La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/09/2010 | FRANCE | N°09/02379

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 22 septembre 2010, 09/02379


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2010



(n° , 09 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 09/02379



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Janvier 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 07/06328





APPELANTE



La société TECHNIP FRANCE, SA

agissant poursuites et diligences de ses représe

ntants légaux

ayant son siège [Adresse 3]

[Adresse 7]

[Localité 6]



représentée par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour

assistée de Me Denis MONEGIER DU SORBIER, avocat au barreau de Pari...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2010

(n° , 09 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/02379

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Janvier 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 07/06328

APPELANTE

La société TECHNIP FRANCE, SA

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

ayant son siège [Adresse 3]

[Adresse 7]

[Localité 6]

représentée par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour

assistée de Me Denis MONEGIER DU SORBIER, avocat au barreau de Paris, toque L 295

INTIMÉS

La société ITP, SA

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège [Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par la SCP MONIN - D'AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour

assistée par Me Jacques ARMENGAUD, avocat au barreau de Paris, toque W 07

plaidant pour la SEP ARMENGAUD GUERLAIN

Monsieur [K] [H]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par la SCP MONIN - D'AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour

assisté de Me Olivier LEGRAND, avocat au barreau de Paris, toque P 390

Plaidant pour la SEP BARDEHLE PAGENBERG DOST ALTENBURG GEISSLER

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 Juin 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Didier PIMOULLE, Président

Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère

Madame Anne-Marie GABER, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : M. Truc Lam NGUYEN

ARRÊT :- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président et par Mademoiselle Aurélie GESLIN, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

***

LA COUR,

Vu l'appel relevé par la s.a. technip france du jugement du tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 3ème section, n° de RG : 07/6328 ), rendu le 28 janvier 2009 ;

Vu les dernières conclusions de l'appelante (25 mai 2010) ;

Vu les dernières conclusions (7 mai 2010) de M. [K] [H], intimé ;

Vu les dernières conclusions (11 mai 2010) de la s.a. itp, intimée ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 25 mai 2010 ;

* *

SUR QUOI,

Considérant que la société itp, qui se présente comme spécialiste en matière de conception et de fabrication de pipelines calorifugés à double enveloppe destinés au transport sous-marin des hydrocarbures, a déposé, le 29 mars 1996, une demande de brevet français, intitulée « tuyau pour canalisations du type à double enveloppe d'isolation thermique » ; que le brevet correspondant a été délivré le 5 juin 1998 ; que cette même société a déposé, le 28 mars 1997, sous priorité de sa demande de brevet français n° 96 04812, une demande de brevet européen, ne désignant pas la France, qui a abouti à la délivrance, le 1er mars 2000, d'un brevet européen EP 0 890 056 identique au brevet français ; que, la société technip france (ci-après : technip), en raison, d'une part, de ses activités dans le secteur pétrolier et, d'autre part, de différentes actions engagées par la société itp à son encontre, après avoir obtenu, sur son opposition, la révocation du brevet EP 0 890 056 par décision de la Chambre de recours de l'OEB du 17 février 2004, a assigné la société itp en nullité de l'ensemble des revendications du brevet français pour défaut d'activité inventive ; que M. [H], en sa qualité d'inventeur du dispositif breveté, est intervenu volontairement pour défendre la validité du brevet ; que le tribunal, par le jugement dont appel, a débouté la société technip de sa demande en nullité du brevet et l'a condamnée à payer des indemnités de procédure à la société itp et à M. [H] ;

1. Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de M. [H] :

Considérant que M. [H], hormis l'application de l'article 700 du code de procédure civile, n'élève aucune prétention à son profit mais demande à la cour de confirmer le jugement et de débouter la société technip de sa demande en nullité du brevet FR 96 04812 pour défaut de nouveauté ou d'activité inventive ; que son intervention est donc accessoire ;

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 330 du code de procédure civile que l'intervention volontaire accessoire qui appuie les prétentions d'une partie est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie ;

Considérant que M. [H], qui expose que l'objet de son intervention est «d'éclairer très précisément la cour sur le problème technique à la base de son invention et sur la manière dont il a été résolu », s'abstient d'indiquer la nature des droits pour la conservation desquels il aurait intérêt à soutenir la société itp ;

