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08/06/2010 | FRANCE | N°08/10198

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 08 juin 2010, 08/10198


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 8 JUIN 2010



(n° 228, 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 08/10198



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Février 2008 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 04/08537





APPELANTES



S.C.I. LE TOIT DU MONDE agissant poursuites et diligences de son représentant légal

[L

ocalité 4]

représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoués à la Cour

assistée de Me Emmanuel ROSENFELD et de Me Ch. BOUCHEZ, avocats au barreau de PARIS, toque : J002

Associat...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 8 JUIN 2010

(n° 228, 7 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 08/10198

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Février 2008 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 04/08537

APPELANTES

S.C.I. LE TOIT DU MONDE agissant poursuites et diligences de son représentant légal

[Localité 4]

représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoués à la Cour

assistée de Me Emmanuel ROSENFELD et de Me Ch. BOUCHEZ, avocats au barreau de PARIS, toque : J002

Association VEIL JOURDE, avocats au barreau de PARIS, toque : T 06

Madame [F] [K] épouse [P]

[Adresse 6]

[Localité 8] (GRANDE BRETAGNE)

demeurant [Adresse 7]

représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoués à la Cour

assistée de Me Emmanuel ROSENFELD et de Me Ch. BOUCHEZ, avocats au barreau de PARIS, toque : J002

Association VEIL JOURDE, avocats au barreau de PARIS, toque : T 06

SARL LE TOIT DU MONDE TDM agissant poursuites et diligences de son représentant légal

[Localité 4]

représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoués à la Cour

assistée de Me Emmanuel ROSENFELD et de Me Ch. BOUCHEZ, avocats au barreau de PARIS, toque : J002

Association VEIL JOURDE, avocats au barreau de PARIS, toque : T 06

INTIMES

S.C.P. [J], notaires associés

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour

assistée de Me Barthélémy LACAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E 435

Maître [Z] [R]

[Adresse 1]

[Localité 5]

représenté par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour

assisté de Me Barthélémy LACAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E 435

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 31 mars 2010, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :

Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre

Mme Brigitte HORBETTE, Conseiller

Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN

ARRET :

- contradictoire

- rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

******************

La Cour,

Considérant que, le 21 juin 2000, la S.C.I. Les Etroits et la Sarl La Crech'ouna ont consenti à Mme [F] [K], épouse [P], qui envisageait la création d'un hôtel-restaurant de luxe, avec faculté de substitution, deux promesses de vente, à savoir :

- la première, portant sur un immeuble à usage de restaurant et de bar, située à [Localité 9] sur la parcelle cadastrée AB n [Cadastre 2], des droits à construire d'une superficie hors 'uvre nette de 150 mètres carrés attachés à la parcelle cadastrée AB n [Cadastre 3], un fonds de commerce de restaurant et bar, moyennant le prix de 13.400.000 francs, s'appliquant à concurrence de 10.400.000 francs au bâtiment (8.900.000 francs) et aux droits à construire (1.500.000 francs) et à hauteur de 2.600.000 francs au fonds de commerce,

- la seconde portant sur un immeuble à édifier sur un terrain cadastré section AB n [Cadastre 3] et la totalité des droits à construire attachés à cette parcelle sous la déduction de la superficie hors 'uvre nette de 150 mètres carrés déjà incluse dans la première promesse, moyennant le prix de 5.000.000 francs, fixé en fonction de la modification du plan d'occupation des sols de la commune de [Localité 9], les parties étant convenues qu'au cas où cette révision n'interviendrait pas avant le 31 décembre 2001, le prix serait ramené à 80.000 francs, avec prorogation possible du délai de la vente jusqu'au 1er avril 2002, en cas de recours ;

Que la première promesse stipulait une indemnité d'immobilisation de 1.300.000 francs à verser dans les dix jours de la signature de l'acte, la seconde une indemnité de même nature d'un montant de 500.000 francs à verser au plus tard le12 août 2000, date prévue pour la régularisation de la première promesse ;

Que, le 21 septembre 2000, M. [N], notaire à Bourg-Saint-Maurice, recevait, avec la participation de M. [Z] [R], notaire à Paris, conseil de l'acquisitrice, les deux actes de vente portant, l'un sur l'immeuble à usage commercial et d'habitation cadastré section AB n [Cadastre 2] moyennant le prix de 8.900.000 francs, l'autre sur le fonds de commerce moyennant le prix de 2.600.000 francs, à l'exclusion des droits à construire sur la parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 3] initialement prévus et ce, à la suite de la délivrance d'un certificat d'urbanisme négatif daté du 12 septembre 2000 ;

Que, malgré les stipulations de la seconde promesse, l'indemnité d'immobilisation de 500.000 francs n'était pas versée le jour de la régularisation de la vente de la parcelle cadastrée section AB n [Cadastre 2] de sorte qu'à la demande des acquéreurs, la résiliation de plein droit de cette seconde promesse portant sur la parcelle AB n° [Cadastre 3] et le complément de droits à construire a été constatée par un jugement rendu le 15 novembre 2002 par le Tribunal de grande instance d'Albertville et confirmé le 5 mai 2003 par la Cour d'appel de Chambéry ;

Qu'à cette date, il était mis fin à l'exploitation du fonds de commerce ;

Considérant que, soutenant qu'elles avaient subi un préjudice imputable aux fautes commises par M. [R], notaire associé de la S.C.P. [U], [Y], [B] [U] & [R], notaires à Paris, à qui elles reprochent de n'avoir pas exigé un écrit au sujet de la réduction du montant de l'indemnité d'immobilisation, la S.C.I. Le toit du monde, ayant acquis la parcelle cadastrée section AB n [Cadastre 2], et la S.A.R.L. Le toit du monde, ayant acquis le fonds de commerce, ont fait assigner le notaire et la société civile professionnelle devant le Tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 20 février 2008, a déclaré les deux sociétés recevables en leur action, déclaré que la responsabilité de la S.C.P. notariale et du notaire était engagée au titre d'un manquement au devoir de diligence et de conseil, les a condamnés in solidum à payer à la S.C.I. Le toit du monde la somme de 184.924,97 euros à titre de dommages et intérêts « toutes causes de préjudice confondues » et à la S.A.R.L. Le toit du monde la somme de 604.222,32 euros, à titre de dommages et intérêts « toutes causes de préjudice confondues », outre, aux deux sociétés, des indemnités en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant qu'appelantes de ce jugement, Mme [P], la S.C.I. Le toit du monde et la S.A.R.L. Le toit du monde, qui en poursuivent l'infirmation, sauf en ce que les premiers juges ont déclaré les deux sociétés recevables en leur action et déclaré que la responsabilité de M. [R] et de la S.C.P. [D], était engagée au titre d'un manquement au devoir de diligence et de conseil, demandent que le notaire et la S.C.P. soient condamnés in solidum à payer : 1) à la S.A.R.L. Le toit du monde la somme de 4.424.936 euros, comprenant : la somme de 252.501 euros en réparation du manque à gagner sur les résultats de l'exploitation, la somme de 3.237.633 euros en réparation du manque à gagner sur la valeur du fonds de commerce, la somme de 396.367 euros en réparation du prix d'acquisition du fonds de commerce, la somme de 378.435 euros en remboursement des dépenses et des investissements réalisés à fonds perdus et la somme de 160.000 euros en réparation du préjudice financier lié à l'immobilisation des capitaux inutilement investis, 2) à la S.C.I. Le toit du monde la somme de 2.793.457 euros se décomposant comme il suit : la somme de 280.088 euros en réparation du manque à gagner sur les résultats de l'exploitation, la somme de 2.174.805 euros en réparation du manque à gagner sur la valeur actuelle de la parcelle cadastrée section AB n [Cadastre 3], la somme de 130.784 euros en remboursement des dépenses et investissements réalisés à fonds perdus, la somme de 160.000 euros en réparation du préjudice financier lié à l'immobilisation des capitaux inutilement investis et la somme de 47.780 euros en remboursement des sommes inutilement dépensées à l'occasion de l'action engagée par la S.C.I. Les Etroits ;

Qu'à l'appui de leurs prétentions, les appelantes, après avoir rappelé qu'en première instance, le notaire a reconnu sa responsabilité, font d'abord valoir que la S.A.R.L. Le toit du monde a qualité pour agir dès lors que l'opération dont il s'agit formait un tout indivisible et que, même si cette société n'était pas la cliente du notaire, elle est quand-même recevable à agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle ;

Qu'au fond et critiquant la motivation retenue par les premiers juges, les appelantes font valoir qu'il était impossible de réaliser le projet hôtelier sans l'acquisition de la parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 3], les deux opérations d'acquisition formant un tout indivisible et ladite parcelle AB n° [Cadastre 3] étant indispensable à la réalisation du projet ; qu'elles ajoutent que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, le projet était réalisable, économiquement viable et promis au succès, la commune n'ayant aucune raison d'exercer son droit de préemption et les règles d'urbanisme ne faisant pas obstacle audit projet dès lors que l'hôtel pouvait être construit sur la seule parcelle AB n° [Cadastre 2] et le restaurant d'altitude sur la parcelle AB n° [Cadastre 3] et ce, conformément au plan d'occupation des sols applicable à l'époque des faits ;

Qu'au soutien de l'argumentation afférente au préjudice, les appelantes notent que le projet était envisagé sur un emplacement de qualité et alors qu'il existait, à [Localité 9], un déficit d'équipements hôteliers et de restauration de luxe ;

Qu'enfin, les appelantes, sollicitant la réparation intégrale de leur préjudice sur le fondement de l'article 1149 du Code civil, qui consiste en une perte de chance et un gain manqué, s'expliquent sur le montant de chacun des chefs de préjudice dont elles demandent réparation ;

Considérant que la S.C.P. [S] et M. [Z] [R] concluent à l'infirmation du jugement en ce que les premiers juges ont retenu leur responsabilité et à sa confirmation pour le surplus ;

Qu'à ces fins, les intimés font successivement valoir que la S.A.R.L. Le toit du monde n'est pas recevable à leur reprocher d'avoir manqué à leur devoir de conseil dès lors que cette société n'était pas partie à la promesse de vente de la parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 3] et qu'eux-mêmes n'étaient pas tenus d'un devoir de conseil à son égard ;

Que, sur le nouveau reproche invoqué par les appelantes, le notaire fait valoir que l'inconstructibilité de la parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 3] résulte de la loi, dite loi S.R.U., du 31 décembre 2000 qui n'était pas encore promulguée à l'époque de la rédaction des actes litigieux ;

Qu'au fond, et pour contester la réalité de tout dommage, les intimés font observer que l'absence d'acquisition de la parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 3] est une éventualité que Mme [P] avait accepté ainsi qu'il ressort des actes et ce, alors que le droit de préemption de la commune constituait un obstacle supplémentaire à l'acquisition envisagée et que le fonds de commerce ne pouvait être exploité sur la seule parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 2] ;

Qu'enfin, la S.C.P. [D] et M. [R] soutiennent que le préjudice né d'une prétendue impossibilité de créer un hôtel-restaurant n'est pas réel puisque cette création n'était pas possible et que l'impossibilité d'acquérir la parcelle n° [Cadastre 2] ne consiste qu'en une perte de chance dès lors que le projet était livré aux hasards de toute entreprise commerciale ; qu'ils ajoutent que l'évaluation des préjudices, telle qu'elle est proposée par les appelantes, est exagérée, que le préjudice prétendu, tenant à la mise en place d'une garantie en vue de l'exécution du jugement, doit rester à la charge de la S.A.R.L. Le toit du monde et que la demande de réparation du prétendu manque à gagner sur la valeur de la parcelle AB n° [Cadastre 3], formée par la S.C.I. Le toit du monde, est irrecevable comme étant nouvelle en cause d'appel et dépourvue de fondement ;

Sur l'intérêt à agir de la S.A.R.L. Le toit du monde :

Considérant que, comme il est dit ci-avant, le notaire fait d'abord observer que la S.A.R.L. Le toit du monde n'était pas partie à la promesse de vente et qu'elle n'a pas été substituée à la bénéficiaire de cette promesse de sorte qu'il n'était pas tenu à un devoir de conseil à l'égard de cette société ;

Considérant que, toutefois, il ressort des mentions de l'acte d'acquisition du fonds de commerce conclu entre M. et Mme [O] et la S.A.R.L. Le toit du monde que l'acte a été passé « avec la participation de Me [R] [Z], notaire', conseil de l'acquéreur » de sorte que le notaire, conseil des deux sociétés, connaissait la nature de leur projet commun et le but qu'elles poursuivaient ;

Qu'il suit de là que la S.A.R.L. Le toit du monde, même étrangère aux promesses de ventes immobilières, est recevable à agir comme y ayant intérêt et ce, sur le fondement des règles de la responsabilité délictuelle ;

Sur la faute imputable au notaire :

Considérant qu'en cause d'appel, M. [R] et la S.C.P. [S] ne contestent pas la réalité de la faute qui leur est reprochée, à l'exception d'un nouveau grief tiré d'un prétendu défaut de conseil quant à la constructibilité de la parcelle AB n° [Cadastre 3] ;

Que, toutefois, le Tribunal de grande instance de Paris a exactement retenu en de plus amples motifs qu'il échet d'adopter que le notaire s'est abstenu de donner tous conseils utiles et d'accomplir les diligences nécessaires pour que l'indemnité d'immobilisation de 500.000 francs fût consignée et qu'en outre, il a commis une erreur de rédaction dans l'acte de vente relatif à la parcelle AB n° [Cadastre 2] qui stipule une indemnité de 500.000 francs réduite à 150.000 francs alors qu'en réalité, cette indemnité de 150.000 francs, effectivement versée, ne pouvait s'appliquer qu'aux droits à construire, estimés 1.500.000 francs et non cédés en vertu dudit acte de vente de la parcelle AB n° [Cadastre 2] ;

Que, dans ces seules circonstances, le notaire a manqué à son devoir de conseil et à ses obligations de diligence ;

Sur l'existence d'un préjudice :

Considérant que, comme l'ont soutenu M. [U] et M. [R] devant le Tribunal de grande instance d'Albertville et l'ont rappelé les premiers juges aux termes du jugement frappé d'appel, l'acquisition des deux parcelles ne formait qu'une seule et même opération et que la rédaction de deux promesses de vente ne résultait que de raisons techniques liées à l'inconstructibilité de la parcelle AB n° [Cadastre 3] et à l'attente d'une modification du plan d'occupation des sols de la commune de Val d'Isère ; que l'aléa affectant la vente de la parcelle AB n° [Cadastre 3] tenait, non pas à l'assiette de cette parcelle, mais seulement à sa constructibilité et, partant, à son prix ; qu'en outre, la configuration des lieux et les plans versés aux débats démontrent encore que l'acquisition de la parcelle AB n° [Cadastre 3] était indispensable au projet de création d'un hôtel-restaurant de luxe, la seule acquisition de la parcelle AB n° [Cadastre 2] ne pouvant satisfaire à l'aménagement d'une terrasse et des équipements d'un établissement de luxe qui aurait compris, sur la parcelle AB n° [Cadastre 3], un restaurant d'altitude, et, sur la parcelle AB n° [Cadastre 2], l'hôtel et une terrasse ;

Que, même si l'exploitation d'un commerce était viable sur la seule parcelle AB n° [Cadastre 2], il n'en demeure pas moins que la faute commise par le notaire, qui a entraîné la résiliation judiciaire de la vente de la parcelle AB n° [Cadastre 3] a empêché la S.C.I. Le toit du monde et la S.A.R.L. Le toit du monde de parvenir à la réalisation du projet envisagé ;

Qu'en conséquence, M. [R] et la S.C.P. [S] ne sont pas fondés à soutenir que Mme [P] aurait accepté l'éventualité de ne pas acquérir la parcelle AB n° [Cadastre 3] ;

Considérant que sur l'argument tiré d'un éventuel exercice du droit de préemption urbain, il convient de relever que, par déclaration du 4 septembre 2000, la commune a expressément renoncé à exercer ce droit sur la parcelle AB n° [Cadastre 2] ;

Qu'en revanche, il n'est pas contesté qu'en vertu d'une convention d'occupation, une partie de la parcelle AB n° [Cadastre 3] est utilisée par les services techniques de la commune pour y stationner ou entreposer le matériel de damage et d'entretien des pistes de sorte que, contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal, rien ne permet d'exclure le risque de préemption et ce, sans qu'il y ait lieu d'apprécier, par avance, la légitimité ou la légalité de l'exercice de ce droit ;

Qu'à cet égard, le projet envisagé par la S.C.I. Le toit du monde et la S.A.R.L. Le toit du monde comportait un aléa d'ordre juridique ;

Considérant que, de plus, à la date des conventions visées en tête du présent arrêt, une partie de la parcelle AB n° [Cadastre 3] était classée en zone NC, c'est-à-dire en zone non constructible, du plan d'occupation des sols en vertu duquel étaient admis les restaurants d'altitude, sous réserve que leur implantation fût compatible avec l'exploitation du domaine skiable et cohérente avec la nécessaire protection de l'environnement ;

Que, toutefois, les intimés font justement remarquer que les sociétés Le toit du monde n'expliquent pas la manière qu'elles auraient adoptée pour installer, dans le bâtiment d'origine, doté de huit chambres, dix-huit suites équipées, dont quatre devaient disposer d'un jacuzzi extérieur, un bar et une piscine, outre le restaurant d'altitude devant être édifié sur la parcelle AB n° [Cadastre 3], sans créer de surfaces nouvelles et sans reconsidérer l'implantation des bâtiments nécessaires et surélevant les constructions existantes et en augmentant l'emprise au sol sur la parcelle AB n° [Cadastre 3] alors surtout que les promesses de vente prévoyaient un transfert de droits à construire d'une parcelle sur l'autre ; que, même si M. [X], architecte au Royaume Uni, expose qu'il a conçu un projet d'aménagement d'hôtel de luxe dans le seul bâtiment existant, les plans versés aux débats font apparaître qu'une transformation profonde des lieux était nécessaire pour bâtir l'ensemble envisagé de sorte qu'il n'est aucunement démontré que le projet aurait, en l'état de la présentation qui en est faite, obtenu l'agrément de l'autorité chargée de la délivrance du permis de construire ; qu'en outre, par une attestation régulière, M. [A], architecte D.P.L.G., affirme qu'il a dessiné une esquisse montrant le bâtiment à usage de logement qu'il y aurait lieu d'élever sur la parcelle AB n° [Cadastre 3] ;

Que, s'agissant du projet de restaurant, il convient de relever que le plan local d'urbanisme, qui succède au plan d'occupation des sols, prévoit que les restaurants d'altitude, limités aux stricts besoins de service sur le domaine skiable, doivent être destinés à l'accueil des services accompagnant le fonctionnement des remontées mécaniques, que leur nombre est limité et qu'aucune forme de restauration ne saurait être admise, d'une manière générale, à proximité immédiate de l'urbanisation ; que, sous cet aspect, les appelantes ne prouvent pas que l'autorisation d'édifier un restaurant, qu'elles qualifient de restaurant d'altitude, leur aurait été donnée sous l'empire du plan d'occupation des sols avec certitude ou avec une forte probabilité ;

Considérant que, de plus, il ressort du certificat d'urbanisme délivré au mois de septembre 2000 à l'ancien propriétaire que les deux parcelles AB n° [Cadastre 2] et AB n° [Cadastre 3] étaient inconstructibles pour une construction à usage d'habitation aux motifs que « le terrain est pour partie situé en zone NCs où seules certaines occupations du sol sont admises » et que « les droits à construire en l'état actuel sur les terrains A et B situés en zone UD sont épuisés à moins d'une démolition des bâtiments existants » ; que ces règles d'urbanisme, même en ce qu'elles ne prohibent pas toute construction de façon absolue, ne garantissaient pas la possibilité de réaliser le projet envisagé ;

Qu'il suit de là que, si, par la faute du notaire, la S.C.I. Le toit du monde et la S.A.R.L. Le toit du monde ont perdu la chance de réaliser leur projet d'implantation d'un hôtel-restaurant de luxe, cette perte de chance, compte tenu des aléas qui précèdent, essentiellement liés à des décisions d'ordre administratif, était particulièrement faible alors surtout que le succès commercial de l'opération était, par nature, incertain, voire hypothétique ; que, sur ce point, les documents émanant de la société P.W.C., qui a établi des bilans prévisionnels sur la base d'un succès commercial certain, n'ont aucune force probante alors surtout que, comme l'ont exactement retenu les premiers juges au vu des documents produits par les intimés, l'endroit choisi par les société Le toit du monde s'accorde mal avec les exigences d'un établissement de luxe ;

Sur l'indemnisation du préjudice :

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, la demande formée par la S.C.I. Le toit du monde, qui sollicite, pour la première fois en cause d'appel, la réparation d'un prétendu manque à gagner sur la valeur de la parcelle AB n° [Cadastre 3], n'est pas nouvelle dès lors qu'elle se rattache aux prétentions émises devant les premiers juges et que les dispositions de l'article 566 du Code de procédure civile autorisent les partes à ajouter aux demandes originaires toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ; qu'à ce titre, sa demande est recevable ;

Considérant que l'indemnisation de la perte de chance subie par la S.A.R.L. Le toit du monde, qui a exploité le fonds de commerce pendant deux années, doit être calculée, non pas au regard de tous les chefs de demande, mais seulement du manque à gagner sur la valeur du fonds de commerce acquis moyennant la somme de 2.600.000 francs (396.367 euros), estimée 3.237.633 euros, des dépenses et des investissements réalisés à fonds perdus, soit une somme de 378.435 euros selon le bilan de 2002, et du préjudice financier lié à la parcelle AB n° [Cadastre 3]immobilisation des capitaux inutilement investis, évalués à 160.000 euros ;

Que les autres chefs de demande, qui ne sont pas directement en relation avec la faute commise par le notaire, n'ouvrent pas droit à indemnisation ;

Que, compte tenu du défaut de fiabilité de l'étude effectuée par la société P.W.C., qui fournit une estimation optimale, et compte tenu de la très faible probabilité de réaliser le projet initial dans sa dimension commerciale, la S.A.R.L. Le toit du monde, qui a exploité le fonds de commerce pendant deux années, sera indemnisée par une somme de 100.000 euros ;

Considérant que la S.C.I. Le toit du monde demeure propriétaire de la parcelle AB n° [Cadastre 2] de sorte que les investissement réalisés sur ce bien ne sont pas perdus et que, si le projet qu'elle a réalisé a été retardé par un recours dirigé par les vendeurs contre le permis de construire qu'elle a obtenu, cette circonstance ne saurait être reprochée au notaire ;

Que la S.C.I. Le toit du monde est fondée à solliciter la réparation de la perte de loyers, soit 280.088 euros, du manque à gagner sur la valeur actuelle de la parcelle cadastrée section AB n [Cadastre 3], évalué à la somme de 2.174.805 euros, des dépenses et investissements réalisés à fonds perdus, soit la somme de 130.784 euros, et du préjudice financier lié à l'immobilisation des capitaux inutilement investis, évalué à la somme de 160.00 euros, le manque à gagner au titre de la « plus-value latente » de la parcelle AB n° [Cadastre 3] ne constituant pas un préjudice indemnisable alors surtout qu'il est dépourvu de lien de causalité avec la faute reprochée au notaire ;

Que, du défaut de fiabilité de l'étude effectuée par la société P.W.C., de façon largement optimale, et compte tenu de la faible perte de chance d'acquérir la parcelle AB n° [Cadastre 3] et de réaliser le projet immobilier d'origine, l'indemnité revenant à la S.C.I. Le toit du monde sera fixée à la somme de 100.000 euros ;

Qu'à cette somme, s'ajoute la totalité des frais de justice engagés devant le Tribunal de grande instance d'Albertville, la Cour d'appel de Chambéry et la Cour de cassation pour un montant, dont il est justifié, de 47.720,87 euros et dont la S.C.I. Le toit du monde a droit à réparation intégrale ;

Considérant qu'il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement frappé d'appel et de condamner M. [R] et la S.C.P. [S] à payer à la S.A.R.L. Le toit du monde la somme de 100.000 euros et à la S.C.I. Le toit du monde la somme de 147.720,87 euros à titre de dommages et intérêts ;

Que, conformément aux dispositions de l'article 1153-1, alinéa 2, du Code civil, ces sommes seront augmentées des intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

Que, de plus, il y a lieu de capitaliser les intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dus pour une année entière ;

Sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile :

Considérant que chacune des parties sollicite une indemnité en invoquant les dispositions susvisées ; que, succombant dans la plupart de leurs prétentions et supportant les dépens, M. [R] et la S.C.P. [S] seront déboutés de leur demande ; qu'en revanche, ils seront condamnés à payer aux appelantes les frais qui, non compris dans les dépens d'appel, seront arrêtés, en équité, pour la S.A.R.L. Le toit du monde à la somme de 4.000 euros, pour la S.C.I. Le toit du monde à la somme de 6.000 euros et pour Mme [P] à la somme de 2.000 euros ;

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;

Infirme le jugement rendu le 20 février 2008 par le Tribunal de grande instance de Paris sauf en ce qu'il a condamné M. [Z] [R] et la S.C.P. [S] à payer à la S.C.I. Le toit du monde la somme de 20.000 euros et à la S.A.R.L. Le toit du monde la somme de 5.000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens ;

Faisant droit à nouveau :

Condamne M. [R] et la S.C.P. [S] à payer à la S.A.R.L. Le toit du monde la somme de 100.000 euros et à la S.C.I. Le toit du monde la somme de 147.720,87 euros à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

Ordonne que ces intérêts seront capitalisés dans les conditions fixées par l'article 1154 du Code civil ;

Déboute M. [R] et la S.C.P. [S] de leur demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les condamne, par application de ce texte, à payer à la S.A.R.L. Le toit du monde la somme de 4.000 euros, à la S.C.I. Le toit du monde la somme de 6.000 euros et à Mme [F] [K], épouse [P], la somme de 2.000 euros ;

Condamne M. [R] et la S.C.P. [S] aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la S.C.P. Fisselier, Chiloux & Boulay, avoué des appelantes, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 08/10198
Date de la décision : 08/06/2010

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°08/10198 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-06-08;08.10198 ?
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