RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 14 Avril 2010
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/02585
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Mai 2007 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 06/03093
APPELANTE
CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCE MALADIE D'ILE DE FRANCE (C.R.A.M.I.F.)
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Mme [E] [H], Juriste, dûment mandatée
INTIMÉES
Madame [Z] [V]-[P]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 4]
comparante en personne, assistée de Me Franck FISCHER, avocat au barreau de PARIS, G750
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
[Adresse 2]
[Localité 3]
non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Mars 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Geneviève LAMBLING, Présidente
Madame Anne DESMURE, Conseillère
Monsieur Benoît HOLLEAUX, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
- signé par Madame Geneviève LAMBLING, Présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu la décision du Conseil de prud'hommes de Paris du 7 mai 2007 ayant :
* jugé que le licenciement pour faute repose sur une cause réelle et sérieuse mais écarté la faute grave.
* condamné en conséquence la CRAMIF à régler à Mme [Z] [V] [P] les sommes suivantes :
' 9 282 euros d'indemnité compensatrice de préavis ;
' 928,20 euros de congés payés sur préavis ;
' 37 123,30 euros d'indemnité de licenciement ;
avec intérêts au taux légal partant du 10 mars 2006 .
' et 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
* débouté Mme [Z] [V] [P] du surplus de ses demandes (dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse , et pour harcèlement moral).
* rejeté la demande reconventionnelle de la CRAMIF.
* condamné la CRAMIF aux dépens.
Vu la déclaration d'appel de la CRAMIF reçue au greffe de la Cour le 11 juillet 2007.
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 10 mars 2010, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la CRAMIF qui demande à la Cour d'infirmer la décision entreprise, statuant à nouveau, de juger bien fondé le licenciement pour faute grave de Mme [Z] [V] [P], en conséquence de la débouter de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 10 mars 2010, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de Mme [Z] [V] [P] qui demande à la Cour :
* d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle a jugé que son licenciement pour faute repose sur une cause réelle et sérieuse tout en écartant la faute grave.
* statuant à nouveau, de juger que son licenciement pour faute grave est injustifié .
* en conséquence , de condamner la CRAMIF à lui verser les sommes suivantes :
' 9 282 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 928,20 euros d'incidence congés payés ;
' 37 123,30 d'indemnité de licenciement (12 mois de salaires) ;
' 74 256 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
' 18 000 euros d'indemnité pour harcèlement moral ;
' 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes, le 3 mars 2006 .
MOTIFS DE LA COUR
La CRAMIF a embauché Mme [Z] [V] [P] en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein du 7 décembre 1981 en qualité d'assistante sociale.
Dans le dernier état de la relation contractuelle, Mme [Z] [V] [P] percevait une rémunération brute mensuelle de 2644,85 euros / coefficient 275 ' Niveau 5B de la Convention Collective Nationale des Employés et Cadres de Sécurité Sociale.
Par lettre du 7 décembre 2005, la CRAMIF a convoqué Mme [Z] [V] [P] à un entretien préalable prévu le 15 décembre suivant, puis repoussé au 10 janvier 2006, avant de saisir le 13 janvier 2006 pour avis le Conseil de discipline régional d'Ile de France qui remettait ses conclusions le 25 janvier 2006 (se prononçant contre la mesure de licenciement pour faute grave), et de lui notifier par lettre datée du 30 janvier 2006 son licenciement pour faute grave ainsi motivée : «non respect des dispositions relatives à l'absentéisme et à sa prévenance. Mauvais suivi et carences dans le traitement des dossiers. Non respect des dispositions relatives à la destruction des documents sociaux ».
Sur les demandes au titre du licenciement
La CRAMIF soutient que :
' la procédure disciplinaire a été menée dans le respect des règles tant légales (articles L.1331-1 et suivants du code du travail) que conventionnelles (articles 48, 49 et 51), de la convocation de la salariée à l'entretien préalable jusqu'à la notification de son licenciement.
' les faits mentionnés dans la lettre de rupture du contrat de travail, dument établis, sont constitutifs d'une faute grave.
Mme [Z] [V] [P] répond que :
' Sur le grief de non respect des dispositions relatives à l'absentéisme et à sa prévenance :
La procédure disciplinaire a été introduite le 7 décembre 2005 ( convocation à l'entretien préalable), et l'employeur reconnaissant qu'il aurait été informé de ce prétendu absentéisme le 18 octobre 2005 , «il est pour le moins surprenant qu'il ait attendu trois mois pour engager une procédure de licenciement pour faute grave», ce qui doit donner lieu à l'application des dispositions de l'article L.1332-4 du code du travail sur le délai de prescription de deux mois, outre le fait qu'il s'est écoulé plus d'un mois entre l'entretien préalable et la notification du licenciement en violation de l'article L.1332-2 du même code.
Le grief est de plus mal fondé.
' Sur le grief tenant à un mauvais suivi et à des carences dans le traitement des dossiers :
L'un des dossiers mentionnés par l'employeur ne la concerne pas directement - mais bien une autre collègue de travail -, quatre ([C] [D], [I] [G], [F], [A]) ont été expurgés par la CRAMIF des suites leur ayant été données, et d'autres encore ne comportent aucune référence rendant impossible toute vérification.
' Sur le grief de non respect des dispositions relatives à la destruction des documents sociaux :
La question de la purge informatique des données personnelles des dossiers suivis par les assistantes sociales a fait l'objet d'une instruction interne seulement en décembre 2005, aucun manquement ne peut lui être reproché à ce sujet, et le Conseil de discipline a expressément relevé que «la Direction n'a pas mis en place un suivi hiérarchique de l'activité et des contrôles sur la procédure d'apurement des dossiers» .
La CRAMIF a mené une procédure disciplinaire contre Mme [Z] [V] [P] dans le cadre des articles 48 et suivants (MESURES DISCIPLINAIRES) de la Convention Collective Nationale du personnel des organismes de Sécurité sociale, procédure ayant conduit à la convocation de la salariée par lettre du 7 décembre à un entretien préalable fixé le 15 décembre 2005 puis repoussé au 10 janvier 2006, suivi de la saisine par la CRAMIF (mémoire de la Direction) le 13 janvier 2006 du Conseil de discipline régional qui dans un avis du 25 janvier se prononçait «contre la mesure de licenciement pour faute grave ' à l'encontre de Mme [V] [P]», avant finalement qu'il ne lui soit notifié son licenciement pour faute grave par lettre datée du 30 janvier 2006 (présentée et distribuée le 9 février 2006).
Dans le respect des dispositions de l'article 48 de la Convention Collective précitée , la sanction disciplinaire , intervenue après l'avis du Conseil de discipline, a été notifiée à la salariée le 9 février 2006 dans le mois ayant suivi l'entretien préalable le 10 janvier 2006.
Le premier grief (non respect des dispositions sur l'absentéisme et sa prévenance) avancé par la CRAMIF contre Mme [Z] [V] [P] ne repose que sur deux rapports datés des 19 octobre et 1erdécembre 2005 (ses pièces numéros 3 et 4), non signés, au nom de Mme [R] - Responsable départemental - pour transmission au Directeur du service social régional.
Pareils documents restent en eux-mêmes insuffisants, étant observé qu'ils se situent à une époque où Mme [Z] [V] [P] était en arrêt maladie, ce qui avait nécessairement des conséquences sur son activité professionnelle en général et sa présence au sein du service en particulier, situation que la CRAMIF ne pouvait ignorer en la convoquant, pour des faits supposés d'absentéisme portés à sa connaissance le 17 octobre 2005, à un entretien préalable par lettre du 7 décembre 2005 en vertu des dispositions conventionnelles applicables, sans qu'il puisse ainsi, contrairement à ce que prétend l'intimée, lui être opposé la prescription légale (article L.1332-4 du code du travail) de deux mois.
Les deuxième et troisième griefs (mauvais suivi et carences dans le traitement des dossiers ; non respect des dispositions sur la destruction des documents sociaux) reposent principalement sur les rapports de Mme [N] des 15 décembre 2005 et 18 avril 2007 adressés au Directeur du service social régional, rapports accompagnés (pièces numéros 37 à 56 du dossier de plaidoirie de la CRAMIF) de documents d'assurés sociaux dont l'identification est rendue impossible par suite de l'intervention de l'employeur ayant masqué les noms et certains éléments à caractère personnel, ce qui ne permet pas d'imputer précisément les prétendus agissements fautifs à Mme [Z] [V] [P] dont le bureau avait été soigneusement inspecté pendant son absence sans de réelles garanties d'objectivité dans le respect attendu du principe du contradictoire.
La question relative à la destruction des documents sociaux , bien que déjà abordée dans le passé, avait fait l'objet d'une note de service approfondie de la part des instances dirigeantes, note datée du 27 décembre 2005 que la salariée n'a pas pu appliquer puisqu'étant en arrêt maladie depuis le 22 octobre 2005.
Le licenciement pour faute grave de Mme [Z] [V] [P] par la CRAMIF est donc totalement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il y a lieu ainsi d'infirmer la décision déférée, tant sur les sommes allouées à Mme [Z] [V] [P] au titre des indemnités de préavis et de licenciement au vu des indications chiffrées données par l'employeur (pièce n°58), qu'en ce qu'elle l'a déboutée de da demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Statuant à nouveau, la CRAMIF sera en conséquence condamnée à régler à Mme [Z] [V] [P] les sommes suivantes :
' 8 181,75 euros d'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis (article 54 / 3 mois de salaires) ;
' 818,17 euros de congés payés sur préavis ;
' 36 384,16 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement (article 55 / un demi mois de salaire par année d'ancienneté dans la limite de 13 mois de salaire / 2 979,97 euros de salaire mensuel moyen sur l'année avec application faite d'un 13ème et 14ème mois) ;
avec intérêts au taux légal partant du 10 mars 2006, date de la réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation.
' et 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, représentant l'équivalent de 19 mois de salaires, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, en considération de son âge (50 ans), de son ancienneté au sein de la CRAMIF (24 ans et 6 mois , préavis compris), et du fait qu'elle n'a jamais pu retrouver un emploi (admission à l'allocation d'aide au retour à l'emploi jusqu'en avril 2007, bénéficiaire d'une pension d'invalidité 2ème catégorie à compter de janvier 2006) ;
avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
Sur la demande indemnitaire pour harcèlement
Mme [Z] [V] [P] considère avoir subi à compter de 2005 un harcèlement moral de la part de la CRAMIF qui n'aurait pas apprécié sa condamnation de nature salariale résultant d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 19 novembre 2004, et qui l'a licenciée pour faute grave en dépit de l'avis contraire du Conseil de discipline.
La CRAMIF répond que la salariée ne rapporte aucun élément de nature à faire présumer un harcèlement de sa part.
Force est de constater que Mme [Z] [V] [P] n'établit aucun fait permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral en application des articles L.1154-1 et L.1152-1 du code du travail.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [Z] [V] [P] de sa demande indemnitaire de ce chef (18 000 euros).
Sur le remboursement des allocations chômage
En application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par la CRAMIF aux organismes intéressés de la totalité des indemnités de chômage versées à Mme [Z] [V] [P], du jour de son licenciement au présent arrêt, dans la limite de 6 mois.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La CRAMIF sera condamnée en équité à payer à Mme [Z] [V] [P] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutée de sa réclamation du même chef, et condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe.
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [Z] [V] [P] de sa demande indemnitaire pour harcèlement moral.
L'INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau :
DIT et juge sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave de Mme [Z] [V] [P] par la CRAMIF.
En conséquence,
CONDAMNE la CRAMIF à régler à Mme [Z] [V] [P] les sommes suivantes :
' 8 181,75 euros d'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis ;
' 818,17 euros d'incidence congés payés sur préavis ;
' 36 384,16 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
avec intérêts au taux légal partant du 10 mars 2006.
' et 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Y ajoutant :
ORDONNE le remboursement par la CRAMIF aux organismes concernés de la totalité des indemnités de chômage versées à Mme [Z] [V] [P], du jour de son licenciement au présent arrêt, dans la limite de 6 mois ;
CONDAMNE la CRAMIF à payer à Mme [Z] [V] [P] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la CRAMIF de sa réclamation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la CRAMIF aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE