Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 23 JUILLET 2010
(n° 329 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/13989
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 01 Juillet 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/55839
APPELANTE
Madame [Z] [C] épouse [E]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par la SCP DUBOSCQ - PELLERIN, avoués à la Cour
représentée par Me Georges KIEJMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : B249
représentée par Me MAREMBERT, avocat au barreau de Paris
INTIMES
Monsieur [R] [K]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me ETEVENARD, barreau de Paris
SAS EDITRICE DE MEDIAPART
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me ETEVENARD, barreau de Paris
Monsieur [R] [P]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me ETEVENARD, barreau de Paris
Monsieur [N] [B]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me ETEVENARD, barreau de Paris
Monsieur PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE
Tribunal de Grande Instance de PARIS
[Adresse 2]
[Localité 3]
défaillant
PARTIE INTERVENANTE :
Monsieur [U] [O]
représenté par Me CHARRIERE BOURAZEL
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Juillet 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Alain GIRARDET, Président
Mme Brigitte CHOKRON, Conseillère
Madame Claire MONTPIED, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Florence BOURNAT
ARRET :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Alain GIRARDET, président et par Mme Florence BOURNAT, greffier présent lors du prononcé.
DÉCISION
Le journal en ligne Médiapart dont Monsieur [N] [B] est le directeur de la publication, diffusa le 14 juin 2010, un article intitulé '[Y] , [W] , fraude fiscale : les secrets volés de l'affaire [E]', sous la signature de [R] [K] et de [R] [P], dans lequel il était relaté que le maître d'hôtel de madame [Z] [E] avait, un an durant à partir du mois de mai 2009, décidé de 'piéger la milliardaire et son entourage' en captant les conversations tenues dans la salle de son hôtel particulier de [Localité 5] où elle tenait 'ses réunions d'affaires' avec certains de ses proches dont [F] [X] chargé de la gestion de sa fortune ; l'ensemble des enregistrements ainsi réalisés représentant 21 heures de conversations gravées sur plusieurs CDROM, fut remis à la fille de Madame [Z] [E], [V] [E] [G] qui les transmit à la brigade financière de la police nationale. L'article diffusé par Médiapart reprit certains des propos échangés en les regroupant en quatre 'actes' intitulés ' les interférences de l'Elysée', 'les relations avec [T] et [A] [W]','les comptes suisses secrets' et' la succession de [Z] [E]'; d'autres extraits ou verbatims furent mis en ligne les 16, 17 et 21 juin suivant sous les titres 'Madame [W]' , 'On lui donnera de l'argent parce que c'est trop dangereux' , ' Affaire [E]' ' J'ai peur que le fisc tire un fil' et 'Trois chèques, trois questions';
Pour plus de précision sur le contexte de cette procédure, la cour renvoie expressément à l'exposé qu'en fait la décision déférée, étant simplement rappelé ici que la diffusion des enregistrements advient au moment où un litige oppose publiquement Madame [V] [E]-[G] à sa mère [Z] [E], fille unique d'[J] [C], fondateur du groupe cosmétique L'Oréal, au sujet des libéralités dont celle-ci a fait bénéficier Monsieur [L] [H].
Par acte du 22 juin 2010, Madame [Z] [E] assigna d'heure à heure la société Médiapart, Messieurs [N] [B] ,[R] [K] et [R] [P] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris pour, notamment, voir ordonner le retrait du site de la société Médiapart de tout ou partie de la transcription des enregistrements illicites réalisés à son domicile et désigner un séquestre chargé de se faire remettre la totalité des supports d'enregistrements clandestins ;
Par ordonnance en date du 1er juillet 2010, le juge des référés débouta [Z] [E] de l'ensemble de ses demandes ;
Vu l'assignation pour plaider à jour fixe devant la cour en date du 12 juillet 2010 aux termes de laquelle [Z] [E] excipe d'une situation de péril née de la poursuite de la divulgation des enregistrements et de l'incidence de leur diffusion sur le caractère équitable du procès actuellement pendant devant le tribunal de grande instance de Nanterre, et fait grief à la décision déférée d'avoir méconnu le sens des dispositions de l'article 226-2 du Code pénal en recherchant si le trouble manifestement illicite était caractérisé au regard des dispositions de l'article 226-1 lequel vise expressément les atteintes à l'intimité de la vie privée, alors qu'il lui appartenait d'apprécier le trouble manifestement illicite au regard des seuls actes prévus à l'article 226-1 ; elle ajoute que la publication des extraits en cause , en raison de leur provenance , caractérise l'infraction visée à l'article 226-2 et constitue dès lors un trouble manifestement illicite puisque d'évidence, les propos divulgués présentent un caractère privé et confidentiel ; elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté le moyen de nullité de l'assignation délivrée au journal en ligne Médiapart, à la constatation que la mise à disposition de propos pour la plupart couverts par le secret professionnel tenus à titre privé et/ou confidentiel , obtenus à l'insu de leurs auteurs