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10/06/2010 | FRANCE | N°08/10444

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 10 juin 2010, 08/10444


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 10 Juin 2010

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/10444



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Juillet 2008 par le conseil de prud'hommes de MEAUX - Section Commerce - RG n° 07/00251





APPELANT



Monsieur [B] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Aicha CONDE, avocat au barreau de PARIS, toque :

E 028





INTIMEE



S.A. NC NUMERICABLE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Florence BACHELET, avocat au barreau de BORDEAUX





COMPOSITION DE LA COUR :



En applicatio...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 10 Juin 2010

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/10444

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Juillet 2008 par le conseil de prud'hommes de MEAUX - Section Commerce - RG n° 07/00251

APPELANT

Monsieur [B] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Aicha CONDE, avocat au barreau de PARIS, toque : E 028

INTIMEE

S.A. NC NUMERICABLE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Florence BACHELET, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Avril 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Françoise FROMENT, Présidente, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Françoise FROMENT, président

Mme Claudette NICOLETIS, conseiller

Mme Marie-Ange LEPRINCE, conseiller

Greffier : Madame Pierrette BOISDEVOT, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

- signé par Mme Françoise FROMENT, Président et par Madame Pierrette BOISDEVOT, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * *

*

[B] [N] avait été engagé par la société LCO en qualité de conseiller commercial le 12 juillet 2003 puis, par suite de la mise en location-gérance du fonds de commerce de la société LCO, transféré à compter du 1er janvier 2006 chez UPC FRANCE, devenue NOOS puis NC NUMERICABLE.

Sa mission consistait à faire du porte à porte pour vendre les produits diffusés par son employeur qui étaient alors des produits de télévision ou d'internet.

Sa rémunération était composée d'un fixe et d'une partie variable.

Par suite de l'apparition d'un nouveau produit consistant à vendre le téléphone sur le câble dans le cadre d'une offre globale incluant le téléphone, la télévision et l'internet pour un abonnement mensuel fixé, un nouveau barème des ventes intégrant ce nouveau produit a été proposé aux commerciaux ainsi qu'une proposition de modification de leur contrat de travail.

[B] [N] a, ainsi que 3 autres salariés, refusé cette modification et la société leur a maintenu le contrat de travail initial.

Ils ont par la suite présenté leur démission en invoquant la tension, la pression, le harcèlement et la discrimination sur les anciens salariés NOOS, des secteurs de prospection inadaptés à la demande des clients , une volonté de NOOS de les démotiver afin de les pousser à la démission et un comportement agressif et humiliant de la hiérarchie ainsi que l'interdiction de vendre le nouveau produit.

Ils ont saisi le Conseil de Prud'hommes de Meaux pour voir requalifier leur démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et par jugements du 1er juillet 2008, ils ont été déboutés de leurs demandes et condamnés aux dépens.

Ils ont relevé appel de ces décisions et estiment notamment que :

-leur refus de la modification de leur contrat de travail n'avait pas pour conséquence une impossibilité d'exploiter le nouveau produit, leur refus étant légitime du fait de la baisse de rémunération qui s'en serait suivie

-le contrat initial pouvait s'appliquer pour les nouveaux produits , leur contrat ne faisant aucune mention de la nature des produits vendus

-ils n'avaient pas le même traitement que les autres salariés, l'employeur ne leur ayant pas versé les primes collectives et ne les ayant pas fait participer aux challenges

-l'employeur ne les a pas informés des conséquences de leur refus et n'a pas respecté les engagements pris devant le Comité d'entreprise

[B] [N] entend par conséquent aux termes des conclusions que son conseil a développées oralement à l'audience du 9 avril 2010, qui ont été visées le jour même par le greffier et auxquelles il convient de se référer, voir infirmer la décision querellée et condamner la SA NC NUMERICABLE à lui payer :

-40 076,52 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

-6 679,42 € d'indemnité de préavis et 667,94 € de congés payés afférents

-3 606,90 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

-450,00 € au titre de rappel de primes collectives

-1 500,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La SA NC NUMERICABLE a, lors de l'audience du 9 avril 2010, développé oralement ses conclusions, visées le jour même par le greffier, aux termes desquelles elle sollicite la confirmation du jugement déféré et la condamnation de l'appelant à lui payer 1 500,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS ET DÉCISION DE LA COUR

Considérant que la lettre de démission du salarié, en date du 27 octobre 2005, était ainsi rédigée :

'Je viens par la présente vous signifier que je me vois contraint de démissionner de mon poste de conseiller commercial que j'occupe au sein de la société depuis le 3 mai 2002, d'une part à la demande orale beaucoup plus qu'insistante de mon animateur des ventes...et pour d'autres raisons énoncées par la suite.