Que la société technip fait valoir à juste titre que son action en nullité ne met en cause que le titre de propriété industrielle tel que matérialisé dans la rédaction des revendications contestées, non les qualités professionnelles et scientifiques de M. [H] ou la valeur de sa contribution au brevet litigieux, et que la procédure concerne un brevet qui ne lui appartient pas et n'est pas dirigée contre lui ;

Considérant que M. [H], qui ne justifie pas d'un intérêt personnel, sera en conséquence déclaré irrecevable en son intervention ;

2. Sur la demande de la société technip tendant à la nullité des revendications du brevet français n° 96 04812 :

Considérant, aux termes de l'article L.611-10 du code de la propriété intellectuelle, que « sont brevetables [...] les inventions nouvelles impliquant une activité inventive [...] » ; que la société technip prétend que les revendications du brevet français n° 96 04812 sont nulles, à titre principal, parce que l'invention n'est pas nouvelle, subsidiairement, parce qu'elle n'implique pas d'activité inventive ;

2.1. Sur la nouveauté :

Considérant que l'article L.611-11 du code de la propriété intellectuelle dispose qu'une invention est nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique, ce dernier étant constitué « par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen » ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, pour être comprise dans l'état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention doit s'y trouver tout entière, dans une seule antériorité de caractère certain, avec les éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement, le même fonctionnement, en vue du même résultat technique ;

Considérant que la société technip prétend que la revendication 1 du brevet itp est antériorisée par le brevet français n° 2067505 Gulf Oil (Pogorski), publié le 20 août 1971, qui, selon elle, en divulgue l'ensemble des caractéristiques ;

Considérant que la revendication dont la nouveauté est ainsi contestée est rédigée comme suit :

« Tuyau à double enveloppe pour canalisations, notamment pour canalisations de produits pétroliers à poser en mer, caractérisé en ce que, dans un espace annulaire étanche entre un tube interne et un tube externe disposés coaxialement l'un dans l'autre, il comporte une plaque autoportante de matériau microporeux à pores ouverts, présentant une flexibilité suffisante pour être enroulée contre le tube interne, et en ce qu'il est réservé hors ledit matériau dans ledit espace annulaire, un passage libre à une circulation longitudinale de gaz par lequel on fait régner une pression réduite tout au long dudit espace annulaire. » ;

Considérant, à la lumière de la description de l'invention, que celle-ci « concerne la conception et la réalisation des tuyaux à double enveloppe, tels notamment que ceux qui sont destinés à être raccordés bout à bout pour constituer des canalisations, ou qui sont plus particulièrement construits pour former des canalisations à poser au fond des mers, pour servir à véhiculer des produits pétroliers, sous forme liquide et/ou gazeuse. » (page 1, lignes 1 à 7) et a essentiellement pour objet d'améliorer l'état de la technique en permettant la construction de canalisations présentant une bonne isolation thermique entre l'intérieur et 1'extérieur, pendant de longues années, sur des distances considérables se comptant en dizaines de kilomètres, constituées de tuyaux répondant à des exigences d'étanchéité, de dimensions exactes, ne devant souffrir ni d'opérations de transport, d'assemblage et d'immersion, toutes performances susceptibles d'être requises dans d'autres utilisations que celle visée à titre principal ;

Considérant que le brevet Gulf Oil opposé concerne directement, non pas un conduit ou même un contenant quelconque, mais « un matériau calorifuge efficace, d'une mise en place facile, résistant à la compression, et offrant une forte résistance à tous les modes de transfert thermique dans une importante gamme de sa condition d'utilisation », et plus particulièrement « un matériau calorifuge utilisé pour des températures cryogéniques, intermédiaires et élevées dans une ambiance gazeuse en dépression à la pression atmosphérique et en surpression » et l'utilisation de ce matériau à différents dispositifs ; que cette invention se propose d'améliorer la technique existante en promettant « un matériau calorifuge pouvant supporter une charge, [...] efficace pour tous les modes de transfert thermique, qui ne nécessite pas une utilisation sous vide, mais qui peut être utilisé sous un vide poussé, qui résiste à des vibrations mécaniques, et peut être employé, en fonction des matières utilisées, dans une large gamme de températures » ;

Qu'il est précisé qu'« un tel matériau peut notamment être appliqué dans un dispositif calorifugé comprenant une paroi intérieure et une paroi extérieure, le matériau selon l'invention étant placé entre ces parois et constituant de préférence le seul support entre les deux parois du dispositif. » ;

