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15/04/2010 | FRANCE | N°09/02843

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 15 avril 2010, 09/02843


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5



ARRET DU 15 AVRIL 2010



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 09/02843



Sur renvoi après un arrêt de la Cour de cassation prononcé le 23 septembre 2008 emportant cassation d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris (5ème chambre section A) le 04 juillet 2007, sur un appel d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 18 

juin 2002,





DEMANDERESSE A LA SAISINE



Maître [R] [N], en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire des Ets LEPINOIT ET COMPAGNIE.
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Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRET DU 15 AVRIL 2010

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/02843

Sur renvoi après un arrêt de la Cour de cassation prononcé le 23 septembre 2008 emportant cassation d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris (5ème chambre section A) le 04 juillet 2007, sur un appel d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 18 juin 2002,

DEMANDERESSE A LA SAISINE

Maître [R] [N], en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire des Ets LEPINOIT ET COMPAGNIE.

demeurant : [Adresse 1]

représenté par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU JUMEL, avoués à la Cour

assisté de Me Renaud BERTIN plaidant pour la SCP BERTIN-URION, avocat au barreau de PARIS, toque : J062,

DÉFENDERESSE A LA SAISINE

Société AUTOMOBILES PEUGEOT prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège : [Adresse 2]

représentée par la SCP Anne-Marie OUDINOTet Pascale FLAURAUD, avoués à la Cour

assistée de Me Sandrine MUNNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : E 94,

COMPOSITION DE LA COUR :

Après le rapport oral de Madame Agnès MOUILLARD, Conseillère et conformément aux dispositions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Mars 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Colette PERRIN, Présidente

Madame Agnès MOUILLARD, Conseillère

Monsieur Christian REMENIERAS, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Anne BOISNARD

ARRET :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Colette PERRIN, président et par Mademoiselle Anne BOISNARD, greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

La société Etablissements Lépinoit et Compagnie (ci-après Lépinoit) était concessionnaire exclusif Peugeot dans la région de [Localité 4] depuis 1968 et, dans le dernier état de leurs relations, en vertu d'un contrat du 28 août 1996, conclu pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1999 avec la société Automobiles Peugeot (ci-après Peugeot).

Ce contrat contenait un article III intitulé 'objectif de vente' qui prévoyait, en son 2°, que le concédant pourrait résilier le contrat par anticipation, avec un préavis de six mois, en cas de non réalisation, à moins de 90 %, de l'objectif annuel de vente convenu, et de non-obtention d'un pourcentage de pénétration globale de véhicules neufs, différencié suivant les zones.

Après plusieurs mises en garde, Peugeot a résilié le contrat, le 28 juillet 1997, pour le 31 décembre 1999 'par application de l'article III-2°, au titre de votre pénétration au 31 décembre 1996'.

Invoquant la nullité de cette stipulation, le non-respect, par Peugeot, de ses obligations en matière d'approvisionnement, et l'utilisation abusive de la faculté de résiliation anticipée, Lépinoit a assigné Peugeot, le 15 janvier 1998, en paiement de dommages et intérêts.

Peugeot a résisté à la demande et reconventionnellement réclamé le paiement de factures impayées.

Par jugement du 18 juin 2002, le tribunal de commerce de Paris a condamné Lépinoit à payer à Peugeot la somme de 1 312 327,75 F avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 1998, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

LA COUR :

Vu l'appel de ce jugement interjeté par Lépinoit  ;

Vu l'intervention à l'instance de Me [N], en qualité de liquidateur de cette société, mise en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 juillet 2002 ;

Vu l'arrêt de cette cour, 5ème chambre section A, en date du 4 juillet 2007 confirmant le jugement sauf en ce qu'il condamnait Lépinoit à payer à Peugeot 1 312 327,75 F avec les intérêts au taux légal, et qui statuant à nouveau, a constaté l'admission de la créance de Peugeot au passif de Lépinoit à hauteur de 188 218,47 €, a débouté Me [N], ès qualités, du surplus de ses prétentions et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, en date du 23 septembre 2008, cassant l'arrêt précité de la cour d'appel, en toutes ses dispositions, et renvoyant l'affaire devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Vu la déclaration de saisine déposée par Me [N], ès qualités, le 23 janvier 2009 ;

Vu les conclusions signifiées le 1er octobre 2009 par lesquelles l'appelante et partie saisissante demande à la cour :

- sur la demande reconventionnelle de Peugeot, d'infirmer le jugement et de déclarer irrecevable, en tout état de cause infondée, la demande de Peugeot tendant à voir fixer sa créance à 188 218,47 €,

- sur l'appel principal, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de constater la nullité de l'article III, 2° du contrat, de juger que la résiliation anticipée du contrat par Peugeot est irrégulière et abusive en violation des dispositions de l'article III, 2° dudit contrat, que Peugeot a lourdement engagé sa responsabilité en rompant brutalement et de façon injustifiée les relations commerciales qui les liaient, en violation de l'article L. 442-6, 5° du code de commerce, en conséquence de condamner Peugeot à payer à Me [N] ès qualités, une somme de 3 725 324 € à titre de dommages et intérêts, outre 30 000 € au titre des frais exposés après plus de 11 années de procédure en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions signifiées le 13 novembre 2009 par lesquelles Peugeot poursuit la confirmation du jugement et le débouté des demandes de Me [N] ès qualités, demande la fixation de sa créance au passif de Lépinoit à la somme de 188 218,47 €, et réclame une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

SUR CE :

- sur la demande reconventionnelle

Considérant que c'est à juste titre que Me [N], ès qualités, se prévaut de l'ordonnance du juge-commissaire à la liquidation judiciaire de Lépinoit, en date du 18 mai 2004, qui a admis au passif la créance de Peugeot, à titre chirographaire, pour un montant de 188 218,47 €, et dont cette dernière ne conteste pas qu'elle n'a pas fait l'objet d'un recours ; qu'il suit de là que la demande en paiement formée par Peugeot à ce titre est irrecevable et que le jugement doit être infirmé de ce chef ;

- sur la demande principale

Considérant que la clause 'objectif de ventes' autorise le concédant à résilier le contrat par anticipation en cas de non-obtention d'un objectif de ventes annuel préalablement convenus (critère qui n'est pas critiqué) et, cumulativement, si le pourcentage de pénétration globale de véhicules neufs dans la zone de responsabilité confiée au concessionnaire (ci-après ZPR), apprécié au 31 décembre pour la période annuelle qui vient de s'écouler, se trouve être inférieur, par rapport aux pourcentages de pénétration globale de ces véhicules neufs dans la France métropolitaine et dans la Direction Régionale du constructeur à laquelle le concessionnaire est rattaché :

- de plus de 45 % si la ZPR est située à [Localité 5], dans l'un des trois départements limitrophes (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val de Marne) ou dans une agglomération où plus de deux concessionnaires du constructeur sont implantés ;

- de plus de 30 % si la ZPR est située dans l'un des autres départements de la Région parisienne (Essonne, Seine-et-Marne, Val-d'Oise, Yvelines), soit dans une agglomération d'un département autre que ceux de la Région parisienne, dans laquelle sont implantés deux concessionnaires du constructeur ;

- de plus de 15 % si la ZPR est située ailleurs ;

Considérant que, rappelant les termes de l'arrêt de la Cour de cassation du 23 septembre 2008, Me [N], ès qualités, poursuit l'annulation de cette clause, en sa seconde branche, au motif qu'elle repose sur des seuils différenciés de pénétration, discriminatoires comme opérant une distinction injustifiée entre les concessionnaires et dénués de pertinence, et fait valoir que seul un écart significatif et proportionnel constant du taux de pénétration moyen entre chacun des trois groupes aurait été pertinent pour justifier de l'existence de particularismes économiques et fonctionnels entre les trois groupes ;

Considérant que l'arrêt de cette cour du 4 juillet 2007, qui retenait que ces différenciations n'étaient pas discriminatoires parce qu'elles prenaient en compte les particularismes concurrentiels et spécificités commerciales afférents à chacune des zones de chalandises considérées, a été cassé sur ce point, pour manque de base légale, pour n'avoir pas précisé quels étaient ces particularismes concurrentiels et spécificités commerciales, ni établi qu'ils justifieraient objectivement les discriminations opérées par le concédant entre des territoires limitrophes ;

Considérant que Peugeot soutient à cet égard que les différents taux retenus se justifient par la différence de pression concurrentielle constatée selon que le concessionnaire est installé dans la zone Paris-Petite Couronne, dans la Grande Couronne, en province ou dans une agglomération comprenant un ou plusieurs autres concessionnaires Peugeot ;

Considérant que la carte reproduite par Peugeot en page 17 de ses écritures, qui indique les emplacements des concessionnaires de la marque en Ile-de-France, révèle à l'évidence que la pression concurrentielle a tendance à être plus élevée à [Localité 5] et dans la Petite Couronne que dans la Grande Couronne, et qu'elle s'amenuise encore en province à moins que les concessionnaires ne soient plusieurs ;

