Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRÊT DU 30 JUIN 2010
(n° , 06 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/14151
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Juillet 2008 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2007052500
APPELANTE
La société LABRADOR, S.A.S
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
ayant son siège [Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par la SCP GERIGNY-FRENEAUX, avoués à la Cour
assistée de Me Denis MONEGIER DU SORBIER, avocat au barreau de Paris, toque L 295
INTIMÉES
La société RR DONNELLEY PRINTING FRANCE, S.A.R.L.
Prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège [Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par la SCP MENARD - SCELLE-MILLET, avoués à la Cour
assistée de Me Pascal LEFORT, avocat au barreau de Paris, toque P 75
plaidant pour DUCLOS - THORNE - MOLLET - VIEVILIE & ASSOCIÉS
La société RR DONNELLEY U.K. LIMITED, SARL
Prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège [Adresse 6]
[Localité 5]
dont le domicile est élu en l'étude de la SCP MENARD - SCELLE-MILLET, avoués à la Cour
assistée de Me Pascal LEFORT, avocat au barreau de Paris, toque P 75
plaidant pour DUCLOS - THORNE - MOLLET - VIEVILIE & ASSOCIÉS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Mai 2010, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Didier PIMOULLE, Président, et Madame Brigitte CHOKRON, conseillère, chargés d'instruire l'affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Didier PIMOULLE, Président
Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère
Madame Anne-Marie GABER, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Melle Aurélie GESLIN
ARRÊT :- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président et par Mademoiselle Aurélie GESLIN, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu l'appel interjeté le 11 juillet 2008 par la société LABRADOR (SAS), du jugement rendu le 3 juillet 2008 par lequel le tribunal de grande instance de Paris, statuant dans l'instance l'opposant aux sociétés RR DONNELLEY PRINTING FRANCE (SARL) et RR DONNELLEY UK Ltd, l'a déclarée irrecevable et mal fondée en ses demandes ;
Vu les ultimes écritures de la société appelante, signifiées le 10 mai 2010 ;
Vu les dernières conclusions des sociétés intimées, signifiées le 7 mai 2010 ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 11 mai 2010 ;
SUR CE, LA COUR,
Considérant qu'il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure, au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :
- la société LABRADOR, créée en 1992, spécialisée dans le domaine de l'édition des documents financiers, expose avoir réalisé depuis 2003 pour la société TOTAL les avis de convocation aux assemblées générales et les brochures de présentation de ces assemblées et en 2006 les documents de références des sociétés TOTAL et GAZ DE FRANCE,
- exposant avoir été évincée l'année suivante au bénéfice de la société RR DONNELLEY PRINTING FRANCE et découvert que cette dernière avait pu proposer des prix plus compétitifs pour la seule raison qu'elle avait copié ses créations originales, la société LABRADOR a, suivant actes des 17 et 18 juillet 2007, assigné les sociétés RR DONNELLEY PRINTING FRANCE (ci-après RR DONNELLEY) et RR DONNELLEY UK Ltd en contrefaçon de ses droits d'auteur et en concurrence déloyale devant le tribunal de commerce de Paris qui l'a déclarée irrecevable à agir en contrefaçon faute de justifier de la qualité d'auteur et mal fondée pour le surplus des demandes,
- la société LABRADOR prie la cour, statuant à nouveau, de lui donner acte de ce qu'elle abandonne les demandes dirigées contre la société de droit anglais RR DONNELLEY UK Ltd, de dire et juger que les mises en page qu'elle a créées pour le compte des sociétés TOTAL et GAZ DE FRANCE constituent des oeuvres de l'esprit protégeables au sens des dispositions du Livre I du Code de la propriété intellectuelle, que la société RR DONNELLEY a commis des actes de contrefaçon en reproduisant ces mises en page, qu'elle a commis en outre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, la condamner en conséquence à lui payer les sommes de 2 982 553 euros et à tout le moins de 2 386 350 à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice de contrefaçon, de 580 072 euros au titre du préjudice de concurrence déloyale, de 1 342 500 euros au titre du parasitisme, de 75 000 euros enfin en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, ordonner une mesure de publication,
- les sociétés intimées demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris, de rejeter les pièces 46 et 49 produites par la société appelante et de condamner cette dernière à lui payer la somme de 200 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive outre celle de 75 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Sur la mise hors de cause de la société RR DONNELLEY UK Ltd,
Considérant que la société LABRADOR renonce à ses prétentions contre la société RR DONNELLEY UK Ltd qui sera, par confirmation du jugement entrepris, mise hors de cause ;
Sur la demande de rejet de pièces,
Considérant que les pièces querellées sont des rapports respectivement établis par la société C2G et par [V] [G] sur le préjudice subi par la société LABRADOR des suites des actes litigieux, versés aux débats le 13 avril 2010 ;
Considérant que la clôture devant intervenir le 11 mai suivant, la société intimée a bénéficié d'un délai suffisant pour prendre connaissance de ces pièces et présenter le cas échéant ses observations, ce qu'elle n'a pas manqué de faire par ses écritures signifiées le 7 mai 2010, aux termes desquelles elle se livre à une contestation de l'ensemble des chefs de préjudice allégués par la société LABRADOR ;
Qu'aucune atteinte au principe du contradictoire n'étant à déplorer, il n' y a pas lieu d'écarter les pièces en cause ;
Sur la contrefaçon,
Considérant que la société LABRADOR se prétend investie des droits de l'auteur, tant patrimoniaux que moraux, sur les mises en page de quatre documents, chacun dans sa version française et dans sa version anglaise, soit au total huit documents, à savoir :
- pour le compte de la société TOTAL :
* le document de référence 2006 (260 pages),
* l'avis de convocation à l'assemblée générale 2007 (32 pages),
* la brochure de présentation de l'assemblée générale 2007 (64 pages),
