Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 7 SEPTEMBRE 2010
(n° 285, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/22923
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Octobre 2008 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 06/16596
APPELANTE
S.C.P. LIEURY JEAN-PIERRE KERNEIS GILDAS SEGUIN FRANÇOIS agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour
assistée de Me de HAUTECLOCQUE, avocat au barreau de PARIS, toque : D 848
INTIME
Monsieur [L] [V]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par la SCP HARDOUIN, avoués à la Cour
assisté de Me Nadia DLILI, avocat au barreau de PARIS, toque : R 24
SCP RIONDET & Associés, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 mai 2010, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
Mme Brigitte HORBETTE, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN
ARRET :
- contradictoire
- rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Scp notariale Jean-Pierre Lieury, Gildas Kerneis, François Seguin, chargée du règlement de la succession de M. [O] [V], décédé le [Date décès 1] 2000 à [Localité 7], laissant pour lui succéder son fils unique M. [L] [V], a déposé la déclaration de succession le 26 mars 2001, faisant apparaître un actif brut de 3 445 345, 70 €.
En son vivant, [O] [V] avait souscrit divers contrats d'assurance-vie, dont trois contrats Nos 10816771 AF, 10 816 772 AF et 10816773 AF auprès de la compagnie AGF, dénommés contrats ' Modul'Epargne' souscrits le 17 août 1993 avec effet au 1er Août 1993, pour chacun 1 000 100 Frs soit un total de 3 000 300 frs, régulièrement déclarés chaque année par [O] [V] dans le cadre de l'imposition sur la fortune.
Par une lettre du 6 novembre 2000, le notaire a interrogé la compagnie d'assurance AGF en lui demandant, pour les contrats sus-référencés, ' de bien vouloir lui indiquer les sommes taxables au titre des droits de succession dans votre contrat et, s'il a été souscrit après le
70 ème anniversaire du défunt, la date de souscription' et il a reçu une lettre de réponse en date du 28 novembre 2000 des AGF rédigée en ces termes ' M. [O] [V] avait souscrit les contrats Modul Epargne référencés dont M. [L] [V] était l'assuré.
Conformément aux dispositions particulières de ces contrats, le décès du contractant n'entraîne pas le règlement des contrats, mais ils deviennent la propriété de l'assuré.
Nous vous prions de trouver ci-joint copie de la lettre que nous adressons ce jour à l'assuré.'
L'administration fiscale ayant effectué un redressement et retenu un complément taxable de 557 589 €, pénalités finalement réduites à hauteur de 29530 € correspondant, selon M. [L] [V], à des intérêts de retard, au constat que les contrats, bien que déclarés comme une composante du patrimoine du défunt, n'avaient pas été portés dans la déclaration de succession, M. [L] [V] a recherché devant le tribunal de grande instance de Paris la responsabilité du notaire pour avoir commis un manquement à son devoir d'information et de conseil en ne l'avisant pas, alors qu'il disposait de la déclaration ISF de l'année 2000 de son père et de la réponse des AGF n'indiquant pas formellement que les contrats étaient exclus de la déclaration de succession, que les contrats faisaient partie de l'actif successoral et devaient être inclus dans l'assiette de calcul de l'impôt sur les successions, ce qui a été la cause du redressement fiscal pour lequel il a obtenu que les pénalités soient réduites à 29530 € mais grâce à l'intervention du cabinet [Localité 6] Conseil auquel il a eu recours et auquel il a payé des honoraires de 4186 € : M. [L] [V] a demandé la condamnation du notaire à lui régler la somme de 33 716 € à titre de dommages et intérêts, correspondant à l'addition des sommes de 29350 € et de 4186 €, outre celle de 8842,04 € à titre de dommages et intérêts complémentaires, correspondant à des honoraires facturés s'ajoutant aux émoluments tarifés en application de l'article 4 pour conseils donnés et celle de 8000 € à titre d'indemnité de procédure.
Par jugement en date du 22 octobre 2008, le tribunal a :
-constaté que l'exception d'irrecevabilité est devenue sans objet,
-constaté que la société civile professionnelle Lieury-Kerneis-Seguin a commis une faute engageant sa responsabilité vis-à-vis de M. [V],
-en conséquence l'a condamnée à régler à M. [V] à titre de dommages et intérêts la somme de 33 716 €, la somme de 2000 €, la somme de 3500 € à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'à payer les dépens.
CELA ETANT EXPOSE, la COUR :
Vu l'appel interjeté le 5 décembre 2008 par la Scp Lieury-Kerneis-Seguin,
Vu les conclusions déposées le 6 avril 2009 par l'appelante qui demande l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, le débouté de M. [V] de toutes ses demandes, la condamnation de M. [V] à lui payer la somme de 3500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer tous les dépens,
Vu les conclusions déposées le 2 avril 2010 par M. [V] qui demande la confirmation du jugement, la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer les entiers dépens.
SUR CE :
Sur la faute :
Considérant que le notaire soutient qu'il n'a pas commis de faute dès lors que seule la réponse de la compagnie AGF est la cause du redressement fiscal et qu'en tout état, il justifie de ses diligences, sans qu'il ne puisse lui être reproché de ne pas avoir procédé à toutes les investigations utiles puisqu'il a pris la peine d'interroger la compagnie d'assurance sur le régime fiscal applicable et que cette dernière ayant refusé de communiquer la copie de ses contrats, il n'avait aucune raison de mettre en doute les termes de sa réponse claire du 28 novembre 2000 ; qu'ainsi, il a raisonné en appliquant la règle générale selon laquelle si le contrat d'assurance-vie est mentionné dans la déclaration d'ISF du souscripteur, en revanche, le capital ou la rente stipulés payables à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers, ne font pas partie de la succession ; qu'il constate que les contrats eux-mêmes prévoyaient que le fils de M. [O] [V] était l'assuré, qu'il y avait donc un démembrement de propriété, le fils étant nu-propriétaire, et que d'ailleurs, à l'appui de son redressement, l'administration fiscale a appliqué les dispositions de l'article 751 du code général des impôts, ce qui vient confirmer que seul l'assureur disposait des éléments pour permettre à M. [L] [V] de combattre la présomption de propriété au profit de l'usufruitier ; qu'il considère qu'il n'existe pas de lien, susceptible de permettre d'engager sa responsabilité, entre le redressement intervenu et le fait de ne pas avoir déclaré les contrats dans la succession, d'autant qu'il ne pouvait ni se substituer à l'assureur dont la réponse est à l'origine du redressement, ni prendre position pour le compte de l'héritier, lequel ne l'a pas informé de la difficulté, dès lors que seule l'instance a permis au notaire de découvrir que les contrats comportaient un démembrement de propriété, M. [O] [V] étant souscripteur et usufruitier et M. [L] [V], assuré, nu-propriétaire ;
Considérant que l'intimé, reprenant le bénéfice de son argumentation telle qu'exposée ci-dessus, fait valoir que même s'il appartient au client d'informer le notaire sur des faits dont ce dernier n'a pas une connaissance immédiate, il appartient au professionnel, chargé d'établir la déclaration de succession de poser toutes les questions utiles pour obtenir les éléments indispensables et qu'en l'espèce, la teneur de la lettre reçue de la compagnie d'assurance ne l'autorisait pas à considérer que les contrats seraient ' hors succession' et n'auraient pas à être déclarés ;qu'en présence à tout le moins d'une ambiguïté dans cette correspondance et faute d'avoir même envisagé de demander à l'assureur une copie des contrats souscrits, il a commis une faute en n'opérant pas les vérifications nécessaires ;
Considérant que c'est pertinemment que les premiers juges, pour caractériser la faute du notaire, ont relevé que ce dernier, disposant de la déclaration ISF 2000 qui montrait que les contrats souscrits par [O] [V] faisaient partie de son patrimoine, aurait dû être alerté par la contradiction existant entre ce qu'il supposait lui-même du régime de ces contrats et la réponse de l'assureur qui affirmait que M. [L] [V] étant l'assuré, le décès n'entraînait pas le règlement des contrats, lesquels deviennent la propriété de l'assuré ; que contrairement à ses affirmations, il n'a pas demandé dans son courrier du 6 novembre 2000 quel régime fiscal s'appliquait, que la rédaction de la réponse des AGF ne l'autorisait pas à considérer qu'il s'agissait de l'application de la règle générale selon laquelle M. [L] [V] était désigné en qualité de bénéficiaire des contrats, qu'il aurait dû approfondir, procéder à d'autres investigations et sachant qu'il n'est pas d'usage que les compagnies d'assurance communiquent spontanément la copie des polices qu'elle détiennent, prévoir de les lui demander, à défaut interroger les services fiscaux sur le régime applicable ; qu'en l'absence de quelconques diligences, le notaire a manqué à ses obligations et a engagé sa responsabilité, qu'en conséquence le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la faute de la Scp notariale ;
Sur le préjudice :
Considérant sur le préjudice, que l'appelant soutient que M. [V] ne peut exiger ni la restitution des honoraires exceptionnels dus selon l'article 4, destinés à couvrir des diligences exceptionnelles décrites dans un courrier du 1er Mars 2001 et dont il avait expressément accepté le principe, ni le remboursement de la somme de 29530 € représentant des pénalités de retard ne pouvant constituer un préjudice indemnisable puisque destinées à réparer le préjudice causé au fisc par l'encaissement tardif de l'impôt et à compenser l'avantage retiré par l'assujetti, d'autant que M. [V] ne justifie pas d'avoir payé ladite somme, ni enfin les honoraires versés certes au cabinet [Localité 6] Conseil mais pour quatre contentieux différents, dont le montant doit en conséquence être divisé par 4 au titre de l'intervention de ce cabinet pour obtenir la limitation des pénalités de retard ;
Considérant que l'intimé fait valoir qu'il aurait réglé sans retard s'il avait reçu en temps utile l'information et qu'il n'aurait pas eu d'intérêts de retard sans la faute commise ; que le taux des intérêts qui lui a été appliqué s'est élevé à 39, 75 %, ce qui excède très largement le taux des intérêts légaux et que donc une telle sanction est constitutive d'un préjudice indemnisable ; que s'agissant des honoraires versés à [Localité 6], l'appelant ne fournit pas de preuve de ce que le montant doit en être divisé par 4; que s'agissant des honoraires du notaire, dont la défaillance est constatée, il y a lieu à réduction des honoraires de 2000 € ;
Considérant que la cour doit se prononcer sur la nature de la somme finalement réclamée par l'administration fiscale d'un montant de 29 530 €, sur laquelle les parties s'opposent, le notaire soutenant qu'il ne s'agit que d'intérêts de retard tandis que M. [L] [V] la qualifie de pénalités ; qu'il ressort des pièces versées en particulier de la notification de redressement en date du 8 septembre 2005 que seuls des intérêts de retard prévus à l'article 1727 du code général des impôts ont été réclamés à M. [L] [V] sur le rappel de droits, lui étant spécifié que sa bonne foi n'était pas mise en cause et que ces intérêts de retard ne constituaient pas une sanction mais visaient à réparer le préjudice subi par le Trésor Public du fait du différé de paiement de l'impôt ; qu'au taux de 0, 75 % par mois de retard et pour 53 mois de retard, le taux applicable au rappel de droit a été de 39, 75 % et la somme réclamée de 116 823 €; que suite aux observations présentées par M. [L] [V], par un nouveau courrier du 5 janvier 2006, et compte tenu de la modification de la base rectifiée, les intérêts de retard ont été ramenés à la somme de 34 749 € ; qu'enfin, après intervention de son conseil le cabinet [Localité 6] Conseil, M. [L] [V] a obtenu que la somme réclamée à l'origine de 116 623 € soit ramenée à la somme de 29 530 € ; qu'en conséquence, ladite somme correspond, non pas à des pénalités mais à des intérêts de retard et ne saurait constituer un préjudice indemnisable puisqu'ils tendent seulement à réparer le préjudice subi par le Trésor Public du fait du différé de paiement de l'impôt, le contribuable ayant conservé entre-temps la disposition des fonds et eu la possibilité de les faire fructifier ; que le jugement sera réformé de ce chef ;
Considérant qu'au titre de son préjudice, M. [L] [V] demande encore le paiement des honoraires qu'il a été contraint de verser à la société [Localité 6] Conseil pour obtenir la réduction amiable des sommes réclamées par le fisc ; qu'il se fonde sur la facture en date du 1er septembre 2006 produite aux débats qui fait apparaître que la somme réclamée par le conseiller fiscal s'est élevée à la somme de 4186 € pour des prestations ainsi définies ' mémorandum, courriers et rendez-vous administration fiscale' ; que toutefois l'appelant soutient à bon droit qu'elle n'est pas précise quant à la nature du conseil délivré et, se référant à la notification de redressement et à la réponse de l'administration aux observations du contribuable qui fait mention de trois autres chefs de rectification, en déduit valablement qu'elle correspond, non pas seulement au redressement relatif aux contrats d'assurance-vie mais à l'étude des 4 chefs de redressement ; qu'en conséquence, M. [L] [V] est fondé à être remboursé par le notaire à hauteur du quart de la somme déboursée, soit de 1046, 50 € et que le jugement sera réformé de ce chef ;
Considérant, sur les honoraires exceptionnels versés au notaire en application de l'article 4 du décret du 8 mars 1968, qu'il ont certes été acceptés par l'héritier selon lettre du 1er Mars 2001, que cette lettre fait référence à la nature des diligences fondant ces honoraires, lesquelles concernent d'autres aspects du règlement de la succession, laquelle portait sur un actif élevé, que toutefois cet accord donné avant la découverte de la défaillance sus-abordée du notaire permet de considérer que la réduction desdits honoraires se justifie et de confirmer, dans ces conditions, l'appréciation des premiers juges qui ont fixé à 2000 € la somme dont le notaire devra restitution à son client ;
Considérant que la faute du notaire ayant été retenue, l'équité commande d'allouer à M. [L] [V] pour ses frais irrépétibles de procédure la somme de 4000 € ; que pour les mêmes motifs, les dépens d'appel seront supportés par le notaire ;
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement déféré uniquement sur le quantum de 33 716 € de dommages et intérêts alloués à M. [L] [V],
Statuant à nouveau de ce seul chef,
Condamne la société civile professionnelle Lieury-Kerneis-Seguin à payer à M. [L] [V] la somme de 1046,50 € à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice lié à la consultation du cabinet [Localité 6] Conseil,
Déboute M. [L] [V] de sa demande au titre d'un préjudice lié à des pénalités de retard,
Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions,
Condamne la société civile professionnelle Lieury-Kerneis-Seguin à payer à M. [L] [V] la somme de 4000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à payer les dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 dudit code.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT