RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRET DU 08 Juin 2010
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/01875
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 Juillet 2007 par le conseil de prud'hommes de Paris section encadrement RG n° 06/05601
APPELANT
Monsieur [E] [P]
[Adresse 4]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me Georges SOUCHON, avocat au barreau de PARIS, toque : P 452
INTIMEES
SA CASINO GUICHARD-PERRACHON
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par la JOSEPH AGUERA & ASSOCIES, avocats au barreau de LYON substituée par Me Joseph AGUERA, avocat au barreau de LYON
SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par la JOSEPH AGUERA & ASSOCIES, avocats au barreau de LYON substituée par Me Joseph AGUERA, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Mai 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Charlotte DINTILHAC, Présidente
Madame Anne-Marie DEKINDER, Conseillère
Madame Denise JAFFUEL, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mademoiselle Sandrine CAYRE, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Madame Charlotte DINTILHAC, Présidente
- signé par Madame Charlotte DINTILHAC, présidente et par Mademoiselle Sandrine CAYRE, greffier présent lors du prononcé.
La Cour est saisie de l'appel interjeté par M. [P] du jugement du Conseil de prud'hommes de Paris section encadrement, en date du 31 juillet 2007, qui l'a débouté de ses demandes à l'encontre des sociétés CASINO GUICHARD-PERRACHON et DISTRIBUTION CASINO FRANCE.
FAITS ET DEMANDES DES PARTIES
M. [P] a été engagé par la société CASINO GUICHARD-PERRACHON, suivant contrat à durée indéterminée du 5août 1998, en qualité de 'directeur des activités françaises de supermarchés et de supérettes du groupe CASINO, membre du comité exécutif du groupe CASINO et en position de cadre supérieur'.
Par avenant du 28 août 2001, il était convenu entre les parties ce qui suit :
' 1- Avant le 1er novembre 2001, nous vous proposerons la prise en charge d'une Direction Générale Europe hors France...Ce poste sera localisé à [Localité 5] et votre rémunération sera augmentée pour être portée à 2 MF par an. Nous vous attribuerons, à cette occasion, 35.000 stocks options supplémentaires et vous serez nommé avant le 30 septembre 2002 au Directoire (ou à un poste équivalent si d'ici-là la structure juridique de Groupe venait à être modifiée).
2- Dans l'hypothèse où les acquisitions envisagées par le Groupe en Europe ne se feraient pas...nous vous confierions, avant le 30 septembre 2002, un poste équivalent en regard de l'organisation du Groupe à ce moment-là...Dans cette hypothèse, nos engagements précédents (rémunération fixe portée à 2 MF par an, 35.000 stocks options supplémentaires et nomination au Directoire ou équivalent) demeurent inchangées.
3- Dans l'hypothèse où vous seriez amené à quitter notre Société à notre initiative, nous nous engageons irrévocablement à vous proposer une indemnité transactionnelle de 4 millions de francs si cette rupture de notre fait intervient avant le 1er novembre 2001, de 6 millions de francs si elle intervient entre le 1er novembre 2001 et le 30 septembre 2002 et de 8 millions de francs à compter de cette dernière date.
Si d'aventure une fonction de Directoire ou équivalent n'est pas créée ou proposée avant le 30 septembre 2002, vous pourrez quitter la Société de votre seule initiative et percevoir l'indemnité transactionnelle de rupture de 8 millions de francs...'
Le 20 septembre 2004, les parties signaient un avenant de suspension du contrat de travail pour une durée de trois ans courant à compter du 1er janvier 2005 pour se terminer à l'issue du contrat d'expatriation conclu avec la société MARUSHKA HOLDING BV en qualité de membre du comité de direction LAURUS en charge des services partagés (Supply Chain, Marketing, Achats, Qualité).
Le 26 décembre 2005, M. [P] informait la société CASINO GUICHARD-PERRACHON de sa démission de son poste au sein de la société MARUSHKA HOLDING BV et de sa ' décision de quitter la Société dans le cadre des dispositions prévues', confirmée par lettre du 25 janvier 2006 précisant sa ' décision de quitter le Groupe Casino dans le cadre des dispositions contractuelles prévues'.
Par lettre du 30 janvier 2006, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON lui répondait :'...vous m'avez précisé... que votre décision de démissionner était définitive. Nous vous confirmons que nous n'avons pas compris le caractère soudain et brutal de votre décision intervenant dans le cadre d'une mission spécifique que vous avez parfaitement acceptée à effet du 1er janvier 2005...'
M. [P] n'a effectué que partiellement son préavis afin de prendre ses fonctions de directeur général au sein du Groupe CONFORAMA au début de l'année 2006.
M. [P] demande d'infirmer le jugement et de condamner les sociétés CASINO GUICHARD-PERRACHON et DISTRIBUTION CASINO FRANCE conjointement et solidairement à lui payer les sommes suivantes :
- 1.219.592,94 euros à titre d'indemnité contractuelle de rupture avec intérêts au taux légal à compter du 15 février 2006 et capitalisation,
- 35.000 euros à titre de solde de sa part variable contractuelle de rémunération pour 2005, avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2006 et capitalisation,
- 25.699,38 euros à titre de solde de l'indemnité compensatrice de préavis et 2569,93 euros pour les congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2006 et capitalisation,
- subsidiairement et en tout état de cause, 1.500.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel de perte de revenus et préjudice moral et professionnel,
- 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les sociétés CASINO GUICHARD-PERRACHON et DISTRIBUTION CASINO FRANCE demandent que le jugement soit confirmé, que M. [P] soit débouté de ses prétentions et qu'il soit condamné au paiement d'une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre celle de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
SUR CE
Il est expressément fait référence aux explications et conclusions des parties visées à l'audience ;
Sur l'indemnité de rupture
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande au titre de l'indemnité de rupture prévue par la lettre- avenant du 28 août 2001 ;
En effet, il ressort des pièces versées aux débats que par avenant du 20 décembre 2004, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON et M. [P] ont convenu :'...ARTICLE 1er-SUSPENSION DU CONTRAT DE TRAVAIL. A compter du 1er janvier 2005 le contrat de travail liant M. [P] à la société CASINO GUICHARD-PERRACHON est suspendu d'un commun accord des parties. Vous conserverez le bénéfice des accords particuliers prévus dans la lettre du 28/08/2001. Cette suspension est prévue pour une durée de trois ans courant à compter du 1er janvier 2005 et pourra prendre fin dans les conditions prévues à l'article 2 ci-après...
ARTICLE 2 - FIN D'EXPATRIATION : La suspension du contrat de travail de M. [P] se terminera avec la cessation du contrat de travail conclu entre lui et la société Marushka Holding BV dans la limite de la durée prévue à l'article 1er ci-avant...'
La lettre du 28/08/2001, mentionnée dans l'avenant du 20 décembre 2004 précité, indique :
'...Si d'aventure une fonction de Directoire ou équivalent n'est pas créée ou proposée avant le 30 septembre 2002, vous pourrez quitter la Société de votre seule initiative et percevoir l'indemnité transactionnelle de rupture de 8 millions de francs...'
