RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 12 Mai 2010
(n° 4 , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 04/43031 LL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Juillet 2003 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de PARIS RG n° 00/14285
APPELANT
Monsieur [I] [N]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 5]
comparant en personne, assisté de Me Jean-Baptiste MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J 043
INTIMEES
MUTUELLE DU MANS ASSURANCES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6]
non représentée
CAISSE DU RÉGIME SOCIAL DES INDÉPENDANTS DES PROFESSIONS LIBÉRALES D'ILE DE FRANCE
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par M. [D] en vertu d'un pouvoir général
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
[Adresse 4]
[Localité 8]
Régulièrement avisé - non représenté.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 Mars 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Bertrand FAURE, Président
Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Conseiller
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller qui en ont délibéré
Greffier : Mademoiselle Séverine GUICHERD, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Bertrand FAURE, Président et par Mademoiselle Séverine GUICHERD, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [N] d'un jugement rendu le 3 juillet 2003 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l'opposant à la caisse du Régime social des indépendants des professions libérales d'Ile de France (RSI), venant aux droits de la caisse d'assurance maladie des professions libérales d'Ile de France (CAMPLIF) ;
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que M. [N], résidant en France, a été associé du cabinet d'avocats Ashurst Morris Crisp, devenue Ashurst LLP, constitué sous la forme d'un partnership de droit anglais basé à [Localité 9] et regroupant des avocats exerçant tant au siège anglais que dans d'autres bureaux répartis dans divers pays ; qu'à ce titre il a perçu une quote-part des bénéfices distribués à [Localité 9] par le partnership et s'est acquitté en France des cotisations sociales assises sur les bénéfices retirés de ses activités professionnelles à [Localité 10] ; qu'estimant que c'était l'ensemble des bénéfices, y compris ceux provenant du bureau de [Localité 9], qui devait être assujetti au paiement des cotisations d'assurance maladie du régime des indépendants, la CAMPLIF lui a réclamé un supplément de cotisations ; qu'après le rejet des réclamations soutenues par l'intéressé devant la commission de recours amiable de la CAMPLIF, cet organisme lui a fait délivrer successivement trois contraintes au titre des cotisations maladie ; qu'il a formé opposition à ces contraintes devant la juridiction des affaires de sécurité sociale ;
Par jugement du 3 juillet 2003, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a dit que M. [N] devait cotiser sur les revenus qu'il tire de son activité d'avocat et sur sa part de bénéfices du partnership Ashurst Morris Crisp, confirmé les décisions prises par la commission de recours amiable et validé les contraintes à concurrence de 11.176,34 euros pour la période du 1er octobre 1997 au 31 mars 1998 et de 5.365,53 euros pour la période du 1er octobre 1998 au 31 mars 1999, la troisième opposition étant devenue sans objet ;
M. [N] fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions aux termes desquelles il est demandé à la Cour d'infirmer le jugement, de déclarer que les bases retenues pour le calcul des cotisations d'assurance maladie ne doivent pas inclure les revenus de source britannique, non tirés de l'exercice d'une activité professionnelle, de réformer en conséquence les décisions de la commission de recours amiable, d'annuler les mises en demeure du 5 novembre 1999 et du 9 novembre 2000 ainsi que les contraintes du 25 février 2000 et du 5 janvier 2001 et de dire qu'à l'avenir le RSI et la mutuelle du Mans Assurances, chargée de l'appel des cotisations, devront exclure les revenus de source britannique non tirés de l'exercice d'une activité professionnelle du calcul des cotisations d'assurance maladie. En tout état de cause, il demande le paiement de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
En premier lieu, il se prévaut de la position prise, dans deux lettres du 8 juillet 1997 et du 15 janvier 1998, par la direction de la sécurité sociale qui a indiqué que les revenus de source étrangère perçus par les associés d'un partnership résidant en France n'étaient assujettis à cotisations sociales qu'à la condition de figurer dans les revenus professionnels pris en compte pour le calcul de l'impôt sur le revenu. Il invoque également l'instruction donnée par le Ministère des affaires sociales, dans une note du 26 juillet 2005 adressée au directeur de l'ACOSS, reconnaissant l'absence d'assujettissement aux cotisations et contributions sociales des revenus professionnels de source britannique.
En second lieu, il soutient que le règlement 1408/71sur lequel se fonde le RSI pour soumettre ses revenus britanniques à cotisation n'implique pas un tel assujettissement dans la mesure où il n'existe, en l'espèce, aucune double activité au sens de la législation anglaise et où le dispositif communautaire invoqué ne constitue qu'un instrument de coordination et non une source d'assujettissement. En effet, selon le certificat de coutume qu'il produit, la seule détention de parts au sein d'un partnership ne constitue pas une activité professionnelle au sens du droit anglais. Au surplus, il invoque l'arrêt rendu le 3 avril 2008 par la Cour de justice des communautés européennes dans l'affaire [S], aux termes duquel le règlement litigieux est un simple instrument de coordination et n'impose pas l'assujettissement aux cotisations sociales applicables dans l'Etat de résidence de l'ensemble des revenus perçus dans les différents Etats membres de la communauté européenne. Il indique précisément que, pour prévenir une double imposition, la convention franco-britannique du 22 juin 1968 a exclu les revenus d'origine britannique d'une imposition en France. Dans la mesure où l'assiette des revenus soumis aux cotisations de sécurité sociale des travailleurs indépendants est calquée sur l'assiette des revenus professionnels retenus pour le calcul de l'impôt sur le revenu, il estime que les bénéfices qu'il retire du bureau de [Localité 9] doivent échapper aux cotisations sociales françaises comme ils échappent aux impôts français. Enfin, il fait observer qu'en l'état des dispositions de l'article L 131-6 du code de la sécurité sociale qui prévoient l'alignement de l'assiette des cotisations sociales sur celle de l'impôt sur le revenu, il n'était pas nécessaire de conclure une convention bilatérale de renoncement pour exclure les revenus britanniques de l'assiette des cotisations d'assurance maladie. De même, il considère que la prise en compte du taux effectif d'imposition prévue par l'article D 612-2 du code de la sécurité sociale, auquel se réfère le jugement attaqué, a seulement pour objet de maintenir la progressivité de l'impôt mais n'implique nullement l'inclusion des revenus de source anglaise dans l'assiette des cotisations de l'assurance maladie.
Enfin, il considère que la position prise par le RSI porte atteinte à la règle de confiance légitime et au principe du procès équitable dans la mesure où cet organisme soutient des thèses et prétentions contraires à celles de son autorité de tutelle.
Le RSI fait déposer et soutenir oralement par son représentant des conclusions tendant à la confirmation du jugement sauf à réduire la somme restant due à 5.289,38 euros pour la période du 1er octobre 1997 au 31 mars 1998 et à celle de 5.365,53 euros pour la période du 1er octobre 1998 au 31 mars 1999.
Il considère qu'en application des dispositions de l'article 14bis § 2 du règlement communautaire n° 1408/71, la personne qui exerce son activité sur le territoire de plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l'Etat membre sur le territoire duquel elle réside si elle exerce une partie de son activité sur ce territoire. Il invoque les dispositions de l'article 14 quinquiès § 1 du même règlement aux termes duquel, en pareil cas, l'intéressé doit être traité par la législation applicable comme s'il exerçait l'ensemble de son activité professionnelle sur le territoire de l'Etat membre dont la législation est applicable et donc verser les cotisations sur la totalité des revenus perçus. Il estime qu'en l'espèce, M. [N], qui exerçait son activité professionnelle tant en France qu'en Grande-Bretagne, devait verser en France, pays où il réside, les cotisations sociales calculées non seulement sur ses revenus français mais aussi sur ceux provenant de Grande-Bretagne. Il fait observer que si, aux termes de l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 3 avril 2008, le règlement 1408/71 ne fait pas obstacle à ce qu'un Etat membre choisisse de pas percevoir des cotisations sur la totalité des revenus de celui-ci, l'Etat français n'a renoncé à inclure les revenus d'origine britannique que dans l'assiette des contributions fiscales, telles que la CSG et la CRDS, mais non dans celle des cotisations personnelles d'assurance maladie qui n'entrent pas dans le champ d'application de la convention franco-britannique du 22 mai 1968. Il ajoute qu'il n'existe aucune convention de renoncement concernant ces cotisations. Il prétend que les dispositions des articles L 131-6 et D 612-2 du code de la sécurité sociale n'excluent pas la prise en compte des revenus perçus en Grande-Bretagne dans l'assiette de calcul des cotisations de sécurité sociale et fait remarquer que la convention franco-britannique du 22 mai 1968 ne limite pas l'assiette fiscale aux revenus imposés en France et n'a pour objet que de déterminer le lieu d'imposition et non d'en définir l'assiette.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
Sur quoi la Cour :
Considérant qu'en vertu des articles L 131-6 et D 612-2 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, les cotisations personnelles d'assurance maladie des travailleurs non salariés non agricoles sont assises sur le revenu professionnel non salarié ; que ce revenu est égal à celui retenu par l'administration fiscale pour le calcul de l'impôt sur le revenu ;
Considérant que ces dispositions instituent ainsi une identité d'assiette pour le calcul des cotisations sociales et de l'impôt sur le revenu ;
Considérant que lorsque la personne assujettie résidant en France perçoit des revenus en France et à l'étranger, des conventions fiscales tendant à éviter les doubles impositions déterminent quels sont les revenus imposables dans chaque Etat ;
Considérant que l'article 14 de la convention fiscale franco-britannique du 22 juin 1968 dispose que 'Les revenus qu'un résident d'un Etat contractant tire d'activités indépendantes ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que ce résident ne dispose de façon habituelle dans l'autre Etat contractant d'une base fixe pour l'exercice de ses activités. S'il dispose d'une telle base, les revenus sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à ladite base fixe' ;
Considérant qu'en l'espèce, M. [N] a déclaré percevoir à la fois des revenus professionnels tirés de l'exercice de son activité d'avocat en France et une part des bénéfices réalisés par le partnership britannique dont il est membre ; qu'il n'est pas contesté que cette dernière catégorie de revenus a pour origine exclusive l'activité du bureau de [Localité 9] qui constitue une base fixe au sens de l'article 14 de la convention fiscale précitée ;
Considérant qu'il s'ensuit que les bénéfices d'origine britannique attribués à l'intéressé au titre de son association au partnership n'entrent pas dans l'assiette servant au calcul de l'impôt sur le revenu perçu en France ;
Considérant qu'en raison de l'identité d'assiette des cotisations sociales et de l'impôt sur le revenu, ces bénéfices ne sont pas non plus soumis aux cotisations de l'assurance maladie ;
Considérant qu'à cet égard, le Règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971 relatif notamment à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs non salariés n'interdit pas aux Etats membres de limiter l'assiette des contributions sociales aux seuls revenus perçus dans l'Etat de résidence ;
Considérant qu'en effet, selon l'arrêt du 3 avril 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes ( C 103/06 [S]), le Règlement n° 1408/71 est un instrument de coordination et non d'harmonisation, les Etats membres étant compétents aux fins de déterminer l'assiette des contributions ; qu'il en résulte qu'aucune disposition du Règlement n'oblige l'Etat, dont la législation de sécurité sociale est applicable, à inclure dans l'assiette des cotisations, les revenus perçus par le cotisant dans un autre Etat membre ;
Considérant que, de même, l'article 14 quinquiès du Réglement qui prévoit que les intéressés exerçant des activités non salariées dans plusieurs Etats membres doivent être traités comme s'ils exerçaient l'ensemble de leurs activités sur le territoire de l'Etat dont la législation est applicable n'implique nullement que ces personnes soient redevables de cotisations sur l'ensemble des revenus perçus dans tous les Etats ;
Considérant qu'ainsi le droit communautaire ne s'oppose pas à la prise en considération de la convention franco-britannique pour déterminer, par référence au revenu professionnel retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu, l'assiette des cotisations de sécurité sociale dont sont redevables les travailleurs non salariés non agricoles, conformément aux dispositions de l'article L 131-6 du code de la sécurité sociale ;
Considérant qu'il importe peu qu'aucune convention internationale ne prévoit l'exclusion des revenus étrangers de l'assiette des cotisations de sécurité sociale dès lors que cette exclusion résulte nécessairement de la référence explicitement faite par l'article L 131-6 précité au revenu professionnel retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu ;
Considérant que, par ailleurs, si la totalité des revenus sont pris en compte pour la détermination du taux d'imposition, cette règle n'a pour objet que d'assurer le maintien de la progressivité de l'impôt mais non de rendre imposables en France les revenus expressément exonérés par les autres dispositions de la convention ;
Considérant qu'enfin, M. [N] fait à juste titre remarquer que les nouvelles dispositions de l'article L 131-9 du code de la sécurité sociale, issues de la loi du 17 décembre 2008, instituent désormais une cotisation d'assurance maladie à la charge des assurés d'un régime français d'assurance maladie exonérés en tout ou partie d'impôts directs en application d'une convention ou d'un accord international, au titre de leur revenus d'activité définis aux articles L 131-6 et L 242-1 du code de la sécurité sociale qui ne sont pas assujettis à l'impôt sur le revenu ;
Considérant que l'adoption de cette mesure démontre qu'à la date du redressement litigieux, la combinaison des dispositions de l'article L 131-6 et des conventions internationales prévenant la double imposition avait pour effet d'exclure les revenus d'activité étrangers non soumis à l'impôt sur le revenu en France de l'assiette des cotisations d'assurance maladie ;
Considérant que cette interprétation des textes applicables était aussi celle retenue par les autorités de tutelle interrogées, à plusieurs reprises, par l'intéressé, même si cette opinion n'avait aucune valeur normative ;
Considérant que, dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges ont décidé que l'intéressé devait cotiser sur les bénéfices retirés du partnership, ont validé les contraintes et ont accueilli les demandes en paiement du RSI ;
Que leur décision sera donc infirmée dans toutes ses dispositions ;
Considérant qu'en revanche, il ne peut être statué sur l'avenir pour interdire à l'avance la prise en compte des revenus de source britannique dans le calcul des cotisations d'assurance maladie ;
Considérant qu'au regard de la situation respective des parties au litige, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par ces motifs :
Déclare M. [N] recevable et bien fondé en son appel ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
Annule les contraintes délivrées à M. [N] les 25 février 2000 et 5 janvier 2001 au titre des cotisations assises sur ses revenus perçus en Grande-Bretagne ;
Déboute les parties de leurs plus amples prétentions ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à application du droit d'appel prévu par l'article R 144-10, alinéa 2, du code de la sécurité sociale ;
Le Greffier, Le Président,