Considérant que, si la description de l'invention expose que « la principale fonction d' un calorifuge est de réduire à un minimum le transfert calorifique vers ou depuis un système isolé thermiquement, par exemple afin de réduire le taux de diminution par ébullition d'un liquide, ou de protéger un instrument, une ligne de transfert telle qu'un conduit, » et que « les besoins croissants pour la production, le stockage et le transfert de gaz liquéfiés et de fluides cryogènes, de même que pour le transport et le fonctionnement d'équipements sensibles à la température sur la terre, sur la mer, sous l'eau, sous la terre, dans l'air ou dans l'espace ont fait apparaître une demande de matériaux de calorifugeage économiques offrant des possibilités d'utilisation très variées, résistants et efficaces, pouvant résister à des conditions d'utilisation couvrant une gamme très importante », ce passage, purement descriptif de l'état des besoins, ne laisse nullement deviner que le matériau objet de l'invention présentera les caractéristiques lui permettant de répondre spécifiquement aux exigences de fabrication de tuyaux semblables à ceux destinés à l'acheminement de produits pétroliers sous la mer ;

Considérant que les figures annexées au brevet Gulf Oil pour donner des exemples d'utilisation du matériau inventé ne concernent, outre diverses possibilités de fixation ou d'enroulage de celui-ci, (fig 4, 5 et 6) que la coupe (fig 1 et 2) ou la section (fig 3) d'un réservoir à double paroi calorifugé ; que, s'il est indiqué (page 8, lignes 28 à 30) que l'invention convient particulièrement pour le calorifugeage de réservoirs à double paroi ou pour celui de conduits de toute sorte, notamment de pipe-lines », aucun autre élément du brevet, autre que cette sommaire allusion, ne permet de retenir que les contraintes spécifiques de fabrication de tuyaux à double enveloppe coaxiale destinés à être assemblés pour former des gazoducs ou oléoducs sous-marins y sont contenues ou auraient seulement été envisagées ; que ce brevet ne comporte d'ailleurs aucune référence à une disposition particulière d'un tube interne et d'un tube externe l'un par rapport à l'autre, ni à une plaque autoportante, ni à un matériau microporeux à pores ouverts ;

Considérant, sur ce dernier point, que, si la revendication 1 du brevet itp se réfère à un « matériau microporeux à pores ouvert », cette expression, dans le contexte du brevet, ne peut, sans dénaturation, être comprise comme désignant « un matériau dont les pores ont une taille inférieure à une vingtaine de micromètres » selon la définition du dictionnaire [R] invoquée par la société technip ;

Considérant qu'il résulte en effet de la description que le matériau visé n'est pas seulement caractérisé par la dimension de ses pores, mais aussi par leur ouverture ; que ce document explique en effet (page 5, lignes 7 à 21) : «  Toutes les applications qui ont été recommandées à ce jour pour les matériaux microporeux. essentiellement constitués de particules siliciques, notamment de gel de silice pyrogéné, exploitent le fait que le diamètre des pores ouverts est inférieur au libre parcours moyen des molécules d'air, ce qui assure pour l'essentiel une capacité d'isolation thermique bien supérieure à celle de matériaux plus traditionnels, en particulier de ceux qui sont fabriqués de sorte à ménager principalement des pores fermés. A l'inverse de ces applications connues, la présente invention conduit à améliorer encore leurs performances en exploitant le fait que les pores sont ouverts pour créer un vide partiel tout au sein du matériau. » ;

Considérant que le brevet Gulf Oil n'emploie nulle part le terme microporeux ; qu'il ne définit pas le taux de porosité ni la taille des pores qui expliquent les performances d'isolation spécifiques des matériaux microporeux par application de la théorie cinétique des gaz ; que ce matériau est en réalité un mélange de particules grandes et petites qui ne présente pas les propriétés du principe microporeux ;

Considérant que la demande de la société technip tendant à l'annulation de la revendication 1 du brevet français n° 96 04812 pour défaut de nouveauté doit être rejetée ;

2.2. Sur l'activité inventive :

Considérant, selon l'article L.611-14 du code de la propriété intellectuelle, qu'« une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique » ;

2.2.1. Sur l'homme du métier :

Considérant que, au sens des dispositions ci-dessus, l'homme du métier possède les connaissances normales dans le domaine technique auquel se rattache l'invention ;