En effet, j'ai toujours donné entière satisfaction à la société et réaliser mes objectifs, simplement depuis quelques mois ce n'est plus le cas, notamment depuis l'arrivée du nouveau produit 'l'offre téléphone' que vous m'interdisez de vendre.

Depuis que j'ai refusé de signer l'avenant à mon contrat de travail , mes conditions de travail et de rémunération se sont dégradées à cause des secteurs attribués sur lesquels la vente du téléphone n'est pas possible , cependant les clients ou éventuels prospects sont 'matraqués' de publicités ...sur ce même produit.

Par ailleurs on m'a refusé le droit de vendre ce produit au motif que mon contrat de travail ne m'y autorisait pas, je vous en ai d'ailleurs fait part plusieurs fois par courrier mais sans réponse positive , j'ai alerté les délégués du personnel ..., j'ai saisi l'inspection du travail , la médecine du travail, le CE, le CHSCT pour finalement en arriver à porter l'affaire en justice pour faire valoir ce que de droit...Toutes mes démarches sont demeurées vaines à ce jour.

Mes résultats et mon salaire sont arrivé à un niveau si bas que je n'arrive même pas à comprendre que l'on me laisse dans une telle situation, et c'est d'ailleurs par des remarques désobligeantes, suspicions et autres que ma hiérarchie pense pouvoir me motiver, bien au contraire.

'Heureusement' que je ne me suis pas retrouvé seul dans cette histoire sans quoi je n'aurai pu tenir physiquement et moralement même si, je dois l'avouer, au moment où j'écris ces lignes je ressens une certaine tristesse car j'avais trouvé un secteur et un produit que j'aimais bien , j'ai tenté de continuer aux conditions imposées mais impossible à ce jour.

Je n'ai jamais connu pareil situation au sein d'une entreprise et un comportement aussi agressif de la hiérarchie, je reste encore choqué par les propos et humiliations...que j'ai du supporter jusqu'à aujourd'hui.

De plus, je ne peux continuer à impacter ma vie privée ainsi que mon entourage par ce que je vis au quotidien.

En outre, j'aimerais être libre de tout engagement avec la société à la date du 31 janvier 2006, et vous comprendrez bien que vu les circonstances et la cause de mon départ , je ne souhaite pas effectuer mon préavis...' ;

Considérant en droit que :

- la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail

-lorsque le salarié , sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission , remet celle-ci en cause en raison de faits ou manquements imputables à son employeur , le juge doit ,s'il résulte des circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque , l'analyser en une prise d'acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission ;

Considérant en l'espèce qu'il résulte des termes mêmes de cette lettre que la démission était équivoque, le salarié faisant divers griefs à son employeur, griefs dont il se plaignait depuis plusieurs mois ; que cette démission s'analyse par conséquent en une prise d'acte de la rupture pour des motifs qu'il convient d'examiner ;

Considérant qu'il reproche notamment à son employeur de lui avoir interdit, suite à son refus de signer un avenant à son contrat de travail, qui était susceptible de réduire sa rémunération, de vendre les nouveaux produits et de ne pas l'avoir informé que son refus éventuel était susceptible d'avoir de telles conséquences ;

Considérant qu'il résulte du contrat de travail initial de l'appelant que :

-le poste qui lui était confié était par nature évolutif , qu'il pouvait, en raison de sa technicité nécessiter des adaptations liées à l'évolution technologique de l'entreprise et que le salarié s'engageait de ce fait à accomplir toute formation qui lui serait demandée par la société

-sa rémunération était composée :

-d'une rémunération annuelle brute de base de 13 140,00 € versée sur 12 mois

-d'une partie variable sur la base de sa performance individuelle dont les modalités étaient définies dans un barème annexé ;

Considérant que ce barème prévoyait que la partie variable était en réalité fondée sur la performance collective et individuelle :

-la performance collective étant appréciée tant au regard de la performance collective NOOS et égale sur ce point à 3,33% de sa rémunération annuelle de base que de la performance collective de l'équipe à laquelle il appartenait (150,00 € en cas d'atteinte à 100% de l'objectif)

-la performance individuelle étant fondée sur l'atteinte d'objectifs quantitatifs et qualitatifs

-en ce qui concerne le quantitatif, le conseiller commercial devait percevoir des commissions sur la vente des produits de la société qu'il réalisait, exprimée en RGU (Revenu Généré par Unité) concrétisé, le barème précisant qu'est 'considéré comme RGU toute vente d'un produit solo TV ou Net après raccordement et enregistrement dans Vantive du 1er au dernier jour du mois considéré', une prime de performance individuelle s'ajoutant à ces commissions en fonction du niveau d'atteinte des objectifs

-en ce qui concerne le qualitatif, une prime était prévue en cas d'atteinte ou de dépassement des objectifs ;

Considérant que par lettre du 26 mai 2005, son employeur l'a informé de ce que à compter du 1er juin 2005 son barème de rémunération avait évolué et lui indiquait les modalités de calcul de ce nouveau barème, précisait que les autres clauses du contrat de travail demeuraient inchangées et lui demandait de retourner le courrier, daté et signé et portant la mention 'lu et approuvé' ;

Considérant que le nouveau barème modifiait la structure de la rémunération de l'appelant en ce non seulement qu'il supprimait la partie fixe de la rémunération de l'intéressé pour instaurer une rémunération uniquement variable avec un minimum garanti , non susceptible de se cumuler avec les commissions, mais encore où il imposait pour le déclenchement du droit à commission un minimum de 40 ventes raccordées au cours du mois considéré et où il modifiait les taux de rémunération ;

Considérant que le refus de l'appelant de cette modification de son contrat de travail était donc parfaitement légitime ;

Considérant qu'il est constant qu'à la suite de ce refus, l'employeur lui a interdit de vendre les nouveaux produits faute d'accord sur la rémunération à laquelle le salarié aurait droit sur la vente des dits produits ;

Considérant toutefois que non seulement l'attention du salarié n'avait pas été attirée par l'employeur, ni dans sa lettre de transmission de l'avenant, ni dans la lettre prenant acte du refus du salarié, sur le fait que ce refus rendrait, selon lui, impossible la commercialisation des nouveaux produits, mais encore que , même si le contrat de travail initial vise la vente de produits solos, le salarié, depuis l'origine vendait tant des produits solos que des packs alors constitués seulement de la télévision et d'internet, et pour lesquels il était rémunéré, et que rien n'interdisait l'application du barème jusque lors appliqué au nouveau produit, la téléphonie pouvant être vendue, soit comme nouveau produit, solo, dans le cadre d'un contrat existant auquel elle se serait rajoutée, soit dans le cadre d'un pack ;

Considérant que c'est donc à tort que l'intimée a interdit aux salariés la vente des nouveaux produits du fait de leur refus de voir modifier leur contrat de travail , étant observé que :

-le contrat initial ne prévoyait nullement la nature des produits vendus et au contraire prévoyait qu'il y aurait des évolutions technologiques

-l'avenant proposé prévoyait d'ailleurs la vente de service de téléphone et d'internet

-la société aurait pu, non pas modifier la structure de l'ensemble de la rémunération, mais, si elle estimait que le contrat initial ne permettait pas de rémunérer le nouveau produit en raison notamment du taux de marge différent selon que la vente porte sur un produit solo ou sur un pack, proposer une rémunération spécifique pour ces derniers ;

Considérant que ces manquements à eux seuls justifiaient la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur, lequel par ailleurs, a affecté l'appelant dans un secteur peu porteur pour la vente des seuls produits autorisés, l'a écarté des challenges alors même qu'il pouvait postuler , pour les seuls produits autorisés, à certains prix tels que celui alloué au meilleur sprinter (meilleure production en ventes brutes sur une semaine) ou à celui du vendeur ayant le plus grand nombre de télévisions raccordées sur une période donnée et ne lui a plus versé de prime collective ;

Considérant qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'il y a lieu, infirmant la décision déférée, d'allouer au salarié :

-6 679,42 € d'indemnité de préavis et 667,94 € de congés payés afférents, étant observé que si l'appelant a demandé à ne pas exécuter son préavis, c'était en raison des conditions dans lesquelles l'employeur le faisait travailler et que cette indemnité est donc due

-3 606,90 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

-20 000,00 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Considérant qu'il y a lieu d'ordonner en outre le remboursement par l'intimée aux organismes concernés, des indemnités de chômage éventuellement versées à l'appelant suite à son licenciement, dans la limite de six mois ;

Considérant par ailleurs qu'il sera fait droit à la demande en paiement de prime collective qui est parfaitement fondée ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelant l'intégralité des frais irrépétibles qu'il a dû exposer pour faire valoir ses droits ; qu'il y a lieu de lui allouer la somme qu'il sollicite de ce chef ;

Considérant que, succombant, l'intimée supportera ses frais iréppétibles et les dépens ;

PAR CES MOTIFS

Infirme la décision attaquée,

Statuant à nouveau,

Condamne la SA NC NUMERICABLE à payer à [B] [N] :

-6 679,42€ d'indemnité de préavis et 667,94 € de congés payés afférents

-3 606,90 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

-20 000,00 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

-450,00 € au titre de rappel de primes collectives

-1 500,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Ordonne en outre le remboursement par la SA NC NUMERICABLE aux organismes concernés des indemnités de chômage éventuellement versées à [B] [N] suite à son licenciement, dans la limite de six mois,

Déboute la SA NC NUMERICABLE de ses demandes et la condamne aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 08/10444
Date de la décision : 10/06/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-06-10;08.10444 ?
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