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23/07/2010 | FRANCE | N°10/14028

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 1, 23 juillet 2010, 10/14028


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 1



ARRÊT DU 23 JUILLET 2010



(n° 330, 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 10/14028



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 01 Juillet 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/55842





APPELANTE



Madame [J] [A] épouse [I]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée p

ar la SCP DUBOSCQ - PELLERIN, avoués à la Cour

représentée par Me MAREMBERT, avocat au barreau de Paris





INTIMES



Monsieur [N] [V]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Chantal BODIN-CASALIS...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1

ARRÊT DU 23 JUILLET 2010

(n° 330, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/14028

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 01 Juillet 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/55842

APPELANTE

Madame [J] [A] épouse [I]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par la SCP DUBOSCQ - PELLERIN, avoués à la Cour

représentée par Me MAREMBERT, avocat au barreau de Paris

INTIMES

Monsieur [N] [V]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Chantal BODIN-CASALIS, avoué à la Cour

représenté par Me LE GUNEHEC, avocat au barreau de Paris

Monsieur [U] [H] [M]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Chantal BODIN-CASALIS, avoué à la Cour

représenté par Me LE GUNEHEC, avocat au barreau de Paris

Monsieur LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE

Près le tribunal de grande instance de PARIS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

défaillant

SA D'EXPLOITATION DE L'HEBDOMADAIRE LE POINT SEBDO

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Chantal BODIN-CASALIS, avoué à la Cour

représenté par Me LE GUNEHEC, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Juillet 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Alain GIRARDET, Président

Mme Brigitte CHOKRON, Conseillère

Madame Claire MONTPIED, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Florence BOURNAT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Alain GIRARDET, président et par Mme Florence BOURNAT, greffier présent lors du prononcé.

DÉCISION

L'hebdomadaire 'Le Point' publia dans son numéro 1970 du 17 juin 2010 , un article sous la signature d'[N] [V], annoncé en page de couverture par le bandeau suivant :$gt; . L'article intitulé 'les enregistrements secrets du maître d'hôtel' avait pour sous- titre 'Affaire [I] .Les conversations de la milliardaire avec ses proches, captées à leur insu, révèlent une femme sous influence' et était mis en ligne sur le site du magazine ; il y était relaté que le maître d'hôtel de Madame [J] [I] avait, un an durant à partir du mois de mai 2009, décidé de capter les conversations tenues dans la salle de l' hôtel particulier de [Localité 6] où elle tenait 'ses réunions d'affaires' avec certains de ses proches dont [D] [P] chargé de la gestion de sa fortune ; l'ensemble des enregistrements ainsi réalisés représentant 21 heures de conversations gravées sur plusieurs CDROM, fut remis à la fille de Madame [J] [I], [T] [I] [G] qui les transmit à la brigade financière de la police nationale. L'article reproduisait plusieurs entretiens privés que [J] [I] avait eu à son domicile avec son conseiller financier [D] [P], son notaire et brièvement [Z]- [K] [C] ;

Pour plus de précision sur le contexte de cette procédure, la cour renvoie expressément à l'exposé qu'en fait la décision déférée, étant simplement rappelé ici que la diffusion des enregistrements advient au moment où un litige oppose publiquement Madame [T] [I]-[G] à sa mère [J] [I], fille unique d'[X] [A], fondateur du groupe cosmétique L'Oréal, au sujet des libéralités dont celle-ci fait bénéficier Monsieur [Z]- [K] [C].

Par acte du 21 juin 2010, Madame [J] [I] assigna d'heure à heure le magazine Le Point , son directeur de publication, [Z]- [H] [M] , ainsi que le journaliste, [N] [V] pour, notamment, voir ordonner le retrait du site www.lepoint.fr de tout ou partie de la retranscription des enregistrements illicites réalisés à son domicile et désigner un séquestre chargé de se faire remettre la totalité des supports d'enregistrements clandestins ;

Par ordonnance en date du 1er juillet 2010, le juge des référés débouta [J] [I] de l'ensemble de ses demandes ;

Vu l'assignation pour plaider à jour fixe devant la cour aux termes de laquelle [J] [I] excipe d'une situation de péril née de la poursuite de la divulgation des enregistrements par la publication de nouveaux articles les 24 juin et les 1er juillet dernier et de l'incidence de leur diffusion sur le caractère équitable du procès actuellement pendant devant les tribunal de grande instance de Nanterre à la suite de la plainte déposée le 18 juin dernier par Madame [I], et fait grief à la décision déférée d'avoir méconnu le sens des dispositions de l'article 226-2 du Code pénal en recherchant si le trouble manifestement illicite était caractérisé au regard des dispositions de l'article 226-1 lequel vise expressément les atteintes à l'intimité de la vie privée, alors qu'il lui appartenait d'apprécier le trouble manifestement illicite au regard des seuls actes prévus à l'article 226-1 ; qu'elle ajoute que la publication des extraits en cause , en raison de leur provenance, caractérise l'infraction visée à l'article 226-2 et constitue dès lors un trouble manifestement illicite puisque d'évidence, les propos divulgués présentent un caractère privé et confidentiel ; elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté le moyen de nullité de l'assignation délivrée à l'hebdomadaire , à la constatation que la mise à disposition de propos pour la plupart couverts par le secret professionnel tenus à titre privé et/ou confidentiel, obtenus à l'insu de leurs auteurs à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 du Code pénal, mise à disposition visée et sanctionnée expressément par l'article 226-2 dudit code, constitue un trouble manifestement illicite au sens de l'article 809 du code procédure civile ; elle sollicite des mesures de retrait du site du magazine de toute retranscription des enregistrements, d'injonction de ne plus procéder à leur publication quelque soit le support, et de publication d'un communiqué judiciaire , avant de solliciter la condamnation in solidum des intimés à lui verser une provision de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

Vu les conclusions des intimés en date du 21 juillet qui soulèvent un moyen de nullité tenant à l'absence de validité de la requête aux fins d'autorisation d'assigner d'heure à heure , et deux moyens d'irrecevabilité tenant au cumul des actions engagées par Madame [I] et à la présentation de demandes nouvelles; au fond , ils exposent que les enregistrements diffusés ne concernent pas l'intimité de la vie privée de Madame [I] et qu'en tout cas , leur publication était légitime d'autant qu'ils révèlent des agissements potentiellement frauduleux ; les dispositions de l'article 226-2 du Code pénal dont se prévaut l'appelante sont inséparables de celles de l'article 226-1 du même code en sorte que seule la protection de l'intimité de la vie privée est assurée par le texte sur le fondement duquel l'appelante fonde ses prétentions ;ils concluent à l'infirmation de la décision déférée en ce qu'elle a rejeté les exceptions de nullité et moyens d'irrecevabilité qu'ils avaient soulevés et, subsidiairement ,à l'irrecevabilité des demandes nouvelles ainsi qu'à la confirmation de la décision entreprise.

Sur ce,

Sur le moyen de nullité

Considérant que les intimés exposent que la requête aux fins d'assignation d'heure à heure est nulle pour avoir été paraphée $gt; suivie d'une signature illisible alors que l'absence de signature de l'avocat postulant au pied de la requête constitue une nullité de fond telle que prévue et sanctionnée par l'article 117 du code de procédure civile ;

Mais considérant qu'il n'est pas contesté que Maître [O] a représenté les intérêts de Madame [I] en première instance et a confirmé que la requête avait été signée par sa collaboratrice à laquelle il avait donné pouvoir de le représenter ;

Que la qualité d'avocat de la signataire et de collaboratrice de l'avocat en charge de représenter les intérêts de [J] [I] , satisfait donc aux exigences de l'article 813 du code de procédure civile lequel énonce que 'la requête est présentée par un avocat.' ;

Que le moyen sera rejeté ;

Sur les moyens d'irrecevabilité

Considérant que les intimés soutiennent que l'appelante a déposé plainte, le 18 juin dernier, à l'occasion d'une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Nanterre du chef d'atteinte à l'intimité de sa vie privée , si bien qu'elle ne pourrait plus, même dans le cadre d'une action en référé, agir devant la juridiction civile ;

Mais considérant que quand bien même l'appelante aurait-t-elle déjà saisi le juge pénal des faits ici exposés , elle demeure recevable à saisir le juge des référés pour voir prononcer les mesures provisoires notamment d'interdiction de diffusion, que la situation qu'elle dénonce peut appeler ;

Considérant par ailleurs, que [J] [I] fait état de faits nouveaux consistant en la publication les 24 juin et 1er juillet 2010 d'autres extraits des enregistrements ;

Considérant cependant qu'il s'agit d'actes de publication distincts ayant trait à des contenus distincts de ceux analysés ci-après ;

Qu'il s'agit dès lors de prétentions nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile qui doivent être déclarées irrecevables en cause d'appel ;

Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite

-/ Considérant que [J] [I] soutient que la mise à disposition du public de propos que leurs auteurs ont tenus à titre privé et/ ou confidentiel et qui ont été enregistrés à leur insu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 du code pénal, est sanctionnée par l'article 226-2 dudit code et constitue en conséquence un trouble manifestement illicite;

Considérant ceci rappelé, que l'article 226-1 du code pénal énonce :

'Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende le fait , au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui:

1°/ en captant, enregistrant ou transmettant , sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;

2°/ en fixant, enregistrant ou transmettant , sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.

Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé'.

Que l'article 226-2 du Code pénal dispose quant à lui :

'Est puni des mêmes peines le fait de conserver , porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1".

Considérant que selon l'appelante le délit de l'article 226-2 du code pénal n'est pas un simple délit de conséquence qui supposerait à titre de condition préalable , la réunion des éléments constitutifs de l'infraction prévue à l'article 226-1 du même code, mais définit un délit qui est constitué dès lors que l'enregistrement ou le document porté à la connaissance du public a été obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 ;

Mais considérant que l'article 226-2 du code pénal ne peut être isolé du contexte dans lequel il s'insert ; qu'en effet il prend place au chapitre VI intitulé 'Des atteintes à la personnalité' et à la première section de ce chapitre qui traite exclusivement, comme le relèvent les intimés, 'De l'atteinte à la vie privée';

Considérant que par ailleurs , il souligne sa filiation par rapport à l'article qui le précède en prévoyant 'les mêmes peines'pour des actes de conservation ou d'usage de tout enregistrement 'obtenu à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1";

Qu'il suit que sauf à se méprendre sur la portée des ces dispositions qui, définissant une infraction pénale, ne peuvent qu'être strictement interprétées , l'article 226-2 n' englobe pas dans sa prévention tout enregistrement de propos effectué sans le consentement de l'auteur qui les as tenus , mais uniquement ceux qui portent 'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui', comme l'énonce en ouverture l'article 226-1 ;

Considérant que le seul fait que les propos diffusés aient été enregistrés sans le consentement de leurs auteurs, n'est donc pas en lui même suffisant pour constituer l'infraction de l'article 226-2 et, partant, pour qualifier de manifestement illicite le trouble causé par leur diffusion ;

Considérant que c'est ainsi à bon droit que le premier juge s'est penché sur le contenu des enregistrements diffusés sur le magazine pour examiner s'ils portaient ou non atteinte 'à l'intimité de la vie privée' de Madame [I] et si le droit de toute personne au respect de sa vie privée devait céder devant la liberté d'information par le texte ou par l'image ;

Considérant à cet égard que les entretiens litigieux portent sur les rapports entre Madame [I], Monsieur [C] et Monsieur [P], sur les libéralités consenties par cette dernière et sur la gestion patrimoniale et financière dont Monsieur [P] rendait compte à Madame [I] ;

Que l'appelante n'établit ni ne soutient d'ailleurs que les propos diffusés porteraient atteinte à l'intimité de sa vie privée au sens de l'article 226-1 précité ;

Que la cour fera donc sienne l'analyse que le premier juge donne de ces entretiens au terme de laquelle il apparaît que l'ensemble des propos litigieux sont de nature professionnelle et patrimoniale et rendent compte des relations que [J] [I] pouvait entretenir avec celui qui gérait sa fortune ;

-/ Considérant que [J] [I] évoque par ailleurs, de façon générale, le fait que certains des enregistrements concernent des échanges qu'elle a pu avoir avec son notaire et avance qu'ils seraient alors couverts par le secret professionnel ;

Considérant toutefois, qu'elle n'en fait pas l'analyse et n' identifie pas ceux qui en raison de leur objet seraient susceptibles d'être couverts par ce secret ;

Que le moyen manque dès lors en fait ;

-/ Considérant enfin que Madame [I] ne démontre aucunement en quoi la publication de ces enregistrements serait de nature à affecter ses ' chances de bénéficier d'un procès équitable' dans le différent qui l'oppose à sa fille ;

Considérant qu'il sera observé en revanche que les informations ainsi révélées qui mettent en cause la principale actionnaire de l'un des premiers groupes industriels français, et dont l'activité et les libéralités font l'objet de très nombreux commentaires publics, relèvent de la légitime information du public ; qu'il en est a fortiori de même lorsque ces informations, mettent en cause l'employeur de la femme d'un ministre de la République, alors trésorier d'un parti politique ;

Que l'ensemble de ces éléments appréciés dans le cadre de l'équilibre recherché entre le droit au respect de la vie privée et la liberté d'information, conduit à la confirmation de la décision déférée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevables les prétentions nouvelles de Madame [J] [I] ;

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ,

Condamne Madame [J] [I] aux dépens qui seront recouvrés dans les formes de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 10/14028
Date de la décision : 23/07/2010

Références :

Cour d'appel de Paris A1, arrêt n°10/14028 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-07-23;10.14028 ?
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