Considérant que la société technip, s'attachant à la lettre de la revendication 1 du brevet itp selon laquelle l'invention concerne un « tuyau à double enveloppe pour canalisations, notamment pour canalisations de produits pétroliers à poser en mer », estime que l'homme du métier n'est pas, en l'espèce, un spécialiste des pipe-line offshore, mais un technicien de l'isolation des canalisations en général ;

Mais considérant que, selon la description du brevet, si l'invention a pour objet d'apporter un perfectionnement « aux tuyaux qui, d' une manière générale, sont prévus à double enveloppe d'isolation thermique ménageant un espace annulaire étanche entre deux tubes coaxiaux » (page 1, ligne 10 à 12) et se propose de répondre au « souci notamment de diminuer les coûts et d'améliorer la qualité et la durabilité de l'isolation » (page 1, lignes 25 à 28), les tuyaux visés n'appartiennent pas pour autant à la catégorie générique de canalisations pourvues d'une isolation thermique, mais sont « tels notamment que ceux qui sont destinés à être raccordés bout à bout pour constituer des canalisations, ou qui sont plus particulièrement construits pour former des canalisations à poser au fond des mers, pour servir à véhiculer des produits pétroliers, sous forme liquide et/ou gazeuse » (page 1, lignes 2 à 7) ; qu'il en résulte que, si en effet le domaine de l'invention ne se réduit pas aux seuls gazoducs ou oléoducs sous-marins, il ne s'étend pas pour autant au delà de l'ensemble des tuyaux qui doivent, quelle que soit leur utilisation, répondre aux mêmes exigences que celles décrites, soit, outre une bonne isolation thermique (page 1, ligne 14), la capacité de parcourir des distances considérables qui peuvent se chiffrer en dizaines de kilomètres (page 1, lignes 29 à 31), la possibilité d'être utilisés pendant de longues années (page 1, ligne 32), la résistance aux opérations de transport, d'assemblage et d'immersion (page 2, lignes 1 à 7), et une bonne étanchéité (page 2, ligne 13) ;

Considérant, en synthèse, que le brevet porte, non pas seulement sur des éléments de canalisations destinées au transport sous-marin d'hydrocarbures, mais sur tous les tuyaux qui doivent présenter les mêmes qualités ; que la description prévoit d'ailleurs expressément que « les mêmes impératifs de degré d'isolation thermique et de durabilité se retrouvent dans d'autres applications, en particulier dans des situations où l'on rencontre un différentiel de température de même ordre de grandeur entre intérieur et extérieur du tuyau, mais en sens inverse » (page 2, lignes 20 à 25) ; que, quoique de telles applications ne soient pas spécialement désignées, ni dans le brevet en cause, ni d'ailleurs dans les écritures de la société technip, leur existence théorique, non contestée, justifie que la revendication contestée soit rédigée en termes permettant de les couvrir le cas échéant, d'où la présence de l'adverbe « notamment » auquel la société technip accorde abusivement une portée qu'il n'a pas ;

Considérant, pour autant, et à défaut de précision sur d'autres applications possibles de l'invention, que l'homme du métier ne peut pas se définir, en l'espèce, comme un technicien de l'isolation de canalisation indifférenciées, mais comme un technicien des canalisations répondant aux mêmes besoins que les gazoducs et oléoducs sous-marins ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre que le tribunal a jugé que l'homme du métier en l'espèce est un ingénieur en conception et fabrication de pipelines ;

2.2.2. Sur l'état de la technique :

Considérant que la société itp, quoiqu'elle se réfère à une étude de la société coflexip de décembre 1995 examinant tous les isolants utilisables dans des tuyaux à double enveloppe pour le transport sous-marin d'hydrocarbures, ne discute pas la pertinence du brevet européen n° 0 484 491 Preussag, publié le 13 mai 1992, présenté par la société technip comme représentatif de l'art antérieur le plus proche ;

Considérant que l'invention du brevet Preussag concerne « une canalisation pour le transport d'agents gazeux ou liquides, dont la température est différente de la température ambiante, équipée d'un tube enveloppe et d'un tuyau pour agent disposé à distance radiale dans le tube enveloppe, lequel tuyau est enveloppé d'une isolation thermique, le tuyau pour agent étant soutenu en des points fixes espacés avec une prétension axiale sur le tube enveloppe faisant office de butée. » ;

Considérant que ce brevet se réfère, à titre d'antériorité, outre à une « canalisation pour une pose sous l'eau sur laquelle un espace annulaire entre le tube pour agent et le tube enveloppe est rempli avec un gaz dont la pression est supérieure à la pression environnante » qui n'offre aucun point de comparaison avec le problème technique en cause dans le présent litige, où l'espace annulaire est au contraire par hypothèse en dépression, à une autre conception de canalisation dans laquelle : « Le tube enveloppe sert en même temps de tube protecteur et offre la possibilité de faire le vide dans l'espace annulaire entre le tube enveloppe et le tube pour agent. Du fait de la mise sous vide, le matériau calorifuge est maintenu à sec dans l'espace annulaire et une protection anticorrosion optimale est garantie. De plus, l'isolation thermique peut être augmentée sensiblement à l'aide de la dépression. Pour les réalisations connues de telles canalisations, le tube pour agent est centré dans le tube enveloppe par des écarteurs qui sont prévus à des intervalles réguliers. Ces écarteurs forment de nombreux ponts thermiques qui aboutissent à des pertes de chaleur préjudiciables. De plus, elles entraînent une dépense de construction et de montage importante' ;

Considérant, au regard de cette description de l'état de la technique antérieure au brevet Preussag, qu'il apparaît que celui-ci avait pour objet, d'une part, de supprimer les écarteurs générateurs de ponts thermiques, d'autre part, de réduire les dépenses de construction et de montage ;

Que l'invention consistait donc, en disposant les deux tuyaux, non plus coaxialement, mais de manière excentrée - différence avec le brevet itp que la société technip regarde à tort comme négligeable, alors qu'elle est au contraire essentielle, ainsi que l'a exactement vu le tribunal - à concevoir un mode d'écartement des tuyaux interne et externe qui, loin d'être conducteur de chaleur, soit au contraire lui-même un isolant ;

Que c'est ainsi, selon la revendication 1 du brevet Preussag, que la canalisation comprend « un tuyau d'enrobage et un tuyau de milieux qui est monté dans ledit tuyau d'enrobage à une distance radiale et qui est enveloppé d'une isolation thermique, ledit tuyau de milieux prenant appui, avec une précontrainte axiale, sur ledit tuyau d'enrobage servant de butée aux points fixes situés à distance les uns des autres, caractérisée en ce que ladite isolation thermique est composée de pièces profilées qui sont résistantes à la compression, sont fabriquées de microfibres de verre ou de microfibres minérales et ont une résistance à la compression de telle sorte que ledit tuyau de milieux est maintenu, par l'intermédiaire desdites pièces profilées, à une distance isolante de la paroi intérieure dudit tuyau d'enrobage, et que le diamètre extérieur de ladite isolation thermique est inférieur au diamètre intérieur dudit tuyau d'enrobage de manière que ledit tuyau de milieux soit monté excentriquement dans ledit tuyau d'enrobage, à l'exception de zones courtes à proximité d'un point fixe. » ;

Considérant que le brevet Preussag, qui indique que les pièces profilées résistantes à la compression sont fabriquées de microfibres de verre ou de microfibres minérales, ne suggère aucune caractéristique de la structure interne du matériau isolant ni l'interaction d'une structure microporeuse de celui-ci avec une réduction de la pression dans l'espace annulaire, la mention d'une possibilité de mise sous vide jusqu'à une pression d'environ 3 mbars pour augmenter l'effet d'isolation n'étant nullement mise en rapport avec la nature de l'isolant microfibreux recommandé, non pas, d'ailleurs, principalement pour ses performances d'isolant, mais pour ses qualités de résistance à la compression ;

Considérant qu'il en résulte que c'est à tort que la société technip affirme que l'état de la technique conduisait « l'homme du métier, de manière évidente, à modifier l'isolant microporeux du brevet Preussag - étant observé que ledit brevet n'emploie pas ce terme - pour choisir un isolant microporeux tel que revendiqué de manière large dans le brevet itp (page 46 de ses dernières écritures) ;

Considérant, surabondamment, à supposer même que l'homme du métier ait été enclin à choisir, pour fabriquer les pièces profilées résistantes à la compression du brevet Preussag, une autre matière que des microfibres de verre ou des microfibres minérales, que rien ne l'aurait conduit de manière évidente à s'orienter vers un matériau microporeux tel que le microtherm ;

