nécessaires à l'exécution de ses obligations ;

Considérant encore qu'il n'est pas sérieux pour AMMONIAC AGRICOLE de prétendre que seul un petit nombre d'utilisateurs a agi en justice, alors que les coopératives représentent plusieurs milliers d'agriculteurs, et que le fait de ne pas avoir agi en justice pour certains ne signifie pas que ceux qui se sont abstenus ont déjà opéré la mutation de leur système d'épandage d'engrais ; qu'il n'est pas plus sérieux de soutenir que les coûts de reconversion seront aussi importants aujourd'hui qu'en 2012, même si cela est partiellement exact, alors que le délai de préavis permettra un étalement des investissements et des dépenses ;

Considérant que l'affirmation erronée de AMMONIAC AGRICOLE selon laquelle elle 'sera dans l'impossibilité d'exécuter' (page 4 de la requête) démontre la volonté affichée de celle-ci de ne pas exécuter la décision du premier juge ; qu'il y a donc lieu d'ordonner une astreinte, comme il sera précisé dans le dispositif ;

Considérant, en revanche, que le juge ne peut fixer le prix de l'unité d'azote, les contrats devant être poursuivis, en ce domaine, comme dans les autres, suivant les dispositions de ceux-ci ;

Sur les demandes des intimés au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu de leur accorder à ce titre la somme visée dans le dispositif ;

Sur le 'donner acte' réclamé par EURALIS

Considérant que « donner acte » d'un fait ou d'un acte à une partie (ou le refus de donner acte) ne peut consacrer la reconnaissance d'un droit mais constitue une simple mesure d'administration judiciaire laissant intacts les droits de la partie qui l'a réclamé ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande dont l'utilité n'apparaît pas avec l'évidence suffisante ;

PAR CES MOTIFS

- Infirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a ordonné à la SA AMMONIAC AGRICOLE de poursuivre les relations commerciales pour la campagne d'épandage 2010,

Statuant à nouveau, sur le reste :

- Condamne la SA AMMONIAC AGRICOLE à maintenir les prestations contractuelles avec les intimés, à honorer les commandes et assurer la livraison d'ammoniac anhydre à EURALIS CEREALES, MAISADOUR et AGRALIA, et ce, jusqu'à la fin de la campagne d'épandage 2012 c'est-à-dire fin juin 2012, sur la base des délais habituellement convenus ou suivis par les parties au cours de leurs relations antérieures et ce dès la signification du présent arrêt, sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard, passé le délai de livraison,

- Dit que ce délai de livraison sera établi en prenant le délai moyen séparant l'ensemble des commandes, des livraisons, pour la saison 2009 et en ajoutant 10 jours,

- Condamne la SA AMMONIAC AGRICOLE à poursuivre les autres prestations contractuelles (formation, vente de matériel et maintenance, etc...) avec EURALIS, MAISADOUR et AGRALIA jusqu'à la fin de la saison 2012 (fin juin 2012) et sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard, à compter du 16ème jour suivant la signification du présent arrêt ;

- Condamne la SA AMMONIAC AGRICOLE à payer à l'UNION DE COOPÉRATIVES AGRICOLES EURALIS CÉRÉALES, à l'EARL DU BROUSTIC, à l'EARL DE NABONNE, à la S.A.R.L. LES DEUX CANTONS, Monsieur [S] [B] et à Monsieur [U] [C] la somme globale de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamne la SA AMMONIAC AGRICOLE à payer à la SA coopérative à conseil d'administration MAISADOUR, à la S.A.S AGRALIA, à M. [T] [P], à M. [M] [N], à Monsieur [O] [Z], à M. [E] [X], à la S.A.R.L. SEE DEYTS, à Monsieur [K] [Y] pris en sa qualité de repreneur de l'EARL DOUS COMPOT, à la SCEA DE JOUANOT, à M. [V] [I], à M. [J] [W], à M. [D] [W], à M. [VA] [H] et à Monsieur [L] [A] la somme globale de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamne la SA AMMONIAC AGRICOLE aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 10/17042
Date de la décision : 13/10/2010

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°10/17042 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-10-13;10.17042 ?
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