- pour le compte de la société GAZ DE FRANCE :
* le document de référence 2006 (382 pages) ;
Considérant qu'en vertu des dispositions des articles L.111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, les droits de l'auteur sont attachés à toute création, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination , à la condition toutefois que cette création soit originale c'est-à-dire qu'elle porte la marque de la personnalité de son auteur ;
Que l'auteur est, au sens des dispositions précitées, la personne physique qui a fait oeuvre de création ;
Qu'une personne morale ne peut, en effet, être investie à titre originaire des droits de l'auteur que dans le cas d'une oeuvre collective, c'est-à-dire, au sens des dispositions de l'article L.113-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, une oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ;
Que, selon la société LABRADOR, les mises en page revendiquées constituent des oeuvres collectives répondant à la définition précitée et présentent un caractère original résultant de la combinaison de différents éléments tels que :
- l'éclatement des sommaires en un sommaire principal et différents sommaires détaillés par chapitre,
- l'adoption d'une mise en page spécifique pour ces deux types de sommaires se caractérisant par :
* le choix des couleurs utilisées,
* la typographie et la configuration des textes et des titres,
* l'adoption de liserés supérieurs et inférieurs de couleur (reliés entre eux, pour les sommaires, par une fine bande de la même couleur),
* le positionnement, la typographie et la dimension des titres et sous-titres,
* la numérotation des pages et des chapitres , ainsi que leur présentation et leur positionnement, et
* le surlignage particulier des graphiques ;
Or considérant que la cour observe, à l'instar du tribunal, que les documents de référence TOTAL et GAZ DE FRANCE portent les mentions LABRADOR 0153063080 inscrites en quatrième page de couverture, en tous petits caractères et à la verticale ;
Qu'à l'inverse, ces documents font apparaître respectivement en première page de couverture ainsi qu'au bas de chacune des pages les composant, en caractères gras, les mentions TOTAL et GAZ DE FRANCE, chacune accompagnée du logo de la société ;
Que ces éléments viennent conforter la défense de la société intimée selon laquelle seules sont titulaires de droits les sociétés TOTAL et GAZ DE FRANCE sous le nom desquelles les documents litigieux sont divulgués, la société LABRADOR n'ayant effectué qu'un travail d'imprimerie force étant de relever, en l'occurrence, que son nom figure à la place habituellement réservée à la mention, imposée par la loi, des coordonnées de l'imprimeur ;
Que par ailleurs la société LABRADOR ne démontre aucunement que l'oeuvre collective alléguée a été créée à son initiative et sous sa direction ;
Que la cour relève en effet que les sociétés TOTAL et GAZ DE FRANCE ont édité des chartes graphiques indiquant, s'agissant de celle de la société TOTAL, être composée des différents éléments visuels qui émanent de l'entreprise, le logo, les couleurs, les typographies, les styles graphiques et iconographiques, que l'édition est une des composantes de cette identité visuelle qui est un signe de reconnaissance et de différenciation par rapport à ses concurrents et reflète la culture et les valeurs de l'entreprise, précisant par ailleurs reposer sur certains principes au nombre desquels :
- le format cinémascope des visuels
- la marie-louise
- le bandeau-texte
- la volonté d'une mise en page aérée , et régissant notamment, s'agissant de celle de GAZ DE FRANCE, le logotype, la zone de protection, la bulle de protection, les typographies, la palette des couleurs, les formes, l'iconographie, la papeterie (externe et interne), l'édition (papier et électronique) et qu'au regard de l'ensemble des normes imposées par ses clientes, la société LABRADOR ne justifie pas avoir pu disposer d'une quelconque liberté de création dans la confection des mises en page revendiquées telles que précédemment caractérisées ;
Qu'il s'ensuit que c'est à raison que le tribunal a jugé que la société LABRADOR n'apportait pas la preuve de sa qualité d'auteur des oeuvres collectives prétendues ;
Considérant que la société LABRADOR invoque devant la cour le bénéfice de la présomption selon laquelle, en l'absence de revendication du ou des auteurs, l'exploitation de l'oeuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre du droit de propriété incorporelle de l'auteur ;
Qu'elle ne peut toutefois nier que les documents financiers en cause sont diffusés et exploités par les sociétés TOTAL et GAZ DE FRANCE sous leur propre nom, qu'en conséquence, la présomption invoquée n'est d'aucune pertinence en l'espèce ;
Sur la concurrence déloyale,
Considérant en droit, que le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant, notamment, à l'absence d'une faute attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce ;
Considérant que selon la société appelante, la société intimée aurait commis une faute en usurpant son savoir-faire ;
Que la société intimée nie toute usurpation, précisant à cet égard qu'elle a effectué un travail d'imprimerie, les sociétés TOTAL et GAZ DE FRANCE lui ayant fourni les textes, les illustrations et les maquettes ;
Or considérant qu'il résulte des développements qui précèdent que la contribution propre de la société LABRADOR n'a pu être ni identifiée ni individualisée de sorte que, par confirmation du jugement déféré, sa prétention fondée sur une usurpation de son savoir-faire ne saurait prospérer ;
Sur la demande en procédure abusive,
Considérant que le droit de former appel n'est susceptible de dégénérer en abus ouvrant droit à réparation que s'il est exercé de mauvaise foi, par intention de nuire ou par légèreté blâmable équipollente au dol, toutes circonstances qui ne sont pas établies à la charge de la société LABRADOR qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits ; que la demande de dommages-intérêts formée de ce chef par la société intimée doit être rejetée ;
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne la société LABRADOR aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à verser à la société RR DONNELLEY PRINTING FRANCE, la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles .
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,