Que, toutefois, aucune explication économique rationnelle ne justifie que le périmètre des zones choisies pour l'application des critères différenciés ait été arrêté par référence aux limites administratives départementales, qui n'ont pas vocation à stigmatiser une rupture significative de densité concurrentielle, ni même de population, et les chiffres proposés par Peugeot, tirés de la moyenne des performances constatées dans ces zones, demeurent dénués de pertinence à cet égard ;

Que la même carte confirme d'ailleurs que les concessions implantées en limite des zones ainsi définies subissent une pression concurrentielle proche de celles situées de l'autre côté de ces limites, très différente de celle supportée par des concessions plus éloignées, relevant pourtant de la même zone contractuelle ; qu'ainsi, le critère appliqué à une concession, suivant qu'elle se trouve d'un côté ou de l'autre de la limite d'une zone, change considérablement (de 45 à 30 %, voire de 30 à 15 %) sans que la pression concurrentielle ne varie significativement  et il suffit pour s'en convaincre de relever la distorsion qui résulte de la situation du concessionnaire de [Localité 3], qui, bien que n'étant éloigné de son homologue de [Localité 6] (Essonne) que de 6 km environ, bénéficie du taux de 45 % quand ce dernier ne peut descendre en dessous de 30 % ;

Qu'il est donc établi que ces critères, en ce qu'ils ne tiennent pas compte de la situation propre à chaque concession au regard de la pression concurrentielle effectivement subie, induisent des différences de traitement injustifiées à l'égard des concessionnaires, en particulier à l'égard de ceux implantés en limite des zones considérées, ce qui est le cas du reste de la concession de [Localité 4] ; qu'il suit de là que la clause figurant à l'article III, 2° du contrat doit être qualifiée de discriminatoire et qu'elle ne pouvait fonder la résiliation ;

Qu'il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il rejette la demande de Lépinoit tendant à voir juger irrégulière la résiliation dénoncée par Peugeot pour le 31 janvier 1998 ;

Considérant, sur le préjudice, que c'est à juste titre que Me [N], ès qualités, invoque la perte de marge brute subie par Lépinoit du 1er février 1998 au 31 décembre 1999, date d'expiration normale du contrat, soit pendant 23 mois ; que toutefois, ce préjudice ne saurait correspondre exactement au montant réclamé de 3 725 324 €, calculé en considération de la marge brute moyenne obtenue au cours des exercices 1994, 1995 et 1996, dès lors qu'il est constant que les performances de Lépinoit ont été en diminution constante au cours de ces trois années (la marge brute a diminué de 13 % entre 1994 et 1996) et qu'elles avaient chuté significativement avant même la notification de la résiliation (- 40 % des ventes au cours des six premiers mois de 1997), de sorte qu'il ne peut être tenu pour assuré qu'elle aurait obtenu les mêmes résultats au cours des deux années suivantes ; que c'est donc une perte de chance qu'il convient d'indemniser, laquelle, eu égard aux justificatifs produits, sera justement réparée par une indemnité de 3 000 000 € ;

Et considérant que Lépinoit a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a donc lieu de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, dans la mesure qui sera précisée au dispositif, et de rejeter la demande présentée par Peugeot à ce titre ;

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Annule comme discriminatoire la clause de résiliation anticipée figurant à l'article III, 2° du contrat de concession conclu le 28 août 1996 entre la société Etablissements Lépinoit et Compagnie et la société Automobiles Peugeot,

Dit que la résiliation du contrat notifiée par la société Automobiles Peugeot le 28 juillet 1997 pour le 31 décembre 1998 en application de cette clause est irrégulière,

Condamne en conséquence la société Automobiles Peugeot à payer à Me [N], ès qualités, la somme de 3 000 000 € en réparation du préjudice subi par la société Etablissements Lépinoit et Compagnie par suite de cette résiliation injustifiée,

Déclare irrecevable la demande de la société Automobiles Peugeot tendant au paiement d'une somme de 188 218,47 € au titre de factures impayées,

Condamne la société Automobiles Peugeot à payer à Me [N], ès qualités, la somme de 30 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et rejette sa demande formée à ce titre,

Condamne la société Automobiles Peugeot aux dépens de première instance et d'appel, incluant ceux afférents à l'instance ayant abouti à l'arrêt cassé, dit qu'ils seront employés en frais privilégiés de la procédure collective et dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier

A. BOISNARD

Le Président

C. PERRIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 09/02843
Date de la décision : 15/04/2010

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°09/02843 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-04-15;09.02843 ?
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