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06/04/2010 | FRANCE | N°09/22226

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 06 avril 2010, 09/22226


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 3



ARRET DU 06 AVRIL 2010



(n° 211 , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 09/22226



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 23 Octobre 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/57757





APPELANT



Monsieur [C] [I]

Maison de Retraite [3]

[Adresse 1]

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représenté par la SCP MENARD - SCELLE-MILLET, avoués à la Cour

assisté de Me Véronique CLAVEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C 1008







INTIMEE



S.A. BOUYGUES TELECOM prise en la personne de ...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 3

ARRET DU 06 AVRIL 2010

(n° 211 , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/22226

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 23 Octobre 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/57757

APPELANT

Monsieur [C] [I]

Maison de Retraite [3]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par la SCP MENARD - SCELLE-MILLET, avoués à la Cour

assisté de Me Véronique CLAVEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C 1008

INTIMEE

S.A. BOUYGUES TELECOM prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour

assistée de Me Christophe LAPP, avocat au barreau de PARIS, plaidant pour la SELARL ALTANA, toque R 021

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Mars 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Joëlle BOURQUARD, Président de chambre

Madame Claire DAVID, Conseillère

Madame Sylvie MAUNAND, Conseillère

qui en ont délibéré

sur le rapport de Madame Joëlle BOURQUARD

Greffier, lors des débats : Mlle Véronique COUVET

MINISTERE PUBLIC :

représenté lors des débats par Madame Isabelle TERRIER MAREUIL, Avocat Général, qui a fait connaître son avis.

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Joëlle BOURQUARD, président et par Mlle Véronique COUVET, greffier.

Selon acte sous seing privé du 22 novembre 2004, la SCI RDR a donné à bail à la société BOUYGUES TELECOM SA divers emplacements dépendant d'un immeuble situé à [Adresse 1] en vue de l'implantation d'un relais de téléphonie mobile.

Par arrêté du 6 août 2008, faisant suite au dépôt, le 23 juin 2006, par la société BOUYGUES TELECOM d'un dossier de déclaration de travaux, le maire de [Localité 4] ne s'est pas opposé à l'exécution de travaux de création d'un relais de radiotéléphonie en toiture-terrasse de cet ensemble immobilier.

Par décision du 17 avril 2009, l'Agence Nationale des Fréquences a autorisé la société BOUYGUES TELECOM SA à utiliser et mettre en service cette installation.

Se prévalant de ce que la mise en service, à proximité immédiate de sa résidence, d'antennes relais par la société BOUYGUES TELECOM SA représentait un risque de dommages graves et irréversibles à sa santé constitutif d'un dommage imminent en tant que risque sanitaire qu'il convenait d'urgence de faire cesser, M. [C] [I] a sollicité et obtenu, selon ordonnance présidentielle du 24 septembre 2009, l'autorisation d'assigner à jour fixe la société BOUYGUES TELECOM SA et il l'a attraite, par assignation délivrée le même jour, afin de lui voir interdire de procéder à l'installation des antennes relais projetées sur le toit de l'immeuble du [Adresse 1] sous astreinte de 5 000 € par jour et ordonner le démontage complet des équipements déjà installés, devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris qui, par ordonnance rendue le 23 octobre 2009, a :

Ecarté des débats la note en délibéré déposée le 20 octobre 2009 par la société BOUYGUES TELECOM SA,

Rejeté l'exception d'incompétence,

Débouté M. [C] [I] de toutes ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné M. [C] [I] aux dépens.

Appelant de cette décision M. [C] [I], aux termes de ses écritures déposées le 8 mars 2010 et auxquelles il convient de se référer par application des dispositions des articles 455 et 954 du CPC pour un exposé plus amplement détaillé de son argumentaire dont l'essentiel sera repris à l'occasion de l'examen des moyens et prétentions qui y sont articulés, conclut en son infirmation et il demande à la cour de se déclarer compétente et,

D'ordonner à la société BOUYGUES TELECOM SA de procéder au démontage des antennes relais, des bardages et des câbles installés par elle sur le toit de l'immeuble du [Adresse 1],

De prononcer une astreinte de 5 000 € par jour d'infraction constatée dès la signification de l'ordonnance prononçant le démontage,

Et de condamner la société BOUYGUES TELECOM SA à lui verser une indemnité de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Subsidiairement, vu l'article 811 du code de procédure civile, si la cour considérait que la présente affaire devait être appréciée au fond en raison des éléments apportés par les partie, il sollicite qu'il soit fait application de l'article 811 du code de procédure civile et que l'affaire soit renvoyée à une audience pour qu'il soit statué au fond.

La société BOUYGUES TELECOM SA, aux termes de ses écritures déposées le 26 janvier 2010 et auxquelles il convient de se référer par application des dispositions des articles 455 et 954 du CPC pour un exposé plus amplement détaillé de son argumentaire dont l'essentiel sera repris à l'occasion de l'examen des moyens et prétentions qui y sont articulés, conclut,

A titre principal,

vu l'arrêté ministériel du 8 décembre 1994 modifié, la décision de l'ARCEP du 5 novembre 2009, l'arrêté ministériel du 3 décembre 2002, les décisions de l'ARCEP des 17 avril 2009 et 30 octobre 2009, les articles L 2111 ' 17 et L 2331 ' 1 du code général de la propriété des personnes publiques, la compétence du tribunal administratif de Paris,

à ce qu'il soit jugé que le juge judiciaire et plus particulièrement le tribunal de grande instance de Paris n'était pas compétent pour statuer sur les demandes présentées par M. [C] [I] et à l'infirmation de l'ordonnance déférée en ce qu'elle a retenu la compétence du juge judiciaire pour statuer et elle demande à la cour de se déclarer incompétente et renvoyer M. [C] [I] à mieux se pourvoir devant le tribunal administratif de Paris,

A titre subsidiaire, elle sollicite, vu les articles 204 et suivants 809 et 811 du code de procédure civile, de juger,

En tout état de cause, que son installation ne présente aucun risque sanitaire et que le principe de précaution n'est pas applicable,

Qu'aucun dommage imminent ou trouble manifestement illicite n'est constitué par la réalisation des installations qu'elle projette,

Et elle demande de débouter M. [C] [I] de l'intégralité de ses prétentions, y compris la demande d'audition du professeur [T] et de rejeter la demande d'application de l'article 811 du code de procédure civile,

Et en conséquence de confirmer l'ordonnance déférée,

En tout état de cause, elle sollicite que l'appelant soit condamné à lui verser une indemnité de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens et qu'il soit débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le ministère public conclut à l'incompétence de la juridiction judiciaire au motif que le fondement juridique réel de l'action repose sur l'application correcte ou non du principe de précaution et sur la proportionnalité aux risques de la réponse apportée par l'administration.

SUR CE, LA COUR

Sur l'exception d'incompétence :

Considérant qu'à l'appui de l'exception d'incompétence qu'elle soulève, la société BOUYGUES TELECOM fait essentiellement valoir que le litige relève de la juridiction administrative comme se rapportant exclusivement à l'occupation par elle du domaine public, qu'en effet,

- Elle occupe le domaine public radioélectrique étant titulaire des autorisations délivrées par l'administration (administratives nationales générales et locales spécifiques à la station relais en cause) et les fréquences radioélectriques relèvent, conformément à l'article L 2111-7 du code général de la propriété des personnes publiques(CGPPP), du domaine public, leur utilisation constituant au sens de l'article L 41-1 du code des postes et des télécommunications, un mode d'occupation privatif du domaine public ; en conséquence, la demande visant à en obtenir l'interdiction de l'émission et de la réception des fréquences radioélectriques aboutit à ce qu'elle ne puisse pas faire usage les autorisations que l'ANFR lui a accordées,

- L'article L 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques attribue une compétence de principe à la juridiction administrative pour statuer sur les litiges relatifs aux autorisations comportant occupation du domaine public et donc pour connaître de l'action visant à contester l'installation d'une antenne relais aboutissant à la non occupation par un opérateur du domaine public,

Sa position est d'ailleurs confortée par la jurisprudence,

- Les prétentions de l'appelant visent à porter atteinte à un ouvrage public dont la démolition ne peut être ordonnée que par le juge administratif, les dépendances du domaine public constituent des ouvrages publics du moins pour celles qui font parties du domaine public artificiel et qui présentent un caractère immobilier et l'activation de l'antenne constitue un ouvrage public, les fréquences radioélectriques étant qualifiées de dépendances du domaine public par l'article L 2111-17 du CGPPP, les antennes relais étant l'accessoire du domaine public hertzien et le démantèlement de la station tel que sollicité entraînerait la désactivation du domaine hertzien et porterait donc atteinte à un ouvrage public.

Que l'appelant soutient essentiellement en réplique que,

- La société BOUYGUES TELECOM SA exerce son activité dans un cadre privé, elle s'acquitte, comme toute organisation à but lucratif conformément à l'article 1147 du code général des impôts de taxes professionnelles pour chacune de ses antennes et de redevances pour son exploitation de spectre hertzien, ce qui démontre que les antennes sont donc bien la propriété de personnes morales privées et non des ouvrages publics,

- l'autorisation lui permettant d'établir et d'exploiter un réseau radioélectrique de troisième génération ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public démontre qu'il ne s'agit pas d'un service public mais d'un service au public qui peut s'appliquer à n'importe quelle société privée commercialisant des services, les différenciations tarifaires appliquées par les opérateurs en témoignent, l'exploitation à des fins commerciales du domaine public de l'Etat par une société privée ne peut s'analyser en un service public ;

- la jurisprudence confirme la compétence de la juridiction judiciaire et le tribunal administratif de Paris s'est lui-même dessaisi d'une affaire similaire en déclarant qu'elle ne relevait pas de ses attributions ce qui revient à ce qu'il se soit déclaré incompétent,

- il se borne d'ailleurs à demander le démontage d'antennes relais installées par un opérateur privé sur une propriété privée ainsi que les câbles et les bardages les dissimulant et non les générateurs émettant des fréquences ayant fait l'objet d'autorisations administratives,

- l'article L 2331-1 du code GPPP dispose que relèvent de la juridiction administrative les litiges relatifs aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public accordées ou conclus par les personnes publics ou leur concessionnaires or la société BOUYGUES TELECOM n'est pas un concessionnaire de l'Etat ;

- la société BOUYGUES TELECOM n'a pas respecté le décret du 3 mai 2002,

- les autorisations délivrées par l'ANFR ont été tardives et données sur la base d'informations tronquées et que la ville de [Localité 4] ignorait la présence de trois autres stations de base proches, comme ne lui ayant pas été déclarée,

- la zone était déjà suffisamment couverte et que les nouvelles antennes génèrent une exposition supplémentaire inutile ;

Et considérant que l'article L 2111-17 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que « Les fréquences radioélectriques disponibles sur le territoire de la République relèvent du domaine public de l'Etat »,

Que l'article L 2124-26 du même code précise que « l''utilisation, par les titulaires d'autorisation, de fréquences radioélectriques disponibles sur le territoire de la République, constitue un mode d'occupation privatif du domaine public de l'Etat »,

Qu'aux termes de l'article L 2331-1 de ce code « sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs [notamment] : 1° Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires » ;

Considérant que la société BOUYGUES TELECOM justifie qu'elle est titulaire de toutes les autorisations administratives lui permettant d'implanter et de mettre en service une antenne relais de radiotéléphonie en toiture-terrasse de l'immeuble situé à [Adresse 1] ;

Mais considérant que la demande formée par M. [I], personne privée à l'encontre de la société de droit privé BOUYGUES TELECOM est fondée sur l'article 809 alinéa 1er du code de procédure civile, qu'elle a pour objet de prévenir le dommage imminent constitué par le risque grave et irréversible à sa santé de la mise en service de cette installation eu égard à son voisinage immédiat ou de faire cesser le trouble manifestement illicite que lui cause sa réalisation effective ;

Qu'elle ne vise donc pas à remettre en cause ni l'arrêté du 3 décembre 2002 autorisant BOUYGUES TELECOM à exploiter un réseau radioélectrique ouvert au public en vue de l'exploitation d'un service de communications personnelles, ni l'autorisation de l'Autorité de régulation des Communications Electroniques et des postes (ARCEP), dont elle a obtenu le renouvellement le 5 novembre 2009, d'établir et d'exploiter des réseaux radioélectriques ;

Qu'elle ne tend pas davantage à affecter la validité des autorisations obtenues de l'Agence Nationale de Fréquences (ANFR) le 17 avril 2009 puis le 30 octobre 2009 afin d'utiliser et de mettre en service l'antenne en cause et d'émettre à partir de ce site des fréquences hertziennes, qu'en effet, c'est la société BOUYGUES TELECOM qui a choisi d'installer une antenne relais de radiotéléphonie en toiture-terrasse de cet immeuble, que l'AFNR n'a fait qu'accepter cette localisation, que l'objet de la demande de M. [I] est relatif aux conséquences du seul choix de la société BOUYGUES TELECOM, sans intervention de la puissance publique, quant à la localisation de son installation sur la toiture terrasse de cet immeuble alors qu'il lui était loisible de l'installer sur un autre site ;

Que le dommage ou le trouble allégué ne concerne ni la légalité ni la validité des autorisations et les conventions d'occupation du domaine public ;

Qu'il s'ensuit que c'est à juste titre que l'ordonnance déférée a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société BOUYGUES TELECOM ;

Au principal :

Considérant que l'appelant se fonde tant sur la nécessité de prévenir un dommage imminent que de faire cesser un trouble manifestement illicite, qu'il tire la démonstration de l'urgence à prendre des mesures du fait de la non obtention des autorisations administratives et du non respect des dispositions du décret du 3 mai 2002 par la société BOUYGUES TELECOM, faisant valoir que les antennes ont été mises en service le 6 janvier 2010 avant d'obtenir l'autorisation d'émettre le 8 janvier 2010 ;

Qu'il se prévaut de ce que,

- Depuis la mise en service du dispositif litigieux, à l'étage le plus exposé, deux résidents sont décédés et un troisième hospitalisé,

- Plusieurs attestations fournies par des riverains d'antennes prouvent que les troubles causés par ces antennes peuvent entraîner la mort,

- Des enquêtes de terrain menées auprès de riverains d'antennes confirment les effets sanitaires observées,

- Le professeur [V] [T] dont il demande l'audition peut confirmer la dangerosité des antennes à partir des résultats de ses expériences et répondre aux questions de la cour,

- Il existe un risque avéré et imminent de dommage grave et irréversible pour les populations sensibles exposées constituant un trouble manifestement illicite,

Que l'appelant soutient également que l'urgence commande l'application du principe de précaution, et qu'il revient à la cour de protéger les personnes encore vivantes mais fragiles en ordonnant le démontage des antennes, sous peine de les mettre en danger ;

Que la société intimée fait essentiellement valoir en réplique que,

- Les autorités sanitaires ne retiennent pas l'hypothèse d'un risque sanitaire pour les populations vivant auprès des stations relais,

- La position de l'appelant repose sur une pétition de principe confirmée par le fait qu'il dirige exclusivement son action contre les relais de téléphonie mobile alors que des ondes électromagnétiques provenant d'autres sources sont présentes dans l'environnement quotidien dans des proportions importantes, qu'il ne se plaint d'aucun trouble particulier quant à l'existence d'un prétendu risque sanitaire,

- De nombreuses études scientifiques récentes ne retiennent pas l'existence d'un risque pour les personnes vivant à proximité des relais de radiotéléphonie

- Les arguments de l'appelant sont inopérants ou infondés, qu'en effet, les antennes relais n'émettent pas d'onde ou de champ magnétique (très) basses fréquences (ELF), l'évaluation des risques sanitaires éventuels est la même pour les ondes de télévision que pour celle des antennes relais,

- L'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent n'est pas caractérisée en droit et les demandes comparables à celles présentées par l'appelant ont été systématiquement rejetées par les juridictions judiciaires ;

Que la société BOUYGUES TELECOM estime que le principe de précaution n'est pas applicable en l'espèce, il n'est en tout état de cause pas invocable devant le juge judiciaire et il est incompatible avec le critère de l'imminence du dommage qui fonde la compétence de la juridiction des référés, qu'elle estime qu'à défaut de démontrer l'existence d'un risque avéré voire important de survenance de dommage lié au voisinage immédiat des antennes relais, M. [I] ne peut utilement se prévaloir d'une urgence relative à l'application du principe de précaution ;

Et considérant qu'aux termes de l'article 809 alinéa 1er du code de procédure civile, la juridiction des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Que le dommage imminent s'entend du « dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer » et le trouble manifestement illicite découle de « toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit » ;

Qu'il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle la cour statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, qu'un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés ; que la constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets ;

Que le risque sanitaire invoqué du fait de la proximité immédiate des antennes, pour constituer un trouble de voisinage qu'il conviendrait de faire cesser, doit donc être avéré, indéniable voire inéluctable et le risque de survenance de dommage important ;

Considérant qu'il est établi que la société BOUYGUES TELECOM dispose actuellement de toutes les autorisations requises pour émettre depuis le site en cause ; que la mise en service de son installation est donc licite ;

Considérant que l'appelant ne démontre pas que la société BOUYGUES TELECOM contrevienne aux dispositions du décret du 3 mai 2002 ; qu'en effet, les considérations techniques qu'il développe (pages 35 à 42 de ses écritures), tout en estimant inopportun et inutile tout relevé de mesure, et qui portent tant sur les valeurs limites d'exposition fixées par ce décret, comme calculées sur une courte période et ne prenant pas en compte les expositions plus longues, le non respect des valeurs limites en cas d'émission simultanées par plusieurs antennes relais, leur défaut de prise en compte par la société BOUYGUES TELECOM, que sur l'absence de référence à des valeurs limites par le protocole AFNR quant aux conditions de réalisation des mesures, sont sérieusement et techniquement contestées par l'intimée et ne permettent nullement de justifier que l'opérateur de téléphonie dépasserait les seuils d'exposition réglementairement fixés ;

Considérant que la preuve certaine et évidente d'un risque sanitaire ne saurait résulter des multiples études et rapports versés aux débats par l'appelant dès lors qu'ils sont formellement contredits par de nombreuses autres études scientifiques qui concluent en l'absence de risque pour la santé des personnes vivant à proximité d'antennes relais de téléphonie mobile ; qu'en l'état des connaissances actuelles de la science, il n'existe aucun consensus permettant de conclure à la nocivité des antennes relais de téléphonie mobile ; que dans ce contexte, l'audition du professeur [T], sans dénier l'importance de ses travaux, n'est ni opportune ni nécessaire ;

Considérant qu'il ne peut davantage être déduit de la circonstance de la survenance de trois décès de personnes habitant au même étage de la résidence de l'appelant depuis la mise en service de l'antenne relais, l'existence d'un risque sanitaire lié à l'émission d'ondes néfastes pour la santé par ce dispositif, en l'absence de tout élément démontrant une relation directe et certaine entre ces décès et la présence de l'antenne ;

Que de même l'ensemble des témoignages et attestations versés aux débats par l'appelant ne permettent pas de caractériser avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés les risques de danger que constituerait pour la santé la présence d'antennes relais pour les populations qui vivent à proximité ;

Considérant qu'en application du principe de précaution invoqué par l'appelant « lorsque des incertitudes subsistent quant à l'existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité ou la gravité des ces risques soient pleinement démontrées » ;

Que si ce principe, consacré par l'article 5 de la Charte de l'environnement, s'impose aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respective, il est indéniable qu'il a été pris en compte par le décret du 3 mai 2002, qu'en effet, ainsi qu'il a été jugé par le Conseil d'Etat, « les limites d'exposition imposées par [ce texte] qui correspondent à celles préconisées par le Conseil de l'Union Européenne, tiennent compte des marges de sécurité destinées à protéger le public contre tout effet, y compris à long terme, de l'exposition aux ondes électromagnétiques émises par les équipements utilisés dans les réseaux de télécommunications ou par les installations radio électriques, dans l'ensemble des gammes de fréquence » ;

Et considérant que ce principe ne saurait être utilement invoqué dès lors qu'il s'évince de sa propre définition qu'il est manifestement incompatible avec le critère objectif de l'imminence du dommage qui fonde les pouvoirs de la juridiction des référés au titre de l'article 809 alinéa 1er du code de procédure civile ;

Considérant qu'à défaut de rapporter le preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent résultant de l'existence d'un risque sanitaire lié à l'installation et la mise en service de l'antenne relais, 277 ' [Adresse 1], à proximité de sa résidence, M. [I] doit être débouté de ses demandes ;

Qu'il n'y a pas lieu à renvoyer l'affaire devant la juridiction de fond, les conditions d'application de l'article 811 du code de procédure civile n'étant pas réunies ;

Que l'ordonnance entreprise doit donc être confirmée ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société BOUYGUES TELECOM une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant tel que précisé au dispositif de la présente décision ; que M. [I] qui succombe dans ses prétentions doit supporter les entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Condamne M. [C] [I] à payer à la société BOUYGUES TELECOM une indemnité de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres prétentions des parties,

Condamne M. [C] [I] aux entiers dépens et autorise maître TEYTAUD, avoué à les recouvrer directement comme il est prescrit à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 09/22226
Date de la décision : 06/04/2010

Références :

Cour d'appel de Paris A3, arrêt n°09/22226 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-04-06;09.22226 ?
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