RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 03 Juin 2010
(n° 23 , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/03994 BF
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Mars 2009 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL RG n° 08-00017
APPELANTE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL DE MARNE (CPAM 94)
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Mme [R] en vertu d'un pouvoir général
INTIMEE
SAS CLINIQUE DE [8]
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Me Anne-Sophie MOULIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0069
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Régulièrement avisé - non représenté.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Avril 2010, en audience publique, les parties représentées ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Bertrand FAURE, Président, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Bertrand FAURE, Président
Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Conseiller
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Greffier : Mademoiselle Séverine GUICHERD, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Bertrand FAURE, Président et par Mademoiselle Séverine GUICHERD, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) du Val de Marne d'un jugement rendu le 13 Mars 2009 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL dans un litige l'opposant à la SAS CLINIQUE DE [8].
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que du 17 au 20 Octobre 2006 la CLINIQUE DE [8] a fait l'objet d'un contrôle externe de la tarification à l'activité entre le 1er Mars 2005 et le 31 Mars 2006 ; le 3 Avril 2007 la CPAM du Val de Marne lui a adressé un courrier mentionnant ce qui suit : ' Votre établissement a été inclus dans le programme régional de contrôle pour l'année 2005 voté par la COMEX de l'ARH de région le 21/2/2006. L'examen de vos facturations fait aussi ressortir un certain nombre d'anomalies ayant entraîné le paiement de sommes indues et concernant les actes et prestations figurant au tableau annexé. Vous disposez délai d'un mois à compter de la réception de la présente lettre : soit pour procéder au règlement de la somme de 37923,82 € ... soit pour présenter les observations écrites auprès du directeur de la Caisse Primaire gestionnaire ayant supporté l'indu et / ou les éléments susceptibles de justifier les termes d'un règlement amiable. A défaut de paiement ou de transaction dans ce délai, une mise en demeure vous sera adressée et une majoration de 10 % sera appliquée sur les sommes restant dues ' ; par courrier du 19 Avril 2007, précision étant donnée que le tableau communiqué ne fournit aucune indication sur le motif de l'indu se bornant à spécificier pour chaque acte litigieux ' Acte ne relevant pas d'une hospitalisation ' la Clinique DE [8] a formulé ses observations en soulignant que les actes pour lesquels la facturation d'un GHS était contestée avait mobilisé des moyens d'hospitalisation ( locaux, matériel, personnel du service de chirurgie ambulatoire ) compte tenu de la nature de l'acte incriminé justifiant le recours à un environnement de sécurité ; en date du 22 Mai 2007 la CPAM du Val de Marne ne lui en pas moins notifié sans apporter la moindre réponse une mise en demeure d'avoir à payer le montant de l'indu majoré d'une pénalité de 10 % soit une somme de 41.716,20 € ; la CLINIQUE DE [8] a contesté cette décision devant la Commission de Recours Amiable en faisant valoir qu'eu égards aux risques liés aux actes réalisés les patients devaient être traités dans un environnement offrant toutes les garanties d'hygiène d'asepsie et de sécurité exclusive d'une prise en charge en cabinet de ville et que le recours aux moyens d'hospitalisation était parfaitement justifié ; en sa séance du 1er Décembre 2008 la Commission de Recours Amiable a rejeté la requête présentée au motif que ' Les actes facturés ne relevant pas d'une hospitalisation , la Caisse est fondée à récupérer les sommes versées au titre de l'article L 133-4 du Code de la Sécurité Sociale ' ; la CLINIQUE DE [8] s'est alors pourvue devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL qui par le jugement déféré a considéré qu'il se heurtait a une difficulté d'ordre médical, s'agissant de déterminer si les soins dispensés aux nombreux assurés figurant au tableau récapitulatif précité nécessitaient ou non une hospitalisation ; il a en conséquence au visa des dispositions de l'article R 142-24-3ème alinéa du Code de la Sécurité Sociale disposé comme suit :
' Rejette les moyens développés par la SAS CLINIQUE DE [8] tendant à la nullité de la procédure de recouvrement de la somme de trente sept mille neuf cent vingt trois euros et quatre vingt deux centimes majorés de 10 % soit quarante et un mille sept cent seize euros et vingts centimes ;
Ordonne une expertise confiée au Docteur [U] [H], Expert en Ophthamologie ...
Fixe comme suit la mission d'expert :
Dire si les soins dispensés aux patients figurant dans le tableau ci annexé aux dates figurant dans le tableau nécessitaient ou non une hospitalisation . Le cas échéant préciser pour quels patients une hospitalisation était nécessaire ;
... ' ;
La CPAM du Val de Marne fait déposer et développer oralement par son représentant des conclusions où il est demandé à la Cour :
' Dire la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Val de Marne recevable et bien fondée en son appel ;
Ce faisant ;
Constater et bien vouloir procéder à la rectification d'erreur matérielle affectant le jugement entrepris rendu le 13 Mars 2009 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL en ce qu'il s'est basé sur l'article R 142-24-3ème alinéa au lieu de l'article R 142-24-3 du Code de la Sécurité Sociale ;
Y ajoutant ;
Infirmer ledit jugement mais uniquement en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise médicale ;
Évoquant ;
Dire et juger que c'est à bon droit que cet organisme a notifié à la SAS Clinique de [8] un créance d'un montant de 41.716, 20 € montant majoré d'un indu initial de 37.923, 82 €
correspondant aux remboursements qu'elle a indûment perçus suite à une facturation inappropriée d'actes réalisés entre le 1er Mars 2005 et le 31 Mars 2006 ;
Condamner la SAS Clinique de [8] à lui rembourser la somme de 41.716, 20 € ;
Délivrer à la concluante la grosse de la décision qui sera rendue ' ;
La CLINIQUE DE [8] fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions où il est sollicité ce qui suit :
' Vu les articles 232 à 248, 263, 272, 454, 455 et 462 du code de procédure civile ;
Vu l'article L 141-2-1 du Code de la Sécurité Sociale ;
Vu l'article 1315 du code civil ;
Vu l'article L 1110- 4 du Code de la santé publique ;
Vu l'article 226-13 du code pénal ;
... ;
A titre principal ;
Dire et juger que le Tribunal n'ayant pas tranché le litige au fond et l'appel de la caisse étant limité à l'infirmation du jugement en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise, la caisse était tenue au visa des articles susvisés de solliciter l'autorisation du premier président de la Cour d'Appel ;
Dire et juger que faute pour la CPAM du Val de Marne d'avoir respecté la procédure prévue à l'article 272 du code de procédure civile, l'appel est irrecevable ;
A titre infiniment subsidiaire ;
Constater que la solution du litige, qui passe par une analyse des dossiers médicaux et des informations nominatives qu'il contiennent, pour vérifier l'adéquation de la facturation du forfait hospitalier à la nature des interventions médicales en cause, impose le recours à une mesure d'expertise pour préserver le secret médical ;
Confirmer en toutes ses dispositions la décision du 13 Mars 2009 du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Créteil ;
En tout état de cause, condamner la CPAM du Val de Marne à payer à la Clinique de [8] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du NCPC ;
La condamner aux entiers dépens ' ;
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens et arguments proposés par les parties au soutien de leur prétentions ; il convient toutefois d'observer que devant la Cour la CLINIQUE DE [8] ne reprend pas ses demandes tendant à voir annuler la procédure de recouvrement en la forme ;
Sur quoi la Cour :
Considérant qu'aux termes de l'article 544 du Code de Procédure Civile ' Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal ; que l'article 545 précise que ' Les autres jugements ne peuvent être frappés d'appel indépendamment des jugements sur le fond que dans les cas spécifiés par la loi ' ; que selon l'article 272 ' la décision ordonnant l'expertise peut être frappé d'appel indépendamment du jugement sur le fond sur autorisation du premier président de la cour d'appel s'il est justifié d'un motif grave et légitime ' ;
Considérant qu'en l'espèce le jugement frappé d'appel tranche une partie du principal puisqu'il rejette les moyens développés par la CLINIQUE DE [8] tendant à la nullité de la procédure de recouvrement lesquels moyens constituent son principal, la contestation de la créance n'intervenant qu'à titre subsidiaire ; qu'il importe donc peu que l'appel de la Caisse porte uniquement sur l'expertise ; que de surcroit la question posée à l'expert tranche elle-même une partie du principal ; que l'appel est donc immédiatement recevable sans autorisation du Premier Président de la Cour d'Appel ;
Considérant comme y invite la CPAM du Val de Marne que les premiers juges ne pouvaient pour ordonner une mesure d'expertise se fonder sur l'article ' R 141-24. 3ème alinéa du Code de la Sécurité Sociale ; qu'il s'agit manifestement d'une erreur matérielle dans la mesure où ils auraient dû en réalité se fonder sur l'article R 142-24-3 dudit Code disposant que ' Lorsqu'un différend fait apparaître en cours d'instance une difficulté d'ordre technique portant sur l'interprétation des dispositions relatives à la liste des actes et prestations prévues par l'article L 162-1.7 le Tribunal peut ordonner une expertise ' ; que le jugement argué d'erreur étant réputé ' déféré ' à la Cour l'erreur ainsi commise, relevant des dispositions de l'article 462 du Code de Procédure Civile, ne peut plus être réparée que par elle ;
Considérant que lors du contrôle effectué par la Caisse Primaire auprès de la CLINIQUE DE [8] sur les actes réalisés au 1er Mars 2005 au 31 Mars 2006 les médecins contrôleurs ont constaté la facturation d'actes concernant les assurés du Val de Marne en GHS ( Groupe Homogène de Séjour ) alors qu'ils relevaient de consultations et soins externes devant être cotés en application de la CCAM ( Classification Commune des actes Médicaux ) ;
Considérant toutefois qu'à bon droit les premiers juges ont estimé qu'ils se heurtaient à une difficulté d'ordre médical ; qu'il ne peut s'agir d'un litige d'ordre administratif l'expert ayant précisément pour mission de déterminer si les actes litigieux relevaient d'une prise en charge hospitalière et partant de qualifier ces actes au regard de la nomenclature en vigueur depuis la Tarification à l'Activité ( T2A ), système de financement unique s'appliquant à compter du 1er Janvier 2004 à tous les établissements de santé publics ou privés ; qu'au visa de l'article 1315 du Code Civil il appartient à la Caisse Primaire lorsqu'elle demande le remboursement de prestations qu'elle estime avoir indûment versées d'apporter la preuve des faits allégués à l'appui de ses prétentions ; que même à considérer que la charge de la preuve incomberait à la CLINIQUE DE [8] encore faut-il que celle ci ne soit pas de fait privée des moyens de l'administrer ; que l'article L 1110-4 du Code de la Santé Publique rappelle les obligations issues du secret médical ; que la violation du secret médical est une infraction sanctionnée par l'article 226-13 du Code Pénal ; que le secret médical couvre l'ensemble des informations concernant le patient venues à la connaissance du professionnel de santé ; que la production du dossier médical devant une juridiction pour justifier de l'existence ou non d'un indu ne fait pas partie des circonstances autorisant la divulgation des pièces du dossier médical ; que la CLINIQUE DE [8] ne peut donc produire ces pièces dans le but d'établir si l'hospitalisation était justifiée ; que seul un expert peut donc être autorisé à les examiner ; qu'ainsi et sauf à priver ladite Clinique du seul moyen de preuve à sa disposition pour prouver le bien fondé de ses droits, l'expertise apparait comme indispensable dans le cadre du présent contentieux relatif à des données techniques concernant l'adéquation d'une prise en charge hospitalière et de la facturation d'un forfait d'hospitalisation au regard de la nature des soins dispensés aux patients, contentieux dont la solution suppose la vérification des données nominatives contenues dans chaque dossier dont la facturation est critiquée ; qu'en d'autres termes l'expertise médicale ordonnée par le Tribunal, fondée en droit, est le seul moyen de trancher le litige dès lors que l'examen des dossiers médicaux couverts par le secret médical, qui s'impose pour arbitrer la question opposant les parties, ne peut être le fait que d'un médecin expert ;
Considérant qu'en conséquence la décision déférée ne peut être que confirmée concernant tant le principe de l'expertise ordonnée que la mission impartie à l'expert ; que par contre le litige posant le principe de l'adéquation de la facturation il apparaît nécessaire de recourir à l'expertise d'un praticien spécialisé dans ce domaine ; qu'ainsi la Cour décide de remplacer le Docteur [U] [H] par le Docteur [D] [E] ;
Considérant que dans les circonstances de l'espèce l'équité ne commande pas de faire bénéficier la CLINIQUE DE [8] des dispositions de l'article 700 du CPC ;
PAR CES MOTIFS
Déclare la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Val de Marne recevable en son appel ;
Confirme le jugement entrepris ;
Dit toutefois que le Docteur [U] [H] expert désigné par le Tribunal sera remplacé par le Docteur [D] [E], Ecole de santé publique, [Adresse 4] ;
Dit que l'expert devra de ses constatations et conclusions établir un rapport qu'il adressera au Greffe Social de la Cour dans les trois mois de sa saisine ;
Renvoie l'affaire pour plaidoiries à l'audience du Vendredi 25 Mars 2011 à 13h30 de cette même Chambre ;
Dit que la notification du présent arrêt vaudra convocation des parties pour ladite audience ;
Dit que le jugement rendu le 13 Mars 2009 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL doit être rectifié en ce sens qu'en page 21 ligne 2 il est visé l'article R 142.24.3ème alinéa alors qu'il s'agit de l'article R 142-24-3 ;
Dit que la présente décision sera mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement rendu le 13 Mars 2009 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL sous le numéro de Répertoire 09.00017/CR et qu'elle sera notifiée aux parties comme ledit jugement.
Le Greffier, Le Président,