à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 du Code pénal , mise à disposition visée et sanctionnée expressément par l'article 226-2 dudit code, constitue un trouble manifestement illicite au sens de l'article 809 du code procédure civile ; elle sollicite des mesures de retrait du site de la société Médiapart de la transcription des enregistrements, d'injonction de ne plus procéder à leur publication quelque soit le support, et de publication d'un communiqué judiciaire , avant de solliciter la condamnation in solidum des intimés à lui verser une provision de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Vu les conclusions des intimés en date du 21 juillet qui soulèvent deux moyens de nullité tenant à la validité de la requête aux fins d'autorisation d'assigner d'heure à heure et à l'insuffisance d'indication dans l'assignation des propos incriminés et deux moyens d'irrecevabilité tenant à l'absence d'urgence et à la présentation de demandes nouvelles; au fond, ils font valoir qu' ont été exclus des transcriptions les passages qui pourraient relever de la vie privée et que les dispositions de l'article 226-2 du Code pénal dont se prévaut l'appelante sont inséparables de celles de l'article 226-1 du même code en sorte que seule la protection de la vie privée est assurée par ces textes ; ils relèvent alors que le choix des passages opéré par Médiapart dont rend compte les titres qui les introduisent , démontre qu'ont été privilégiées les informations présentant un caractère d'intérêt public ; ils concluent à l'infirmation de la décision déférée en ce qu'elle a rejeté les exception de nullité et, subsidiairement, à sa confirmation au fond.
Sur ce,
Sur les moyens de nullité
Considérant que les intimés exposent que la requête aux fins d'assignation d'heure à heure est nulle pour avoir été paraphée $gt; suivie d'une signature illisible alors que l'absence de signature de l'avocat postulant au pied de la requête constitue une nullité de fond telle que prévue et sanctionnée par l'article 117 du code de procédure civile ;
Mais considérant qu'il n'est pas contesté que Maître [D] a représenté les intérêts de Madame [E] en première instance et a confirmé que la requête avait été signée par sa collaboratrice à laquelle il avait donné pouvoir de le représenter ;
Que la qualité d'avocat de la signataire et de collaboratrice de l'avocat en charge de représenter les intérêts de [Z] [E] , satisfait donc aux exigences de l'article 813 du code de procédure civile lequel énonce que 'la requête est présentée par un avocat ' ;
Que le moyen sera rejeté;
Considérant que les intimés font valoir que l'assignation ne contient aucun des propos précis que la demanderesse incrimine et qu'ils ont été ainsi entravés dans l'exercice de leur défense ;
Mais considérant que comme le relève pertinemment le premier juge par des motifs que la cour fait siens , l'assignation indique de façon précise que l'action est engagée pour qu'il soit mis fin à un trouble manifestement illicite né de l'enregistrement de la totalité des conversations effectuées sans le consentement de leurs auteurs et de leur retranscription sur le site de Médiapart ;
Que d'ailleurs les écritures des intimés démontrent qu'en première instance comme en appel ils ne se sont pas mépris sur les griefs qui étaient formulés à leur encontre , puisqu'ils y ont complètement répondu ;
Que ce moyen de nullité n'est donc pas plus fondé que le précédent ;
Sur les moyens d'irrecevabilité
Considérant que s'agissant du prétendu défaut d'urgence tiré du fait que les premières retranscription ont été publiées le 16 juin 2010, il sera simplement rappelé que l'existence de l'urgence alléguée a été appréciée par le juge qui a autorisé l'assignation à heure indiquée et que le juge des référés n'a pas à se prononcer sur la pertinence de cette appréciation ;
Considérant que [Z] [E] fait état pour la première fois en cause d'appel de la publication les 24 et 28 juin dernier sur le site de Médiapart, de nouveaux passages des enregistrements ;
Considérant cependant qu'il s'agit d'actes de publication distincts ayant trait à des contenus distincts de ceux analysés ci-après ;
Qu'il s'agit dès lors de prétentions nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile qui doivent être déclarées irrecevables en cause d'appel;
Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite
Considérant que sont en débats les enregistrements publiés les 14, 16, 17, et 21 juin 2010 sur le site www.mediapart.fr dans les cadre de quatre articles des journalistes [R] [K] et [R] [P] intitulés :
$gt;
$gt;
$gt;
$gt;;
-/ Considérant que [Z] [E] soutient que la mise à disposition du public de propos que leurs auteurs ont tenus à titre privé et/ ou confidentiel et qui ont été enregistrés à leur insu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 du code pénal, est sanctionnée par l'article 226-2 dudit code et constitue en conséquence un trouble manifestement illicite;
Considérant ceci rappelé , que l'article 226-1 du code pénal énonce :
'Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende le fait , au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui:
1°/ en captant, enregistrant ou transmettant , sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel;
2°/ en fixant, enregistrant ou transmettant , sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.
Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé'.
Que l'article 226-2 du Code pénal dispose quant à lui:
$gt;.
Considérant que selon l'appelante le délit de l'article 226-2 n'est pas un simple délit de conséquence qui supposerait à titre de condition préalable, la réunion des éléments constitutifs de l'infraction prévue à l'article 226-1, mais définit un délit qui est constitué dès lors que l'enregistrement ou le document porté à la connaissance du public a été obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 ;
Mais considérant que l'article 226-2 ne peut être isolé du contexte dans lequel il s'insert ; qu'en effet il prend place au chapitre VI intitulé 'Des atteintes à la personnalité' et à la première section de ce chapitre qui traite exclusivement , comme le relèvent les intimés, ' De l'atteinte à la vie privée';
Considérant que par ailleurs , il souligne sa filiation par rapport à l'article qui le précède en prévoyant 'les mêmes peines'pour des actes de conservation ou d'usage de tout enregistrement 'obtenu à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1";
Qu'il suit que sauf à se méprendre sur la portée des ces dispositions qui, définissant une infraction pénale, ne peuvent qu'être strictement interprétées , l'article 226-2 n' englobe pas dans sa prévention tout enregistrement de propos effectué sans le consentement de l'auteur qui les as tenus , mais uniquement ceux qui portent 'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui' , comme l'énonce en ouverture l'article 226-1 ;
Considérant que le seul fait que les propos diffusés aient été enregistrés sans le consentement de leurs auteurs, n'est donc pas en lui même suffisant pour constituer l'infraction à l'article 226-2 et, ce faisant, pour qualifier de manifestement illicite le trouble causé par leur diffusion ;
Considérant que c'est ainsi à bon droit que le premier juge s'est penché sur le contenu des enregistrements diffusés sur le site de Médiapart pour examiner s'ils portaient ou non atteinte 'à l'intimité de la vie privée ' de Madame [E] et si le droit de toute personne au respect de sa vie privée devait céder devant la liberté d'information par le texte ou par l'image ;
Considérant à cet égard que les entretiens publiés par les articles litigieux concernent principalement la gestion du patrimoine de [Z] [E] et les liens qu'elle entretient ou a pu entretenir avec différentes personnalités politiques ;
Que [Z] [E] n'établit ni ne soutient d'ailleurs que les propos diffusés porteraient atteinte à l'intimité de sa vie privée au sens de l'article 262-1 précité ;
Que la cour fera donc sienne l'analyse que le premier juge donne de ces entretiens au terme de laquelle il apparaît que l'ensemble des propos litigieux sont de nature professionnelle pour [F] [X] et exclusivement patrimoniale pour [Z] [E];
Considérant que [Z] [E] évoque par ailleurs, de façon générale, le fait que certains des enregistrements concernent des échanges qu'elle a pu avoir avec ses conseils et avance qu'ils seraient alors couverts par le secret professionnel ;
Considérant toutefois , qu'elle n'en fait pas l'analyse et n' identifie pas ceux qui en raison de leur objet seraient susceptibles d'être couverts par ce secret ;
Que le moyen manque dès lors en fait ;
Considérant enfin que l'appelante ne démontre aucunement en quoi la publication de ces enregistrements pourraient 'réduire ses chances de bénéficier d'un procès équitable'dans le cadre du procès qui l'oppose à sa fille;
Considérant qu'il sera observé en revanche que les informations ainsi révélées qui mettent en cause la principale actionnaire de l'un des premiers groupes industriels français, et dont l'activité et les libéralités font l'objet de très nombreux commentaires publics , relèvent de la légitime information du public ; qu'il en est a fortiori de même lorsque ces informations, concernent l'employeur de la femme d'un ministre de la République , alors trésorier d'un parti politique;
Que l'ensemble de ces éléments appréciés dans le cadre de l'équilibre recherché entre le droit au respect de la vie privée et la liberté d'information, conduit à la confirmation de la décision déférée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevables les prétentions nouvelles de Madame [Z] [E] ;
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Madame [Z] [E] aux dépens qui seront recouvrés dans les formes de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,