Considérant en effet que la documentation relative à ce matériau, telle qu'invoquée par la société technip (pièce 18), si elle compare la conductivité thermique du microtherm par rapport aux autres matériaux isolants, suggère son application à une tuyauterie (page 2), et explique les performances isolantes de ce matériaux par le principe microporeux (page 8), ne met nullement en avant une résistance particulière à la compression (page 12) ; que l'homme du métier s'intéressant au microtherm pour améliorer le brevet Preussag ne pourrait en réalité que se détourner de ce matériau, sauf à renoncer à ce qui constituait l'invention de ce brevet, à savoir la suppression des écarteurs générateurs de ponts thermiques et leur remplacement, dans un système de tuyaux à double enveloppe excentrée, par des pièces isolantes offrant une forte résistance ;

Considérant que, pour des motifs analogues, l'homme du métier qui, au regard du brevet Gulf Oil précédemment examiné, sait qu'un mélange de poudres et de fibres compacté sous enveloppe peut être suffisamment flexible pour être enroulé contre le tube interne du tuyau à double enveloppe décrit dans le brevet Preussag et qui souhaiterait améliorer les performances du matériau isolant décrit dans ce brevet Gulf Oil ne pouvait saisir comme une évidence le recours à un matériau microporeux tel que décrit dans le brevet itp ; que, sur ce point, le tribunal a exactement jugé, par des motifs que la cour fait siens, que les documents présentant les produits microtherm ne figuraient pas, à la date de priorité du brevet itp, dans la sphère de connaissances habituelle d'un ingénieur en pipelines ;

Considérant, au demeurant, que, parmi les pièces versées au débat, aucun document antérieur au brevet itp ne mentionne l'utilisation d'un matériau microporeux, dont le principe est pourtant connu depuis les années 1960,dans un système de tuyaux à double enveloppe, encore moins la combinaison d'un tel matériau avec une pression réduite; qu'il a déjà été indiqué que, dans le document établi en décembre 1995 par la société coflexip pour exposer à son client la société shell uk les différents matériaux identifiés comme les isolants les plus intéressants, seules sont évoqués la mousse de polyuréthane de faible densité et les isolants en fibres minérales ; qu'il ressort de la décision rendue le 26 août 2003 par la juridiction écossaise saisie d'une demande de nullité du brevet européen identique au brevet en cause que l'isolant microporeux n'a été utilisé à pression réduite dans aucune application avant la date de priorité du brevet itp et que, entendu par le juge, le directeur général de la société microtherm avait témoigné sa surprise, même son incrédulité, quant à la pertinence de l'utilisation du matériau éponyme dans les conditions décrites par le brevet itp, hypothèse qu'il avait pour le moins perçue comme audacieuse ; qu'il ressort en revanche de plusieurs articles postérieurs que la solution ainsi mise au point par itp s'était avérée convaincante ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société technip prétend vainement qu'une telle idée pouvait être évidente pour l'homme du métier ; que, tout au contraire, la combinaison de l'utilisation d'un matériau isolant microporeux et d'une pression réduite dans l'espace annulaire d'un système de tuyaux à double enveloppe coaxiaux supposait de s'écarter des voies connues de la technique par une démarche allant contre l'évidence ;

Qu'il suit de là que la demande de la société technip tendant à l'annulation de la revendication 1 du brevet comme n'impliquant aucune activité inventive doit être rejetée et le jugement, en définitive, confirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a jugé l'intervention de M. [H] recevable ;

* *

PAR CES MOTIFS :

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré M. [H] recevable en son intervention et condamné la société technip à lui payer une somme par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

STATUANT à nouveau de ce seul chef,

DÉCLARE M. [H] irrecevable en son intervention,

DÉBOUTE la s.a. technip france de toutes ses demandes contraires à la motivation,

CONDAMNE M. [H] aux dépens de son intervention,

CONDAMNE la s.a. technip france aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer 100.000 euros à la s.a. itp par application de l'article 700 du code de procédure civile et DIT n'y avoir lieu à plus ample application des dispositions de cet article.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 09/02379
Date de la décision : 22/09/2010

Références :

Cour d'appel de Paris I1, arrêt n°09/02379 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-09-22;09.02379 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award