Il résulte de ce qui précède que, de la convention des parties, la suspension du contrat de travail a maintenu les accords particuliers prévus dans la lettre du 28 août 2001, notamment la possibilité pour M. [P] de prendre l'initiative de démissionner en percevant l'indemnité de rupture si une fonction de directoire ou équivalent ne lui était pas proposée avant le 30 septembre 2002 ;
Il est constant qu'aucune fonction de directoire ou équivalent n'a été proposée à M. [P], ni avant le 30 septembre 2002 ni après ;
La société CASINO GUICHARD- PERRACHON ne peut pas valablement soutenir que l'avenant de suspension du contrat du 20 décembre 2004 ferait novation alors que, non seulement cet avenant maintient sans distinction tous les accords prévus dans la lettre du 28 août 2001, mais encore qu'il prévoit les conditions de rapatriement ;
La société CASINO GUICHARD- PERRACHON ne peut pas non plus valablement soutenir que la demande de M. [P] devrait être rejetée au motif qu'il ne pourrait plus demander à bénéficier de la clause litigieuse faute de s'en être prévalu au 30 septembre 2002, alors que la convention ouvre à M. [P] la faculté de quitter la société en percevant l'indemnité de rupture à compter du 30 septembre 2002 mais ne stipule aucun délai limitatif pour demander à en bénéficier ;
Ainsi, M. [P] est fondé à demander à l'encontre de la société CASINO GUICHARD-PERRACHON, mais non à l'encontre de la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE qui n'est pas concernée, l'application de la clause litigieuse qui, au regard de l'article 1152 du Code civil, s'analyse en une clause pénale dont le montant est manifestement excessif ;
Le non respect par la société CASINO GUICHARD- PERRACHON de son engagement a nécessairement causé à M. [P] un préjudice que la Cour évalue, au vu des éléments fournis, à la somme de 600.000 euros ;
En conséquence, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 600.000 euros au titre de l'indemnité de rupture avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Sur le solde de rémunération variable, le préavis et les congés payés afférents
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de ses demandes au titre du solde de rémunération variable pour l'année 2005, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents ;
En effet, il ressort des pièces versées aux débats que, par l'avenant du 20 décembre 2004, le contrat de travail liant la société CASINO GUICHARD- PERRACHON et M. [P] a été suspendu pour une durée de trois ans à compter du 1er janvier 2005, un contrat étant conclu pour la même période entre M. [P] et la société MARUSHKA ; que M. [P] a notifié, de manière claire et non équivoque, sa démission à la société MARUSHKA et demandé à la société CASINO GUICHARD- PERRACHON par lettre du 26 décembre 2005, confirmée par lettre du 25 janvier 2006, l'application des dispositions contractuelles prévues, en cas de démission à son initiative, par la lettre du 28 août 2001 et maintenues par l'avenant du 20 décembre 2004 précité ;
Il est établi par les pièces versées aux débats que pour l'année 2005 et lors de la démission de M. [P], l'employeur était la société MARUSHKA ; M. [P] ne peut donc demander aux sociétés intimées, qui n'étaient pas son employeur, un solde de rémunération variable pour l'année concernée, ni une indemnité de préavis avec les congés payés afférents ;
M. [P] ne peut valablement soutenir que les sociétés intimées seraient débitrices à son égard d'un rappel de salaires variables pour 2005, de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents au motif que son contrat de travail avec la société MARUSHKA serait un montage juridique purement formel, sa dépendance hiérarchique étant auprès de la société CASINO GUICHARD-PERRACHON qui serait restée son co-employeur principal, alors que la preuve de ses allégations n'est pas rapportée, étant observé au demeurant, concernant le préavis, que M. [P] ne l'a effectué que partiellement pour pouvoir prendre ses nouvelles fonctions au sein du Groupe CONFORAMA ;
En conséquence, M. [P] sera débouté du chef de ces demandes ;
Sur les autres demandes
La somme allouée à M. [P] au titre de l'indemnité de rupture rend sans objet sa demande en dommages et intérêts pour préjudice matériel de perte de revenus et préjudice moral et professionnel, d'autant que M. [P] a démissionné sans invoquer de griefs à l'encontre de la société CASINO GUICHARD- PERRACHON de nature à entraîner, le cas échéant, la requalification en prise d'acte de la rupture aux torts de cette dernière et que sa demande de ce chef présente donc un caractère tardif ; dans ces conditions, cette demande sera rejetée ;
Faisant droit à la demande de M. [P], la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;
Les sociétés CASINO GUICHARD-PERRACHON et DISTRIBUTION CASINO FRANCE seront déboutées de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, le caractère abusif de la procédure n'étant pas démontré ni le préjudice justifié ;
Il n'y a pas lieu à frais irrépétibles d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement sauf pour ce qui concerne l'indemnité de rupture ;
Statuant à nouveau de ce seul chef et y ajoutant :
Condamne la société CASINO GUICHARD-PERRACHON à payer à M. [P] la somme de 600.000 euros à titre d'indemnité de rupture avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;
Rejette les autres demandes ;
Condamne la société CASINO GUICHARD-PERRACHON aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT