Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRÊT DU 23 JUILLET 2010
(n° 332, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/13414
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 01 Juillet 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/55841
APPELANT
Monsieur [M] [V]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour
représenté par Me WILHELM, avocat au barreau de Paris
INTIMES
Monsieur [X] [U]
Société Editrice de Médiapart
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me MIGNARD et TORDJMAN
S.A.S. EDITRICE DE MEDIAPART prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me MIGNARD et TORDJMAN
Monsieur [X] [A]
Société Editrice de Médiapart
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me MIGNARD et TORDJMAN
Monsieur [N] [O]
Société Editrice de Médiapart
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me MIGNARD et TORDJMAN
Monsieur LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE T.G.I. DE PARIS
Tribunal de Grande Instance de PARIS
[Adresse 2]
[Localité 3]
défaillant
Partie intervenante :
M. [F] [H]
représenté par SCP BOLLING DURAND LALLEMAND
représenté par Me CHARRIERE BOURNAZEL, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Juillet 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Alain GIRARDET, Président
Mme Brigitte CHOKRON, Conseillère
Madame Claire MONTPIED, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Florence BOURNAT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Alain GIRARDET, président et par Mme Florence BOURNAT, greffier présent lors du prononcé.
DÉCISION
Le journal en ligne Médiapart dont Monsieur [N] [O] est le directeur de la publication, diffusa le 14 juin 2010, un article intitulé '[Y], [T], fraude fiscale : les secrets volés de l'affaire [J]', sous la signature de [X] [U] et de [X] [A], dans lequel il était relaté que le maître d'hôtel de madame [R] [J] avait, un an durant à partir du mois de mai 2009, décidé de 'piéger la milliardaire et son entourage' en captant les conversations tenues dans la salle de son hôtel particulier de [Localité 5] où elle tenait 'ses réunions d'affaires' avec certains de ses proches dont [M] [V] chargé de la gestion de sa fortune ; l'ensemble des enregistrements ainsi réalisés représentant 21 heures de conversations gravées sur plusieurs CDROM, fut remis à la fille de Madame [R] [J], [S] [J] [W], qui les transmit à la brigade financière de la police nationale. L'article diffusé le 14 juin, fut suivi d'autres diffusions les 17 et 21 juin portant plus spécialement sur la retranscription d'échanges entre Monsieur [V] et Madame [R] [J] ;
Pour plus de précision sur le contexte de cette procédure, la cour renvoie expressément à l'exposé qu'en fait la décision déférée, étant simplement rappelé ici que la diffusion des enregistrements advient au moment où un litige oppose publiquement Madame [S] [J]-[W] à sa mère [R] [J], fille unique d'[B] [C], fondateur du groupe cosmétique L'Oréal, au sujet des libéralités dont celle-ci a fait bénéficier Monsieur [I] [K].
Par acte du 22 juin 2010, [M] [V] assigna d'heure à heure la société Médiapart, Messieurs [N] [O], directeur de la publication du journal en ligne Mediapart, [X] [U] et [X] [A], journalistes, devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris pour, notamment, voir ordonner le retrait du site de la société Médiapart de tout ou partie de la transcription des enregistrements illicites réalisés au domicile de [R] [J], l'interdiction de toute nouvelle publication de ces retranscriptions et la publication d'un communiqué judiciaire ;
Par ordonnance en date du 1er juillet 2010, le juge des référés débouta [M] [V] de l'ensemble de ses demandes ;
Vu les conclusions récapitulatives en date du 21 juillet 2010 aux termes desquelles [M] [V] soutient que l'intervention volontaire d'[H] [F] est irrecevable et fait grief à la décision déférée d'avoir méconnu le sens des dispositions de l'article 226-1 du Code pénal en restreignant leur portée, alors qu'il lui appartenait d'apprécier le trouble manifestement illicite causé par l'enregistrement, à l'insu de leurs auteurs, de conversations échangées dans une sphère privée ; la publication des extraits en cause, en raison de leur provenance, caractérise, selon lui, l'infraction visée à l'article 226-1 du code pénal et celle de l'article 226-2 du code pénal reprochée aux intimés et constitue, ce faisant, un trouble manifestement illicite ; il conclut à l'infirmation de l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté le moyen de nullité de l'assignation délivrée au journal en ligne Médiapart et sollicite des mesures de retrait du site de la société Médiapart des enregistrements retranscrits, d'injonction de ne plus procéder à leur publication quelque soit le support, et de publication d'un communiqué judiciaire, avant de solliciter la condamnation in solidum des intimés à lui verser une provision de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Vu les conclusions des intimés en date du 21 juillet 2010 qui soulèvent un moyen de nullité tiré de l'insuffisante énonciation dans l'assignation des propos incriminés et un moyen d'irrecevabilité tenant à l'absence d'urgence ; au fond, ils font valoir que la diffusion d'une partie de ces enregistrements dont ont été exclus les passages qui pourraient relever de la vie privée , répond à un but légitime d'information du public et que les dispositions de l'article 226-2 du Code pénal dont se prévaut l'appelante sont inséparables de celles de l'article 226-1 du même code en sorte que seule la protection de la vie privée est assurée par ces textes ; ils relèvent alors que le choix des passages opéré par Médiapart dont rend compte les titres qui les introduisent, démontre qu'ont été privilégiées les informations présentant un caractère d'intérêt public ; ils concluent à l'infirmation de la décision déférée en ce qu'elle a rejeté les exception de nullité et, subsidiairement, à sa confirmation au fond.
Sur ce,
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de Monsieur [H] [F] ;
Considérant que Monsieur [H] [F] fait valoir qu'il a été informé par voie de presse que Madame [G] [T] avait porté plainte contre lui auprès du doyen des juges d'instruction pour diffamation publique, au motif qu'il l'aurait accusée d'avoir concouru à la fraude fiscale qu'aurait commise Madame [R] [J] dont elle était la salariée à travers une société Clymène ;
Qu'il considère que si les enregistrements de conversations rendus publics par Médiapart font l'objet d'une saisie ou d'une mise sous séquestre, il ne pourra notifier, le moment venu, la transcription des enregistrements litigieux au titre de l'offre de preuve de la vérité dans le procès en diffamation qui serait intenté contre lui ;
Mais considérant qu'aucune demande de saisie ou de mise sous séquestre des enregistrements et/ou de leur transcription n'est formée par [M] [V] ;
Que les demandes dont la cour est saisie ne portent que sur l'usage de ces pièces et spécialement leur diffusion par voie de presse ;
Que l'intervention volontaire de Monsieur [F] est irrecevable pour défaut d'intérêt ;
Sur le moyen de nullité tiré de l'atteinte aux droits de la défense ;
Considérant que les intimés exposent que l'assignation ne contient aucun des propos précis que Monsieur [V] incrimine et qu'ils ont été ainsi entravés dans l'exercice de leur défense ;
Mais considérant que comme le relève pertinemment le premier juge par des motifs que la cour fait siens, l'assignation indique de façon précise que l'action est engagée pour qu'il soit mis fin à un trouble manifestement illicite né de l'enregistrement de la totalité des conversations effectué sans le consentement de leurs auteurs et de leur transcription sur le site de Médiapart ;
Que d'ailleurs les écritures des intimés démontrent qu'en première instance comme en appel ils ne se sont pas mépris sur les griefs qui étaient formulés à leur encontre, puisqu'ils y ont complètement répondu ;
Que ce moyen de nullité n'est donc pas fondé ;
Sur le moyen d'irrecevabilité ;
Considérant que s'agissant du prétendu défaut d'urgence tiré du fait que les premières retranscriptions ont été publiées le 14 juin 2010, il sera simplement rappelé que l'existence de l'urgence alléguée a été appréciée par le juge qui a autorisé l'assignation à heure indiquée et que le juge des référés n'a pas à se prononcer sur la pertinence de cette appréciation ;
Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite ;
Considérant que [M] [V] soutient que la mise à disposition du public de propos que leurs auteurs ont tenus à titre privé et/ou confidentiel et qui ont été enregistrés à leur insu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 du code pénal, est sanctionnée par l'article 226-2 dudit code et constitue en conséquence un trouble manifestement illicite;
Qu'il précise encore que pour que le délit prévu à l'article 226-1 du code pénal soit constitué, il suffit que les propos irrégulièrement enregistrés portent sur des faits de nature confidentielle ou privée et, même qu'ils aient été échangés dans une sphère privée ;
Considérant ceci rappelé , que l'article 226-1 du code pénal énonce :
'Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende le fait , au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui:
1°/ en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2°/ en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.
Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé'.
Que l'article 226-2 du Code pénal dispose quant à lui:
'Est puni des mêmes peines le fait de conserver , porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1".
Considérant que ces articles ne peuvent être isolés du contexte dans lequel il s'insèrent ; qu'en effet, ils prennent place au chapître VI intitulé 'Des atteintes à la personnalité' et à la première section de ce chapitre qui traite exclusivement, comme le relèvent les intimés, ' De l'atteinte à la vie privée';
Considérant par ailleurs, que l'article 226-2 du code pénal souligne sa filiation par rapport à l'article qui le précède en prévoyant 'les mêmes peines'pour des actes de conservation ou d'usage de tout enregistrement 'obtenu à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1";
Qu'il suit que sauf à se méprendre sur la portée de ces dispositions qui, définissant une infraction pénale ne peuvent qu'être strictement interprétées, l'article 226-2 du code pénal n' englobe pas dans sa prévention la diffusion de tout enregistrement de propos échangés 'dans la sphère privée', sans le consentement de l'auteur qui les a tenus, mais uniquement ceux qui portent 'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui', comme l'énonce en ouverture l'article 226-1 du code pénal ;
Que relèvent par essence de l'intimité de la vie privée, la vie affective et sentimentale, la vie familiale ainsi que la santé physique et mentale de la personne ;
Considérant qu'il suit que le seul fait que les propos diffusés aient été enregistrés sans le consentement de leurs auteurs, n'est donc pas en lui même suffisant pour qualifier de manifestement illicite le trouble causé par leur diffusion ;
Considérant que c'est dès lors à bon droit que le premier juge s'est penché sur le contenu des enregistrements diffusés sur le site de Médiapart pour examiner s'ils portaient ou non atteinte 'à l'intimité de la vie privée' des protagonistes de ces entretiens et si le droit de toute personne au respect de sa vie privée devait céder devant la liberté d'information par le texte ou par l'image;
Considérant à cet égard que les entretiens publiés par les articles litigieux et incriminés par l'appelant concernent en premier lieu la gestion du patrimoine de [R] [J] ;
Que l'appelant n'établit ni ne soutient d'ailleurs que les propos diffusés porteraient atteinte à l'intimité de sa vie privée au sens de l'article 226-1 précité ;
Que la cour fera donc sienne l'analyse que le premier juge donne de ces entretiens au terme de laquelle il apparaît que l'ensemble des propos litigieux sont de nature professionnelle pour [M] [V] et patrimoniale pour [R] [J] ;
Considérant qu'il sera observé enfin que les informations ainsi révélées qui mettent en cause la principale actionnaire de l'un des premiers groupes industriels français, et dont l'activité et les libéralités font l'objet de très nombreux commentaires publics, relèvent de la légitime information du public ; qu'il en est a fortiori de même lorsque ces informations, concernent l'employeur de la femme d'un ministre de la République, alors trésorier d'un parti politique ;
Que l'ensemble de ces éléments appréciés dans le cadre de l'équilibre recherché entre le droit au respect de la vie privée et le droit à l'information, conduit à la confirmation de la décision déférée.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant que l'équité ne commande pas de prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevable l'intervention de Monsieur [H] [F] ;
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne Monsieur [M] [V] aux dépens qui seront recouvrés dans les formes de l'article 699 du Code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,